BAPTEME ET
FILIATION :
Baptême et
maternité :
1er février 2003
1.
A l'abbaye mérovingienne de Jouarre où le 12 janvier dernier, nous célébrions,
moi aux grandes orgues SVP, le baptême du Seigneur, le Père Achille Mestre, un
moine bénédictin issu des cabinets ministériels ([1] ) et devenu
l'aumônier des soeurs, fit retentir au début de son sermon cette question que
lui avaient posée un couple de "braves gens", des parents du village
qui voulaient faire baptiser leur enfant et qu'il disait peu cultivés :
"Mais pourquoi
Jésus s'Est-Il fait baptiser ?"
Question
pertinente, qu'avec mon sens inné de la provocation (Soeur Elisabeth-Marie me
faisant passer un bac blanc de philo, me déclara à ma jubilation :
"Tu aimes à choquer..."), j'ai vite fait de traduire en ces termes
désobligeants :
"Pourquoi
Jésus est-Il entré dans son propre système ?"
Le baptême n'est-il
pas un système ? C'est à n'y plus retrouver ses petits. D'un côté, les
curés, dans ce qui leur reste de chaire, au moment du baptême, font tout pour
persuader les parents qui sont venus à eux en telle perte de repères que c'est
un miracle si ces petits poucets ont retrouvé le chemin de la Maison du Pain,
que le baptême, non non, n'est pas
magique. Et d'un autre côté, les mêmes curés, qui ne sont pas fâchés qu'on
donne au denier de l'Eglise et sont un peu déboussolés au point de vue de la
Foi, font tout pour qu'on baptise les enfants, et ce n'est pas pourle denier.
Et quand je dis
qu'ils font tout, ça va jusqu'à la profession de foi, Sacrement de
prolongement, censé être "la rénovation des voeux de baptême" et
qu'on fait faire à un âge où les enfants ne sont pas mûrs, pas responsables de leur acte de fiat. Ils
ne font leur communion solennelle que pour avoir la carotte des cadeaux qui vont
avec et comme une parodie sociale qui marque le dernier moment de leur
initiation chrétienne, et précède bien naturellement ce premier acte adulte
d'entrée dans la vie civile que sera le mariage religieux dont la religion
tient à ce qu'il soit précédé du mariage civil, je vous ai dit qu'on s'y
perdait...
Autrement dit, le
baptême est un système tellement bien huilé que, non seulement il marque de
manière indélébile des enfants qui n'ont pas eu le choix de répondre en
conscience aux questions qui leur ont été posées ; mais qu'au seul moment
où ces enfants pourraient valider ou invalider leur baptême, soit au moment de
leur profession de foi, on leur confisque cette dernière liberté pour que
surtout, ils aient bien tout faitet que cela ne salisse pas leur aube
blanche. Pour un Sacrement qui n'est pas magique, je vous ai dit qu'ons'y
perdait...
Et je n'ai rien dit
de tout le foin qu'on fait pour savoir où sont les enfants morts avant que
d'avoir eu le temps d'être baptisés. Certes, il n'y a plus que J.B. Pontalis
pour se rappeler qu'ils sont dans LES LIMBES, mais c'est en partant de là
peut-être qu'on pourrait trouver l'explication du baptême, qui est très liée
par ailleurs à la maternité dans laquelle tout enfant est mis au monde. Car
autant paternel était l'engendrement qui
l'a conçu, autant maternelle est son entrée dans la vie... et dans la mort.
2.
Non pas seulement comme on dit que tout être naît pour la mort et qu'ainsi, en
donnant naissance à son enfant, sa mère le fait naître pour la mort ; mais
lorsque le foetus est engendré dans sa mère, l'âme en entrant dans la maternité
boit la mort. Je veux dire qu'elle sort du désir où Dieu était d'elle pour
entrer dans une réalité amiotique où elle commencera par prendre inconscience
en empruntant la conscience de quelqu'un qui lui donnera ses mots, avant de
s'éveiller à la conscience en connaissant le sens de quelques mots. Je crois que les mots précèdent la pensée en
ce sens que la conscience naît du langage.
On trouvera
peut-être qu'en énonçant aussi abruptement que l'âme de l'enfant boit la mort
en entrant dans sa mère, je saute allègrement par-dessus toutes les traditions
pour lesquelles l'âme n'a jamais été qu'immortelle et certainement pas
éternelle. Mais éternelle était l'âme dans le désir de Dieu, et il serait bien
étonnant qu'elle ne s'en souvienne pas et que cette souvenance même ne la rende
éternelle, outre que cette anamnèse met tout l'univers en elle et lui fait aimer la vie au-delà de ses aléas
et de l'instinct de conservation qu'elle lui présente d'abord pour qu'il la
respecte, le respect inaugurant l'amour comme il est sain.
L'enfant, cet être
qui a bu la mort, commencera par ne manifester qu'il aime la vie que par son
instinct de conservation. Il n'acquérera la joie de vivre que si mille caresses
le font rentrer dans le plan merveilleux du Désir en lui apportant la preuve,
sinon qu'il a été désiré, du moins que, maintenant qu'il est né, il est
aimé, il est aimé pour toujours.
J'ai souvent
remarqué que le caprice d'un enfant était seulement désespéré chez celui que
ses parents rabrouent habituellement en lui parlant. Quand l'enfant qui se sait
aimé fait un caprice, ce n'est que pour éprouver la force de sa séduction,
laquelle regarde moins à conduire à soi comme l'étymologie du verbe séduire
croit l'indiquer, qu'à prendre en toute impunité plus de place qu'il ne
convient.
3.
Et ce rapport de la maternité à la mort est de telle conséquence que l'enfant
en tire vengeance en donnant à son tour la mort à sa mère. La preuve en est ce
glaive qu'il enfonce dans son coeur, quand il décide quasi infailliblement
qu'il va dévier de son amour. Et s'il n'en dévie pas, il ne vivra pas non plus.
Il s'occupera des vieux jours de sa mère, mais il ne sera personne.
Ce n'est pas tant
le père que l'on tue que la mère, toujours. Car la mère avait désiré dans sa
chair d'être à l'Heure de son enfant, mais l'Heure de son enfant ne répond
jamais à son désir.
Désir de l'une,
désir de l'autre, qui ont à s'embrasser avec la bénédiction du père. Rebecca
grugera Isaac pour que Jacob soit béni, et voilà d'où naîtra le malaise de cet
errant au tempérament de lutteur.
4. L'Enfant-Dieu
s'est fait plonger dans les eaux du Jourdain pour S'entendre dire, à Lui tout
Seul, note Saint-Marc, par la colonne-colombe de nuée et de la part de Dieu Son
Père qu'Il Etait Son Enfant Bien-Aimé.
Le baptême a la
magie de l'amour. Il est cette immersion dans l'onde qui donne à tous nos
ondoiements à venir, l'assurance, à travers le salut futur de celui qui est
marqué du sceau de la Foi, que pour aujourd'hui, notre vie doit être un pont
sur l'angoisse, à mi-chemin entre l'air où s'éventent les oiseaux dégoisant
d'insouciante inconscience amoureuse et
les eaux noueuses qui emportent les torrents dans leurs courants effervescents
de joie qui a bu la mort, mais en est revenue. ..
Maternité
(II) :
15 février 2003
1. Il y a une autre
raison pourquoi la maternité est liée à la mort : c'est que la mère donne
à l'âme un corps où cette liberté est enfermée. La mère met cette âme en cage
dans cette enveloppe charnelle et mortelle. La mère met l'âme dans cette
déchetterie, et Voltaire (de qui Baudelaire disait qu'on s'ennuyait en France
parce que tout le mondey pense comme lui) ne voyait pas comment une âme
immortelle pouvait résister à avoir vécu pendant neuf mois entre des excréments
et des urines.
Du temps de ce
sceptique armé de dérision, on n'y allait pas de main morte et la mode n'était
pas à prendre un bain de liquide amiotique. Moi qui n'ai jamais été allaité,
mais qui n'en ai pas moins toujours aimé le vin fin et le bain du sein malgré
ma détestation du lait, serais-je plus voltairien que je ne voudrais, cédant à
ce blasphème de continuer à lier la mère et la mort par le corps ?
