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jeudi 4 juin 2015

La hiérrarchie des trois amours


Voilà une question qui ne cessera jamais de m’obséder.

 

Saint-Bernard y fait droit, lui qui a écrit un Traité de l’Amour de Dieu, quelle ambition que seul un saint  peut caresser ! Mais c’est aussi un saint du Moyen-âge, où l’on n’avait pas peur d’écrire des traités sur des sujets pareils.

 

J’ai toujours estimé que l’Église en rajoutait sur le fait qu’il faut aimer les autres à et soi-même à raison de Dieu. Je pense que ce n’est ni humainement possible, ni sain, dans la mesure où ce n’est pas naturel. J’ai toujours tenu comme un tournant important que pourrait prendre la théologie qu’elle accepte l’inclination naturelle à commencer par soi en matière d’amour, c’est-à-dire à commencer par se reconnaître, pour subordonner ensuite les amours[1]

 supérieurs à ce premier amour, à cette première reconnaissance de notre réalité personnelle, non pas que l’amour de nous-mêmes soit intrinsèquement supérieur aux amours supérieurs à celui-ci en tant qu’ils nous décentrent et quel’objet du plus grand Amour étant Dieu, c’est aussi l’objet supérieur entre tous les objets ; mais parce qu’il y va de la santé de notre âme et que Dieu nous a créés, certes afin que nous puissions tendre vers la perfection et vers la sainteté, mais il n’y apas de sainteté sans santé.

 

Saint-bernard sème le doute dans ma certitude en faisant ce constat :nous ne sommes que trop enclin à trop nous aimer, à trop nous considérer, à nous donner trop d’importance. Donc si le premier degré de l’amour est bien de nous aimer, le second degré n’est pas de nous tourner vers les autres pour eux-mêmes, parce qu’ils sont des compagnons qui méritent la même attention que nous nous accordons à nous-mêmes. Il est de nous tourner vers Dieu « sans qui nous ne pouvons absolument rien » et, non pas de pratiquer « l’interversion des autres et du moi » comme le prêchent les boudhistes, c’est-à-dire d’aimer les autres comme si c’était nous, mais d’aimer les autres comme Dieu nous fait sentir son amour dans les épreuves, avec la même douceur, d’ »aimer les autres comme nous sommes aimés » de Dieu, « comme Jésus-Christ nous a aimés ».

 

Saint-Bernard reprend donc implicitement, dans sa didactique de l’amour, le précepte christique de « nous aimer les uns les autres ». Mais il ne le fait paradoxalement pas comme on le fait aujourd’hui, où on nous dit qu’il faut s’aimer les uns les autres jusqu’à donner Sa vie pour eux, sous prétexte que le commandement n’est pas de « nous aimer les uns les autres », mais de nous aimer « comme », « comme le Christ nous a aimés ». Or Concrètement, ne sommes-nous pas dans une pratique trop émoliente des commandements pour que nous songions sérieusement à mourir pour les autres, s’il s’agit de les aimer comme le Christ nous a aimé… ?.

 

Saint-bernard nous dit avec beaucoup plus de réalisme qu’il faut commencer par les aimer comme Dieu nous console. Il faut les aimer en les consolant.  Il faut les consoler comme nous aimerions être consolés. Et en les aimant ainsi, ajouterais-je, nous pourrons mesurer que Dieu nous a aimés le premier ou que nous sommes aimés de Dieu.

 

Personnellement, j’ai toujours eu beaucoup de mal à me convaincre que l’amour que nous portons à Dieu doit partir de cet amour de Dieu pour nous, car je ne sens pas que je suis aimé de Dieu,., je n’en suis pas convaincu dans ma chair. Le sentiment que nous sommes aimés de Dieu ne s’impose pas avec évidence. Donc il est très difficile d’aimer les autres ou nous-mêmes en vertu d’un amour que nous ne sentons pas. Même si nous devrions nous rendre à l’idée qui me paraît assez outrée que, si nous ne sentons pas que Dieu nous a aimés, c’est que nous ne nous aimons pas. C’est donc que notre amour de nous-mêmes doit être guéri, et qu’il n’est qu’en apparence l’amour qui est le mieux et le plus directement partagé comme le bon sens… Il irait dans le sens de la nature que nous nous aimions et que nous sentions l’Amour de dieu. Mais souvent nous ne nous aimons pas et donc nous ne sentons pas l’Amour de dieu pour nous.  La première guérison de santé de notre « moi », celle qui nous fera avancer dans la sainteté, est d’être réhabilités dans notre amour ou notre reconnaissance de nous-mêmes pour pouvoir aimer Dieu Qui nous a aimé le premier.

 

Quant à savoir s’il est vrai que nous ne nous aimons pas, je crois que c’est une outrance, car le départ est très difficile à faire entre l’excès et le défaut d’amour pour nous.

 

Enfin, nous dit Saint-bernard, il faut aimer Dieu, non pour le « moi », mais pour LE SOI, dirions-nous aujourd’hui. Il n’est pas à nous dire, comme le ferait maître Eckhardt, qu’il faut L’aimer en Soi, parce qu’Il est Dieu, mais il nous propose de L’aimer parce qu’Il est Bon. Tel est pour lui le troisième degré de l’amour.

 

Et le quatrième degré, nous dit-il : « Ne plus s’iamer soi-même que pour l’amour de dieu » !



[1] Je n’écris volontairement pas « amour » au féminin pluriel. Car l’amour ordonné à Dieu est trop singulier pour s’écrire au pluriel, donc je devrais aller jusqu’à m’abstenir de ce respect orthographique élémentaire ; mais il est aussi trop viril pour s’écrire au féminin. Il procède d’un choix du cœur et de la raison, il ne relève pas d’une inconditionnalité instinctive à l’exemple de l’instinct maternel qui existe régulièrement, n’en déplaise à Elisabeth Badinter, et qui n’existe pas seulement à titre exceptionnel.

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