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mercredi 17 avril 2024

Une société sans échappatoire?

"Dans les années 30, le tabac augmente", chantait Michel Sardoux qui faisait de cette augmentation du prix du tabac un des ingrédients de la crise de 1929.

Dans notre époque de sinistrose, nous avons des préoccupations plus hygiénistes. Toutes ne sont pas à jeter aux orties.

J'entends dire à l'instant que la Chambre des Communes du Royaume-Uni s'apprête à adopter une loi pour une "génération sans tabac" revenant à interdire à vie aux personnes nées après 2009 de pouvoir acheter du tabac.

Je n'imagine pas que les interdictions à vie soient très efficaces ni ne puissent entraîner une prohibition totale du tabac qui, sous sa forme cigarette, n'apporte rien de bon à l'organisme que du goudron et des compléments addictogènes.

Mais là où la démarche britannique me paraît plus intelligente que l'aveugle politique d'intimidation française, c'est qu'elle cible une génération pour l'empêcher de tomber dans l'addiction.

Une variante française pourrait être, au lieu d'augmenter le tabac pour toutes les générations sans distinction, de le rendre quasiment inaccessible à la génération de ceux qui ont quatorze ou quinze ans à travers des prix prohibitifs.

Mais on préfère pratiquer une augmentation indiscriminée pour les tabaco-dépendants comme pour ceux qui ne souffrent pas encore de dépendance tabagique.

Reste à savoir, comme le relevait tout à l'heure #OlivierTruchot sur #RMC, si l'injonction paradoxale ne consistera pas à interdire le tabac pour permettre l'usage du canabis.

Les addictologues prétendent qu'on ne doit jamais remplacer une dépendance par une autre. Sans doute est-ce vrai dans un monde idéal. Je crois que c'était #WilliamLovenstein qui aimait populariser l'adage selon lequel il n'y a pas de société sans drogue. J'ajouterais que s'il y a une poésie sans drogue, il n'y a en effet pas de société sans drogue. Il y a la pipe à eau et le narguillé dans les sociétés musulmanes dépourvues de tabac ou d'alcool. Et à supposer qu'une société sans drogue soit possible ou même désirable, je ne crois pas qu'il puisse y avoir de société sans échappatoire. 

lundi 15 avril 2024

Un drone dans le désert

Tout le monde s'accorde à dire que la diplomatie persane est une diplomatie intelligente rompue par 2500 ans d'expérience du pays zoroastrien devenu malheureusement une République islamique.

Quel est l'intérêt de l'Iran d'envoyer des drones sur Israël, question d'autant moins complotiste que l'Iran assume et revendique son geste en assurant qu'il a été "plein de retenue"?

Un geste à la façon des massacres du Hamas qui va faire plus de mal que de bien aux populations que l'Etat et l'organisation islamique sont censés défendre, car les experts de plateau ont beau nous persuader du contraire, il est évident que la riposte disproportionnée d'Israël va encore frapper.

Pour la bonne bouche, l'Etat persan etpost-zoroastrien est un meilleur ami des Palestiniens que les Etats arabes qui passent leur temps à exciter "la rue arabe" à propos de ce conflit sans jamais rien faire pour la reconnaissance de la Palestine.

Et pour la bouche amère, les Etats-Unis ont prévenu Israël de l'offensive iranienne. Ils ont prévenu la Russie de Poutine qu'un attentat islamique s'organisait contre elle à Moscou en mode Bataclan. Et ils ont prévenu les personnes de confessionjuive de ne pas se trouver dans le Wall trade Center, assuraient les contestataires de la "version officielle" des attentats du 11 septembre, mais là, ça glisse.

Pour moi, il était impossible que la "version officielle" soit fausse, car un Etat voulait nécessairement le bien de ses civils. En l'occurrence, quel bien l'Iran entend-elle retirer de l'envoi de ces drones contre des cibles non civiles israéliennes? Je cherche à comprendre. 

samedi 13 avril 2024

Jean-Pierre brouillaud, un globe-trotteur aveugle, voire plus si spiritualité

C'était avant-hier soir. J'y étais. À la 

    librairie 47° Nord à Mulhouse. 


Langue des signes: je suis invité à cette 

    conférence par mon amie EvelyneLamon, présidente du Raph 68, fédération d'associations et d'établissements liés au monde du handicap dans le Haut-Rhin, à l'origine de la plateforme "Handiconsulte", qui permettra de pallier s'il se peut la défaillance médicale et le moins-disant de soins que subissent les personnes "en situation de handicap" (que j'aime cette périphrase!). 


Handicap. Le premier dispositif Handiconsult du Grand Est à Mulhouse (lalsace.fr)


J'invite mon copain David au titre de la 

    retape, sans savoir ce qu'il pouvait penser de cet écrivain qu'il n'avait 

    probablement pas lu, comme moi. 


Miracle de la "langue des signes": il 

    vient de lire ses deux livres récemment rendus accessibles sur la 

    bibliothèque Eole des livres audio. 


Je m'étais comporté vis-à-vis de David 

    comme un "agent du hasard". Mais le hasard n'existe pas.


Commençons par parler de 

    l'auteur.


Qui est-il? 

    Pirouette: "Si j'étais une femme, je me draguerais; si j'étais aveugle, je m'appellerais Brouillard; si j'étais écrivain, je m'appellerais Brouillon; mais comme je suis un peu les quatre, je m'appelle Brouillaud".


Où peut-on le découvrir?


https://www.youtube.com/channel/UCe_Beg7gSXE-HtqNUEFP_iA


Il a publié trois 

    ouvrages:


Géographie mon 

    amour (c'est son opus le plus récent)


https://l-illusion-du-handicap.com/2023/02/geographie-mon-amour-une-poetique-du-voyage.html


https://www.babelio.com/livres/Brouillaud-II-Aller-voir-ailleurs--Dans-les-pas-dun-voyageur-/794903


https://www.amazon.fr/Voyages-coq-l%C3%A2me-Par-del%C3%A0-visible/dp/2919513222


Mais il met aussi en scène et en vidéo ses 

    poèmes et ce que j'ose à son insu appeler des "carnets démentiels", en 

    mémoire de mon ami de plume, Yann Guirec, qui, comme lui, écrivait ses impressions sur 

    une tablette de poche et du papier journal quand il "dépeçait" dans une 

    chambre d'hôtel une "fille de joie" qui n'a jamais été "de petite vertu". 

    Jean-Pierre Brouillaud envoyait deci delà ses impressions à des amis qui les 

    ont conservées, ce qui nous vaut son dernier opus.


Moi, les voyages, ça ne 

    m'intéresse pas plus que ça, je les fais "Autour de ma chambre", comme 

    Xavier de Maistre, le frère aveugle du grand Joseph. Je l'ai dit au 

    conférencier. Pourtant nous nous sommes immédiatement plu et reconnus, je 

    crois. Moins que n'ont été séduit, dans un coup de foudre intellectuel et 

    spirituel immédiats, d'abord mon ami David, autre voyageur aveugle solitaire qui se 

    prend parfois à regretter de "faire du tourisme" et de ne pas avoir 

    l'audace de la "belle étoile" (mais poser une comparaison, c'est vouloir 

    résoudre une équation). 


Mais le plus foudroyé est sans doute Renaud Obino, 

    directeur adjoint de l'institut pour déficients sensoriel et dysphasiques le 

    Phare à Illzach. C'est lui qui a convaincu Evelyne Lamon, d'inviter notre auteur. L'événement s'est 

    concrétisé près de trois ans après que Renaud Obino ait émis le souhait d'organiser une rencontre 

    autour de Jean-Pierre Brouillaud. 


Le directeur adjoint du Phare et le collaborateur du Raph68, Elvis Cordier, ont fait chorus pour poser à l'auteur des 

    questions plus intelligentes les unes que les autres, dont la question 

    "incipit", que l'auteur refusait de se voir soumettre. Ne me demandez 

    pas ce qu'elle était, mais elle nous a immédiatement emmenés dans le voyage 

    intérieur.


Je n'étais pas 

    en reste. Jean-Pierre trouvait qu'on devait faire pièce au mot de "handicap" 

    pour lui substituer celui de "différent". Je ne suis pas contre. Mais j'ai 

    rappelé que l'ANPEA (association nationale des parents d'enfants aveugles) 

    avait également préconisé cela au plan national. Tout en éditant une revue 

    qui s'appelait "Comme les autres" sans voir l'oxymore. 


Selon moi, le droit à la différence masque une 

    indifférence au droit des autres, mais ça n'engage que 

    moi.


Que nous a dit 

    Jean-Pierre? Qu'il ne s'est pas rendu compte qu'il était devenu aveugle, 

    jusqu'au jour où, après un premier passage en école spécialisée d'où on 

    l'exfiltre pour "réunion en baisodrome", il "atterrit" à l'Institution 

    nationale des jeunes aveugles (INJA). Là, ce sont les élèves qui se servent 

    eux-mêmes à la cantine. Partout ailleurs on le servait, et on masquait ainsi 

    son passage de l'autonomie à l'infirmité. Un gars veut lui servir sa soupe: 

    "Puisque tu es miraud, je te sers." Il aurait pu lui tendre son assiette, il 

    lui a tendu son poing pour le lui mettre dans sa gueule, car c'est une 

    révélation qu'il lui fait. 




Jean-Pierre ne savait pas nommer sa cécité. Moi non plus. J'ai appris vers mes trois ans que j'étais aveugle, quand on refusa de faire droit à ma réponse affirmative à la question: "Tu vois?" J'en ressortis vexé, car j'avais l'impression de parfaitement comprendre à quoi se référaient ceux qui voulaient me montrer quelque chose, raison pour laquelle je répondais "oui" à la question "tu vois". 


Jean-Pierre  refuse cette révélation, il se cabre, il se braque, 

    il casse tout, et il fera une énième fugue pour aller dépasser ça avec les 

    hippys dans le vaste monde, au début en revendiquant une sorte de 

    marginalité, jusqu'au jour où il découvre...


qu'il est tout, que tout est lui, qu'il est 

    un dans la conscience universelle. Que celui qui refuse la différence refuse 

    l'autre en lui-même et donc se refuse à lui-même. Même si des fachos sont 

    venus un jour demander à cet homme aux cheveux longs issu de la beat 

    generation: "Qu'est-ce que tu penses d'Hitler?" "Rien, mais c'est 

    une honte pour l'humanité" et ils lui ont "niqué" son deuxième oeil!" Bravo, 

    les gars!


La révélation de 

    cette conscience unitive lui est arrivée une fois, et puis elle s'est 

    retirée, un peu comme le Dieu des transports peut devenir assez rapidement 

    le Dieu des sécheresses. Des va-et-vient qui sont aussi ceux du pénis ou de 

    la vulve. Ceux de l'avant et de l'après l'amour. L'amour n'est-il pas une 

    mystique? 


"Lorsque vos 

    yeux regardent, vous ne regardez pas avec vos yeux, car vous ne faites pas 

    attention à vos yeux qui regardent, donc vous faites attention à votre 

    attention, et c'est avec votre attention que vous regardez." ON dirait du 

    Simone Weil. 

Variante 

    personnelle d'hypermnésique: la mémoire n'est pas une qualité d'affection, 

    mais seulement une tension d'attention.

Pour Jean-Pierre, "la mémoire est un palais 

    déformant."Pour moi aussi.


Le reste, je 

    vous le laisse découvrir auprès de Jean-Pierre, sur ses blogs, sa chaîne YouTube, 

    dans ses livres et ses spectacles. Merci à lui pour sa 

tant de  générosité! 

jeudi 4 avril 2024

La sainte Russie de Dostoïevski et le nihilisme européen

La sainte Russie du conservateur Dostoïevski contre le nihilisme européen.

Péroraison du réquisitoire d'Hypolite Kyrilovitch au procès de Dimitri Karamazov: "Ne faites donc pas souffrir la Russie et son attente. Notre troïka fatale court peut-être bien au grand galop au-devant de sa perte et depuis longtemps, dans toute la Russie, il y a des hommes qui tendent les bras [les progressistes] et en appellent à arrêter ce galop frénétique, impitoyable. Et si, pour le moment encore, les autres peuples s'écartent devant notre troïka lancée à toute bride, peut-être n'est-ce pas du tout par respect envers elle comme le voulait le poète, mais seulement par effroi, cela remarquez-le. Par effroi, et peut-être par dégoût à son égard, et c'est encore bien s'ils s'écartent, parce qu'ils sont bien capables, allez savoir, de ne plus s'écarter, mais de se dresser comme un mur infranchissable devant cette vision au grand galop, et ce sont eux qui arrêteront la course folle de notre portement pour se sauver eux-mêmes. Eux-mêmes, et la culture, et la civilisation. Ces voix inquiètes de l'Europe, nous les avons déjà entendues, elles commencent déjà à s'élever. Ne succombez pas à leur tentation. N'accumulez pas leur haine grandissante par un verdict qui justifierait le meurtre du père par son propre fils." Autrement dit: "ne cédez pas à leur clémence moins romaine que faustienne. Bientôt elle décrétera la mort de Dieu. Restez conservateurs."

