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mardi 27 mars 2018

UN HÉROS, ET APRÈS ? LES HÉROS SONT FATIGUÉS


Posté en commentaire de l’article de Philippe Bilger :

 

http://www.philippebilger.com/blog/2018/03/un-h%C3%A9ros-un-hommage-national-et-puis.html#comments

 

 

Cher Monsieur Bilger,

 

Quelques réflexions apparemment de moins en moins faciles à entendre dans notre nouvelle bien-pensance.

 

Notre néo-bien-pensance a peur de ne pas avoir peur du terrorisme. Le terrorisme est le paroxysme de la société du spectacle où « le vrai est un moment du faux ». La vraie stupeur de l’attentat est une fausse terreur en regard du danger plus grand de l’agression ou de l’accident de voiture. Moindre est celui du terrorisme, comme moindres sont les dégâts du terrorisme en regard de ceux des guerres auxquelles nous participons et qui le déchaînent. Notre Révolution française s’est ouverte par un épisode de terrorisme où il fallait purifier la République en coupant des têtes au nom de la vertu. Notre terrorisme révolutionnaire et républicain n’est pas sans rapport avec le terrorisme mecquois de Muhammad à qui Robespierre aurait pu donner la main, et tous les deux auraient marché en révérant l’Etre suprême au mépris de l’Aufklärung.

 

Des héros, et après ? Des héros, mais encore ? Des héros, mais pourquoi ? La nation a besoin de héros, mais elle ne les mérite pas, car elle les oublie aussitôt. Sa mémoire est de plus en plus courte. L’Église a déjà oublié la renonciation de Benoît XVI comme la France ne se souvient plus de l’abdication de François Hollande. En l’espace de sept ans, le dirigeant de l’Église et celui de sa fille aînée ont renoncé à diriger le monde, devenu trop compliqué pour eux. Il y a eu le héros de l’hyper kasher ou les héros du Bataclan, qui s’en souvient ? Un ami me cite souvent le nom de Julien Galisson qui l’a beaucoup marqué.

 

Les nations qui n’ont plus de mémoire ne méritent pas d’avoir des héros. Paul-Marie Coûteaux veut croire que l’empreinte d’Arnaud Beltrame restera. Ce gaulliste frontisé n’a pas assez descendu la pente du pétainisme pour se rendre compte à quel point les Français ont encore plus la mémoire courte que du temps du maréchal et de Paul Reynaud déposant contre lui, et d’Édouard Daladier, le signataire des accords de Munich, témoignant contre le maréchal qu’« Il a gravement manqué aux devoirs de sa charge ». Pétain était un héros de l’abdication : « Je fais don de ma personne à la France ». Sa personnalité sacrificielle rappelle celle de Louis XVI et son fameux testament. De Louis XVI à Benoît XVI, du maréchal Pétain à François Hollande, souffle un même vent d’abdication qui ne tourne guère et ne fait pas chanter les héros.

 

« Le mourir pour l’autre » est, selon Levinas, la définition de la sainteté. » Notre nation n’aime plus les saints. La liberté de celui qui meurt ne se transmet pas à celui pour qui il donne sa vie. Jésus dit : « J’ai le pouvoir de donner ma vie et le pouvoir de la reprendre ensuite. » Mais Julie, pour qui Arnaud Beltrame vient de donner sa vie, Julie est déprimée. Que va-t-elle faire de ce sacrifice ? Ne risque-t-il pas de l’écraser ? Les regards insistants et vigilants de ceux qui l’observeront vivre ne la presseront et ne la perceront-ils pas de cette question accablante : « Étais-tu digne que ce héros donne sa vie pour toi ? » Je n’aimerais pas vivre sous ce poids. Les catholiques dont je suis doivent y réfléchir à deux jours de célébrer la Passion du Christ.

