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samedi 14 janvier 2023

Jésus grand prêtre. Lire l'épître aux Hébreux avec Véronique Belen

"Un grand prêtre éprouvé en toutes choses, à notre ressemblance, excepté le péché." Hébreux 4, 15 | Méditations bibliques (histoiredunefoi.fr)


J'aime beaucoup votre réflexion, et ce d'autant plus qu'elle part d'    une "jointure", d'un écartèlement qui ne me la rend pas immédiatement accessible. Comment comprendre ce Jésus qui peut compatir à nos faiblesses et se fait homme et notre grand prêtre, se montrant capable d'offrir des sacrifices en notre faveur alors qu'il aurait tout assumé de la nature humaine à l'exception de ce qui en constitue la partie incompréhensible et propre à la faire détester, ce mal, ce péché, par lequel l'homme cesse de penser qu'il est bon, qui le dégoûte de lui-même et qui est comme une spécificité de la nature humaine: seul l'homme pèche, les anges choisissent une fois pour toutes d'être du côté de Dieu ou de lui être insoumis, et les animaux obéissent à leurs instincts. Donc dire que Jésus S'est fait homme à l'exception du péché, n'est-ce pas une contradiction dans les termes? Quand je faisais part de ma perplexité auprès d'un ami très girardien (et René Girard a commencé par refuser la lecture sacrificielle de l'épître aux Hébreux), il m'a répondu que le christianisme n'était pas à un oxymore près. La formule m'a plu. 


Mais je continue de creuser ma perplexité. Vous écrivez que Jésus n'a commis "aucune faute ni de parole, ni de comportement". Cela ne se vérifie pas à première vue. Tant de fois il est dur, y compris avec sa mère,  Il rabroue ses disciples, Il les menace de l'enfer. Il va presque jusqu'à la violence en renversant les étales des marchand du Temple, l'exemple est topique, mais même en entrant dans sa Passion, avant de demander à ses disciples de rengainer leurs épées, Il se félicite qu'ils en aient acheté. Autrement dit, quand j'essaie de vérifier si Jésus n'a point péché, je commence par trouver que si.


Or  mine de rien, vous nous proposez une définition du péché à l'aune de laquelle la vérification s'inverse. Pécher, c'est, dites-vous, "éprouver de la défiance envers Dieu". Là où nous pensons qu'il faut "tuer le père", Jésus Lui cherche "à accomplir la Volonté de son Père", dit qu'Il est venu pour cela, qu'il y trouve sa nourriture et la réalisation de Sa vie, consentant même à endosser la mission du serviteur souffrant.


Vous ne voulez ni du Dieu vengeur ni du Dieu faible et impuissant. Vous continuez de croire au miracle et d'espérer la parousie. Vous dites que Dieu nous attire parce qu'Il ne cesse pas d'agir et qu'Il n'y renoncera jamais. Vous battez en brèche le Dieu évanescent d'une société quiétiste. Parole rare, qui me renvoie en écho celle d'un aumônier d'hôpital disant un jour: "Nous sommes trop rapidement passés d'un Dieu dur à un Dieu mou qui nous permet de nous dédouaner." Et quand je lui demandais de préciser quel était selon lui le vrai Dieu, il me répondit que c'était le Dieu Père, à la fois exigeant et miséricordieux. Jésus ne cesse donc de nous ramener au Père. Sa cohérence est dans le Père, comme la cohérence de l'aporie entre le Dieu tout-puissant et le Dieu impuissant. 


Un père à qui l'on demande du pain ne saurait donner des serpents ou du poison à ses enfants, nous dit Jésus dans l'Evangile, car "même vous qui êtes mauvais savez donner de bonnes choses à vos enfants". Et pourtant le Père de Jésus ne recule pas devant le sacrifice de son Fils unique. Le mysticisme contemporain,  puisant parfois aux meilleures sources (je l'ai vu chez une amie véritablement mystique) croit de bon ton de se mettre à distance de la lecture sacrificielle de la passion du Christ. Il le fait, croit-il, par compassion.  Or la véritable compassion qu'on doit au Christ, c'est de prendre sa croix et de participer à sa Passion, c'est de ne pas se croire plus fort que Lui, qui ne s'est pas laissé submerger par une logique des événements qui L'aurait dépassé, mais Qui est venu sur terre à la fois pour enseigner et pour marcher vers la souffrance, et pour souffrir, et pour mourir, et pour que cette mort nous apporte quelque chose, nous déleste de nos péchés, nous soustraie au mystère d'iniquité, nous rende libres comme la Vérité qui n'est complète que si l'on ajoute à celle de la mort du Christ la vérité de Sa Résurrection. 


