N. avait émis des réserves quant à
l’exploitation de la figure du héros, Arnaud Beltrame, par les médias qui sont
une fabrique de figures, au bénéfice d’une France qui a besoin de héros comme
elle a besoind’ennemis, et qui pleure à peine les victimes du quotidien ou les
victimes du bataclan. De fait, la vie
donnée d’Arnaud Beltrame embarrasse aujourd’hui Julie pour qui il l’a donnée et
qui vit cloîtrée, bouleversée, surveilléeet ne sachant quoi en faire. C’est
tout le dilemmedu christianisme à l’égard de Pâques : « Ma vie, nul
ne la prend mais c’est moi qui la donne. » « J’ai le pouvoir de
donner ma vie et le pouvoir de la reprendre ensuite. » Liberté souveraine
du donateur qui n’interroge pas la liberté limitée du récipiendaire, lequel
pourrait aisément ajouter au banal (mais combien nonchalant, désinvolte, ingrat,
désespérant et désespéré) : « Je n’ai pas demandé à naître »,
« Je n’ai pas demandé à ce que tu donnes ta vie pour moi. » En valeur
absolue, le récipiendaire est embarqué dans un processus où il n’a pas la
liberté de ne pas recevoir. Mais qu’il reçoive est la condition de la suite, de
la Pâque, de ce que notait H. à la fin de son commentaire de l’Evangile sur les
disciples d’Emmaüs : « Dans le texte, il n’est fait mention d’aucune
auberge où rester avec eux pour celui que les disciples d’Emmaüs ont invité et
n’ont pas encore reconnu à la fraction du pain carils n’ont pas encore partagé
un repas avec lui. C’est qu’il devient l’hôte de leur cœur. » Pâque, a-t-il
quasiment conclu, c’est le passage du « Où demeures-tu ? » qui
ouvre l’Evangile de Saint-Jean non sans que Jésus se plaigne : « Le
Fils de l’Homme n’a pas un endroit où reposer sa tête », à un : « À présent que je suis ressuscité, si
vous m’aimez, je viendrai demeurer en vous, et je serai pour toujours avec
vous. » Pâque, c’est un passage du désir de l’homme d’habiter avec Dieu, d’habiter
près de Dieu, d’ »habiter la maison du Seigneur tous les jours de sa
vie » au fait que Dieu devienne « l’hôte intérieur » de celui
qui lui ouvre son cœur.
À quoi cela tient-il ? On passerait à
côté de la réponse si on se limitait à cette remarque triviale que le Corps du
rEssuscité s’est affranchi des limites du Corps physique et qu’Il est
ressuscité comme on monte au ciel. Mais la Résurrection réalise la finalité de
l’Incarnation : le Verbe est descendu du ciel pour que le cœur devienne
ciel et pour que, même au sein de la résurrection de la chair, présente et à
venir, le ciel soit moins un lieu qu’un état qui traduise l’état du cœur. Mais
ce passage des temples païen ou du temple de Jérusalem au sanctuaire du
cœur, de la piété publique à celle des
« adorateurs de Dieu en esprit et en vérité », des sacrifices de propitiation
au sacrifice du cœur brisé de Dieu qui se réconcilie la création en déjouant
ses forces de destruction, ou encore de la fausse alternative entre la
transcendance et le panthéisme où Dieu est immanent à l’univers au choix du cœur, passe par le processus pascal où le récipiendaire doit
commencer par renoncer à la liberté de ne pas recevoir et à la protestation de
ne pas avoir demandé à être sauvé et que le cadeau de la vie de dieu est bien
pesant, à l’acceptation intérieure de ne pas avoir été créé pour jouir, mais pour
être en relation, dans un dépassement de sa nature individuelle d’être de
captation pour entrer dans la vie de la Grâce du choix du don et de l’accueil.
Pourquoi un itinéraire si compliqué, si
difficile, et qui implique au commencement une limitation de la liberté par
laquelle on doit recevoir si on veut avancer, on doit signer lecontrat vital… ?
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