 

Manuel Valls témoigne d’un beau « courage intellectuel » à persister à demander l’interdiction du salafisme. Non, M. Bilger, pour commencer parce qu’on ne peut pas interdire une forme de piété. Ensuite, j’hésite à le dire aussi brutalement, mais parce que Manuel Valls est une ordure politique. « « La gauche peut mourir », donc je l’assassine . « J’aime les socialistes » et je regarde leur vieux cadavre à la renverse pour me sentir plus proche de BHL. Je me vends à Macron qui attend que ma cote baisse ou remonte, mais il me rachètera, c’est fatal ! » Lui, Manuel Valls, qui fut le conseiller en communication de Jospin qui, au lendemain du 11 septembre, fut le premier à dire µ « Pas d’amalgame ! » parce que l’injonction sortait du tréfond de son cœur, a passé tout son bail de premier ministre – qu’il a dénoncé avant terme après avoir exigé qu’il aille jusqu’au bout du quinquennat – à se choisir pour ennemis ceux que Michel Houellebecq lui avait désignés : les islamistes et les identitaires, ce qui n’empêcha pas l’homme à l’écriture blanche, comme aussi Michel Onfray et comme Emmanuel Todd, de traiter Manuel Valls de crétin, à raison : il souffre à l’évidence d’un complexe d’infériorité intellectuelle.

 

Marine Le Pen et Laurent Wauquiez maltraitent le ministre de l’Intérieur dont le ton n’oscille pas entre la martialité et les larmes de crocodile ? Il est ridicule d’exiger la démission de Gérard Collomb. L’est-il d’expulser les ficher S étrangers ? Si j’ai bien compris, S est l’initiale de ceux qui sont soupçonnés (et ne sont pas susceptibles, sic) de vouloir attenter à la sécurité de l’État. Il n’est pas incohérent de ne pas tolérer au sein de son pays des ennemis de l’extérieur. Mais on peut aussi faire le raisonnement que, s’il manque des effectifs pour surveiller les fichés S comme pour soigner les malades ou pour former les élèves, le gouvernement par la dette prétend lutter contre le chômage en ne créant pas d’emplois et en expulsant les fauteurs de trouble. Le gouvernement par la société et par l’humanité préférera créer des emplois partout où il repère des besoins et ne se fait pas d’illusion qu’un monde connecté, interdépendant, où règne la liberté d’aller et venir facilitée par la révolution des transports, ce monde du vivre-ensemble et de la convivialité obligatoire, peut très difficilement fermer ses frontières.

Enfin, les salafistes sont-ils le terreau de l’antisémitisme ? Pourquoi le seraient-ils davantage que le pays où Léon Bloy pouvait à la fois rappeler que le salut vient des juifs et parler de tel de ces personnages comme d’une « putridité judaïque » (dans Le désespéré, probablement cher à notre ami @RobertMarchenoir qui n’en tirera pas les mêmes conclusions que moi ?) Dans une démocratie où on ne craindrait pas le clivage comme fauteur d’éventuelles guerres civiles, desquelles on croit stupidement se protéger par l’impossible homogénéité bienveillante de l’idéologie républicaine, on pourrait dire en même temps à un musulman, les yeux dans les yeux, qu’on tient l’islam pour une arriération religieuse parce qu’il a réintroduit la violence dans le champ politique du fait de la doctrine elle-même et non pas d’une déviance civilisationnelle comme dans le cas chrétien, parce qu’il est impuissant à créer des sociétés harmonieuses qu’un caillou d’impiété dans la chaussure de l’idéal de charia suffit à déséquilibrer, et parce qu’il ne parvient pas davantage à constituer une oumma pacifiée à partir de la diversité des tribus plus que des sectes. On pourrait en même temps faire tous ces graves reproches et souscrire à la tribune de Dalil Boubakeur qui réclame un « habeas corpus » et « une présomption d’innocence républicaine pour l’islam de France ». Sinon, ce n’était pas la peine de chercher les musulmans et d’aller vivre chez eux pour qu’ils vivent avec nous. Les sociétés multiculturelles sont multiconflictuelles, maiselles sont plus marantes. Le double, le multiple est peut-être l’impensé car l’impensable du politique, comme les systèmes complexes. Mais peut-être faut-il le vivre et non pas le penser.

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