2. Je n'aurai pas
l'indécence, ne fût-ce que pour m'éviter que mon frère, féru de psychanalyse, me
dise que je n'ai pas correctement réglé mon Oedipe, de prouver par de miens
fantasmes amoureux comment des manières dont ma mère vivait son corps se sont
transférées dans mon désir de la femme. Car la mère et l'enfant sont dans un
corps à corps qui, sans être incestueux, peut initier le mâle aux premiers
allants de l'érotisme. Lorsque l'enfant mâle a gardé nette la conscience que
c'est à travers le corps de sa mère que se sont noués ses premiers fantasmes,
il y a de fortes chances que jamais il ne sépare l'érotique de la perversité.
Je ne suis certes pas de ceux-là, mais Baudelaire, derrière le paravent de qui
je me cache ou pour qui je me prends, à mettre mon coeur à nu parce que je
viens de lire le dépouillement du sien ; Baudelaire, comme y rendait
attentif Yves Bonnefoy dans une conférence marquante qu'il lui a consacrée, le
premier, Baudelaire avait confondu l'odeur de la femme avec les fourrures de sa
"CCAROLYNE CHERIE de mère élégante" bien que piquante d'être devenue
la générale Aupique...
Quand j'étais
petit, à la toilette, je posais ma tête contre le sein de ma mère et lui
disais :
"Je dors sur une
belle fille".
Mais je n'aimais pas
tellement son odeur corporelle et pourtant, j'ai la même.
3. Un autre détail
autobiographique m'oblige à évoquer ce corps à corps : c'est qu'un jour,
ma mère m'a dit, pour m'intimer le commandement de ne plus boire, qu'elle ne
m'avait pas laissé sortir de son corps pour que je fasse n'importe quoi du
mien. Cette réflexion de ma mère m'a tellement choqué que je lui ai répondu par
un texte que j'ai intitulé "Le corps-poubelle" et que j'ai assigné
pour fin dernière à ma poésie d'évaporer mon corps. Si je l'évapore, je risque
fort de consommer le divorce avec le corps de ma mère, mais le fait est que
nous ne cessons de chercher des poux à ceux qui nous ont donné le jour,
invoquant "le malheur d'être né".
4. Comment se
fait-il que Marie, "la maman de toutes les mamans" selon l'expression
très heureuse de ma Bien-Aimée ; que Marie, pour qui, avec le temps, j'ai
fini par avoir une vraie dévotion, comment se fait-il que Marie, demandé-je, se
présente à nous sous deux visages : celui rayonnant de la jeune fille
aimée d'autant plus fort qu'elle est inconsommable et portée sur les hanches en
triomphe pour ses doubles fiançailles avec Dieu Qui en elle Est descendu et
Joseph qui, s'il a partagé sa couche, ne l'a jamais que prise dans ses bras,
mais prise toutes les nuits, j'en suis sûr ; et celui, autrement austère,
de "Notre-Dame des septdouleurs" qui, quand elle apparaît, pleure,
retenant le bras armé de Son Fils en colère et nous mandant, sous peine de
guerres qui ont lieu et ont donc l'air d'être prévues, de nous tenir cois et
sans réplique, réduits à la stricte observance de notre ascèse !
Faut-il voir là
vengeance abusive de maternité abusée, à qui ses enfants ont enfoncé le glaive
de leur indépendance, quand ils n'ont pas crié qu'elle les a faits naître pour
la mort, comme certaines mères disent à leurs enfants que, si elles avaient su
qu'elles hériteraient d'un enfant si mal formé, elles auraient avorté ? Ou
bien faut-il envers et contre tout s'obstiner à vouloir voir dans ces
restrictions de nos mères, qui nous accablent de recommandations que notre
turbulence fait se perdre, des avertissements qui ne sont pas seulement
destinés à rendre notre vie hygiénique, mais à nous faire éviter la mort
qu'eles sont censées nous avoir donné ? Auquel cas le lien ici dénoncé
entre la maternité et la mort serait rompu par ces efforts constamment consentis
par nos mères pour nous préserver. Or une vie est-elle une vie qu'une vie
préservée ?
17 février 2003
Si la condition de mère
peut être perçue par l'enfant comme à la fois relevant de la générosité mammère
qui la fait montrer son sein dans le triomphe de la naissance, et puis, des
années plus tard, après que nous avons vraiment vidé nos mères de nous, de la
surcharge pondérale protectrice qui veut nous faire éviter les écueils de la
mort - les mères prenant la tête des cortèges pacifistes -, c'est que
nos mamans n'ont pas seulement, dans l'éclat de la jeunesse, été belles
pleines, allant donner la vie; mais après avoir couvé dans leurs entrailles
l'enfant qui en était le fruit, elles doivent avec Marie, d'un talon rageur,
écraser le serpent qui veut le leur ravir.
Quant à l'enfant
qui écrit ces choses, qui fait ce lien entre maternité et mortalité, le premier
mystère de sa vie aura été une anorexie mentale rocambolesque. Mon père m'a
souvent dit qu'à mon commencement, j'ai "refusé de vivre".
3 avril 2008
1.
"Tout ce qui a naissance (...) naît des
contraintes à partir des contraintes et
des contraires à partir des contraires : le plus grand vient du plus petit
et le plus petit du plus grand. De "être éveillé" provient "être
endormi" et d'"être endormi" provient "être éveillé".
Pour eux deux en effet, les génération ssont, l'une s'assoupir et l'autre
s'éveiller." Cette illustration parfaite de l'"union des
contraires" va trouver son paroxisme dans ce qui suit, qui va être de
grande conséquence pour l'intégration philosophique de la mort au fondement de
la condition humaine :
"C'est des choses mortes que proviennent
celles qui vivent, par conséquent nos âmes ne sont-elle pas chez
Hadès ?"
- Vraisemblablement, répond le questionné.
- Mais il ne
fait point du tout question que la génération du vivre soit de mourir. Or, sauf
à ce que la nature soit boîteuse, n'est-il point nécessaire qu'à mourir, soit
restituée une génération contraire ?
- Totalement nécessaire à coup sûr."
- t quelle est cette génération ?
- C'est revivre.
- Les vivants ne
proviennent pas du tout moins des morts que les morts des vivants."
Cet extrait d'un
dialogue socratique, le Phédon, entend prouver l'immortalité de l'âme et, qu'il
y parvienne ou non, ce qui n'est vraisemblablement pas le cas puisque des
controverses persisstent à ce sujet, ce texte inverse la charge de la preuve
unaninement acceptée depuis Heidegger selon laquelle notre mère commet en
quelque sorte un crime, en mettant au monde en notre personne un "être
pour la mort". Selon la théorie socratique, très inspirée des
traditions transmigrationnistes qui sévissaient en asie mineure et que la Grèce
a récupérées et réinvesties, la mère met au monde du "déjà mort"
pour compenser la nature d'une de ses pertes formelles et qui, pour reprendre
une de mes propres obsessions, doit être réinjectée dans sa masse pour qu'il
n'y ait pas déperdition de matière, d'après un principe que Lavoisier
formulera plus tard en ces termes célèbres :
"Rien ne se perd,
rien ne se crée, tout se transforme",
formule qu'on pourait à
son tour transformer ainsi :
"Nous sommes de la matière réformée."