Sur ce, Dostoïevski invente de procéder à un micro-trottoir narratif pour enregistrer les réactions des auditeurs à ce réquisitoire fiévreux qui a néanmoins réussi à "[finir] sur une pathétique.""La Troïka, tiens, vous vous souvenez. Là-bas, ils ont des Hamlet, nous, pour l'instant, nous n'avons encore que des Karamazov", des Karamazov qui "ne vivent que du moment présent", comme les Européens d'aujourd'hui qui s'imaginent être devenus bouddhistes parce qu'ils reprennent leur souffle dans le moment présent pour méditer, et soutirent de ce moment présent de quoi se soutirer de leur angoisse. Or les Karamazov en vivent frénétiquement, quand les Hamlet restent capables de se demander "ce qu'il en sera là-bas", quand bien même ils imagineraient, comme l'Aurélie (et non l'Ophélie) des "Années d'apprentissage", que l'issue est dans le coup de poignard ou comme Dimitri arrivé à un certain point de sa trajectoire, que l'issue aux terreurs de sa conscience criminelle, pour lui "qui a tué son âme", "est dans le pistolet", pour se délivrer maintenant, mais après? Le "Hamlet de là-bas" a engendré les parlementaires anglais qui calculent.

"C'est au libéralisme qu'il [le procureur] faisait du pied." Faisait du pied ou faisait les pieds? "Nous tiens, on va fermer Kronstadt et on leur livre plus notre blé. Où est-ce qu'ils le prendront?
-Mais en Amérique. Maintenant, c'est l'Amérique.
-Mon oeil!"

La voix de Dostoïevski fait encore vibrer les jeunes Russes, même les plus dissidents. Je sais une jeune femme qui regrette que Poutine fasse perdre du temps à son pays pour qu'éclose "l'âme russe" en dehors de toute violence inconsidérée. Elle hait la guerre en Ukraine, mais vibre à Dostoïevski, quand nos matérialistes attermoient devant l'inflation qui nous sanctionne plus que nos sanctions ne sanctionnent la Russie, car nous nous montrons incapables, ne fût-ce que de voler leurs avoirs pour ne pas entrer nous-mêmes en économie de guerre.

Marx disait avec mépris que le dernier pays où mettre en application son système était la Russie. Pourtant, bien avant Marx et extérieurement à la course des Russes les plus méprisés par Dostoïevski au libéralisme européen, c'est en Russie que naissait le socialisme le plus idéaliste. Socialiste gâché deux fois au moins: par l'assassinat du tsar Alexandre II qui, si le scénario du film "Katia" rediffusé dimanche dernier dit vrai, ne se serait pas contenté d'abolir le servage, mais aurait couronné la tsarine dans sa jeune épouse morganatique pauvre en adossant l'empire russe à une constitution. Mais de jeunes terroristes trop pressés, qui ne savaient pas ce qui se tramaient dans le palais du tsar, n'ont pas cru Katia et ont tué le tsar, retardant de cinquante ans les réformes attendues et les soumettant à la vindicte du communisme encore en herbe.

"Car beaucoup de gens croient saisir un effet d'opportunité qui se révèle dévastateur, car il devance la réforme et cueille le fruit avant qu'il ne soit mûr. C'est vrai dans les familles, c'est vrai dans les nations", me commentait hier mon frère avec qui j'en discutai.

Lequel a déniché un concile russe datant du début des années 2000, où il est écrit que si le soldat russe est amené à perpétré des masacres (on n'y évoque pas notre notion ugstinienne ou thomiste de "guerre juste"), le soldat russe doit s'abstenir de combattre. Au début de la guerre ukrainienne, mon frère en a écrit au pape François et est déçu que sa missive soit restée lettre morte. Car enfin on ne discerne pas dans les mots de ce concile la soumission FSbiste de l'Eglise orthodoxe russe. On était pourtant au début du poutinisme qui promettait certes un retour à la foi, mais après avoir "poursuivi les Tchétchènes jusque dans les waters."

Est-ce que la diplomatie vaticane est trop avertie pour ne pas savoir que Kyril, rencontré par François à Cuba (comme les circonstances se heurtent!) est inféodé à l'Etat russe ou n'est-elle pas assez subtile pour avoir lu les mots de ce concile?

François a fait ce qu'il a pu en détournant l'injonction de Fatima de "consacrer la Russie seulement aux coeurs immaculés de Jésus et de Marie." Il a associé l'Ukraine à sa consécration. Et puis il a proposé sa médiation, et puis il a appelé les deux peuples à se parler, et puis il a appelé au cesser-le-feu. mais apparemment, ce n'était pas encore assez ou ce n'était pas ce qu'il fallait! 

mercredi 3 avril 2024

Nicolas Sarkozy, antécédent de Donald Trump...

Je ne sais pas pourquoi je me suis demandé aujourd’hui quel était l’antécédent de Donald Trump et pourquoi je me suis désolé que ce ne soit pas Jean-Marie Le Pen, sur lequel j’avais écrit en 2002 un « Journal politique » que je ne désespère pas de corriger et de publierun jour. J’aimerais tellement que tout vienne de France… Mais non. JMLP est un solipsiste insolite produit par le génie français. Donald Trump est un patron de night-clubs et de casinos pouvant être récupéré par les évangélistes américains. Ces deux populismes sont fondamentalement différents. Le populisme américain n’a pas besoin d’aimer le peuple américain, il n’a besoin que de faire corps avec son rêve ou avec sa « way of life ». Le populisme français à la sauce frontiste s’est lui-même défini comme un exercice de tribun de la plèbe, c’est-à-dire qu’il est inconsistant et impuissant. Le populisme africain qu’on voit émerger au Sénégal au jour où j’écris ces lignes paraît procéder d’un véritable amour du peuple.

 

Mais je n’oublie pas ma question d’origine : quel est l’antécédent du trumpisme ou à quoi et à qui peut-il être comparé en France ? Il me semble que « Sarko l’amerlo » comme on l’appelait avant qu’il ne devienne président de la République était un trumpiste avant la lettre. Tellement intuitif qu’il a rebaptisé son parti »les Républicains » avant que Donald Trump ne transforme le parti républicains à son image « énergéticienne », comme disait Tony Blairà propos de Nicolas Sarkozy.  

 

Le trumpisme repose sur un culot démagogique inouï : »Même quand j’ai perdu, je dois dire que j’ai gagné », le persuadait l’avocat qui l’a le plus influencé avant de le lâcher. C’est le summum de la dénégation. Nicolas Sarkozy était un peu dans cette manière de fonctionner, qui émaillait ses interviews de questions moins oratoires que dialectiques et rhétoriques, et destinées à amener les journalistes dans son giron.

 

Le trumpisme est un antisionisme, croyaient les soraliens. Erreur fatale : c’est un likoudisme multilatéral et pragmatique. C’est un anti-atlantisme, croyaient-d’autres et sur ce point, ils avaient raison. C’est une apologie, non pas de l’isolationnisme, mais du multilatéralisme.

 

Au contraire, le parti démocrate américain est intrinsèquement néo-conservateur. « L’Amérique continuera à diriger le monde », se réjouissait Bil Clinton à l’orée de son mandat. « L’Amérique » que Donald Trump voulait plus grande « est de retour » « pour diriger le monde », prévenait Joe Biden en guise de bonne nouvelle pendant la campagne qui l’a fait élire.

 

Donald Trump n’aurait pas déclaré la guerre à la Russie. Nicolas Sarkozy non plus. C’est sur ce point qu’il a cessé de cautionner le macronisme. Nicolas Sarkozy était aussi russo-réaliste que son ex-premier ministre François Fillon. Ce n’est pas lui qui aurait accepté que Vladimir Poutine ne soit pas invité pour commémorer le soixante-dixième anniversaire du Débarquement de Normandie.

 

À l’opposé, François Hollande s’est montré d’emblée néo-conservateur et on peut se demander pourquoi. Je n’ai pas la réponse, mais j’observe que François Mitterrand nous a engagés corps et bien dans la Première guerre du golfe. Jacques Chirac a refusé la logique qui consistait, entre la première en 1991 et la deuxième en 2003, à y engager la France au nom de la cohérence entre les deux « séquences » et on tient ce retrait pour son plus grand acte politique.

 

François Hollande s’est montré néo-conservateur jusque dans son néo-colonialisme centre-africain ou malien. Emmanuel Macron s’inscrit dans la suite de François Hollande sur la conflictualité politique (« nous sommes en guerre », a-t-il répété comme lui). On pourrait donc croire qu’il parle le même langage. Mais justement, ce qui distingue l’apparente hésitation macronienne du néo-conservatisme assumé de son prédécesseur, c’est le langage.  Emmanuel Macron feint de parler le langage du multilatéralisme, mais est tout aussi néo-conservateur ou néo-colonialiste que le président qui l’a formé et promu. Mais son double langage et cette différence entre les intentions et les paroles dans un monde qui va vers des populismes qui aiment le peuple et ne méprisent pas les autres nations l’ont démonétisé. Emmanuel Macron déclarait que l’Otan était en état de mort cérébrale tant que Donald Trump était au pouvoir. Joe Biden a trouvé un moyen de ressusciter l’Otan dans la guerre en Ukraine et Emmanuel Macron a mordu à l’hameçon. Que dira-t-il quand et si Trump sera réélu, tellement Harpagon que l’OTAN ne lui paraît pas une donnée stratégique de sécurité, mais que, menace-t-il, si les alliés ne payent pas, il soutiendra et encouragera Poutine à les attaquer ?

 

La France s’est construite comme une sociale-démocratie conflictuelle, contrairement à l’Allemagne, mais n’a jamais été une démocratie directe. Les Gilets jaunes ont déploré cet état de fait. Le philippisme (du nom d’Édouard Philippe) cherche à refonder la droite sur la sociale-démocratie municipale et corporative. La démarche est honorable, mais elle est anachronique. Quand nous sortirons de la guerre d’Ukraine, les démocraties devront se refonder sur un populisme qui aime le peuple sans être xénophobe. La droite philippiste est d’un légitimisme suranné.Mais Édouard Philippe a le mérite d’être un honnête home, contrairement au président qui l’a mis en selle. 

lundi 1 avril 2024

Europe et souveraineté

ÉLECTIONS EUROPÉENNES : PEUT-ON SAUVER LA FRANCE ? | PAUL-MARIE COUTEAUX | GÉOPOLITIQUE PROFONDE (youtube.com)

 

Je suis de loin #MikeBorowsky depuis qu'il a créé "la Gauche m'a tuer" et je trouvais cette lettre quotidienne aux multiples articles assez souvent ridicule. Je ne m'exprimerai pas sur l'évolution de cette personnalité ni sur les différents avatars de ses aventures médiatiques. Il m'arrive de suivre deci delà ses entretiens de "Géopolitique profonde". Ce soir, je voulais le faire en raison de son invité, #Paul-MarieCouteaux (PMC), dont j'ai parlé dans un post récent et qui, lui en revanche, m'intéresse beaucoup, car même s'il a beaucoup erré dans les arcanes des partis politiques, c’est un analyste sérieux et conséquent, qui est à l'origine de l’importation du mot de "souverainistes" pour qualifier les personnes attachées à l'indépendance nationale.

J'ai regretté récemment (sur ma page Facebook et sur le blog de Philippe Bilger) son "déclinisme" qui le rend enclin (sic) à parler de "disparition de la France", notamment dans un livre intitulé "Traité de savoir-disparaître". Mais ce déclinisme est contrebalancé par beaucoup de lucidité. Il fut le premier à mesurer en profondeur ce que le soutien de l'Union européenne à l'OTAN dans la crise yougoslave disait du changement en cours à travers le titre d'un autre de ses livres : "l'Europe vers la guerre". Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie sous la poussée otanienne, l’Union européenne ne se cache plus de se développer en vue d’une guerre et non pour la paix continentale. Mais Paul-Marie Couteaux qui rappelle que Poutine n'est ni Hitler ni Staline a raison de ne pas maximiser le risque de troisième guerre mondiale causé par l'escalades et les coups de menton des otaniens contre la Russie et qu'un observateur de géopolitique n'ayant pas son expérience comme j'en adopte la posture a tendance à dramatiser.

A ce stade, Paul-Marie Couteaux pense comme moi, bien que pour des raisons différentes (il est royaliste, dit en citant Jean Bodin qu’ »il n’y a pas de république possible sans un roi pour la couronner » et ne croit pas beaucoup aux élections en général) que le mieux à faire le 9 juin est sans doute de s'abstenir.

