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mercredi 8 août 2018

DISCUSSION SUR LA PEINE DE MORT SUR LE BLOG DE PHILIPPE BILGER APRÈS LE RESCRIT DU PAPE LA JUGEANT INADMISSIBLE

http://www.philippebilger.com/blog/2018/08/le-pape-fran%C3%A7ois-nest-pas-ordinaire-entre-provocations-et-imprudences-fulgurances-et-audaces-politisation-et-rigueur.html


L’insistance du pape François sur l’accueil inconditionnel des migrants a le même fondement à la fois analogique et théologique que sa condamnation sans appel de la peine de mort :
le Christ a été un migrant à l’orée de sa vie et a été accueilli en Égypte comme un réfugié, donc tous les États doivent accueillir tous les migrants comme des réfugiés
- Le Christ a été un martyr à la fin de sa vie suite à la décision inique, non des juifs qui l’ont condamné, mais des Romains qui l’ont crucifié, de le mettre à mort (inversion accusatoire évidente du procès de Jésus). Donc on doit interdire la peine de mort, qui est un mémorial du martyre de Jésus.
@Philippe Bilger :
« Prenons l’exemple du général de Gaulle qui en plusieurs périodes de sa vie historique n’a pas vraiment lésiné sur les exécutions de peines capitales alors que par ailleurs sa pratique intime et revendiquée l’inscrivait dans le catholicisme. Sans doute aurait-il eu plus de mal à se sentir à l’aise comme chef d’Etat et en qualité de chrétien avec cette interdiction officielle et doctrinale de la peine de mort. » Permettez-moi d’en douter.
De Gaulle a-t-il vraiment déclaré : « Toute ma vie, j’ai fait tirer sur des Français », comme l’allègue @Hameau dans les nuages ?
Quoi qu’il en soit, s’interdisait-il de consulter mages et voyantes parce que l’Église catholique lui interdisait la pratique des arts divinatoires ?
Je crois que De Gaulle le gallican se serait assis sur la proscription de la peine de mort édictée par le pape François en plein consensus des puissances alignées et développées sur le sujet.
Comme quoi le pape François veut « une Église de pauvres pour les pauvres », mais raisonne, « en périphérie » de [son] Église, en résonnance, à tort ou à raison, avec les puissances du monde.
@Exilé,
Vous citez saint Thomas d’Aquin comme une autorité intangible, comme si l’Église d’après la religion de la loi devait tellement canoniser ses légistes, y compris le docteur angélique, à la manière dont le Conseil des oulémas, et derrière lui dont l’école coranique le fait des anciens savants de l’islam, ou dont les talmudistes le font des sages du Talmud, qu’il ne serait plus possible de réfléchir après saint Thomas d’Aquin, et encore moins d’amodier la doctrine. Or si saint Thomas envisage qu’il est nécessaire de pouvoir donner latitude à l’État de couper les « membres gangrenés » de ses peuples, que n’a-t-il constitué le peuple en corps politique ! Il s’est bien gardé de le faire, sachant que la conséquence en aurait été que le peuple souverain aurait dû pouvoir user face à Dieu du même libre arbitre qu’un individu, dont la conscience doit consentir de son plein gré au plan de Dieu sur le sujet qu’elle dirige, et doit donc aussi pouvoir refuser ce plan de Dieu sur l’individu ou sur le peuple.
@Franck Boizard :
- Le Père Bruckberger avait sans doute une principale maîtresse en la personne de Barbara, mais vous oubliez toutes les bruckbergères.
- Pour que la peine de mort prodigue un bienfait cosmique dans l’ordre juste, encore faudrait-il s’assurer que celui qui la prononce a le droit de la prononcer. Le pape de Rom déromanise l’Église catholique en estimant qu’au plan étatique, le pater familias n’a plus le droit de vie ou de mort sur ses enfants. Autrement dit, si à @Philipe Dubois estime qu’» il faut rendre à César ce qui est à César », la « politique pénale » appartient peut-être à César, mais la vie n’est pas à César. La politique pénale n’appartient donc à César que dans la limite où César ne s’en prend à la vie de personne, fût-ce d’un criminel, à l’exception d’un soldat qui consent au sacrifice de sa vie. @Philippe Bilger le formule en disant que « la peine de mort », « sanction absolue », « aurait [relevé d’] une justice absolue » et « aurait ressorti (….) plus à la métaphysique qu’à la technique. À la transcendance plus qu’à notre humanité ordinaire ». Principe que, pour ma part, j’énonce en ces termes : la société ne peut pas reprendre ce qu’elle n’a pas donné. La société n’a pas donné la vie, elle ne peut pas reprendre la vie.