Mais plaçons-nous
du point de vue de la mère. La voici dépossédée de son pouvoir à la fois
saturnien et prométhéen : elle s'était imaginée "créer du nouveau",
elle ne fait que "compenser la nature" ; Heidegger vulgarisé la
plaçait en position de dévorer légitimement son enfant puisque rien de ce qu'il
aurait ne lui aurait été donné que par elle, de sorte que tout pût ou dût lui
être rendu. Or voici que la mère doit accepter au-dedans d'elle-même, non
seulement du nouveau dont la nature est la source et non pas l'Etre de la
Mère : la Nature, déesse-Mère quand la mère n'est que Mère ; mais du
nouveau qui, avant même que de décevoir la Mère par l'écart existant forcément entre la mise au monde
d'un être nouveau par les rêves créateurs de sa mère et la position du nouveau-né comme celui qui
ne réalisera pas ses rêves et réclame néanmoins un amour inconditionel, s'apporte
en elle comme issu pas tout à fait d'elle, comme un corps étranger qui
ne repousse pas le patrimoine génétique qu'elle lui apporte, mais qui apporte
avec lui celui qu'il a déjà reçu des
"choses mortes" qu'il emmène avec lui dans la mère et qu'il a
compensées "dans la nature" pour éviter à cette autre mère, avec
laquelle il est en relation plus primitive ou plus première, d'être
"boîteuse" et de comporter en son sein de la matière en perdition. La
forme de l'être représentée par le nouveau-née est mise en relation dans
son engendrement avec du "déjà mort" existant préalablement, que le
nouveau-né ne ressuscite pas, ne reconstitue pas, mais compense et dont il
provient. Cette formalisation de l'être dans la relation dengendrement
"emboîte" la filiation personnelle dans la filiation naturelle à laquelle
la première est subordonnée, et incline encore à faire consister la maternité
dans le passage de l'illusion biologique à l'adoption de ce qui
se compense de la nature en elle. Toute naissance est profondément un mystère
de compensation, elle l'est aux deux bouts de la chaîne : elle l'est, pour
la mère, au plan archaïque, comme un besoin de se répliquer en un
être qui ne lui répliquera pas, qui ne la trahira pas, mais qu'elle pourra
trahir, partant de l'expérience que tout enfant fait une confiance aveugle à
ses parents avant d'instruire contre eux un interminable procès en trahison ; mais la naissance est aussi
compensation pour l'enfant, à travers sa demande inconsidérée damour
inconditionel. Mais cette demande inconsidérée est un besoin pour la nature de trouver compensation d'avoir été
meurtrie, non pas d'avoir dû trouver forme nouvelle, mais en la constituant de
points morts. Si bien qu'on peut au choix, en partant de ce principe de l'être
placé en relation d'engendrement par un double effet de compensation,
maternelle et naturelle, ou bien concevoir une grande infériorité de la chose
et trouver indigne que mettre au monde un être pensant soit une manière de
"compenser" ; et trouver que la chose qu'on met au monde étant
du déjà mort, il n'y a rien à quoi l'on doive moins "aspirer"
que de sortir de ses entrailles cette "fausse couche" si
"caca", qui ne réalisera même
pas mes rêves de maman. On peut de la sorte considérer l'embryon comme une
"fause couche" bien plus avortive que poussant vers la vie,
qu'impulsive dans cette compensation directionnelle. Mais on peut prendre la
chose selon un second terme, en repartant du phénomène de compensation pour
déceler dans ce substantif le mode même de l'"aspiration", d'une
régénération du "singulier maternel" par "le naturel
universel" qui fait qu'on ne "pense" qu'"avec" tout
comme on ne "naît" qu'"avec". Dans ce second schéma, il n'y
a pas de pensée sans compensation, bien sûr de connaissance sans pensée, mais
de naissance sans connaissance, ce qui fait que la naissance es tun mystère
d'"accompagnement", de "Mitsein" aurait dit Heidegger,
d'"accompagnement" de la nature dans son mystère de compensation, la
nature à son tour compensant l'aspiration maternelle à devenir "nature
naturante" par une entrée dans le souffle où la mise au monde de l'enfant
n'est pas une immense dépréssurisation des contractions, mais est
l'"inspiration d'une âme". La mère, qui est à consoler de n'avoir pu
devenir la nature de son enfant, n'est pas réanimée par notre Mère Nature, mais
reçoit en son être l'"inspiration d'une âme" mise au patrimoine de
cet être nouveau qui vient se loger en elle, en se composant d'elle et de plus
qu'elle pour que "tout n'aboutisse pas à la même figure". La nature
et la mère s'adoptent mutuellement dans un vécu de la fécondation qui,
répétons-le, est un passage du biologique à l'adoptif.
Et en rien d'autre
que ce passage ne consiste le baptême. Le baptême, c'est l'étonnement mis
dans le système que le biologique ne suffise pas pour qu'on puisse parler
de naissance : il faut le compléter par l'adoptif qui est rien moins
qu'instinctif. Voilà pourquoi en effet "l'instinct maternel n'existe
pas" nécessairement, et pourquoi
tout le problème de la mère va être de se déterminer d'une manière
existentielle, non pas si elle garde ou non ce corps étranger qu'elle
découvre si perturbant qu'elle décide qu'il lui appartient et dont elle se
croit justifiée de percevoir que, puisqu'il provient de la mort, elle peut lui
donner la mort : IVG ; mais s'il lui est possible d'imprimer sa
différence dans cette forme mise en elle, dans le corps de cet enfant ; si
elle consonne a ssez avec la vie pour se réjouir de la donner avec la nature en
étant comme "la vocalisation de la nature" et "la voix de la nature"
pour l'enfant ; si elle peut faire corps avec cette différence
qu'est (son) enfant. Tout le problème pour la mère qui va mettre au monde
"pour la mort" du "déjà mort", va être de se déterminer si ce corps étranger
qu'elle pourra passer toute sa grossesse à croire sien, mais supposons qu'elle
l'est reconnu pour étranger : tout le problème pour elle, dès lors, va
être, disions-nous, de déterminer si, du fait qu'il déborde son patrimoine
génétique, elle rejette ce corps étranger a statut de "fausse
couche" qui "mérite la mort", ou bien si, au contraire, elle l'adopte et, dans un rendu à la nature
qui lui a donné ce corps, décide de prendre soin de la couvée d'une âme. Ce
n'est pas un petit problème que de se situer par rapport à un "hors de
soi" qui vient en "moi" à un instant où je ne l'attendais
peut-être pas et dont je suis sûre qu'il ne sera pas à moi, en ce sens que je
ne pourrai le faire mien qu'en lui volant sa forme qui pourtan se développe en
moi.
En un sens, ceux
qui trouvent qu'on va un peu vite en besogne en décrétant que »le bébé est
une personne » ne sont peut-être pas si nigauds que l'on pense. Car, d'une
part, il reste bien des traces des défaites du combat intérieur que doit livrer
pour enfanter la mère entre le biologique et l'adoptif, traces persistant à travers
ce florilège de paroles malheureuses qui dévalorisent une vie à vie, telles
que : "Si j'avais su que tu serais comme ça, je t'aurais avorté. Et
dire que j'avais prévu que tu naîtrais pourm on malheur !" Pour celui
qui doit s'affronter à de telles paroles, tout le travail d'enfantement reste à
faire pour accéder de la dimension de
"matière réformée" à partir de "choses mortes" qui
"compense la nature" à la dimension de "personnes" désiré,
ne serait-ce que par la nature. On n'accède à la dimension de "personne"
que quand on se souvient de son désir. Bien sûr, le désir qui nous différencie
se pose comme transitif direct sur des choses dont on veut s'emparer. Mais le
désir ne fait ainsi qu'en souvenir du souvenir du désir qu'on a suscité, pour
autant qu'on ne prend jamais conscience qu'à proportion d'une mémoire, dans
laquelle on puise qu'on "a vécu" avant que d'être né. On ne prend
conscience que dans la sensation de "reconnaissance". Prendre
conscience, c'est se souvenir, et l'on ne devient quelqu'un, on ne devient
sujet qu'en se souvenant du désir dont on a fai l'objet. Tout ce qui est dans
l'"infra" de ce désir d'une âme, que cette âme, à défaut de celle de
la mère, soit celle de la nature ; tout ce qui se maintient dans les
limites d'un pur biologique qui reproduit la compensation non consentie en ne
faisant, par le désir, qu'attirer des choses à soi, est de l'infraégologique.
Dans ce cannevas
que je viens de tisser d'un métier qu'on pourra juger hasardeux, une chose ne
laisse pas de m'étonner : c'est que la tradition transmigrationniste animiste, qui ne dit pas seulement qu'il y a
infusion de l'âme à partir de la fécondation, mais que la fécondation ne vise à
rien d'autre qu'à placer "une âme inspirée" dans de la "matière
réformée", ne se dresse pas vent debout contre l'avortement qu'elle n'a
pas l'air de considérer comme une transgression si terrible au même titre, me
dira-t-on, qu'elle n'a pas la même notion de l'injustice qui nous fait nous
dresser sur nos barricades quand nous croyons deviner des préjugés de castes.