Comme beaucoup d'hommes perdus en cette vie où nous marchons sans en comprendre le sens parce que nous ne nous en donnons pas la peine,  je me suis souvent amusé à traquer les soi-disants infidélités de Dieu. Aveugle moi-même, je me suis complu à démontrer à un aveugle évangélique qui me guidait qu'un aveugle peut guider un autre aveugle sans que tous les deux ne tombent dans un trou. Je me suis également amusé à relever que "qui cherche" est loin de nécessairement trouver, mais vous avez raison de croire en un Dieu qui se laisse chercher et trouver. Mon meilleur ami me renvoya une question comme je lui demandais ce qu'il pensait de moi. "Veux-tu vraiment entendre la réponse ou poses-tu la question pour le plaisir de la question?" Nous ne trouvons pas Dieu quand nous prétendons Le chercher parce que nous ne voulons pas Le trouver et préférons Le chercher  dans et pour le plaisir de la recherche. "Avoir question à tout", est stimulant et "en philosophie, les questions sont plus essentielles que les réponses" disait Karl Jaspers, car les questions sont des mots de l'enfant des "pourquois". C'est sans doute exact, mais qu'en est-il de notre vie si  elle ne s'oriente pas vers une réponse? Car compte au premier plan l'orientation fondamentale que nous lui donnons et le "vouloir foncier" qui indique le sens de la marche d'un être humain. Je ne sais pas si nous serons jugés à l'aune de ce "vouloir foncier", et de cette orientation fondamentale, mais notre vie appelle réponse.


Nous ne voulons "rien devoir" au sacrifice du Christ parce que, comme me le disait l'abbé Yannick Vella lors d'une conversation au débotté dans un hôtel albigeois, nous traversons depuis très longtemps une crise de la pensée sacrificielle. Cela a commencé dès le judaïsme que l'effet cumulé de la Passion du Christ et de la destruction du Temple a fait passer d'un judaïsme sacerdotal (et donc de sacrifice) à un judaïsme rabbinique (de simple enseignement), de même que nous voudrions bien sinon d'un "christianisme sans la Croix" comme le déplorait déjà Paul VI; du moins souhaiterions-nous passer d'un christianisme kérigmatique à un christianisme évangélique. 


"La Passion du Christ va beaucoup plus loin qu'un simple mystère de mort et d'ensevilissement", ajoutait l'abbé Vella. "Benoît XV (dont il ne retrouvait pas la citation exacte) parle de destruction de la victime, la victime est brûlée, la descente aux enfers est un moment de consomption, la Résurrection du Christ ne vient qu'à ce prix-là". 


Nous dénions toute valeur au sacrifice, car nous tenons absolument à être responsables de notre vie. Le sacrifice est douloureux, mais notre consentement à cete douleur de la perte entraîne paradoxalement une moindre responsabilit de notre part une fois le sacrifice consommé. Et si nous devons le pardon de nos péchés au sacrifice d'un autre, nous nous sentons amputés de notre responsabilité. 


Jusqu'à mieux définie, la Rédemption est un transfert de responsabilité. J'écris cela en ayant essuyé les foudres de beaucoup de commentateurs d'un autre blog pour avoir avancé cette définition, mais on ne me propose pas de définition alternative.


La crise de la pensée sacrificielle est l'autre nom d'une allergie qu'éprouve aujourd'hui notre Occident démocratique (et où la démocratie se porte mal) pour toute forme de verticalité et de sacralité. La lutte contre le cléricalisme est l'implicite du refus  par incompréhension du sacerdoce en tant que tel, du sacerdoce ordonné comme du sacerdoce du Christ, car le prêtre produit du sacré, et l'Incarnation du Christ n'a pas désacralisé la divinité du Christ, à preuve son refus du péché. Elle a sacralisé ou plutôt divinisé l'homme s'il veut bien entrer dans le projet de cette divinisation et ne pas se la donner par impossible à lui-même. 

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