Mais ce n'est pas le point de vue le plus intéressant de son propos. L'introducteur de la notion de "souverainisme" définit la souveraineté comme un trépied comprenant l'indépendance nationale, la supériorité de l'Etat au sein de la nation et la souveraineté culturelle, avec l'affirmation d'un substrat déterminé comme socle de la nation : la France est un pays de culture chrétienne. S'ils acceptent ce postulat, on peut accueillir beaucoup d'immigrés pourvu qu'on les intègre et pourvu aussi que ce soit encore possible dans l'état de notre Etat et de notre société.

 

Mais Paul-Marie Couteaux a encore raison de dire que ce troisième élément du trépied a pour synonyme l'identité qui est culturelle et n'est pas essentiellement ethnique et qu'en ce sens, il n'y a pas d’opposition entre "souveraineté" et "identité".

 

Faut-il sortir de l’Union européenne ? Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, ce n’est pas une bonne question. Bientôt « l’Europe tombera comme un fruit mûr » et il ne faudra pas s’imaginer qu’on aura préparé une riposte à la dérive qui nous emporte, mais il faudra être là pour ramasser la société en deuil et en miettes et trouver avec elle des solutions nouvelles qui ne sont pas écrites.  C’est ce qu’ont fait Soljenitsine en Russie ou Lech Walesa en Pologne », affine #FrançoisMartin (vers la 36ème mn). »Quand le pays n’a plus confiance et ne voit plus le sens, les gens ne travaillent plus, intriguent, bidouillent et le pays ne peut faire que tomber. Mais est-ce que, quand il va tomber, nous serons là pour nous porter à son secours ? »

 

Comme #PhilippeHerlin, je crois qu’on ne doit pas « compter sur la violence en politique ». Faut-il néanmoins « penser les termes de la violence » ? « La prise du pouvoir est toujours le résultat d’un duel. » (François Martin) Je ne crois pas en la violence révolutionnaire ou terroriste qui ne donne que de mauvais fruits. Mais il faut reconnaître que cet État nous fait violence, cet État et les dirigeants ambigus du monde, qui pullulent depuis une dizaine d’années dans tous les pays et jusqu’au Vatican.

 

« Les gens en général préfèrent être en paix avec leurs voisins qu’en paix avec leur conscience. » (Timour Kouran) Ils préfèrent mettre des masques blancs que montrer que sous le masque, ils ont une peau noire. Ils préfèrent voter dans l’isoloir comme leurs voisins que comme leur conscience. Mais que quelqu’un leur montre que la peau est noire ou que le roi est nu et cela peut changer.

 

En marge de ces considérations importantes, PMC tient de Marie-France Garaud qu’au soir de la victoire du « oui » du traité de Maastricht (qui n’est pas une victoire à la majorité des inscrits), Pasqua et Séguin sablaient le Champagne : « Ouf ! On a perdu. » Ça ne m’étonne pas. Je réécoutais récemment le débat Mitterrand-Séguin à la Sorbonne à la veille du traité de Maastricht et ce qui m’a frappé comme la première fois (où je l’écoutais avec mon ami Franck qui me disait : « Tu ne crois pas que Philippe Séguin a l’étoffe pour devenir un jour président de la République ? » ? Question qui m’étonna, car il la tirait de son propre fonds), c’est l’absence de conviction de Séguin qui m’a à nouveau frapé. Il ne s’oppose que sur des vétilles et sur des « il est à craindre que », adosséés à un très grand respect de la fonction présidentielle occupée alors par François Mitterrand, qui, s’il n’a jamais rien compris à ce qui secouait la politique étrangère en profondeur (cf. sa bourde monumentale après le coup d’Etat qui manqua de renverser Gorbatchev ou son opposition à la réunification allemande), s’est longtemps opposé aux institutions de la Vème République jusqu’au jour où il endossa le costume présidentiel, et les a qualifiées de Coup d’État permanent, ce que le gaulliste PMC confirme : « De Gaulle n’est pas devenu président de la République à la suite d’élections, mais à la suite d’un coup d’État. » Il est rare de l’entendre proféré par un gaulliste, il est vrai assez loufoque pour proférer hors contexte que « le massacre de la saint-Barthélémy avait sauvé le royaume de France », comme mon père avait dit un soir de cuite à Ibiza pour fâcher ma mère protestante qu’ »à la Saint-Barthélémy, on n’en avait pas tué assez. ».

 

« Coup d’État salvateur », précise-t-il. Je n’en suis pas sûr. Beaucoup de ceux qui font parler De Gaulle oublient qu’il ne s’est jamais opposé par exemple au traité de Rome et peut-être ne le fallait-il pas en effet à l’époque. Mais la Vème République est un régime présidentiel et il fallait instaurer un exécutif fort et transférer le parlementarisme au référendum qui, si le régime n’avait pas été présidentiel, n’aurait pas été plébiscitaire. De plus, mon idéalisme politique qu’on peut accuser d’immaturité comme mon pacifisme qui ne transige pas souvent se refuse à croire qu’aucun coup d’Etat puisse être salvateur. Le précédent égyptien faisant renverser Mohamed Morsi par le maréchal Al-Sissi à la grande joie de toutes les chancelleries occidentales n’est pas de nature à me faire changer d’avis.

 

  

lundi 25 mars 2024

Malaise dans la victimisation

Justice au Singulier: Trop de victimes, trop de héros... (philippebilger.com)


Il y a au moins quatre choses qui me gênent dans la dérive actuelle de la victimisation-culpabilisation:


-D'abord beaucoup trop de gens revendiquent un statut de victime à partir duquel ils ne pourront jamais rien reconstruire, surtout s'ils ont subi un vrai trauma. Le statut de victime  a pris une telle importance que le mot de "résilience", comme horizon pour la victime de dépassement de son statut de victime, est devenu un gros mot.


-L'idée que la "concurrence victimaire" a été inventée par ceux-là mêmes qui, depuis la Shoah, n'entendent plus qu'il y ait d'autres victimes qu'elles-mêmes, qui seraient devenues des archétypes de la victime idéale, au moment même où ils tirent argument de l'"holocauste", mot contesté au demeurant,  pour se considérer comme des victimes représentatives de toutes les victimes, en même temps qu'ils prétendent que "qui tue l'homme tue l'humanité" (et pourtant il y aurait des victimes plus représentatives que les autres). Et s'il y a des victimes éternelles, il ne faudrait pas que les autres victimes fassent état de leur état de victime.


-Le fait qu'il y aurait des coupables absolus comme il y aurait des victimes idéales. D'autant que l'homme naîtrait coupable devant Dieu, comme m'en a fait état un pasteur souvent déjà cité par moi. Ayant été biberonné à la culpabilité, je serais un de ces coupables idéaux. Et comme cette position est intenable, j'oscille entre cette culpabilisation complaisante et un déni tout aussi complaisant, où, finalement, je ne me trouve pas si mal à peu de frais et à bon compte. Car après tout, peu de gens, dans ma situation, auraient eu mon courage et auraient fait aussi bien que moi, voire auraient fait autant d'efforts. Ben voyons! La vérité est toujours entre les deux. 


Je ne veux pas croire que les monstres ne soient pas des êtres humains qui ont mal tourné. Je ne veux pas croire qu'il y ait une humanité monstrueuse. Et si je suis un monstre, je veux continuer d'émarger à l'humanité.


-Enfin, nous sommes en manque de héros? Je ne crois pas qu'il y ait assaut d'héroïsation dans notre société. Il y a panthéonisation abusive (pour moi Robert Badinter n'est pas un héros) comme il y a eu jadis érection de saints de vitrail là où la vie des hommes n'est jamais en noir et blanc, mais toujours en blanc et noir et doit toujours être resituée dans un contexte. Le manichéisme est la même hérésie quand elle parle des êtres humains que quand elle suppose deux dieux, un dieu du bien et un dieu du mal. 


Arnaud Beltrame pouvait être un héros, comme il y eut "la Nuit des héros" présentée successivement par Laurent Cabrol et Michel Creton. Je crois aux héros du quotidien, mais je ne crois pas aux pères de famille, héros du quotidien selon Charles Péguy, car ils ont fait de leur progéniture des enfants-roiss, trop impuissants pour s'être voulus les rois d'eux-mêmes ou les "roi(s) de rien", selon l'expression de Michel Delpêche. .   


Je crois surtout que, dans notre société, tout le monde regarde ses pieds, mais presque plus personne ne regarde personne. Il y a eu un abaissement du regard qui devrait entraîner un recouvrement du regard qu'on appellera sans doute une révolution du regard, dans notre société qui ne saurait vivre sans se donner les atours de la révolution. 


Je crois surtout que notre société adore évoquer les mots des réalités dont la réalité lui manque. Exemple: le premier article de la loi Veil affirme que le droit à la vie ne saurait souffrir d'exception. Suit une vingtaine d'articles qui énumèrent les exceptions au droit à la vie. Et avec la constitutionnalisation de la "liberté d'avorter", c'est finalement le droit à la vie qui fait exception.... 

mercredi 13 mars 2024

La philosophie est un roman conceptuel

Contribution à une discussion avec des camarades commentateurs du blog de Philippe Bilger dont presque tous ont déjà été cités ici.

@Lodi | 13 mars 2024 à 07:30 et @Lucile | 12 mars 2024 à 19:43

 Merci à l'un de me trouver inspirant (c'est réciproque et j'ai publié un de vos derniers commentaires en vous citant sur ma page Facebook en contrepoint de mon ire contre la constitutionnalisation de l'avortement!) et à non point l'autre, mais  à la Dame (et la dame des pensées de Tipaza) d'être d'accord avec moi sur le côté "conceptuel" de ma définition pour une fois très économe de mots de la philosophie,  mais non sur le côté "roman", ou alors "roman historique". 

Je vais néanmoins essayer de défendre mon point de vue, non sans avoir remercié Ugo des définitions de la philosophie par les philosophes qu'il a colligées pour fonder ce débat. 

Là où il me semble qu'il y a roman conceptuel dans la philosophie, c'est que le concept se trouve dans le déroulé de l'écriture qui cherche et recueille quelque chose à l'appui d'une démonstration qui essaie de se faire jour. Tout à coup apparaît le concept dans le déroulé prospectif, qui s'enroule dans le système et trouve sa place dans l'analyse.

Car le roman est historique comme le concept a une prétention scientifique. Le roman comprend l'analyse comme il  présente un résumé du dialogue qui s'épanouira au théâtre. L'analyse se déguise en méthode scientifique (et Descartes sera très bon dans cette prétention à déduire toute la vérité de son premier doute méthodique), comme le dialogue théâtral ancrera l'épopée, la théogonie et la cosmogonie dans la persuasion des peuples. Tout dialogue a d'abord une visée rhétorique.

Dans l'épopée, les peuples inscriront leur histoire dans la légende.  La cosmogonie développera la fiction théogonique. Celle-ci est plus intéressante du point de vue romanesque: la théogonie transpose dans la métaphysique la manière dont le romancier crée ses personnages au plan poétique ou littéraire. (J'aime à dire que l'islam met des noms de personnage sur le dieu des philosophes, contrairement au christianisme qui a trop développé l'analyse en la tordant pour rester strictement conceptuel, au sens où Robert Marchenoir voudrait voir une philosophie dans le christianisme.) Le personnage théogonique est un "délire de référence" calqué sur des questions existentielles. 

La théogonie démontre encore que nos dieux sont plus dépendants de leur liturgie que la liturgie n'est dépendante d'eux, en tant que la liturgie est le théâtre de Dieu, ce qui peut paraître un lieu commun.

Mais la théogonie pousse le  concept tel qu'il se déroule dans le roman qui le fait apparaître dans sa tendance la plus allégorique. Omettons le nom des dieux en termes de personnages et  remplaçons-les par des concepts tels que "la Raison" par exemple. La Raison est un concept accrocheur par lequel on se raccroche à un monde commun qui ne fait qu'exprimer qu'on a besoin d'un "on" qui donne raison aux idées les plus communes et les plus majoritaires, grâce auxquelles on pourrait neutraliser le plus petit commun dénominateur (qui en mathématiques est le plus grand) dans notre compréhension du monde. 

La raison est le concept des concepts, mais  elle est une allégorie comme la Passion, les Idées , la Politique ou n'importe quel autre topos contemplatif. Aucun d'entre eux n'existe en dehors du langage. tous en sont dépendants. Tous s'enroulent dans le roman du verbe, et pourtant les concepts ne sont que des mots recueillis dans la poésie de l'écriture qui est un tamisage où le langage ne définit pas, mais découvre et associe pour la symbolique d'une époque donnée. 

L'encrier de Luther

Je ne connaissais pas l'épisode de l'encrier de Luther. C'est Dostoïevski qui me le fait découvrir. Et j'en apprends plus en me renseignant ici:

https://www.eleves.ens.fr/.../en_ligne/careme98/luther.html

"l'univers luthérien est habité de visions hallucinées qui distinguent en toute créature le " vieil ennemi ". On ne peut le reléguer dans son enfer : c'est une puissance réelle et permanente, le " prince de ce monde ".