La condition des "intouchables" prouve avec quelle sérénité cette
tradition ne "touche pas" à l'ordre établi, ni ne lit une
"injustice" où nous déplorons une différence de traitement qui
insulte notre "soif d'égalité" que certains nous pressent de ne pas
confondre avec l'"équité". Mais, derrière cette tranquille
acceptation de la transgression anténaticide, il y a peut-être prise en compte
de ce travail quie reste à faire entre la Mère et la Nature pour mener à la
Personnalisation (même si ce terme ne fait pas partie du vocabulaire de cette
tradition) cette "âme inspirée" qui, si elle n'est pas reconnue dans
le "déterminisme génitif et génétique" dans lequel elle devra se
déployer sous la guidance de son "démon" comme a toujours dit qu'était
inspiré Socrate, mieux vaut peut-être pour lui qu'il retourne chez
"Hadès".
Mon second sujet
d'étonnement me vient de ce que ma mère, qui a trouvé beaucoup de compensation
dans la maternité à son insatiable besoin d'être aimée, m'a souvent parlé de
"la Nature" qu'elle a toujours aimée et dont elle s'est fait le
peintre. Or, je n'ai jamais démêlé quelle était la raison de la réticence qui
me retenait chaque fois qu'elle voulait me faire partager sa prédilection pour
la Nature avec laquelle je ne suis jamais entré en connivence, tout en n'ayant
jamais aimé non plus qu'on la confonde
avec le Créateur en disant : "La nature a fait telle
chose."
Ma mère voulait
portraiturer, c'est-à-dire imiter la Nature en laquelle elle trouvait un pouvoir
créateur et moi, je n'ai pas aimé la Nature, peut-être parce que ma mère ne la
séparait pas d'elle et ne me laissait pas me saisir en elle plutôt que dans les
projections des seules compensations maternelles sur ce corps étranger qui
était le mien et qui, plus il intéressait ma mère pour la complicité biologique
qu'elle voulait entretenir avec lui, plus il me devenait étranger et étranger à
la nature.
22 avril 2008
"S'il n'y avait
en effet une perpétuelle compensation que se donnent les unes aux autres les
choses quie existent comme si elles accomplissaient un parcours
circulaire ; si, au contraire, la génération suivante, une droite, allait
d'un des contraires à celui seulement qui lui fait face, si ele ne se
retournait pas ensuite vers l'autre et ne faisait pas le retour, alors, tu ne
l'ignores pas, toutes choses finiraient par revenir à la même figure".
Voici qu'en
poursuivant la citation de Socrate, je n'ai plus pu dissimuler d'où me venait
cette "philosophie de la compensation". Le fait est que j'ai toujours
été fasciné par la géométrie plane sans réussir de façon convaincante à tracer
des traits bien mesurés ni, à l'équerre, des angles ayant les degrés requis ou
ne s'écartant pas du tracé initial. Vais-je réussir à commenter les figures que
Socrate livre à notre analyse ? De
sérieux doutes sont permis, mais on peut toujours essayer !
a) ON peut résumer les positions de l'énoncé sus-cité
en disant que Socrate ne voit pas d'incompatibilité à ce que le parcours d'une
vie puisse être tour à tour comparé à un cercle, puis à une droite. Socrate
utilise la métaphore du "retour" parce qu'il récuse "le point de
non retour". Mais tout aussi énergiquement récuse-t-il ce dont Nietzsche
fera "l'éternel retour"... "du même", car Socrate ne veut
pas que "toutes choses (finissent) par avoir la même figure". C'est
pourquoi il nous fait parcourir la droite dans un sens, puis dans l'autre, mais
une seule fois.
On a beaucoup
critiqué l'enseignement aux collégiens des mathématiques modernes. Elles sont
pourtant de la philosophie à l'usage des classes de sixième. Je n'ai guère
dépassé ce niveau, ni en Mathématiques, ni en philosophie. Mais tou
l'émerveillement philosophique que renfermaient les Mathématiques modernes à ce
niveau du collège, je crois ne pas être passé à côté. Ainsi, lorsque je reçus
mes premiers cours de géométrie plane, ce qui m'émerveilla était qu'une droite
n'eût besoin que de passer par deux points pour, de là, pouvoir se prolonger à
l'infini. Il ne fallait pas beaucoup pousser notre professeur pour qu'elle nous
dise qu'un point n'avait qu'à être poussé dans son potentiel abstractif à donner la direction
d'un autre, et ce point aboutissait à une droite qui menait jusqu'à l'infini.
Mais le plus merveilleux n'était pas qu'une droite ouvrît une voie vers l'infini :
c'était qu'on pouvait à son gré parcourir ce chemin dans un sens ou dans
l'autre. On pouvait se pousser de la main jusqu'à l'infini en des étirements où
l'imagination suppléait rapidement au muscle ; ou, si l'on préférait, on
pouvait ramener l'infini à soi. Bien que cela ne manquât pas de m'émerveiller
au plus haut point, ce sens de la droite à la mesure de ma main me paraissait outré et, que cela donnât une
liberté incomparable à l'homme pouvait bien m'exciter : je n'en étais pas
dupe. Je sentais bien qu'il n'était pas au pouvoir de l'homme de soumettre la
ligne à sa manière de la parcourir et, tantôt d'aller de lui à l'infini, tantôt
de l'infini à lui, selon son bon plaisir, comme si c'était lui, l'Infini, le
point humain. Pourtant, je ne me méprenais pas et ressentais effectivement que,
s'il y avait de l'infini à tirer de quelque part, c'était moins de la droite
qui ne faisait que prolonger à l'infini une direction que du point dont
l'abstraction était le premier mystère,
mais dont le second n'était pas moindre : que ce point abstrait,
idéal et presque n'existant pas ait pu s'expanser jusqu'à l'infini, ait pu
susciter de l'infini comme par prolongement inévitable de lui-même. J'avais
correctement dissocié l'infini visible de la prolongation idéale et linéaire et
le centre invisible de toute infinité sans que j'eusse été capable pour autant
de formuler l'une quelconque de ces approches de l'infini telles qu'on les lit
sous la plume de Simone weil :
"Un nombre qui
croit, pense qu'il sapproche de l'infini, il s'en éloigne."
"Si Un est Dieu,
l'infini est le diable."
"La misère
humaine contient le secret de la sagesse divine et non pas leplaisir."
"Le mal est
infini au sens de" l'indéterminé, matière, espace, temps. Contrepoids, le
vrai Infini."
Inutile de dire que
je me dissocie de "l'infini diabolique" que Simonne weil situe dans
la croissance, encore que je ne vienne pas de dire autre chose que ce qu'elle a
dit sans toutefois, il est vrai, assigner au vrai ou au faux infini des
frontières de bien ou de mal. Je ne me reconnais même pas dans l'assimilation
pourtant classique que la philosophe fait du mal au cahos, à l'"infini
indéterminé" qui serait comme "une privation d'être" ainsi
qu'ele le dit par ailleurs, dans la ligne de Saint Thomas d'Aquin. Pourquoi ne
pas accepter cette fixation des frontières, qui n'a rien de répressif ni de
répréhensible ? Parce que, contrairement à ce qu'écrit Bergson, on ne peut penser une chose qu'en ayant la
perception de la négation de cette chose. Ainsi, ne peut-il y avoir de l'être
dans l'être que s'il y a aussi du non-être, que si Dieu contient en même temps
l'être et le non-être et que dieu Soit Celui Qui a fait quelque chose du
non-être, lequel, avant qu'Il nen fût rien, n'était pas du mal, mais rien et,
s'il n'était pas rien, était qu'"indéterminé". Le Bien n'est pas la
détermination et le mal l'auto-détermination. Mais, où est le mal, et c'est
peut-être ici que Simonne Weil vise juste, c'est "le plaisir de
l'autodétermination." "La misère" contient une infinité de maux
et en cela elle "s'éloigne" de Dieu tandis que le plaisir est un
sentiment magnétique, mais fuide. "La misère" est-elle plus une que
"le plaisir" ? Dans la mesure où "le plaisir" est
tressautant tandis que la misère est un accaparement de toute l'âme, leur
rapport souffre d'être ainsi décrits. Passerait encore que nous fussions
projetés avec plaisir sur "la droite" en sautant des points pourvu
que nous fussions toujours portés dans le même sens : "Il n'y a pas
en nous de principe d'ascension, il faut être tiré", écrit encore notrephilosophe.
