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jeudi 12 avril 2018

Vivre ensemble malgré le conflit des mémoires


Discuté tout à l’heure avec Nathalie. Confronté nos récits nationaux. J’ai du mal à assumer mes dissentiments avec elle. Je lui ai dit qu’elle était une femme de récit et moi un homme d’analyse. Beaucoup de gens se racontent des histoires sans analyser leur récit. Au contraire, je supporte très bien que mon récit soit de bric et de broc (d’ailleurs la fin d’un roman ne m’intéresse pas, je ne retiens pas les coups de théâtre ;  ce qui m’intéresse, c’est son atmosphère), j’accepte tous les paradoxes entre le dire et le faire de quelqu’un, mais je n’accepte pas ses incohérences : je pense A et sciemment, je fais b qui est le contraire de a. J’accepte les paradoxes entre le « dire » et le « faire », mais je n’accepte pas les incohérences entre le « faire » et le « penser ». Nathalie m’a demandé si j’en avais contre l’hypocrisie. Je lui ai répondu que non, car l’hypocrisie est le fait de quelqu’un qui pense noir, te dit qu’il pense blanc et qui fait gris. Le mot de « dissimulation » revient souvent dans la bouche de Nathalie. Je pense que c’est parce qu’on l’a accusée de dissimulation, ou parce qu’on accuse l’islam de Takyiah – le pape François parle bien de « sainte ruse » -.  L’hypocrisie est de la dissimulation. Les hypocrites dissimulent leur incohérence aux autres. Les gens paradoxaux se dissimulent leurs paradoxes à eux-mêmes. Dans le conflit des récits nationaux, je dissimule mes dissentiments à Nathalie. Nous nous dissimulons nos dissentiments pour ne pas entrer dans leur conflictualité : par exemple, le conflit des récits sur la guerre d’Algérie. Nous nous dissimulons nos dissentiments pour assurer le « vivre ensemble » (je préfère l’expression de « vie commune » employée l’autre soir par mgr Pontier). Nous nous dissimulons nos dissentiments au risque d’être sans mémoire. « Tout ça, c’est du passé », me dit Nathalie.   « Je ne crois pas au : « Je me fous du passé » d’Edith Piaf ou au « balayons le passé » des mauvaises réconciliations. Tôt ou tard, le passé nous resaute à la figure. On peut être sans mémoire quand on manque  d’esprit d’analyse. La France est une société mémorielle car elle est judéo-chrétienne. Peut-être est-ce un raccourcis facile que le procédé auquel je recours trop souvent de caractériser les peuples par les monopoles mentaux ou spirituels qu’ils auraient. Dans mon système monopolistique du jour, les juifs auraient le monopole de la mémoire. Alors pourquoi les Algériens nous demandent-ils d’inscrire dans un traité d’amitié que nous regrettons tout le mal commis pendant la colonisation ? Mais peut-être ne nous le demandent-ils pas sérieusement et ne le font-ils sous cette forme que parce qu’ils nous savent une société mémorielle. Serait-ce une composante musulmane que d’être une religion de la fraternité, de la désaffiliation et de l’absence de mémoire, le risque étant que les sociétés musulmanes ne se souviennent pas qu’elles sont en conflit permanent depuis la mort de Mohamed, selon des stratégies d’alliance qui changent très vite et rendent « l’Orient compliqué »à la rationalité occidentale qui aimeles dualismes simplistes. La contrepartie positive est que le musulman est volontiers « pardonnant » comme l’est Allah selon le Coran, dont les colères ne sont pas considérables, car bien que nous soyons sous son regard, il a la prescience calvinienne de qui est sauvé et de qui est damné, et il a l’indifférence voltairienne du dieu des philosophes et du grand horloger.

 

 

« Cela, c’étaient les affaires de nos grands-parents. » Mon père le voyait ainsi, alors qu’il faisait sienne la souffrance que les Allemands avaient infligée à sa mère , qui l’avait faite être germanophobe toute sa vie, et mon père l’avait suivie en n’avouant sa germanophobie qu’à la fin de sa vie. Il était plus antimilitariste que la plupart des appelés du contingent, mais beaucoup souscrivaient à ces paroles de la chanson de Serge Lama : « L’Algérie, c’était une aventure dont on ne voulait pas. […] C’était un beau pays, l’Algérie. »

 