Par ce personnage mythologique, Luther désigne le mal et lui donne une fonction théologique essentielle : diable (Teufel), monde (Welt), péché (Sünd) et mort (Tod) sont des termes équivalents qui tous expriment la corruption totale du monde et de l'homme qui ne fait qu'un avec lui. [...] Sa théologie du salut " postule un homme exsangue affronté à la puissance perverse du Malin. " (Jean Delumeau) " Si Dieu veut nous ouvrir le Ciel, il nous plonge d'abord en enfer. (Martin Luther) " Et Il nous en retire: "" Le combat que la loi livre à la loi pour que je sois en liberté, le combat du péché contre le péché pour que j'aie la justice, de la mort contre la mort pour que j'aie la vie, pour que je voie que le Christ est mon diable contre le diable afin que je sois un fils de Dieu " (Martin Luther)

Sainte Thérèse d'Avila a eu une vision de Martin Luther en enfer. N'était-il pas avant tout dans un enfer plein de lui-même? Et si l'enfer peut être vide, c'est qu'il n'est pas plein de nous-mêmes? Le salut ne se joue pas de Dieu contre nous ni entre nous et Dieu, mais entre Dieu et nous, de Dieuà nous. 

Or, "Le chrétien, dans la pensée de Luther, est totalement juste et totalement pécheur. Dans cet espace s'inscrit le combat spirituel du croyant, son itinéraire dramatique dans une alternative radicale et absolue, la damnation éternelle ou le salut gratuit. [...] Dans cette tension" (ou au prix de cette tension), "il puise la vitalité de sa foi." La vie du croyant " se passe, dans le gémissement du coeur, la voix de la parole, l'action du corps, uniquement à demander, chercher et supplier, pour être justifié sans cesse jusqu'à la mort, à n'avoir jamais d'assiette ferme, à ne pas se perdre dans l'habitude, à ne regarder aucune oeuvre comme l'accomplissement d'une justice acquise, mais à attendre cette justice comme quelque chose se trouvant toujours hors de portée et à être au contraire soi-même toujours dans la vie du péché " (Martin Luther) La victoire est certaine, mais en espérance."

"Le combat du chrétien, lorsqu'il s'inscrit dan le monde, devient événement. Luther comprend en effet l'histoire comme le théâtre du grand affrontement entre la Parole de Dieu et les puissances du mal." (Madeleine Wieger) #RolandKauffmann a dit un jour dans une rencontre de "la Théologie pour les nuls" que l'anthropologie luthérienne était profondément pessimiste, contrairement à ce qu'un vain peuple pense, qui pourrait aller de Michelet à tous ceux qui croient que la Réforme a été source de progrès. Luther était fait pour être contre-révolutionnaire et  le progressisme du réformisme luthérien semble fait pour être structurel comme une restructuration d'entreprise ou une gouvernance scandinave, contrairement au dilettantisme des "Gaulois réfractaires", accusés à raison d'être des pansus dépensiers.

Pour les 500 ans de la réformation, on a donné au temple St-Étienne de Mulhouse un opéra sur la vie de Luther. Une scène m'y a particulièrement choqué: à la fin de sa vie, Luther dit à sa femme Catherine, qui a quitté son couvent pour se donner à lui et qui aurait ouvert une auberge pour qu'il puisse continuer ses recherches, qu'elle ne lui avait servi de rien, comparé au Seul qui sauvait son âme.  

Le combat spirituel se ferait donc au mépris de la fraternité, dont l'enjeu serait ma réhabilitation personnelle. Il serait un enjeu entre moi et moi qui nie le prochain, qui n'est jamais qu'un "mort spirituel", en puissance, puisqu'avant de rencontrer le Christ, c'est bien ce qu'il était, me déclara un pasteur luthérien. 

Pour un catholique comme moi biberonné au sentiment de culpabilité inoculé en ma mère par son luthéranisme originaire, il y a quelque chose de terrifiant dans la théologie de Luther, et de plus terrifiant encore que mes propres "terrores conscientiae" (je dois la découverte de cette locution latine à Wilhelm Kreis à qui je suis apparenté).

ELEVES.ENS.FR

Aumnerie catholique des lves de l'ENS

ELEVES.ENS.FR Aumnerie catholique des lves de l'ENS 

vendredi 8 mars 2024

Dans nos obscurités



https://www.youtube.com/watch?v=pfin1W0v7Ts

https://www.philippebilger.com/blog/2024/03/faut-il-avoir-peur-de-ses-obscurit%C3%A9s-.html#comments

Ëtre un peu fasciné par ses obscurités comme les bourgeoises pour les mauvais garçons, c'est faire un peu partie de la droite camusienne.

https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=QlpmFdSInus

Reconnaître, mais ne jamais céder. Ne pas céder à la "pensée parasite" qui ne devient coupable (comme nos "rêves dont nous ne sommes pas responsables" (saint Augustin)), que si on y entre. Autrement dit, nous ne sommes pas coupables d'avoir de mauvaises pensées, nous ne sommes coupables que de leur laisser prise en y entrant, m'expliqua un jour le P. Claude Germès que je remercie de m'avoir appris cela comme je remercie la psychologue Josiane Méchné de m'avoir appris la différence entre une "pensée parasite" et une pensée dans laquelle j'entre assez pour la transformer en pulsion.

Mais nous voulons mettre du ciel dans la ténèbre. Et pour cela, nous nous fredonnons une cantilène litanique de Taisé
"La ténèbre n'est point ténèbre devant toi.
La nuit comme le jour est lumière."

https://www.youtube.com/watch?v=3tlriP3kMC8

Car il n'y a pas toujours eu séparation de la lumière et des ténèbres. Et même, Dieu, dont Jean nous dit qu'Il est Lumière comme Il serait amour, il y aurait eu un moment où Il n'aurait pas été Dieu, car Il n'aurait pas été lumière, étant donné qu'il y aurait eu un moment où Il aurait dit: "Que la lumière soit et la lumière fut" et un autre jour où il aurait séparé, comme l'allumeur du réverbère du Petit prince, la lumière des ténèbres. (C'aurait été une pensée pour Smerdiakov ou pour mon frère Gilles, qui me demanda un jour comment il se pouvait que Dieu demande à Caïn un signe pour n'être tué par personne s'il n'y avait dans le monde qu'Adam, Ève, Caïn et Abel).

"La multitude des sentiments" qui nous traversent comme la discontinuité des états d'âme qui se succèdent en nous forgent en nous une étrange continuité dans le cyclique retour des mêmes hétéronymes.

"Cette négativité de l'être donnant alors tout son sens à l'éclatante lumière de la personne offerte à tous dans son apparente normalité." (PB)
Négativité de l'être et lumière paradoxale et apparente de la personne résolvant l'équation de l'être malgré les apparences dans le retour à la normalité où parfois on la débusque.
Dans cet étrange personnalisme, pas grand-chose ne résiste au tragique de la banalité du mal et à sa fascination voyeuriste et malsaine.
Je préfère à cette vision celle d'un être fugitif aux prises avec une personnalité s'ingéniantà se faire passer pour bonhomme (ou bonne femme).

La "peur de l'extraordinaire" est l'anti-camusienne acceptation du romantisme, de l'aventure contre la fixité des commandements divins et du romanesque à nos risques et périls.

"Il y a en effet une infinie richesse, pour le développement de soi, à identifier ce dont on devrait avoir honte mais qui est indissociable de nous." (PB)
"Ne jamais joindre la honte à ses faiblesses", disait Philippe Léotard dans une émission des "Dossiers de l'écran", consacrée aux addictions.
Il faudrait faire de notre part obscure ou de notre mauvaise part acceptée et comprise "le deuil d'une absente." Pas le deuil de l'être aimé nous ayant quittés, comme le crut mon amour dont je n'ai pas fait le deuil de l'absence. Mais comme j'envie la force de JM. Le Pen qui dit dans ses mémoires en commentant son divorce avec Pierrette qui a défrayé la chronique: "Quand on me quitte, je n'aime plus." Ce qui n'empêche pas le pardon.

La passion des criminologues est faite de ce qu'il y a de criminel en eux. Et Sartre a bien conclu ses "Mots" en disant "Je suis un homme fait de tous les hommes, et qui les vaut tous, et que vaut n'importe qui." Et pourtant il n'y a pas fusion, mais coïncidence des opposés, comme, entre les individus, il y a séparation des points aveugles et coïncidence des points d'accord qui forment le "on" de la raison, contre la raison des torts (dissidence des divergences) qui séparent le "nous" du "je". 

jeudi 7 mars 2024

Le rabot de Bruno Le Maire, haro sur les malades!

Shame On #BrunoLeMaire!

Au moment où le président de la République promet150 millions aux agriculteurs, 1,5 milliards en cinq ans au titre de la Conférence nationale du handicap contre 3 milliards devant abonder immédiatement le gouvernement ukrainien pour faire face à l'offensive russe, le ministre qui promettait de "mettre l'économie russe à genoux" (laquelle se porte bien, merci pour elle!) décide de réduire par voie réglementaire les dépenses publiques de 10 milliards d'euros.

Et parmi les cibles qu'il lui paraît prioritaire de clouer au pilori, figurent les gens qui souffrent d'ALD (affections de longue durée, lesquelles sont une trentaine alors que le nombre des maladieschroniques est largement sous-évalué).

Il s'agit notamment de ne plus rembourser les frais de transport médicaux de ces malades compte tenu de ce raisonnement ubuesque qui consiste à séparer artificiellement la sphère de la maladie de celle du handicap.

(Tous les médecins et toutes les personnes confrontées à ces problématiques savent que les conditions de transports médicaux sont devenues draconiennes et ne font plus l'objet des abus qui avaient cours autrefois. La CPAM a sévi depuis longtemps et a édicté des critères hallucinants, notamment pour les transports couchés. En pratique, les personnes hors ALD ne se voient plus rembourser leurs frais d'ambulance.)

Voici donc le dilemme posé par l'Ubu de Bercy:

(vers les 25:40 mn): "Est-ce qu'il est vraiment légitime, est-ce que nous pouvons encore nous permettre de rembourser l'intégralité des transports médicaux pour 5,7 milliards d'euros par an? Est-ce que nous sommes sûrs que c'est là que la dépense est la mieux employée? Est-ce que vous ne pensez pas qu'il serait juste de se dire que nous avons engagé le remboursement des fauteuils roulants pour les personnes en situation de handicap, mais qu'il y a des fauteuils qui doivent être spécifiquement adaptés aux personnes, qui doivent être faits sur mesure pour répondre à certaines spécifications et que le remboursement là devrait être intégral?"
(Problème: #DominiqueFarrugia s'est signalé à l'issue de la Conférence nationale du handicap en démontrant que ce n'était pas le cas.)
Vous ne pensez pas que c''est plus juste et que c'est plus nécessaire et qu'il vaut mieux dégager des moyens là où c'est moins utile plutôt que de ne pas répondre à des demandes sociales qui sont légitimes?"
Cette dernière question est alambiquée, mais elle revient à dire qu'on remboursera des fauteuils roulants pour les handicapés qui seront intransportables, car on ne couvrira plus leurs frais de transport alors même que ces personnes qui devraient théoriquement bénéficier d'un meilleur accès aux soins ont en moyenne un accès aux soins inférieur à hauteur d'environ 20 % par rapport aux personnes valides? (Cf le Livre blanc produit par le RAP68 présidé par #EvelyneLamon)?


Mais pour ne pas être monomaniaque, voici les dix politiques publiques qui font l'objet de la réflexion gouvernementale pour se voir appliquer ce que le ministre se refuse à appeler des "coups de rabot":

28 mn: "Je vous donne la liste des dépenses publiques sur lesquelles nous avons commencé à travailler, sur lesquels tous les parlementaires sont invités à travailler avec nous:

-Les aides aux entreprises;
-les dispositifs en faveur de la jeunesse" (qui sont apparemment devenus inutiles, un peu comme les contrats aidés);
-les politiques de l'emploi (malgré deux réformes de l'assurance chômage);
-la formation professionnelle et l'apprentissage (tout récemment fleurons et fiertés de l'action gouvernementale);
-les dispositifs médicaux (décidément!);
-les affections de longue durée (haro sur les malades!);
-les aides au secteur du cinéma (les malades font du cinéma.)
-l'absentéisme dans la fonction publique (dans l'ordre, il y a 17 jours d'absence dans la fonction publique territoriale, 12 jours dans le privé et seulement 10 jours dans la fonction publique d'État, selon le même Bruno Le Maire);
-les mesures de maîtrise dans la programmation militaire (alors que l'armée est exsangue et qu'on envoie nos derniers matériels militaires en Ukraine);
-les dépenses immobilières des ministère en voie de programmation" (enfin une mesure qui s'applique à la réduction du train de vie de l'État, deuxième pilier annoncé de ces réductions de dépenses et qui arrivent en dernier)

Après cela, dira-t-on encore que Bruo Le Maire est un aigle?