Mais ce n'est pas là que nous trouvons notre plus grand plaisir. Notre plus
grand plaisir est l'indifférentisme avec lequel nous allons aussi facilement
vers l'infini que nous voulons rapporter l'infini à nous-mêmes, et nous voulons
faire ce chemin dans les deux sens, plusieurs fois dans notre vie, alors que
nous venons de l'infini par notre mère en qui nous l'apportons ;
qu'arrivés au point Zéro qui est celui, non de notre origine, mais de notre
naissance, nous avons oublié l'infini et tout le travail que nous aurons à
faire sera de réexpanser vers l'infini, d'être un petit infini se rendant à
l'infini, chemin que nous ferons en suivant la voie tracée par notre père.
b) Mon amour
mal réglé de la géométrie me fait ne pas reculer, pour mieux m'expliquer,
devant l'idée qui m'est venue hier d'essayer de représenter les trois
figures sous lesquelles notre "culture occidentale" a voulu se
représenter le monde. Cette explication ne s'impose pas et pourtant, elle
n'est pas non plus superflue. En réalité, nous avons déjà rencontré les trois
figures dans ce bref exposé ; mais les replacer dans leur perspective
historique comme aussi dans le fait qu'eles n'ont pas cohabité dans la
représentation, comme sivéritablement, elles s'opposaient alors qu'elles se
complètent, ne me semble pas inutile.
- Au commencement
était le Cercle. Mais, contrairement à ce que je me suis, par plaisir,
laissé entraîné à écrire, "le cercle" n'a pas été considéré du point
de vue du point central, car loin de l'humilité des philosophes de l'intuition
l'idée de se prendre pour le centre du monde ou de se mesurer à ce centre divin
d'où émanait le cercle des activités et des passivités, des "éveils"
et des "assoupissements", des "vies et des morts". L'on ne
s'est pas permis de s'organiser un cercle à partir du Point Central. Ce
pourquoi l'on a été intéressé par "le cercle", c'est qu'il décrivait
une trajectoire, non point qui revenait toujours au même, mais qui revenait
toujours au même point. Le platonisme, qui a ouvert les portes de la sagesse
humaine sur l'Invisible, n'a jamais été nihiliste et ce n'est pas lui qui
aurait dit comme mon frère Philippe, chaque fois que le gagnait la
fatigue :
"Tout tourne en
rond et rien ne mène à rien, seule peut nous sauver la création de ce néant",
tiers élément contradictoire dont, quand on le soulignait, Philippe ne méconnaissait
pas qu'on créée pour continuer de s'illusionner. Seulement, il fallait le lui
arracher pour le rendre logique avec lui-même : malgré lui, Philippe ne
pouvait se déprendre que "la création" apportait quelque chose au
"rond" enrichi et au "rien" renforcé ou enfoncé.
Platon n'était pas
nihiliste. Ce qui l'intéressait dans "le cercle", ce n'était pas la
centralité autour de laquelle "le cercle" s'était conçu, ce n'était
pas la persistance d'un trajet qui s'en balançait de changer, c'était le retour
au même point situé à quelqu'endroit du cercle et qui était nous-même nous
étant associé à la courbe dans un parcours existentiel où l'on serait allé de
la réminiscence à l'"oubli". et ce "nous-même", ce point
sur lequel sans cesse, on revenait au terme de la grande courbe de mémoire
qu'avait été l'existence, c'était le "point d'oubli", "le même
point" dont nous ne gardions pas mémoire à travers les âges à quel point
nous en étions ssolidaires. C'était, par-delà les mutations successives de
notre âme dans différents corps et les diverses expériences qui pouvaient nousêtre
échues, la singulière unité de notre âme, unité que la troisième figure n'a
bizarrement pas dissoute, comme nous ne manquerons pas de le rappeler quand,
dans un bref instant, nous nous soumettrons à son examen.
Le "cercle"
n'a pas été sans quelque lucidité devineresse pour autant que notre astronomie
de lunettes, des télescopes et d'observatoires ne soit pas née de l'astrologie
ptoléméenne, quelque distance qu'elle ait voulu prendre avec elle. "Le
cercle" a anticicpé la forme des planètes et leur incessante rotation, si
séparée de la première que soit la sphère et de la seconde que soit leur elliptique.
Mais, du point de vue sémantique, qu'une planète tourne dans son éliptique
explique pourquoi la philosophie des anciens a eu l'intuition du
"cercle" pour expliquer la condition humaine et la configuration du
monde : c'est parce que "le cercle" est eliptique de soi, mais
cet "oubli de soi" ne veut
aucunement dilapider notre persistance et, encore une fois, c'est le point commun
de toutes ces figures que, si éclatée puisse être la perception du monde
qu'elles proposent, elles sauvegardent quasi toutes l'unité de notre âme dans
sa capacité de récapituler le cosmos inversement proportionnelle à sa capacité
de se récapituler ele-même.
- "Le
cercle" a assimilé "la droite", socrate vient de nous le
montrer, l'inverse n'est pas vrai, c'est à voir : le christianisme n'a-t-il
pas baptisé toutes les idées païennes qui servaient sa démonstration ?
Nous y reviendrons certainement, mais il faut commencer par souligner la
différence des figures. Elle date du triomphe du judéo-christianisme qui, à la
figure décrite autour d'un "point central" qu'on trouverait sacrilège
de considérer, va substituer une droite axiale symbolisée par l'arbre. Mais, à
la différence de ce qui s'est passé lors de l'iruption du cercle où seule avait
compté la périphérie, ici la périphérie ne va vraiment jouer un rôle que
périphérique et va presque complètement disparaître au profit de l'axe. Cet
axe, répétons-le, est l'arbre, c'est-à-dire que l'émergence de cette figure va
permettre de passer de la géométrie plane, au plan de laquelle la ligne droite va
symboliser l avie et la mort, à la géométrie dans l'espace où cette vie et
cette mort pourront aller de la terre au ciel en montant de branche en branche
comme sur l'échelle de Jacob. Mais,a vant que "la ligne" ne se
"verticalise", il y aura un incontestable abandon : "la
droite" se substitue au "cercle" comme une résignation au
"point de non retour" où tout se passe comme si "le cercle"
n'avait pu se résoudre. On ne naît pas d'en haut pour aller en bas : on
naît d'en bas pour aller en haut, point final. La mort est un infini qui
consacre le choix d'éternité qu'a fait un homme fini. La "domination du
cercle" dans l'abandon de son centre avait donné naissance à la
multiplicité des lignes que sont les étoiles dans l'horizon ; ici, la centralité
de l'arbre "familialise" d'autant plus ce qu’on bâtit autour de lui que
l'univers a cessé d'être vu pour être visé. L'univers n'est devenue une
finalité accessible que par la construction, dans le "jardin" qui a
été planté autour de l'"arbre", d'une "maison". L'"arbre"
peut être encore la colonne de la maison qui, autour de l'axe que représente la
vie et la mort, va bâtir une ligne de révélation allant de la Création du monde
à son apocalypse et son jugement en passant par autant de branches où grimper
que ne comptera d'épisodes l'histoire révélée du salut. Pourquoi parler de "maison" si l'on ne voit
qu'un arbre ? Non seulement à cause de la transposition qu'on a faite de
la destinée du genre humain sur l'horizontalité d'une destinée individuelle,
mais aussi parce que "la maison" est fondée par l'Ecriture : la
première lettre du premier mot de la Bible représente "la
Maison" ; elle est fondée bibliquement et a des fondations, la
Création. Elle montre un "ciel" qui est par-dessus le toit qui est
l'apocalypse. L'apocalypse, le Jugement, ne font pas partie de la maison, elles
sont dans le ciel au-dessus du toit de la maison ; comme, d'une certaine manière,
la Création ne fait peut-être pas partie non plus de la maison, il n'est pas
dit que la Création envisagée remonte jusqu'aux origines : la
"Création" commence "lorsque Dieu commença". Mais le
développement de la maison est consubstantiel à l'existence de la colonne de
l'arbre : on veut vénérer dieu dans un temple et vivre abrité de la vérité
sous un toit. Ma formule est ambiguë à dessein : la vérité n'est pas qu'on
aspire consciemment à vivre à l'abri de la vérité, mais on veut mettre la
vérité aux abris. L'Eglise catholique est cette maison dans laquelle on vit
sous le toit de la vérité. L'Eglise catholique possède une vision, sinon
totalitaire, du moins totalisante, d'un monde qui lui a été révélé du
commencement à la fin, elle sait le tout de la terre et du ciel. Elle le sait
au sein de cette maison sainte. Les deux figures, "la droite" et
"le cercle", auront pour point commun de se construire en regard d'un
"point aveugle" du temps : pour "le cercle", ce sera une
certaine nécessité d'oubli ; pour la droite, le temps deviendra tout à fait
contingent et, une fois que la droite aura été dessinée en esprit, c'est-à-dire
que la Rédemption aura été accomplie en principe, le temps peut s'arrêter. L'histoire
qu'on vit est sans nécessité réelle, on ne comprend même pas pourquoi on la
vit. Il y a apparemment une plus grande dynamique dans "le cercle",
il y a une nécessité de vivre le temps, mais c'est une nécessité qui tourne à
vide, d'autant qu'on oublie le temps qu'on a vécu. En ceci, la droite a
assimilé le cercle qu'elle lui a emprunté une certaine idée de l'Infini
contingentée sur un temps qui a perdu de sa valeur.
