Posté en commentaire de l’article
de Philippe Bilger :
http://www.philippebilger.com/blog/2018/03/un-h%C3%A9ros-un-hommage-national-et-puis.html#comments
Cher Monsieur Bilger,
Quelques réflexions apparemment
de moins en moins faciles à entendre dans notre nouvelle bien-pensance.
Notre néo-bien-pensance a peur de
ne pas avoir peur du terrorisme. Le terrorisme est le paroxysme de la société
du spectacle où « le vrai est un moment du faux ». La vraie stupeur
de l’attentat est une fausse terreur en regard du danger plus grand de l’agression
ou de l’accident de voiture. Moindre est celui du terrorisme, comme moindres
sont les dégâts du terrorisme en regard de ceux des guerres auxquelles nous
participons et qui le déchaînent. Notre Révolution française s’est ouverte par
un épisode de terrorisme où il fallait purifier la République en coupant des
têtes au nom de la vertu. Notre terrorisme révolutionnaire et républicain n’est
pas sans rapport avec le terrorisme mecquois de Muhammad à qui Robespierre
aurait pu donner la main, et tous les deux auraient marché en révérant l’Etre
suprême au mépris de l’Aufklärung.
Des héros, et après ? Des
héros, mais encore ? Des héros, mais pourquoi ? La nation a besoin de
héros, mais elle ne les mérite pas, car elle les oublie aussitôt. Sa mémoire
est de plus en plus courte. L’Église a déjà oublié la renonciation de Benoît
XVI comme la France ne se souvient plus de l’abdication de François Hollande.
En l’espace de sept ans, le dirigeant de l’Église et celui de sa fille aînée
ont renoncé à diriger le monde, devenu trop compliqué pour eux. Il y a eu le
héros de l’hyper kasher ou les héros du Bataclan, qui s’en souvient ? Un
ami me cite souvent le nom de Julien Galisson qui l’a beaucoup marqué.
Les nations qui n’ont plus de mémoire
ne méritent pas d’avoir des héros. Paul-Marie Coûteaux veut croire que l’empreinte
d’Arnaud Beltrame restera. Ce gaulliste frontisé n’a pas assez descendu la
pente du pétainisme pour se rendre compte à quel point les Français ont encore
plus la mémoire courte que du temps du maréchal et de Paul Reynaud déposant contre
lui, et d’Édouard Daladier, le signataire des accords de Munich, témoignant
contre le maréchal qu’« Il a gravement manqué aux devoirs de sa charge ».
Pétain était un héros de l’abdication : « Je fais don de ma personne
à la France ». Sa personnalité sacrificielle rappelle celle de Louis XVI
et son fameux testament. De Louis XVI à Benoît XVI, du maréchal Pétain à
François Hollande, souffle un même vent d’abdication qui ne tourne guère et ne fait
pas chanter les héros.
« Le mourir pour l’autre »
est, selon Levinas, la définition de la sainteté. » Notre nation n’aime
plus les saints. La liberté de celui qui meurt ne se transmet pas à celui pour
qui il donne sa vie. Jésus dit : « J’ai le pouvoir de donner ma vie
et le pouvoir de la reprendre ensuite. » Mais Julie, pour qui Arnaud
Beltrame vient de donner sa vie, Julie est déprimée. Que va-t-elle faire de ce
sacrifice ? Ne risque-t-il pas de l’écraser ? Les regards insistants
et vigilants de ceux qui l’observeront vivre ne la presseront et ne la perceront-ils
pas de cette question accablante : « Étais-tu digne que ce héros
donne sa vie pour toi ? » Je n’aimerais pas vivre sous ce poids. Les
catholiques dont je suis doivent y réfléchir à deux jours de célébrer la
Passion du Christ.
Manuel Valls témoigne d’un beau « courage
intellectuel » à persister à demander l’interdiction du salafisme. Non, M.
Bilger, pour commencer parce qu’on ne peut pas interdire une forme de piété. Ensuite,
j’hésite à le dire aussi brutalement, mais parce que Manuel Valls est une
ordure politique. « « La gauche peut mourir », donc je l’assassine .