Ce qui repose, nous dit @Philippe Dubois, le « débat sur la perpétuité réelle », beaucoup plus facile à requérir, ajoute @Genau, que la peine de mort, puisque notre bonne conscience peut se contenter d’oublier le reclus « dans un cul de basse fosse ». Il me semble que l’individualisme peut répondre à cette objection. Le même individualisme que j’invoquais s’agissant de constituer un corps politique à partir de tous les membres du peuple. La société n’a pas le droit de priver de sa vie un membre du peuple ou du corps politique. Elle peut s’en protéger à travers une mesure d’éloignement définitif. L’individu peut ne pas supporter cette mesure d’éloignement et demander à la société de l’assister dans son suicide, à défaut d’ordonner qu’il soit mis à mort. De même que la société ne peut imposer à quelqu’un d’être à la torture parce qu’elle a peur de la mort et refuse de légiférer sur l’euthanasie. Elle doit donc timidement lui prêter main forte dans le suicide assisté s’il lui en fait la demande, attendu que c’est l’individu, membre du corps politique, qui demeure maître, libre et responsable de sa vie, libre face à Dieu, face à la société et face à lui-même. Si l’on croit que le salut de l’individu compte plus que la vie, raison pour laquelle @Xavier Nebout voulait le pendre ou le guillotiner par mesure préventive et de crainte qu’il ne récidive dans des péchés plus graves et qui mettent en danger son âme, l’individu devra répondre de l’usage qu’il fera de sa liberté s’il veut en effet mourir, la société ne pouvant l’obliger à vivre. Seule cet affranchissement de l’individu pourra prévenir l’objection d’@Elusen que la démocratie sort du polythéisme et est incompatible avec le monothéisme.
Est-ce une raison pour que @Patrice Charoulet simplifie le christianisme en affirmant que ceux qui avaient lu le nouveau Testament savaient bien que la peine de mort ne pouvait être une option, et que Jésus n’avait jamais recommandé de « tuer les méchants » … ? @Noblejoué lui a déjà rappelé la parole par laquelle la pédophilie pouvait encourir que l’on jetât « dans l’eau » « avec une meule » « ceux qui » « [scandaliseraient] des enfants ». « Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi », ordonne le roi de la parabole (en Lc 19 :27), ce qui ne devrait pas flatter les idées girardiennes qu’@Aliocha s’est formées à propos du Royaume qui serait le strict opposé de la violence.
L’abolition de la peine de mort est-elle une préoccupation de pays riches encouragée par un christianisme qui la ventilerait comme « un robinet d’eau tiède » ? (@Franck Boizard) « @Genau :
« La mort de masse frappe à coups redoublés à la porte de notre monde et il [Bergoglio] regarde ailleurs. » Bergoglio peut-être…. Mais ce n’est pas ce que font les descendants des abolitionnistes badintériens, savoir les socialistes français qui, après l’avoir beaucoup requise contre les militants du FLN, Mitterrand étant ministre de l’Intérieur puis de la justice, n’ont jamais montré d’états d’âme – François Hollande en est un bon exemple de son propre aveu -, à assassiner froidement les terroristes au lieu de les neutraliser et de les maîtriser pour les convoquer en jugement. L’hypocrisie socialiste est badintérienne en paroles et mitterrandiste, ou molletiste, et reaganienne, puis bushiste, et néo-conservatrice, et atlantiste en actes. La gauche est plus atlantiste que la droite, ce n’est pas une découverte pour les lecteurs de ce blog.
@Elusen,
Vous êtes l’un des premiers que je lis à me mettre le doigt sur cette différence entre la peine de mort et l’avortement que le second est toujours à l’initiative d’une personne individuelle, alors que la première est présentée par ses partisans comme une expression de la violence légitime de la société qui fait justice. Et pratique la légitime défense contre ceux qui veulent lui nuire. « La justice n’est pas la vengeance », écrivez-vous.  Vous semblez toutefois oublier, contre votre interlocuteur de choix @Noblejoué, que, pour Nietzsche, la justice naît de la vengeance, et de l’illusion que la dette et la peine de celui qui a causé une injustice peuvent réparer un préjudice. Bien que la justice naisse de la vengeance, il ne faudrait pas, si je vous comprends bien, offrir une forme native de justice vengeresse dans une société développée, qui soit directement issue de la vengeance et ne soit que de la vengeance appliquée.