- L'implosion
expansive est une sorte d'atomisme qui va exponentialiser les potentialités du
point géométrique pour, une fois la fiscion faite, donner une étendue à ce
noyau se divisant et perdant de sa chaleur à mesure qu'il s'éloigne du
"feu central" qui, entre la prmeière et la troisième figure, s'est
déplacé du centre de la terre au point alpha de l'univers. L'implosion
expansive n'est qu'une certaine déclinaison de la gnose. Comme "le cercle »
avait assimilé "la droite" et réciproquement (bien que
laborieusement), "la droite" est le germe de cette doctrine de la
contractilité du point géométrique après implosion, lequel point va donner une nouvelle
forme à "la droite". Nous passons avec cette nouvelle figure de deux
formalismes à un transformisme. Du premier formalisme, l'univers était
déductible ; dans l e second, il était contenu : le troisième va
l'avoir pour objet. L'objet de l'"implosion expansive" va être de
s'expliquer sur le mécanisme qui l'a vu créer. L'hypothermie dans laquelle se
produit ce transformisme va avoir pour conséquence que son point aveugle
temporel ne sera rien d’autre que la conscience. Mais, cette cécité étant, elle
est dans la logique de la cécité des deux précédents formalismes : en
effet, qu'est d'autre l'Oubli que l'Inconscience ? Et plus lointainement,
qu'est d'autre l'abolition du temps que somnolence et la somnolence
qu'inconscience favorable à tous les onirismes et émergences de
l'inconscient ? Le suréalisme est un fruit de l'abolition de la réalité.
Avec l'abolition du temps, "nous vivions comme endormis". Avec le
transformisme de l'implosion expansive, nous sommes devant une indifférence de la
conscience et de la forme. L’implosion expansive est une indifférence formelle.
Que la conscience n'occupe une place temporelle qui se réduit à rien au regard
de l'origine de l'univers, il n'y a pas de quoi affoler la vie ! Le
transformisme, indifférent à la conscience, pourrait l'être à la forme :
pourtant, le transformisme est un formalisme. Il a beau, en théorie,
s'expanser dans toutes les directions que lui donne son élan, il ne s'expanse
que pour réaliser la direction que veut prendre "la droite" au terme
des potentiailités du point. La différence est que les deux formalismes purs
que nous avons étudiés précédemment sont comme des essences toute
formées ; l'essence de ce néo-formalisme, c'est l'information. Il est
l'expression du point zéro qui veut aller vers l'infini sans en venir, de
l'enfant qui, en naissant, ne se souvient pas qu'il provient. Il a, en
naissant, un sens inné de la filiation ; il fait corps, sans y penser,
avec la nature et avec sa mère. Il devra découvrir son père qui lui montrera un
"ailleurs". Mais il ignore pourl 'heure avoir à faire du chemin. Il
ne sait pas encore marcher et ne se doute pas qu'il devra apprendre.
Qu'est-ce qui se
joue au point Zéro ? L'Enfant est passé par les eaux du Léthée, il a
oublié l'Infini d'où il vient. Il fait Un avec le corps qui lui rappelle sans
mémoire qu'il est d'ailleurs. Il fait Deux avec celui qui l'accompagnera dans
son retour vers l'Infini. Sa mère l'a fait venir de l'Infini, son père l'y fera
retourner. On a dit souvent que "la paternité" était un reflet de la
Paternité divine. C'est possible : mais la maternité est un reflet de cette
part d'Invisible Qui est Antérieure en Dieu à Sa Paternité même, dans la mesure
où c'est peut-être parce qu'Il Est Invisible et Transparent jusqu'au moment
d'être Père que Dieu est pris d'un Désir de Paternité. Jean-Paul II a donc eu raison d'appeler les femmes des
"SENTINELLES DE L'INVISIBL". Elles sont gardiennes de l'Infini sans
bien savoir ce qu'elles gardent. À quoi bon devraient-eles raisonner sur la vie
qu'elles gardent et puis qu'elles donnent ? Le père l'"encercle"
et "raisonne" sur elle jusqu'à ce que sa femme l'ait donnée pour lui.
Alors, il découvre qq'il est fait pour aller vers comme la femme est faite pour en venir. Ainsi, l'enfant
fait-il deux fois le trajet qui sépare l'Infini du Zéro et le Zéro de l'Infini
: il le fait, à l'aller, avec sa mère ; il le fait, au retour, avec son
père. La différence des sexes entre l'Enfant mâle et l'Enfant femelle est
quelque chose comme une différence de contenance. La Fille est une métonymie de
l'Infini dont elle a pour fonction d'avoir le sens qu'elle en vient dans son
trajet de retour, tandis que le garçon doit avoir creusé le point Zéro pour ne
pas savoir, mais redécouvrir ce qui se joue à chaque pas. La petite fille sait
la raison dont elle vient, le petit garçon devra trouver le sens de sa marche. À
accepter la nature, la maternité pourra aider la petite fille quand elle sera
grande ; à retrouver la nature, la paternité pourra servir de révélateur
au petit garçon.
Maternité
(III) :
16 février 2003
Par trois fois, Jésus a
enfoncé Lui-même le glaive dans le sein de Marie, Sa Mère.
La première fois,
ce fut au moment où, L'ayant recouvré au Temple, comme elle Lui laissait voir
son inquiétude en Lui demandant pourquoi Il leur avait fait cela, de les
laisser sans nouvelles, Il lui répondit qu'elle aurait dû savoir que s'Il avait
pris la peine de naître en elle, ce n'était pas pour rester dans ses jupes,
mais seulement vaquer aux affaires de Son Père. Et, disant cela, Jésus, notre
Roi, avait largement dépassé l'âge de passer aux hommes. Marie en reçut un
premier coup au coeur, mais passa outre avec ce qu'elle savait qu'elle devrait
passer encore.
La
deuxième fois, ce fut à Cana. Marie était tout à la noce, abandonnée à la confiance,
sans austérité aucune, et elle comptait bien que Jésus, sans compter, allait
remplir les verres des noceurs qui avaient encore soif, de spiritueux comme
prélude à la vie spirituelle, absolue.
"Faites tout
ce qu'Il vous dira", avait-elle dit aux serviteurs du maître de cérémonie.
Mais Jésus se fit
prier : "Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi ?" Marie reçut
un second coup au coeur, et les protestants se déchaînèrent en des sabbats
d'applaudissements : "Il n'y a rien, ha ha, il n'y a
rien !"