(Voir ici:
https://www.youtube.com/watch?v=HzDW1Sz_UjE

Repris ici:

 

Faut-il s'ennuyer avec Camus ou frayer avec Sartre sur "les Chemins de la liberté?

La lecture de ce billet:

https://www.philippebilger.com/blog/2024/03/la-droite-ne-d%C3%A9teste-pas-albert-camus-.html#comments

de l'article consacré par Aurélie Raya à Catherine Camus dans "le Point":

https://www.lepoint.fr/culture/la-peste-les-confidences-de-la-fille-d-albert-camus-sur-la-serie-de-france-2--03-03-2024-2554104_3.php#11

et de la quasi totalité des commentaires du billet de Philippe Bilger m'amène avant tout, moi qui n'ai pas lu tout Camus et qui ai commencé par prendre "l'Étranger" au premier degré tant je suis prédisposé au contresens, moi qui en revanche ai aimé "la Chute" et "le Malentendu", mais qui n'ai lu ni "la Peste", ni "Noces", ni "l'Été", ni "le Dernier homme", à remercier Tipaza de me l'avoir expliqué, ou plutôt de m'avoir conforté dans l'explication que ma lecture empirique aurait moins bien formulée que lui, à savoir que Camus était, à la mode des anciens Grecs, un écrivain des limites, donc un écrivain borné, comme Élisabeth Borne était prédestinée, en politique, à ne pas faire des étincelles; un écrivain des jeux littéraires à condition de ne pas importer le théâtre dans la vie civique; un écrivain dont la principale leçon de la fable qu'est "Caligula" vous explique avec assez de réussite qu'il ne faut pas demander la lune; un écrivain guetté par l'indifférence aux idées ("la Chute") et aux hommes ("l'Étranger"), mais qui s'oblige à s'intéresser à ses semblables au risque de les tuer par erreur ou désinvolture sans regret de la vie quand il court à l'échafaud; un écrivain vous mettant en garde contre le terrorisme ("les Justes") ou le sadisme ("l'Homme révolté") pour garder les mains propres (au contraire de Sartre, l'anti-saligots qui préfère garder "les Mains sales", quoique ne s'étant pas beaucoup mouillé; un écrivain de la responsabilité; un Danton un peu dandy à la création de "Combat"; un "libertaire de coeur et un social-démocrate de raison" dont il ne fait pas bon être l'héritière comme Catherine Camus, parce qu'on s'ennuie un peu à dire oui aux uns et non aux autres, à être macroniste par défaut, à avoir un jumeau qui ne vous "rend service", étant malade, que quand il refuse la panthéonisation de son père, à essayer de coller aux traces et au train d'un "papa" qu'on a trop tôt perdu, à faire passer ses langueurs dans une bouffée de cigarette, à essayer d'être tranquille et en fin de compte à s'ennuyer un peu beaucoup, entre Olivier Todd qui vous pille et Michel Onfray, autre manuelliste de philosophie spécialisé dans les raccourcis, parce que papa, vous dis-je, n'était pas un romantique; qu'à force de s'empêcher de défaire le monde, on s'empêche d'en rien faire; on s'en remet au moins offrant qui n'est pas le moins inquiétant, on s'en remet à Macron qui rejoue l'escalade vers la Troisième guerre mondiale et certes, on est sûr de ne pas se déshonorer en restant bien centriste, mais on se sent floué, désabusé, comme quelqu'un qui n'a pas pu faire sa vie en tuant le père car héritière de profession, il nous était interdit de faire le deuil, et des journalistes venaient recueillir nos oracles pour faire parler un mort qu'on n'a pas assez bien connu, sinon que, comme Henri IV jouait au cheval avec ses enfants, le grand écrivain jouait au football avec nous, et était peu disert parce que sa mère était sourde et qu'il ne s'était jamais remis lui-même de ce silence qui était imposé à cette femme discrète et tant aimée.

Simone de Beauvoir s'était elle-même sentie flouée dans "la Cérémonie des adieux". Ferré, cet autre libertaire de coeur, dirait qu'"avec le temps on n'aime plus" et c'est dommage, parce que le stoïcisme a l'avantage de ne nous faire agir que sur ce qui dépend de nous pour garder la sérénité, mais il y a des moments où l'on se dit que la sérénité est une ambition de feuille morte, que de trop se dégager n'engage à rien et que le stoïcisme, ça vous blase.

Et pourtant j'aurais moi aussi voulu "me mesurer à l'Homme révolté ", livre d'une extrême densité, mais derrière la compréhension de tous les délires humains, je le trouve trop sage, comme une philosophie de la morale éternellement provisoire. 

mardi 20 février 2024

Macron ou le grand balancement

L'arc républicain est comme les horloges: il se balance. Tout se balance en macronie. Vous imaginez des arcs6 boutants qui se balancent?

"L'arc républicain est tout l'hémicycle" est pourtant une évidence. (Gabriel Attal) Qu'elle soit niée démontre que la République n'est pas un régime, mais une idéologie, pas un contenant, mais un contenu, pas un pays géographique, mais un choix historique, pas une neutralité axiologique et bienveillante admettant en son sein une diversité inclusive, mais un régime exclusif des ennemis du relativisme et de ceux qui se font encore une certaine idée de la transcendance.

En République, chacun est le bienvenu pourvu qu'il ne mette rien au-dessus d'elle. En restant poli et en prenant la chose au mieux, la République est une "religion civile".


La République est une religion civile et une idéologie de régime dont ont disparu les trois grands ascendentaux":

-en bas, "le citoyen", agent de la religion civile;

-en haut, l'être suprême;

-et au milieu l'homme puisque nos dirigeants actuels sont tout à fait algorithmiques et post-humanistes.

La République est une idéologie de régime, mais ceux qui la dirigent n'ont plus d'idées.

Alors ils balancent entre des idées contraires.

Tout se balance en macronie. On y balance pas mal. La délation y est un sport apprécié dont les mercenaires qui le pratiquent peuvent faire fortune. Autrefois on y dénonçait les juifs parce que juifs, ou les résistants parce que terroristes. Aujourd'hui ce sont les complotistes parce qu'ils essaient de faire preuve d'intelligence ou d'esprit critique, mais il paraît qu'ils n'ont pas la bonne manière de l'exercer. Les complotistes n'ont pas les codes, c'est pourquoi ils essaient d'ouvrir le coffre-fort.

Ou bien on balance les discriminateurs qui n'acceptent pas que tout soit dans tout et voudraient mettre de l'ordre dans la confusion mentale d'un régime où la vérité est à la discrétion du langage intentionnel.

"Ça balance pas mal" en macronie et Jupiter y fausse les balances parce qu'il n'est pas très équilibré et surtout il n'a d'idées sur rien. "Chez ces gens-là", il paraît qu'on ne pensait pas, mais on comptait. Harpagon-Macron, notre banquier-philosophe, a une belle ambition pour notre jeunesse: qu'elle rêve de devenir milliardaire! Mais si vous tenez à lui attribuer un sosie, qu'il fasse l'Amphitryon à nos frais (soyons candoles et bons princes!), mais ne le grimez pas en Socrate corrupteur et surtout n'allez pas le condamner à boire la ciguë pour si peu.

D'autant qu'en matière d'Harpagon, notre quadra fripé est un novice. Il se pose là face à un François Fillon qui s'est fait rembourser par l'intéressée le mariage de sa fille ou aurait trouvé désobligeant de se faire tailler un costar en le payant de sa poche.

Et que dire de Trump qui promet que, si ses alliés ne payent pas leur comptant à l'Otan, il demandera à Poutine de les envahir? Vraiment, Macron est un petit joueur.

Je n'étais déjà pas très bien dans ma tête quand j'étais enfant. Et je devais être plus pervers que Macron pour que l'idée saugrenue me soit venue de faire croire à un copain un peu naïf que j'étais le grand manitou et que, le 26 mars de l'année où cette idée saugrenue m'a traversé l'esprit, j'allais provoquer un "grand balancement" où il vaudrait mieux rester couché dans son lit, car j'allais faire branler la terre sur tout son axe, pire que dans le super huit...

Je n'ai jamais bien compris le ressort du tempérament apocalyptique, sinon qu'il doit être une forme d'"après moi le déluge" qui compense la peur de la mort en souhaitant que tout finisse avec nous et que, si nous devons mourir, nous entraînions tout à bonne nôtre fin. Santé!

Je n'ai jamais eu le tempérament apocalyptique. Mais j'en ai fait cauchemarder, Macron a réalisé mon cauchemar. Il a tout balancé et tout fait balancer.

"Le grand remplacement", c'est de la petite bière. Macron, c'est le grand balancement, le grand branle. Ça branle dans le chambranle et ça tangue dans l'antichambre.

samedi 17 février 2024

Clacissisme français ou modernité russe?

L'éternel étudiant que je serai toujours se souvient des cours que lui prodigua Philippe Sellier à propos de "l'augustinisme en littérature" comme grille de lecture et de compréhension des Maximes de La Roche Foucauld, un recueil de moralités écrit pendant la Fronde, période historique on ne peut moins intéressante, où se sont forgés le clacissisme et le Français du Grand Siècle, dont la seule chose à sauver n'est pas la clarté de notre langue plate et nasale (Dieu nous en préserve!), mais bien au contraire les infinies périodes en style indirect libre de Madame de Longueville, l'amie de la Rochefoucauld, dans "la Princesse de Clèves", au génie desquelles Proust, qui lisait beaucoup Mesdames de Sévigné et du Deffand, est venu puiser, quoique dans une intention descriptive, l'art de tordre le génie de la langue soi-disant la plus logique et la plus économe au monde, avec son ordre sujet, verbe, complément.

Le clacissisme français n'a pas engendré la modernité dans ce qu'elle a d'heureux. Au contraire, elle a concilié l'égalité et la rivalité dans l'écartèlement propre à saint Augustin, qui voulait mettre un signe "égal" entre les trois personnes de Dieu.

Les jansénistes furent parmi les promoteurs de la Révolution française et les infinies ramifications de "la Cité de Dieu" ne nous ont jamais appris à bâtir la fraternité sur le dépassement du fratricide. Le clacissisme français et l'idéalisme allemand sont sans postérité heureuse, même s'ils ont cru prophétiser que le bonheur était, grâce à eux, "une idée neuve en Europe".

Tout autre est le génie d'un Dostoïevski qui a exprimé pas mal d'idées modernes auxquelles on pourrait s'accrocher pour nous remettre à flot des Lumières qui nous ont fait tant de mal. -La Révolution française n'a-t-elle pas été le premier grand choc européen?-, Et la modernité profonde ne s'y est pas trompée, puisque Dostoïevski fut l'inspirateur le plus essentiel de la pensée de René Girard, qui, contre "l'avènement de l'esprit dans l'histoire" censé découler du progrès perpétuel de l'humanité, décrit bien le processus d'inhumanisation à l'oeuvre dans la coalition et l'agrégation mimétique, sans trouver le mode opératoire pour sortir du cercle vicieux.

Au passage, je lance une pierre dans mon jardin chrétien: pourquoi Jésus a-t-Il inventé de réunir Son peuple sur un mode agrégatif, l'adjectif "grégaire" étant celui par lequel se réunit le troupeau?

Voici quelques modernes leçons d'humanité glanées au livre X des "Frères Karamazov" (que je lis très lentement, comme toujours).

Mais d'abord une autre petite pierre dans le jardin de Dostoïevski (sinon ce ne serait plus moi):"Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer", ce propos rapporté par l'auteur vaut mieux que ce propos qu'on lui prête: "Si Dieu n'existe pas, tout est permis." L'existence de Dieu ne doit être rappportée à aucune espèce d'utilité. Dieu s'Il existe, n'existe pas pour le bien de l'homme. Qu'Il lui fasse du bien en sus d'exister et comme un rayon de son existence et est ce surcroît qu'on appelle la grâce. -La grâce est un sur-croix-.

"On peut ne pas croire en Dieu et aimer l’humanité.
Voltaire ne devait pas beaucoup croire en Dieu et il ne devait pas beaucoup aimer l’humanité.

"Ne soyez donc pas comme les autres. Quand bien même vous seriez le seul à ne pas être comme les autres, ne soyez pas comme les autres."
Car avec la comparaison, commence la rivalité et avec la rivalité tous les malheurs du monde, même s'il y a la bonne et la mauvaise mimèsis, la bonne et la mauvaise imitation: la bonne est celle qui nous apprend l'émotion comique ou tragique; la mauvaise est celle qui l'agrège dans la compétition, en profitant de la tendance de l'intelligence à se réjouir d'elle-même en se gonflant d'orgueil, fondement de la vanité et de ce qu'improprement, on appelle l'amour-propre, car si l'amour-propre est l'amour de soi ou une certaine autosatisfaction, c'est une bonne chose. Mais l'amour-propre est une "crapulerie", tranche dostoïevski, car il torture les autres.