« J’aime les socialistes » et je regarde leur vieux cadavre à la
renverse pour me sentir plus proche de BHL. Je me vends à Macron qui attend que
ma cote baisse ou remonte, mais il me rachètera, c’est fatal ! » Lui,
Manuel Valls, qui fut le conseiller en communication de Jospin qui, au lendemain
du 11 septembre, fut le premier à dire µ « Pas d’amalgame ! »
parce que l’injonction sortait du tréfond de son cœur, a passé tout son bail de
premier ministre – qu’il a dénoncé avant terme après avoir exigé qu’il
aille jusqu’au bout du quinquennat – à se choisir pour ennemis ceux que
Michel Houellebecq lui avait désignés : les islamistes et les
identitaires, ce qui n’empêcha pas l’homme à l’écriture blanche, comme aussi Michel
Onfray et comme Emmanuel Todd, de traiter Manuel Valls de crétin, à raison :
il souffre à l’évidence d’un complexe d’infériorité intellectuelle.
Marine Le Pen et Laurent Wauquiez
maltraitent le ministre de l’Intérieur dont le ton n’oscille pas entre la martialité
et les larmes de crocodile ? Il est ridicule d’exiger la démission de
Gérard Collomb. L’est-il d’expulser les ficher S étrangers ? Si j’ai bien
compris, S est l’initiale de ceux qui sont soupçonnés (et ne sont pas
susceptibles, sic) de vouloir attenter à la sécurité de l’État. Il n’est pas incohérent
de ne pas tolérer au sein de son pays des ennemis de l’extérieur. Mais on peut
aussi faire le raisonnement que, s’il manque des effectifs pour surveiller les
fichés S comme pour soigner les malades ou pour former les élèves, le
gouvernement par la dette prétend lutter contre le chômage en ne créant pas d’emplois
et en expulsant les fauteurs de trouble. Le gouvernement par la société et par
l’humanité préférera créer des emplois partout où il repère des besoins et ne
se fait pas d’illusion qu’un monde connecté, interdépendant, où règne la
liberté d’aller et venir facilitée par la révolution des transports, ce monde
du vivre-ensemble et de la convivialité obligatoire, peut très difficilement
fermer ses frontières.
Enfin, les salafistes sont-ils le
terreau de l’antisémitisme ? Pourquoi le seraient-ils davantage que le
pays où Léon Bloy pouvait à la fois rappeler que le salut vient des juifs et
parler de tel de ces personnages comme d’une « putridité judaïque »
(dans Le désespéré, probablement cher
à notre ami @RobertMarchenoir qui n’en tirera pas les mêmes conclusions que moi ?)
Dans une démocratie où on ne craindrait pas le clivage comme fauteur d’éventuelles
guerres civiles, desquelles on croit stupidement se protéger par l’impossible homogénéité
bienveillante de l’idéologie républicaine, on pourrait dire en même temps à un
musulman, les yeux dans les yeux, qu’on tient l’islam pour une arriération
religieuse parce qu’il a réintroduit la violence dans le champ politique du
fait de la doctrine elle-même et non pas d’une déviance civilisationnelle comme
dans le cas chrétien, parce qu’il est impuissant à créer des sociétés
harmonieuses qu’un caillou d’impiété dans la chaussure de l’idéal de charia
suffit à déséquilibrer, et parce qu’il ne parvient pas davantage à constituer
une oumma pacifiée à partir de la diversité des tribus plus que des sectes. On
pourrait en même temps faire tous ces graves reproches et souscrire à la
tribune de Dalil Boubakeur qui réclame un « habeas corpus » et « une
présomption d’innocence républicaine pour l’islam de France ». Sinon, ce n’était
pas la peine de chercher les musulmans et d’aller vivre chez eux pour qu’ils
vivent avec nous. Les sociétés multiculturelles sont multiconflictuelles, maiselles
sont plus marantes. Le double, le multiple est peut-être l’impensé car l’impensable
du politique, comme les systèmes complexes. Mais peut-être faut-il le vivre et
non pas le penser.
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