Mon autre réserve est pour dire que l’avortement n’est pas un simple déni de grossesse. Ce n’est pas une « pathologie médicale » de la femme qui ne veut pas que se développe en elle ce « corps étranger » dont la biologie, donc la nature, aurait prévu qu’il devienne son enfant. Ou bien l’avortement est-il un déni de grossesse qui passe à l’acte au nom d’un refus radical de la biologie, en raison d’une conception radicalement individualiste, qui pourrait demander l’assentiment de la mère à la biologie pour qu’elle échappe au déterminisme anthropologique. Cela pourrait être plaidé d’un point de vue métaphysique, au nom de la logique individualiste et libérale que j’ai défendue plus haut comme une tentative de sortie de crise de la conscience chrétienne aux prises avec l’État laïque.
@Noblejoué,
« Accessoirement, si j'ose dire, tous les humains sont mortels, condamnés à mort par dieu-qui-nous-aime tant [après avoir laissé crucifier son Fils et l’avoir ressuscité ensuite selon @Breizmabro]. Il ne faut pas tuer, dit celui qui nous tue. » - « Et c’est le bon Dieu qui nous fait, et c’est le bon Dieu qui nous brise », chante Raphael dans CARAVANE. -  Mais selon le Siracide, « c’est par l’envie du malin que la mort est entrée dans le monde. » (Sg 2, 24)
@Elusen « Cet Allah prénommé Yahvé. » Le nom arabe de Dieu, Allah, est en effet calqué sur l’Hébreu Elohim, soit le pluriel de la divinité. Ironie de l’histoire, le nom dont la religion la plus monothéiste des trois monothéistes désigne Dieu, emprunte précisément au pluriel de la divinité, donc au polythéisme ou à l’associationnisme…
En revanche, vous confondez Jésus et Christ. Jésus est un prénom qui signifie « Dieu sauve » ou « Salut », alors que Christ ou Messie signifie « l’Oint de Dieu ». Les deux termes ne recouvrent pas la même réalité.
@Philippe Dubois :
J’ai toujours été séduit par une interprétation non doloriste et non victimaire du précepte de « tendre l’autre joue ». Selon moi, il s’agissait d’une façon de désarmer la logique de l’adversaire en répondant à la violence par une provocation à la violence àrebours. Mais l’interprétation de votre curé me paraît convaincante. Elle est corroborée par l’attitude de Jésus au moment de Sa Passion qui, lorsqu’il est frappé par le serviteur du grand prêtre, lui demande : « Si j’ai mal parlé, explique-moi en quoi ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? »
Je ne dirai ni avec vous, @Elusen, que la connaissance est l’ennemie delà religion, ni avec @Noblejoué, que la religion se fonde à côté de la connaissance. Vouloir que la religion soit un récit asymptotique à celui de l’histoire du monde me semble accorder bien peu de crédit, donc de foi, à la religion. Selon François Varillon, déjà évoqué par moi dans un commentaire antérieur au billet de PB sur George Steiner et Lucien Rebatet, il ne fallait pas demander à la Révélation de nous raconter la genèse du monde. C’est peut-être un détour astucieux, mais qui me paraît manquer de foi. Au contraire, vous pariez avec Flaubert que ceux qui ont raison sont les ophites, de prêter à Lucifer d’avoir voulu être, loin de l’ennemi du genre humain qu’on nous représente, le libérateur de notre intelligence, en voulant nous donner la connaissance que Dieu nous refusait. Je crois plutôt que, si en effet le fruit dont il était interdit à l’homme de manger était celui de « l’arbre de la connaissance du bien et du mal », ce n’était pas tant pour que nous n’ayons pas l’intelligence de la morale – qui, somme toute, n’est pas la plus formidable ni la plus libératrice des intelligences -, que pour ne pas obliger Dieu, qui « vit que cela était bon » [tout ce qu’Il avait fait] (et le bon est supérieur au bien), à entrer dans les catégorisations du bien et du mal, où Il ne pouvait nous laisser juger le monde en nous trompant, dès lors que nous aurions décidé d’acquérir ce mode de connaissance dans lequel il S’était refusé à entrer, car ce n’était pas le mode de connaissance qui convenait à la Création du monde.

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