Kolia, l'enfant vaniteux, déclare à propos de lui-même:"Nous sommes tous égoïstes. [J’ai] un amour-propre égoïste d’une crapulerie tyrannique dont je n’arrive jamais à me débarrasser, même si toute ma vie j’essaie de me refaire."
Aliocha: "Ne pensez pas à ça du tout."

Car si la vanité est une prétention dégradée résultant de la jouissance de l'intelligence de se réjouir en soi et de soi, au rebours de Dieu qui existe en étant "diffusif de soi", l'amour-propre est un orgueil dégradé qui recouvre avant tout la peur du ridicule:

"Et qu’est-ce que ça veut dire, ridicule ? Dieu sait toutes les occasions où l’homme peut être ou peut paraître ridicule. En plus, de nos jours, presque tous les gens doués ont une peur affreuse d’être ridicules et ça les rend malheureux. […] De nos jours, c’est presque tous les enfants qui commencent à souffrir de ça. C’est le diable qui s’est incarné dans cet amour-propre et qui s’est glissé dans toute la génération. Oui, réellement, le diable ! Et plus personne (en même temps) n’éprouve le besoin de se juger."

UN ami me disait récemment avoir entendu que le péché "ridiculise" l'homme. Ridicule nécessaire s'il est dépassé en un décentrement de la focale de soi sur Dieu. De même, un prêtre à qui j'ai une dette d'avoir dit cela prêcha un jour ainsi : "Si jamais vous vous en voulez de quelque chose, quoi que ce soit, sachez que ce n'est pas à vous de vous juger. Dieu discernera peut-être une raison miséricordieuse à votre mauvaise action, mais ce n'est même pas cela qui compte: Dieu est en capacité de vous juger, pas vous, pas maintenant."

La vanité, l'amour-propre n'est pas une déchéance de l'amour de soi. Ce n'est pas un tort qu'on se fait à soi-même. Comme orgueil dégradé, ce n'est même pas une offense hiérarchique qu'on fait au Dieu créateur qui ne nous jalouse pas notre rang d'inférieur, mais veut nous égaler à Lui. Non, l'amour-propre est une offense contre la fraternité et ce n'est pas saint Augustin, ce plus intelligent des Pères latins, ce n'est pas le Français du Grand siècle ni l'idéalisme allemand qui nous l'apprend, mais c'est un auteur russe, issu de la religion pneumatique pour laquelle l'enfer n'est probablement pas vide, mais pas non plus éternel, c'est un Russe qui nous l'apprend, cherchez l'erreur!

 

Conversation synodale avec René Poujol. Synodal versus pyramidal?

 

Je suis depuis quelques années un commentateur régulier du blog de René Poujol. Tous les deux tenions à rendre réelle cette rencontre virtuelle. L’occasion nous en a été donnée lors de la conférence que René à Strasbourg, au FEC (foyer de l’étudiant catholique) le 12 février dernier. La conversation qui suit fait suite à cette conférence. Je la publie avec son autorisation.

 

I LE RUPTURISME

 

Écrit le 14 février pendant la nuit, jour de la Saint-Valentin et du mercredi des cendres

 

« Cher René,

 

Amusant que le premier exercice de désert auquel je me livre à l'orée de ce mercredi des cendres, non comme valentinien, mais comme insomniaque, soit de mettre dans un certain ordre (ou dans un ordre incertain) les idées qui me sont venues en assistant à ta conférence au-delà du plaisir de faire ta connaissance et du constat renouvelé de ta générosité comme orateur, mais surtout comme "échangeur" ou comme interlocuteur. Tu donnes beaucoup de toi-même et paies de ta personne en n'ayant pas à l'oral la susceptibilité agacée que tu peux manifester à l'écrit. Le principal mérite d'une conférence comme celle d'hier soir est sans doute d'aider chacun à situer sa position dans l'Eglise au regard de la tienne qui est ferme malgré ses "points aveugles".

 

     1. D'abord je crois qu'on devrait remplacer l'opposition entre synodal versus pyramidal à celle entre verticalité et horizontalité, même si ça n'empêche pas la position synodale d'être plutôt horizontale et la position pyramidale d'être plutôt verticale.

 

J'y ai réfléchi durant la nuit précédente dans mon merveilleux "Hôtel cathédrale" qui pratique encore l'hôtellerie à l'ancienne. M'est revenu le fait que dans l'émission "Grand témoin" qui m'a été consacrée sur "RCF" en 2015 ("la foi sans tabou de Julien Weinzaepflen, elle est encore podcastable et J.P. Gosset en avait donné le lien dès mon premier commentaire sur ton blog), émission qui m'a d'autant plus honoré que ma vie n'était pas adossée à une oeuvre, alors que nous avions organisé la trame de l'émission sur un coin de table avec Anne Kerléo en buvant une bière, la première question qu'elle me posa, qui devait porter sur mes raisons de croire ou d'appartenir à l'Église, m'a fait improviser ce tryptique en guise d'imcipit: "Je vois dans l'Église catholique une triple pyramide.

 

-Elle nous propose un récit sur la condition humaine qui va de la Création du monde à l'apocalypse.

 

-Elle nous met en relation avec tous les vivants et les morts.

 

-C'est une société sacrée, donc hiérarchique, qui va de la base au sommet, du simple "fidèle" au pape : on n'"abusait" pas encore du terme "clérical" et il était à peine parvenu à mes oreilles.

 

    2. Donc tu es synodal et je suis pyramidal. Tu es synodal au point que, si le synode ne marche pas, tu envisages de tout laisser tomber, j'y reviendrai. Pourquoi est-ce que moi j'aime que l'Eglise soit une société pyramidale ? Parce que, comme le disait quelqu'un (je ne sais plus qui), on est peut-être plus le fils de son époque que le fils de son père.

 

 

Quelle est ton époque et quelle est celle de ma génération ?

 

Tu es plus jeune que mes parents. Mon père est né en 1939 et ma mère en 1943. Ma mère me raconte encore parfois qu'elle se souvient, petite fille, d'avoir été envoyée par sa mère (qui n'était pas très portée sur le monde extérieur) pour chercher des tickets de rationnement. Tu es né environ trois ans avant que ces tickets, qui se sont prolongés plus longtemps que n'a duré la guerre, n'aient plus été nécessaires. C'est-à-dire que la Reconstruction n'était pas tout à fait achevée quand tu es né, tu as dû en sentir inconsciemment le traumatisme, mais globalement tu étais mûr pour être un enfant des Trente glorieuses et de leur société d'abondance où ceux qui avaient vingt ans en 40 avaient décidé de n'avoir peur de rien et vous ont donné la patate pour le reste de votre vie.

 

On tape beaucoup sur la génération des boomers. Je ne m'en suis pas privé. Aujourd'hui je trouve ça un peu facile. Ce n'est pas elle qui a sonné l'heure de la fin des modèles sociaux ou familiaux, sans doute est-ce la guerre. Mais aussi ces modèles étaient-ils saturés de leur propre saturation et usés de leur propre épuisement et la génération des boomers n'a fait que devoir analyser cet épuisement. Il en est résulté que les enfants de la Reconstruction sont devenus ceux de la déconstruction nécessaire, qui ne se voulait pas une destruction comme le disent les gens de droite un peu primaires.

 

Ma génération a subi de plein fouet le traumatisme de la fin des modèles lié à la fin de la société d'abondance dont elle a encore connu les soubresauts comme tu as connu ceux de la Reconstruction. Elle a dû faire le deuil des années fastes et, se retrouvant dans une sorte de confluent, elle n'a pas pu ou su choisir son camp. Elle s'est contentée de déshonorer ou de juger ses parents dans la roue de la psychanalyse en croyant qu'elle allait "faire mieux" comme l'enjoint Mélenchon à la génération suivante, mais elle n'a pas trouvé sa place dans le monde et n'est jamais sortie de l'enfance. Elle n'a pas pu admettre qu'il puisse y avoir "deux Eglises irréconciliables" comme Manuel Valls s'est montré le fossoyeur de la gauche en prétendant à deux "gauches irréconciliables." Née de parents fâchés, elle a cherché la voie d'une impossible réconciliation. Dans cette impasse, elle voudrait, comme je l'ai dit en réagissant à ta conférence, que tous les catholiques soient de la même famille.

 

La génération du petit jeune homme (un suivantquestionneur) que nous avons perdu et qui m'a beaucoup touché (comme j'ai été heureux de rencontrer Christophe Sobodka) vit dans un restaurationnisme assumé. Elle a besoin d'une apologétique à la Mathieu Lavigna, elle a besoin de retrouver le récit de l'Église. Il est dommage que ta génération ne comprenne pas l'attente de ces jeunes et qu'elle ne vous intéresse pas. Pire, vous êtes à la limite de la mépriser. Parce qu'en dehors de vouloir retrouver un ordre moral, elle voudrait retrouver le récit des Evangiles et de l'épopée humaine telle que l'avait racontée l'Eglise. Elle voudrait retrouver ses bases pour pouvoir danser dessus. Mais contrairement à ma génération et bien qu'elle ait été confinée, brimée et masquée par l'expérimentation covidique, elle trouvera sa place dans le monde. Elle rebâtira l'ancien modèle ou un contre-modèle. Son conservatisme réussira. Sa victoire ne sera pas ma victoire, mais je comprends l'attente qui la sous-tend. Je la comprends et je la plains.

 

Longtemps (et c'est la deuxième partie de l'intervention que je voulais faire et que j'ai mangée en cours de route), j'ai cru qu'il fallait reformuler notre credo à nouveaux frais. Cette entreprise est beaucoup plus passionnante que ce qui vient et je ne désespère pas de m'y atteler même si l'effort est anachronique.  Mais la crise de la culture et de la transmission rendent avant tout nécessaires la réexposition du kérigme et c'est ce qui fait que les évangéliques ont le vent en poupe.

 

 

3. Parmi toutes les raisons qui me font penser que le synode est un écran de fumée où la "conversation dans l'Esprit" substitue le langage au Verbe et donne lieu à un jargon de l'élargissement qui manque de colonne vertébrale parce que, pour être libéré, il faut connaître sa prison intérieure; au-delà de l'impasse de la "démocratie participative" que je crois avoir évoquée passablement, il y a surtout ceci qu'il me semble n'avoir pas su exposer très clairement: c'est que, pour "marcher ensemble", il faut marcher dans la même direction. Pour la trouver, il faut que quelqu'un l'indique et on a tôt fait de s'appuyer sur ce que ce Quelqu'un ne saurait être que l'Esprit. Dès lors il peut y avoir les traînards, les râleurs et ceux qui voudraient aller plus vite et qui pestent sur les lenteurs de l’arrière. Mais les directions dans l'Eglise ne sont plus les mêmes.

 

J'ai été attentif, pendant le dîner, aux remarques acerbes lancées contre la communauté saint-Martinqui sait faire du marketing un peu chafouin, mais est bien charpentée. Je t'en donne pour exemple l'homélie prononcée par dom Pascal Boulic lors de la première messe grégorienne que j'ai accompagnée le 4 février dernier à la demande de mon ami Sébastien Braillon, facteur d'orgue. Il parlait du signe de Croix comme donnant justement la bonne articulation entre verticalité et horizontalité, toutes deux nécessaires, assurait-il. C'est après avoir tracé sur soi le signe de la verticalité qu'on peut entrer dans une horizontalité féconde. Je trouve ça loin d'être nul, nourrissant et je me souviens de ce qui a été prononcé au cours de cette prédication.

 

On ne se respecte plus dans l'Eglise, mais la ligne de fracture s'est déplacée sur le champ de l'agressivité. Autrefois c'étaient les traditionalistes qui ne tarissaient pas d'agressivité. Aujourd'hui, parce qu'il y a un progressiste à la tête de l'Église, mais aussi à cause de l'anachronisme du restaurationnisme dont vous ne comprenez pas pourquoi il surgit maintenant et en raison duquel vous anticipez que le synodalisme de François vous donnera une victoire à la Pyrrhus, l'agressivité s'est déplacée des traditionalistes assommés aux progressistes que les accusations de jadis des premiers laissaient naguère plutôt indifférents.

 

Tous ne marchent pas dans la même direction dans l'Église, ce qui serait un prérequis de la raison synodale au moment même où l'enjeu de l'ocuménisme s'est déplacé et où il ne s'agit plus de trouver une unité confessionnelle entre toi et le descendant d'Albert Schweitzer et du protestantisme libéral qui a parlé à la fin de ta conférence, ou entre moi et un quelconque évangéliqe, mais d'abattre les cloisons entre les demeures ou sensibilités spirituelles pour faire Église. On en est loin. Il semble y avoir bel et bien deux "Églises irréconciliables."