Mais Marie en y
réfléchissant mieux, se dit qu'il devait quand même y avoir drôlement quelque
chose pour que Jésus eût outrepassé ce rien, et quoi qu'Il en ait dit, ait fait
ce que Marie voulait, comme si Jésus avait voulu lui dire en la prenant par la
manche - mais les mamans ont le secret d'interpréter en bonne part ce que
leurs enfants leur disent en mauvaise - : "Il faut drôlement que
je t'aime pour que tu puisses hâter Mon Heure ! Entre toi et moi, il
n'y a rien ? Il Y a tout."
La
troisième fois, Jésus est dans un salon pharisien. Des huissiers viennent Lui
demander de sortir deux minutes,car Sa mère a deux mots à Lui dire en
particulier. Il s'y refuse et leur lance :
- Ah
non, par exemple ! Vous pouvez le lui rapporter, messieurs les huissiers,
que Je le lui demande un peu, qui est ma mère. C'est celle qui fait Ma Volonté.
Or Ma Volonté du moment, c’est d’être dans ce salon, et c'est de causer dans le
monde, pour leur apprendre un peu, à ces dandys, à la faire, ma Volonté."
"Mais ne
vois-Tu pas combien je la fais, Ta volonté, mon enfant ?" Et marie de
réprimer en elle l'envie qu'elle a de se laisser aller à le trouver ingrat,
malgré tout, son Enfant prodige. Mais elle renouvelle le prestige de souffler
sur ces mots qui lui ont arraché le coeur et, tandis qu'elle s'en retourne,
dans sa tête, elle entend jésus lui dire :
" Qu’y
a-t-il entre toi et moi ? N'as-tu donc pas compris, maman ? Ce que
j'en ai dit, c'est pour ceux-là, mais tout de même, il faut que tu cesses de me
retenir.
Tu as vu un
peu ? Comme je t'ai répondu ? Je suis un homme maintenant. Ça t'en
jette, hein, maman ! Je me permets de te jeter parce que je vole de mes
propres ailes. Tu m'as sacrément bien élevé, mais Je n'ai plus besoin de toi qui me dis ce
que J'ai à faire pour M’élever. Et puis
Je n'ai plus de temps pour toi, j'ai à faire !"
"Fais, mon
Enfant, fais, je comprends, je suis au fait !"
Au fond du coeur de
Marie, quelque chose du premier acquiescement continuait de ne jamais douter,
tandis qu'à mesure que l'épée rentrait jusqu'à la quatrième plaie, celle de la
mort que Jésus subirait comme elle avait subi Ses coups d'épée, la blessure qui
s'ouvrait dans son coeur inondait de torrents son visage, de larmes qu'elle
versait d'un souffle retenu pour ne pas attirer l'attention.
Jésus
allait mourir en croix et Marie allait être presque seule avec Lui. Tous ceux
qu'Il lui avait préférée L'avaient fui et ils restaient, eux deux, avec un
autre disciple qui s'appelait Jean et savait, comme eux deux, coller son
oreille contre un coeur.
Et ce fut ce moment
où Il allait mourir que Jésus choisit pour commencer la restauration de Sa
Mère, dont Il avait déjà donné le premier signe en s'exclamant qu'il y avait
quelque chose entre eux !
Ce deuxième signe
allait concerner, engager, la vie quotidienne de Marie. Il ne voulait pas la
laisser seule. Qu'allait-elle devenir ? Il fallait que quelqu'un la prît
chez lui et veillât sur elle comme un fils, ce que seul pourrait faire (ce
quelqu'un, qui serait-ce ?) celui dont l'épanchement fidèle, qui lui avait
appris à coller son oreille contre un
coeur et avait fait de lui "le
disciple que Jésus aimait", accompagnait Son Maître à la mort et saurait
veiller aussi sur la vie de Sa Mère.
A partir de ce
moment, Jean prit Marie chez lui, mais la Marie qu'il recueillait ne serait
plus, pour toujours, jusqu'à l'éternité où serait consommé et consumé ce
qu'elle avait vu de la cruauté des hommes, que l'ombre d'elle-même, qu'une
attente inquiète au Sénacle et même en Paradis où Marie voudrait tant que
toutes les âmes viennent, attirées par Son Fils comme Il lui a promis !
Au ciel, le Père
dit au Fils : "Tu ne peux pas laisser Marie comme ça. Elle a beau
aimer Jean comme Ton ami, cela ne la console pas de T'avoir perdu et vu mourir.
Aucune mère sur la terre ne peut oublier cela. Au moins, fais-la venir
ici !"
Et
le Père et le Fils Qui ne demandait pas mieux envoyèrent à Marie un sommeil
mystérieux que lui souffla l'Esprit, et Dieu l'enleva. Marie n'a jamais connu
la mort. Sa maternité n'avait aucun rapport avec la mort. La mort, aucune mère
ne peut la voir. Aucune mère ne peut la vouloir. Aucune mère ne peut s'y
résoudre, se résoudre dans la mort de son enfant comme il arrive que,
subrepticement ou par haine profonde, on e vienne à souhaiter la mort d'un
proche (il m’est arrivé de souhaiter la mort de ma mère).
Le grand problème
pour tous ceux qui méditent sur la vie de Marie, pour tous ceux qui aiment
Marie, pour tous ceux qui aiment leur mère, est de se demander pourquoi la
maternité n'est pas immédiatement restaurée. Pourquoi ces coups d'épée dans l'eau
du coeur liquéfié d'une mère ? Et pourquoi les mères qui n'ont d'autre
désir que de donner la vie, en tirent-elles autre chose avant que mère et
enfant se retrouvent enfin, soit dans la maison de retraite où l'enfant qui va
voir sa mère joue au papa et à la maman avec elle, soit sur les genoux de Dieu
où ces deux enfants jouent.
Le cri que poussent
les mères est : "Pourquoi ?"
Et pas seulement les
mères, mais aussi les mystiques : "Pourquoi, Dieu, moi qui ne veux
que Toi, Tu t'éloignes de moi bien avant que je m'éloigne de Toi ? Tu Te
caches et je me perds. Et puis on se retrouve, et comme des enfants on se
crie : "Dans les bras !",
mais n'est-il pas
trop tard?
Je T'en supplie,
mon Bien-Aimé, qu'il ne soit pas trop tard, que j'aie encore la fraîcheur de ma
jeunesse quand je Te rencontrerai !"
Maternité
(IV) :
20 février 2003
Je l'ai lu hier.
Pierre Monnier, officier
français issu d'une famille protestante et mort à l'âge de vingt-trois ans en
1915 sur le front d'Argonne, Pierre Monnier, ce fils unique, l'a dit à sa mère
avec qui, depuis sa mort, il a communiqué par écriture intuitive ; et sa
mère en a tiré sept gros volumes :
"La mort, petite
maman, ne la crains pas.
J'en avais peur
malgré moi, je l'ignorais :
c'était un visage
inconnu que je me représentais voilé de sang.
Oui, j'en avais
peur, mais quand elle est venue, elle avait un clair visage qui ressemblait au
tien. Je me suis endormi dans ses bras." ([2])
Maternité
(V) :
20 février 2003
1. J'ai été élevé
par une louve. C'est pourquoi longtemps, j'ai cru que ma mère et moi n'étions
pas faits pour nousentendre.
Ce fut mon père qui,
le premier me détrompa, bien qu'il fût déjà séparé d'elle : "Quand tu
étais petit, ta mère était gentille avec toi", et ce n'était pas une sinécure
d'être gentil avec moi, vu que je ne
voulais prendre aucune nourriture et que mes parents apprirent bientôt
- et ma mère la première - que j'étais incurablement aveugle.
Or, je l'étais pour
une raison qu'on n'a jamais sue, mais incurablement à la suite d'une erreur
médicale. Et, là où tant d'autres auraient baissé LES BRAS et perdu leur temps
à accuser les toubibs, ma mère fit des mains et des pieds pour comprendre et
faire comprendre à qui ne voulait pas l'entendre que j'aurais une place à
prendre. Elle força les portes à s'ouvrir à moi et prit fait et cause pour une
association de parents d'enfants aveugles qui, tout en publiant une revue
intitulée "COMME LES AUTRES" (où d'ailleurs, ma mère fit paraître un
article sur moi), militait pour qu'on substituât le mot de
"différent" à celui
d'"handicapé".
