Tenté de réserver un restaurant pour, ce soir, fêter les 75
ans de ma mère. Une voix suave me répond au téléphone : « Valérie à
votrre écoute ! » « Je souhaiterais effectuer une réservation ».
« Il va falloir rappeler vers midi moins le quart. » Pourquoi tant de
suavité et si peu de service ?
Reçoit-on moins bien aujourd’hui
dans les auberges que du temps du bel autrefois ? Les Ténardier non plus
ne voulaient pas recevoir Jean Valjean. Mais Jacques le fataliste s’y prenait
de telle manière qu’il coupait court à tous les refus. Il se ramenait avec sa
gourde et vas-y que j’assois mon sans-gêne dans ta salle à manger !
Le contrat implicite de
restauration ressemble à l’intimisme volontiers conflictuel de l’habitacle des taxis :
« Tu loues mes services et je m’engage à te faire croire l’espace d’une
soirée que tu es le client le plus agréable et le plus important au monde. Je m’engage
à te faire croire que tu es le bienvenu chez moi et que chez moi, c’est chez
toi. Mais si tu le crois au point de m’emmerder, si tu ne souffres pas d’attendre patiemment
que je sois à toi quand tu me sonnes pour avoir un dessert ou un quart de rouge
supplémentaire, bref, si tu prends un peu trop tes aises, tu prends la porte,
et je vais te montrer qui est le propriétaire ici. »
Un patron de restaurant est une
sorte de Florent Pagny qui te chante : « Bienvenue chez moi »,
mais qui te prie de ne pas le croire en achetant sa chanson pour que le fisc n’ait
pas sa « liberté de pensée ». Pagny l’avait dit en propres termes dans
une interview, dans laquelle il assurait qu’il ne fallait surtout pas prendre
au pied de la lettre l’invitation qu’il lançait à tous les SDF de prendre sa
maison pour la maison du bon Dieu. Au contraire, Depardieu, notre Obélix
national, avait envoyé un communiqué à la police à propos des intermittents du
spectacle qui avaient envahi son hôtel particulier : « Tolérance, laissez-les
squatter, mais tout mon mépris entre les lignes. »
Le restaurant est le dernier
endroit au monde où le propriétaire se fait obséquieux pour un temps qui n’excédera
pas la fermeture après laquelle s’éteindra mon droit de passage oud’invasion.
Je suis privé de fermeture, privé d’être enfermé derrière le rideau. Mon droit
de passage est forclos avant la fermeture et ne contient pas celui de rester
après la clôture, derrière la clôture ou dans le cloître. Mon passage au
restaurant est une scène de théâtre où le propriétaire se fait mon serviteur,
mais enlève son déguisement avant la fin de la pièce. Encore, se déguise-t-il
de plus en plus mal et déguise-t-il de moins en moins bien que je suis un
intrus mal établi dans son établissement.
Tenté de réserver un restaurant pour, ce soir, fêter les 75
ans de ma mère. Une voix suave me répond au téléphone : « Valérie à
votrre écoute ! » « Je souhaiterais effectuer une réservation ».
« Il va falloir rappeler vers midi moins le quart. » Pourquoi tant de
suavité et si peu de service ?
Reçoit-on moins bien aujourd’hui
dans les auberges que du temps du bel autrefois ? Les Ténardier non plus
ne voulaient pas recevoir Jean Valjean. Mais Jacques le fataliste s’y prenait
de telle manière qu’il coupait court à tous les refus. Il se ramenait avec sa
gourde et vas-y que j’assois mon sans-gêne dans ta salle à manger !
Le contrat implicite de
restauration ressemble à l’intimisme volontiers conflictuel de l’habitacle des taxis :
« Tu loues mes services et je m’engage à te faire croire l’espace d’une
soirée que tu es le client le plus agréable et le plus important au monde. Je m’engage
à te faire croire que tu es le bienvenu chez moi et que chez moi, c’est chez
toi. Mais si tu le crois au point de m’emmerder, si tu ne souffres pas d’attendre patiemment
que je sois à toi quand tu me sonnes pour avoir un dessert ou un quart de rouge
supplémentaire, bref, si tu prends un peu trop tes aises, tu prends la porte,
et je vais te montrer qui est le propriétaire ici. »
Un patron de restaurant est une
sorte de Florent Pagny qui te chante : « Bienvenue chez moi »,
mais qui te prie de ne pas le croire en achetant sa chanson pour que le fisc n’ait
pas sa « liberté de pensée ». Pagny l’avait dit en propres termes dans
une interview, dans laquelle il assurait qu’il ne fallait surtout pas prendre
au pied de la lettre l’invitation qu’il lançait à tous les SDF de prendre sa
maison pour la maison du bon Dieu. Au contraire, Depardieu, notre Obélix
national, avait envoyé un communiqué à la police à propos des intermittents du
spectacle qui avaient envahi son hôtel particulier : « Tolérance, laissez-les
squatter, mais tout mon mépris entre les lignes. »
Le restaurant est le dernier
endroit au monde où le propriétaire se fait obséquieux pour un temps qui n’excédera
pas la fermeture après laquelle s’éteindra mon droit de passage oud’invasion.
Je suis privé de fermeture, privé d’être enfermé derrière le rideau. Mon droit
de passage est forclos avant la fermeture et ne contient pas celui de rester
après la clôture, derrière la clôture ou dans le cloître. Mon passage au
restaurant est une scène de théâtre où le propriétaire se fait mon serviteur,
mais enlève son déguisement avant la fin de la pièce. Encore, se déguise-t-il
de plus en plus mal et déguise-t-il de moins en moins bien que je suis un
intrus mal établi dans son établissement.
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