 

 

Tu identifies à très juste titre que l'assomption du pastoral par l'ancien siège du doctrinal est un fait saillant, mais c'est le dernier coup de pied de l'âne de la dissociété et c'est aussi ce qui rend impossible la victoire du synodalisme. Faire de Rome, non la gardienne du temple, mais le garant du pastoralisme, c'est littéralement mettre l'Eglise cul par-dessus tête et, pardonne-moi cette trivialité, mettre la tête où il devrait y avoir le cul et surtout le cul là où il devrait y avoir la tête, c'est presque vrai au sens propre (ou sale). La crise des abus a révélé des dysfonctionnements très graves de l'autorité dans l'Eglise qui ne s'attaque pas à ses causes structurelles, mais elle a servi avant tout de prétexte aux tenants du Vatican III pour sortir des "agendas cachés" tels que le rapport Sauvé, et ne pas assumer qu'ils étaient des rupturistes.

 

4. D'abord tu me rendras ce point que, depuis le début, j'ai compris ce que toi-même ou François Cassingéna-Trévédy ne saviez pas encore vous-même que vous désiriez au début u premier confinement : vous vouliez aller au clash, à la rupture. Le dire nécessite de commencer par répondre à la question du pourquoi ce rupturisme.

 

Mon hypothèse est qu'alors que la société retrouvait sa liberté en 1968, puis se déprenait de sa liberté par le néo-puritanisme d'aujourd'hui en trouvant que la liberté avait un goût amer, vous ne saviez pas que vous cherchiez la liberté dans l'Église et vous devenez des libertaires à contre-temps, voulant peut-être compenser l'amertume de la permissivité sociale dans une liberté des enfants de Dieu que l'Église marchande très cher.

 

Il n'est pas facile d'avoir le courage de ses ruptures, mais on perdrait beaucoup moins de temps et on gâcherait beaucoup moins sa vie et celle des autres en le trouvant, même sur le plan conjugal où les femmes sont plus souvent les premières à trouver "le courage de rompre", tu vois que je peux être féministe à mes heures...

 

J'aime la question de Jésus dans l'Évangile après le "Discours sur le pain de vie." "Vous aussi vous voulez partir?" Et pourquoi pas? Le diable n'est pas dans le oui ou le non, il est entre le oui et le non. Les disciples sont un peu pleutres quand ils répondent en la personne de Pierre : "À qui irions-nous, Seigneur ? Ton discours nous heurte, mais nous comprenons bien que tu as les paroles de la vie éternelle." Ils répondent un peu comme Baudelaire (dont je comprends que mon catholicisme décadent me rend proche et que je suis malgré moi un anti-moderne, même si je trouve cette posture un peu vaine) : "Si tu peux rester, reste. Pars s'il le faut." Or il faudrait inverser la proposition : "Si tu veux partir, pars et reste si tu ne peux pas faire autrement." François a raison de ne pas avoir peur des schismes. Mais écouter sa propre logique et le bruit que fait la vie dans notre coeur est une école de discernement où le "bon Esprit" passe souvent pour le mauvais.

 

Voilà les réflexions que je voulais partager avec toi. En espérant qu'elles ne t'ont pas trop heurté, mais tu as désormais l'habitude.

 

 

En toute amitié,

 

Julien »

 

II CONVERSATION SYNODALE

 

Quelques heures plus tard, soit le 14/02/2024 à 10:43, Renéme répondait :

 

« Cher Julien,

 

J’imaginais assez que notre rencontre de Strasbourg à l’occasion de ma conférence te serait l’occasion d’une lettre personnelle. La seule inconnue pour moi était sa tonalité et, bien sûr, son contenu. Merci, déjà, d’avoir pris le temps de l’écrire. 

 

De ce Synode dont tu ne vois pas l’utilité, j’ai retenu notamment la méthode dite de la conversation dans l’Esprit que je trouve riche de potentialités. Dans un premier « tour de table » chacun s’exprime librement sur le thème retenu sans que personne ne l‘interrompe. Dans une deuxième prise de parole chacun est invité, non pas à argumenter son propre point de vue pour le justifier, au regard de ce qu’il a entendu, mais d’abord à dire ce qu’il retient de positif dans ce qui a été exprimé par les autres et ce avec quoi il peut être en désaccord… Ce n’est que dans un troisième temps que s’ouvre le débat avec pour objectif d’esquisser une position qui puisse faire consensus. Je vais tenter d’appliquer la méthode à “ta“ lettre (et non à “la“ lettre). 

 

Il est des points d’accord entre nous. Je ne vois aucun inconvénient à articuler la vie chrétienne entre verticalité et horizontalité. J’adhère sans réserve à la proposition d’une lecture de l’aventure humaine de la Création à l’Apocalypse, si l’on sait décrypter intelligemment les textes; et j’ai toujours dit (y compris dans Catholique en liberté) combien la communion des saints - où je situe notre relation - était l’une des affirmations du Credo parmi les moins problématiques pour moi. Je te suis tout autant lorsque tu affirmes que chacun de nous est fils de son époque et doit donc être compris dans ses réflexions et attitudes à partir de cette grille de lecture. Et je reçois tout à fait le désir des jeunes générations de trouver où reposer leur tête. Ce qui nous fait collectivement obligation à remettre le Kérygme au centre de notre témoignage. 

 

Ce n’est déjà pas si mal, sauf qu’à partir de là il existe de fait des divergences de perception et d’analyse, entre nous.

 

Tu m’accuses d’avoir en quelque sorte “congédié“ le jeune intervenant « conservateur » de la conférence. D’avoir opposé de manière un peu condescendante à son propos sur la nécessaire herméneutique de la continuité, le constat d’une rupture de fait, assumée par l’Eglise, entre le Syllabus et Vatican II. Je me souviens de lui avoir dit que j’accueillais pleinement son désir de continuité dans l’Eglise pour ce qui était du cœur de la foi, le Kérygme, pas les arguties concernant des ajouts de croyances auxquelles il est libre de s’attacher si ça lui parle. Vatican II nous enseigne qu’il y a une hiérarchie - voilà une expression qui devrait te plaire - des Vérités. Et je ne comprends pas, précisément, que tu ne comprennes pas combien c’est précisément une démarche synodale qui peut nous permettre d’assumer l’unité sur l’essentiel et la diversité de sensibilités sur l’accessoire.

Débattre jusque’à l’absurde pour savoir si communier dans la bouche est plus respectueux de la Présence Réelle que communier dans la main a perdu, pour moi, tout intérêt. Face à cette attente des jeunes générations, c’est à l’Eglise d’apporter la réponse, pas à René Poujol dans une conférence dont ce n’est pas l’objet. Et je n’ai jamais refusé de rencontrer des jeunes auxquels je suis capable d’adapter mon discours pour répondre à leurs attentes que je respecte. Encore faut-il que l’institution, dans son mode d’organisation, et de fonctionnement, “perçoive “ et “accepte“ cette possibilité non cléricale. 

 

Pardonne-moi de reprendre ici ce que j’ai écrit - et que tu as sans doute lu - dans mon billet sur le contenu de mon blog en 2023 à propos de l’article non écrit, sur les jeunes catholiques : « J’aurais suggéré que, contrairement aux propos, naïfs ou manipulateurs, entendus ici et là : si la jeunesse représentait d’évidence l’avenir – démographique – de l’Eglise, elle n’était pas assurée pour autant d’en incarner la Vérité enfin retrouvée contre ses aînés prétendument dévoyés par le « concile des médias » ! J’aurais conclu à la triple nécessité : de respecter ces jeunes tels qu’ils sont et de prendre leurs requêtes notamment spirituelles au sérieux, de les aider à comprendre qu’ils n’étaient, à eux tout seuls, ni l’Eglise d’aujourd’hui ni celle de demain, et de nous interroger sur les raisons de l’invisibilité d’une “autre“ jeunesse catholique : discrétion ou marginalité ? »

 

Tu plaides la cause des Saint-Martin. Mes réserves viennent du fait qu’ils représentent une tentation de formation de prêtres « hors sol » là où la richesse d’avant hier fut d’avoir des prêtres diocésains qui connaissaient l’odeur de leurs brebis parce qu’ils appartenaient au même troupeau. Et si nos terroirs ne produisent plus de prêtres, peut-être est-ce un signe du Ciel, une invitation - précisément synodale - à ce que la Mission soit portée aussi par les laïcs, au nom du sacerdoce commun des baptisés. Et pardonne-moi, mais c’est un Saint Martin qui, il y a quinze ans, a prophétisé à mon endroit "Monsieur Poujol, dans dix ans votre génération aura disparu et nous allons pouvoir reconstruire l’Eglise ». 

 

Tu me dis ta conviction que le “pré-requis“ de la synodalité serait de s’assurer, déjà, qu’on marche bien dans la même direction. Je n’en crois rien.  C’est aujourd’hui - hors synode - qu’on perçoit en la radicalisant parfois non sans arrières pensées, l’existence de chemins divergents. Décider, de manière volontariste, de  « marcher ensemble » porte précisément l’exigence, à un certain moment, de s’expliquer sur l’horizon à atteindre et, éventuellement, de se mettre - enfin - d’accord sur la marche à suivre. J’ai souvent dit combien pour moi l’écriture n’était pas d’abord le moyen d’exprimer ma pensée mais un mode d’élaboration de ma pensée. Ici il en est de même : c’est en marchant ensemble que nous apparaît la nécessité de décider où l’on va… Encore faut-il le vouloir au risque de confronter notre désir à celui de l’autre et de nous remettre en question.

 

Tu crois voir chez-moi la conviction d’une « victoire du synodalisme » au terme d’un Grand Soir ecclésial… que tu penses être une victoire à la Pyrrhus. Tu y opposes la victoire à tes yeux assurée du conservatisme/restauralisme revendiqué par la nouvelle génération.  Double erreur de perspective : je ne suis absolument pas assuré d’une quelconque victoire de la synodalité. J’ai terminé la quasi totalité de mes billets sur le synode, depuis deux ans, en évoquant l’incertitude qui pesait sur la mise en œuvre de ses conclusions par les clercs - et les jeunes générations - le moment venu. Ce que je dis et que je crois profondément, c’est en effet, que la synodalité est, à mes yeux, la seule voie pour sortir de l’impasse institutionnelle actuelle et donc qu’en cas de « non réception » par les clercs, je ne vais pas m’épuiser à faire tourner une boutique - car l’institution n’est pas l’Eglise - selon des schémas avec lesquels je suis en désaccord et dont l’échec est patent. Et qu’alors je rejoindrais les laïcs bien décidés à suivre cette proposition, au besoin sans les évêques, les prêtres et les jeunes rétifs, auxquels je ne conteste pas de continuer à faire vivre une Eglise à l’ancienne. Mais enfin, comprends, de ton côté, qu’il y a là quelque chose qui tient à la Vérité de l’agir chrétien, au-delà de l’adhésion au noyau dur de la foi. Je ne vais pas y renoncer au motif que les « petits jeunes » n’en voient pas l’intérêt à ce jour. 

 

Permets-moi de revenir en conclusion - provisoire - sur ton affirmation selon laquelle chacun de nous est fils de son époque plus que de son père. Je te redonne ici la “chute“ de mon dernier billet de blog : « Dans sa Vie de Jean Racine, François Mauriac a cette phrase : « L’individu le plus singulier n’est jamais que le moment d’une race. » Ce qui signifie, ici, que François n’est jamais que le pape que l’Esprit nous a donnés et que l’Eglise a produit, à ce moment précis de son Histoire, pour l’aider à poursuivre sa route. En faire, avec d’autres, la lecture d’un pape « progressiste » est une manière de botter en touche et de te justifier dans ton propre refus de te confronter loyalement à ce qu’il propose, puisque précisément, ce n’est pas le pape qui parle, mais un pape “progressiste“. 

 

Oui, je crois avec Christoph Théobald dans son dernier livre dont j’ai fait recension, que le synode est voie de réconciliation possible. Et je te sais gré d’avoir ouvert ta lettre en reconnaissant que mon propos, à Strasbourg, au moins dans sa conclusion, était d’ouverture lorsque j’exprimais mon désir de ne jamais refuser l’espérance des autres. Je ne souhaite que la réciprocité.

 

Avec amitié

 

René »

 

Le vendredi 16 février 2024 à 13:55:31 :

 

« Cher René,

 

Je réagis à quelques points de ta réponse dont je te remercie, y compris pour lui avoir appliqué la méthode synodale de la "conversation dans l'Esprit" à laquelle je ne trouve rien à redire, surtout au premier point : laisser parler son interlocuteur sans l'interrompre est un point commun des francs-maçons, des alcooliques anonymes, des cercles ignatiens et de tous ceux qui veulent promouvoir une qualité déchange entre les uns et les autres.

 

Dire que je ne vois pas l'utilité du synode est trop dire. Je n'en vois pas l'urgence. Il est certes important de parler entre nous, mais ce n'est pas urgent puisque peu nombreux sont ceux qui comprennent encore ce que nous entendons par le christianisme. L'urgence est à mes yeux de ne pas laisser s'en aller la dernière génération des chrétiens européens qui ont encore des références chrétiennes sans qu'ils puissent transmettre le flambeau aux jeunes générations.