« Je suis contre toutes les guerres », me dit Nathalie. Moi aussi, je suis pacifiste à 99 %. Je me laisse 1 % de marge en cas de guerre inévitable. Or quand j’ai cru la guerre inévitable, c’était dans le bourbier libyen de Sarkozy, pays que Kadhafi menaçait de massacrer pour le libérer d’Al-qaïda Maghreb islamique. On a empêché Kadhafi de massacrer son peuple  et on a bousillé la Libye comme on l’a fait du Centrafrique, ce dont m’avertissait Abdel qui voyait plus clair que moi, même si je ne me suis pas vraiment laissé bercer par les sirènes néo-colonialistes du hollandisme qu’Emmanuel Todd avait cru révolutionnaire et qui n’était que néo-conservateur et bushiste, bien que Hollande fût entouré de conseillers aussi intelligents que celui qui intervenait à l’émission où Nathalie a donné son témoignage. Nathalie ne m’a pas rejoint dans mes marges guerrières, mais elle a donné le seul lieu  où il lui semble qu’on devrait intervenir et c’est le Yemen, où la guerre a fait 7 millions de morts alors qu’on s’agite autour de la Sirie que l’on compte bombarder alors que la guerre vient d’être gagnée par le régime. Mais on ne se satisfait pas de celui qui a remporté la victoire, alors qu’on reçoit en grandes pompes le magnat sahoudien dont Nathalie trouvela réception honteuse. C’est que la France n’est plus gaullienne et a clairement choisi le camp occidental. Les Américains sont russophobes et sahoudophiles, la France les suit sans état d’âme et sans broncher. L’axe sahoudo-sioniste s’affirme clairement de Riyad à Jérusalem, les Yéménites peuvent mourir tranquilles et ils sont déjà 7 millions, un million de plus que...

 

En France, on invite au « vivre- ensemble » au risque qu’Hind se persuade qu’elle a tort d’être contre les Américains parce qu’elle n’aime pas Trump alors que son copain qui a été en Amérique l’a assurée que le peuple américain est très accueillant ce qui est vrai, . Mais il est important qu’Hind déconstruise son préjugé anti-amméricain (ou il est important, sous prétexte d’esprit critique, qu’elle fasse son auto-critique comme aux pires heures du communisme) parce qu’ainsi, elle sera une enfant du « vivre-ensemble » qui pourra excuser ceux qui l’y encourage de vouloir qu’elle soit la seule à converger : la France accueille toutes les nationalités, mais ne se voit pas dans l’obligation de converger avec les luttes de ceux qu’elle accueilleet dont elle fait des Français. Il y a des limites à l’universalisme révolutionnaire ! Les minorités stigmatisées du « vivre-ensemble » devront pousser la convivialité jusqu’à accepter que la France accueille le prince sahoudien qui est la honte du sunisme. Elles le devront dans la virginisation de leur identité qui exige des individus qui sont issus de ces minorités qu’ils deviennent des citoyens amnésiques, les Français de souche, pour leur part, aimant perdre la mémoire. Or le pardon n’est pas amnésique et ne s’accorde que sous la condition que celui qui le reçoit ne recommencera plus.

 

« Et si nous arrêtions de parler de la guerre ? » Comment nous sommes-nous retrouvés dans un monde aussi conflictuel ? Nathallie est viiscéralement pacifiste et moi viscéralement démocrate. Mon démocratisme va jusqu’à l’accepptation de la victoire d’Hitler, contre lequel je lutterai pied à  pied s’il arrivait au pouvoir.  Mon pacifisme ne vient pas loin derrière. Je me souviens de mon père qui attendait d’avoir cinquante ans pour jouir dans la sécurité de la certitude de n’être plus mobilisé. Il était né en 39 et cet enfant de la guerre se réjjouissait de penser qu’il ne verrait plus la guerre, même s’il se méfiait. Moi, je ne me méfiais pas. Quelle ne fut pas ma déconvenue quand s’allumèrent les premiers feux de la première guerre du golfe ! Deux ans après la chute du mur de Berlin et la défaite du communisme que Maurice druuon appela un peu vite « un cadavre » alors qu’un quart de l’humanité en la personne des chinois y restait soumis,  la civilisation de l’optimisme opulent rentrait sans qu’on l’y ait poussée dans le tragique de l’histoire en refusant le scénario de fukuiama pour lui préféreer dix ans plus tard celui de Huntington. La substitution du tragique de l’histoire au progressisme défait du matérialisme historique prôné par les communistes plut beaucoup aux humanitaires « un tiers-mondiste,  deux tiers mondain » du type Bernard Kouchner ou son épigone Bernard-Henri Lévy, le nouveau philosophe, qui se dépensa sans compter pour montrer que le monde dans les radicalisations duquel il s’engouffrait, se divisait entre salauds et « camps du bien ».

« Comme on était bien sous Chirac ! On ne se mêlait pas des affaires des autres. »Pourquoi l’homme aime-t-il tant s’autodétruire ? Pourquoi notre pays riche casse-t-il tous ses jouets pour une domotique qui a déjà vingt ans de retard ? Pourquoi refusons-nous l’héritage humaniste de la vieille bourgeoisie philanthroopique dont la « fin de race » est formée de jeunes coqs numériques (ils savent compter mieux que jamais), humanitaristes et robotisés ?

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