 

Chacun de nous est fils de son époque, c'est-à-dire que l'histoire de chacun de nous peut être inscrite dans celle de sa génération. Si Annie ernaux a eu le prix Nobel de littérature, c'est parce qu'elle a actualisé cette intuition et cette microsociologie mieux que personne dans "les Années", entre autres ouvrages.

 

Tu dis que je t'"accuse" d'avoir "congédié" "le jeune intervenant « conservateur » de la conférence" que tu as donnée à Strasbourg. Loin de t'en avoir accusé, je t'ai donné acte que tu n'avais pas fait preuve d'agressivité envers lui, que tu lui avais prouvé que "l'herméneutique de la réforme dans la continuité" n'était pas possible entre le Syllabus et le refus d'anathématiser contenu dans Vatican II, mais que ta réponse l'avait fait fuir un peu comme le jeune homme riche était parti face aux mots de Jésus, sauf que c'était un jeune homme pauvre. Et le fait qu'il se soit évaporé à la fin est pour moi un phénomène emblématique, un signe qu'il faut prendre au sérieux. Un "signe des temps" ou un signe d'une discorde entre deux générations. 

 

Je fais un rapide excursus pour te dire que je n'ai jamais compris pourquoi le concile Vatican II a décidé de ne prendre les "signes des temps" qu'en bonne part quand, au contraire, l'Evangile de son côté voulait qu'on ne prenne qu'en mauvaise part les signes avant-coureurs du glorieux retour du Christ qui devraient être une bonne nouvelle pour chacun d'entre nous si l'un ne devait pas être pris et l'autre laissé, mais c'est une autre histoire et l'interprétation exclusivement positive des "signes des temps" ne remonte pas au concile Vatican II, , mais à "Pacem in terris" si ma mémoire est bonne.

 

Je converge avec toi pour affirmer que le magistère de l'Église a empilé une jurisprudence doctrinale et canonique qui fait bien peu de crédit à l'affirmation de saint Paul, au reste difficile à comprendre, que le Christ nous a affranchis de la loi, dont il faudrait préciser que la loi dont il s'agit est la loi morale et non la loi ontologique. Les traditionalistes continuent de s'adosser à une "religion de la loi" un peu comme les musulmans avec la charia et les hadith et beaucoup plus que les juifs dont Guy Legrand fait bien de rappeler régulièrement sur ton blog que  la Torah et le Talmud nous racontent beaucoup plus le processus d'interprétation de la loi (où Moïse sait se mettre à l'école de rabby Akiva) que le récit fondateur d'une histoire sainte où surnagent essentiellement les constituants de la relation divino-humaine à travers la création de l'homme, l'élection par Dieu d'un peuple et la libération de l'esclavage comme gage de cette élection divine. 

 

Les tradis sont des accros à la loi. Si le synode pouvait faire le tri dans cet empilement législatif, il nous avancerait. Mais il faudrait en même temps faire un tri dans la doctrine et c'est là que le bât blesse, non que la doctrine ne soit susceptible en théorie de s'émonder par son développement interne, mais cet émondage est rendu difficile par le fait qu'y compris dans l'interprétation que Vatican I a donnée de l'infaillibilité du pape (appelée à être transférée à l'infaillibilité du "sensus fidei fidelium", donc au sens des réalités de la foi qu'a le peuple fidèle), la confusion a été entretenue entre la foi et les moeurs. Si le synode pouvait séparer ces deux réalités, je ne pourrais que lui en savoir gré, mais la discussion qu'il porte est plus large et moins bien définie.

 

"Débattre jusqu'à l’absurde pour savoir si communier dans la bouche est plus respectueux de la Présence Réelle que communier dans la main a perdu, pour moi, tout intérêt." Pour moi, cela n'en a jamais eu. Je suis d'une génération qui a toujours communié dans la main. Donc je n'ai jamais compris cette querelle byzantine. Et comme j'aime à le répéter par boutade, il vaut mieux communier dans une main sale que sur une mauvaise langue.

 

Je ne plaide pas outre mesure la cause des Saint-Martin. Je les ai vus à l'oeuvre dans une situation très difficile où ils ont fait de leur mieux pour accompagner jusqu'où ils pouvaient un ami qui s'est perdu en lui-même et où ils se sont montrés des interlocuteurs très loyaux dans cet accompagnement et dans le transfert qu'il fallait faire du refuge de Montligeon que des religieuses qui l'avaient élevé avaient imaginé pour lui vers une famille d'accueil et un suivi psychiatrique. 

 

Je n'aime pas l'opprobre dont je les vois couverts , moins encore depuis que j'ai l'occasion d'aller jouer chez eux de temps à autre, dans la principale église de Mulhouse qu'ils desservent. Les habitués des églises main stream et soi-disant plus proches de l'Évangile leur reprochent de distinguer entre "servants d'autel" et "servantes d'assemblée". Autre guerre picrocholine dans laquelle je me refuse d'entrer. Il ne me semble pas que la complémentarité des sexes soit devenue un gros mot face à l'égalité des genres, mais comme je ne prétends pas avoir d'avis sur tout, je n'ai pas d'avis sur la question. 

 

On leur reproche surtout de remplir les églises avec des initiatives parfois spectaculaires. Où est le mal ? Pour moi, cela s'appelle l'évangélisation. 

 

Je les entends prononcer des homélies qui ont du sens et du fond. À la messe des cendres que j'ai entre autres accompagnée pour eux, le célébrant disait que la liturgie était aussi un "jeu" et qu'il fallait laisser pénétrer tous ses sens, voir, sentir, chanter aussi, pour, "petit à petit", se sentir engagé dans un mouvement vers dieu. La liturgie est un théâtre de Dieu, une mystagogie et un "mystère" comme on le disait au Moyen-Âge. Des luthériens de stricte observance d'une église dont est issue ma mère furent les premiers à me dire que la liturgie était le théâtre de Dieu. Je fus stupéfait non seulement de l'affirmation, mais que ce soient des luthériens qui aient osé la formuler. J'aime le texte de mère Teresa qui dit entre autres: "La vie est un jeu, joue-le". Il faut savoir jouer avec Dieu pour être gagné par Lui. 

 

"Mes réserves viennent du fait qu’ils représentent une tentation de formation de prêtres « hors sol » là où la richesse d’avant hier fut d’avoir des prêtres diocésains qui connaissaient l’odeur de leurs brebis parce qu’ils appartenaient au même troupeau", suspectes-tu. Admettons qu'ils n'appartiennent pas au même troupeau que leurs paroissiens parce qu'ils sont souvent issus de classes sociales supérieures ou aristocratiques et qu'ils s'appuient sur lesdites classes sociales avec moins de conservatisme et de goût du prestige que je ne l'ai vu faire à Paris au cal Lustiger. En attendant, ici, ils organisent une fois par mois des repas "table ouverte" et des "balades du curé". Ils prennent plein d'initiatives pour se rapprocher des gens et les rapprocher les uns des autres.  Donc en quoi sont-ils "hors sol"?

 

Leurs confrères diocésains entendent leur faire de mauvaises manières, je n'entrerai pas dans les détails, mais je n'aime pas ça. Même si j'ai vu des Saint-Martin faire de mauvaises manières aux prêtres diocésains de Sées et même si je comprends très bien que tu puisses concevoir de l'amertume à cette phrase qu'ils ont prononcée à ton encontre: ""Monsieur Poujol, dans dix ans votre génération aura disparu et nous allons pouvoir reconstruire l’Église."" "Reconstruire l'Église", "réparer l'Église", l'intuition de saint François n'était pas très éloignée, même si les orientations pastorales du "povorello" diffèrent à beaucoup près de celles des saint-Martin.  Mais laisse-moi rapprocher cette condamnation univoque de ta génération prononcée par un prêtre de cette communauté de ta phrase écrite à propos des "jeunes catholiques" que tu appelles un peu plus loin dans ta réponse des "petits jeunes": ils sont peut-être l'avenir démographique de l'Église, mais ils ne forment pas  toute la jeunesse à eux tout seuls et ils ne détiennent pas la vérité de l'Église. Autrement dit, ce n'est pas parce que ta génération s'en va en voulant en découdre que ce qu'elle a semé doit être entièrement piétiné. Je ne peux pas te donner tort là-dessus.

 

Je te dis ma "conviction que le “pré-requis“ de la synodalité serait de s’assurer, déjà, qu’on marche bien dans la même direction." Tu "n’en crois rien. [...] "Décider, de manière volontariste, de  « marcher ensemble » porte précisément l’exigence, à un certain moment, de s’expliquer sur l’horizon à atteindre et, éventuellement, de se mettre - enfin - d’accord sur la marche à suivre."

L'horizon, c'est le Christ, mais nous en avons des représentations différentes. C'est au Christ de nous attirer à Lui comme Il nous l'a promis, quand Il serait élevé de terre; ce n'est pas à chacun des membres du synode de dire: "Moi, je veux aller là" ou "non, moi, je veux aller dans l'autre sens." Or la connotation de la démarche synodale d'avancer au large du pastoral contre les étroitesses du dogmatisme, c'est ce que j'appelle le progressisme qui voudrait "élargir" (ou libérer) les hommes sans avoir discerné quelles étaient leurs prisons intérieurs et sans avoir pris soin d'en ouvrir les portes. Étant à noter que pour moi, le mot d'"élargissement" est l'un des plus beaux mots de la langue française, je l'ai écrit dans mon "Apologie d'une intériorité".

 

Je ne te crois pas plus assuré de "la victoire du synodalisme"que je ne le suis, en réalité, de celle du "conservatisme", sinon pour faire vivre l'Église comme une contre-société, selon le voeu du cal Lustiger (encore lui !) à la fin de sa vie. Je regrette que tu conditionnes le fait de rester dans l'Église (c'est ce que tu m'as dit après la conférence) à la réussite du synode. Ici, tu le nuances en parlant de "faire tourner la boutique" de l'institution ecclésiale. Mais qu'est-ce que vous avez donc tous contre l'institution ? Je n'ai jamais conçu l'Église comme une institution et encore moins comme une boutique, même si les clercs ont souvent entre eux des relations de boutiquiers. J'ai toujours aimé dans l'Eglise sa dimension corporative portée, comme tu le dis, par la "communion des saints" qui est le recto de la "télépathie générale", bien loin de l'incommunicabilité entre le "moi" et l'autre, entre l'homme, "tout parfait et solitaire", et ses semblables.

 

Je ne suis pas anti-François. Je le reçois, non comme un "pape progressiste", mais comme le pape qui m'est donné. Seulement j'ai cessé d'être l'enfant d'une Eglise totalitaire qui devrait applaudir à toutes les inflexions des papes depuis qu'avec la mort de Paul VI, s'est découverte à moi l'existence de la papauté. Avant de te rejoindre pour ta conférence, j'avais joué un enterrement avec un prêtre polonais dont j'aime beaucoup le travail d'écriture, très original, en langue française. Il fait preuve de beaucoup d'humour dans la profondeur. Je ne t'apprendrai pas que les prêtres diocésains français, qui décidément n'aiment pas grand monde (et en ce sens, ils ne sont pas des exemples de disciples du Christ), n'aiment pas les prêtres fidei donum en général et les prêtres polonais en particulier. Je lui ai demandé ce qu'en tant que Polonais, il pensait de Jean-Paul II. Devenant soudain sérieux, il m'a répondu: "C'est un saint. Qu'ont fait les suivants ?" Benoît XVI n'a jamais trouvé ses marques en dépit de l'intelligence qu'il a déployée à catéchiser l'Église en la rendant plus traditionnelle, en contradiction avec son passé de secrétaire d'un Père conciliaire qui n'aurait pas aimé entendre dire que ses positions devaient se distinguer d'un "concile des médias". Quant à François, je vois au moins deux hommes en lui : un pape plein d'Evangile qui le commente à la mitraillette, tellement ce texte l'habite et lui parle, et à côté de ça un pape qui dit au monde ce que le monde a envie d'entendre tout en dénonçant la "mondanité spirituelle"; un pape qui fait le jeu des grands de ce monde  et des grands pouvoirs de la "mondialisation heureuse" tout en rêvant d'une "Eglise de pauvres pour les pauvres" où le Christ ne demanderait en somme plus rien à personne en termes de combat spirituel, bien qu'il s'agisse de lutter contre le diable même si l'enfer est vide. Je ne sais pas comment se résolvent ses contradictions, sinon que je crois savoir qu'il est devenu prêtre par défaut. François serait-il le pape par défaut d'une Eglise qui dépose le bilan? Ce pape infaillible serait-il un syndic de faillite ?

 

Tant pis si c'est ma chute. »

 

Julien

 

(À suivre)