"Différent"
et comme les autres", il y avait une incohérence, qui constituait un
flagrant délit de paradoxe associatif, mais ces parents avaient beau se lancer
le défi d'une acceptation sans équivoque du "handicap" de leurs
enfants ; ils avaient beau croire supprimer l'obstacle en faisant à leur
place la course au "handicap" en sautant par-dessus le mot, ces
parents n'en étaient pas moins des parents d'enfants tels qu'ils n'avaient pas
rêvé d’en avoir. Il fallait qu'ils fassent avec et c'était leur honneur de tout
faire pour s'y faire, où d'autres comme j'en ai connu, au lieu d'apprendre à
leur enfant à découvrir ses atouts, auraient traîné de colloques en procès pour
dénoncer l'inexpiable suite de négligences ophtalmologiques à la suite
desquelles leur enfant n'avait pas la délicieuse normalité qu'ils auraient
désiré pour lui en le mettant au monde, véritable machine à broyer, non pas à désincarcérer,
mais à insérer où "tout le monde" veut être comme "tout le
monde".
Ma mère, la tête la
première, entra dans le combat, dont elle prit les devants. Comme elle aimait
se mettre en avant disaient ses détracteurs (dont beaucoup étaient de ma
famille), elle fit de la guidance parentale et fut déléguée de son association
qui, en précurseur de bien des revendications communautaires à venir, voulait
par le droit à la différence forcer ces "différents"
que nous étions à être considérés en parité par la société dans laquelle il fallait
qu'en échange, nous nous efforcions de nous intégrer, l'épreuve
nous ayant rendus corvéables jusqu'au
dernier souffle à l'enfer de la preuve à faire. Nous n'aurions
jamais dû cesser de démontrer que nous pouvions le faire à une société
qui n'en avait rien à faire : elle en avait "exclus" d'autres,
pourquoi pas nous ?
Sous bien des
masques majoratifs de notre identité de minorité promue, la société trouve en
fait très amusant de mettre des bâtons dans les roues aux porteurs de canne
blanche, nous qui, pour nous faire bien voir, nous sommes mis à jouer
les dandys. Pour mon compte personnel, tout fils de ma mère que je suis, je me
fous pas mal de ce que la société pense de moi. Pourvu qu'elle ne me laisse pas
crever de faim. Si elle veut bien me faire cette aubole, je serais très
heureux qu'elle me foute la paix et je m'engage
à faire de même à son endroit : je scandaliserai les bourgeois pour le
plaisir, mais lui serai parfaitement inutile.
Mais mes parents ne
pouvaient pas le vivre comme ça ni penser dans une anarchie aussi moche et
aussi molle. Ils avaient un problème de regard à régler. Ils étaient regardés de
travers par des gens qui avaient toujours l'air de se demander, quand ils les
voyaient passer avec moi dans la poussette, s'ils n'avaient pas gravement péché
pour hériter d'un enfant pareil. Mais tels sont les manèges de la normalité qui
toujours récupère que le droit à la différence que prônait et
brandissait ma mère, m'a finalement réintégré dans la catégorie des
"comme les autres". Ça m'embête, car je me crois original et j’aime
ma marginalité, mais quitte à être des guignoles, il vaut mieux tout de même
être récupéré par la normalité dignifiante que d'être considéré comme une
charge sur laquelle viennent se lamenter, lénifiants, des concerts de
pleureuses à la voix de casserole.
"Laisse, maman, je
vais porter les casseroles de la normalité qui t'encombrent. Bon sang,
qu'est-ce que t'as pu en mettre dans ta valise !"
2.
"Je sais bien que je suis en train de perdre Juju !"
Longtemps j'ai cru
que ma mère et moi n'étions pas faits pour nous entendre, mais cette phrase que
ma mère avait prononcée devant une de ses copines dont l'enfant, la fille, me
l'avait répétée, qui l'avait entendue, cette phrase de ma mère me bouleversa.
Evidemment qu'elle
était en train de me perdre et c'était moi qui le voulais ! J'étais l'enfant
dans lequel on avait planté le couteau du divorce, ce qui m'ouvrit à la vie qui
saigne. J'en avais pris mon parti et je prenais parti, comme il était naturel,
pour mon père, car c’est lui qui était le plus doux avec moi.
Mon père s'était
attendri à me voir ne pas voir, attendrijusqu'à pleurer quand j'avais du chagrin,
m'embrasser de sa longue barbe douce ou me faire dormir dans son lit ; il
s'était attendri à me voir ne pas voir après avoir mal accusé le coup, ce qu'il avait appris à faire de ma mère qui,
comme elle était sévère, qu'elle grondait
et qu'elle avait une grosse voix, une grosse voix de louve, m'attirait à
ce point moins que, quand je rentrais de chez mon père où je passais le plus
clair de mes fins de semaine, j'avais le coeur gros et j'en vomissais de
caffard, avec une régularité qui finit en péritonite ; vomissements sur
lesquels l'anecdote la plus croustillante qui nous soit arrivée fut qu'un lundi
matin, comme pour les cacher, je les avais retenus jusqu’au dernier moment (parce
que ma mère m'avait menacé que, si je continuais de vomir en rentrant de chez
mon père, je n'irais plus qu’un week-end sur deux), nous étions sur le point de
partir pour l’école quand je finis par vomir incontinent, ce que ma mère
entendant, elle se précipita dans l'escalier - nous habitions un
duplex - et s'étala la tête la
première dans mon vomi. Dans mon vomi d'enfant qu'elle était en train de perdre
et qui avait bu du chocolat chaud.
3Car
i Il n'y avait rien à faire, je voulais partir, je le voulais depuis trop
longtemps pourle différer de nouveau.
Dès l'âge de neuf
ans, j'avais essayé de me faire inscrire dans une école de malvoyants dans la
ville où habitait mon père, avec qui j'aurais vécu. Et puis je voulus me mettre
interne, mais cela aurait été trop dur à vivre pour ma mère, de m'avoir interne
dans la ville qu'elle était venue habiter pour m'éviter de l'être.
La directrice me le
fit comprendre. La directrice avait du coeur. C'était mon ancienne institutrice
de CE1, la plus gentille, celle qui m'avait appris à écrire, celle chez qui
j'avais commencé d'écrire, tous les mardis soirs, "des histoires qui
(seraient) cadeaux à mon papa".
Quand elle devint
directrice, j'allais me confier à elle tous les mardis soirs aussi, c'était
rituel. Franck y allait une heure avant moi, et puis c'était mon tour. Nous
préparions mon départ, c'est-à-dire que j'essayais de le précipiter et elle de
m'en dissuader. Elle n'y arriva pas. Pourtant, un de ses arguments porta et,
même après avoir réussi à quitter la maison maternelle, il me travailla :
"Ta mère est généreuse !"
Ma mère et la
générosité ? Cette association meparaissait exacte, même si je n'y avais
jamais pensé, et je dus convertir en générosité tout ce que j'avais jusque là
détesté chez maelle :
d'abord elle recevait
trop, elle sortait beaucoup et, même si elle n'eut pas "une foule
d'amants" comme Madame Arthur, je vis défiler un certain nombre de
"locataires".
Au Nom du Fils,
Hervé Bazin-Daniel Astin parlait à ses enfants de cette mère qu'ils avait
perdue, en terme élogieux qui toujours masquaient la vraie déploration qui
serrait le coeur du veuf en deuil, encore blessé dans son orgueil de
cocu :
"Votre pauvre
maman, qui avait un amant..."
était le seul
gémissement qu'il avait envie de pousser et qu'il n'osait pas devant eux, et
pourtant c'était la seule chose qui l'étreignait, car la trahison de sa femme
était plus forte que sa mort.
Que mon père fût ou
non cocu après divorce, que ce divorce même, sans d'ailleurs qu'il ait jamais
été prononcé, ait trouvé occasion de ce que c'était lui, mon père, qui le
premier, avait cocufié ma mère, je n'en voulais rien savoir, je prenais fait et
cause pour le cocuage de mon père et condamnais ma mère au Nom du Père.
Et du Fils... Ta
Générosité, Seigneur Jésus... Jamais je n'ai pu oublier ce mot. Avant que la
directrice me l'ait ouvert en le prononçant dans son lien à ma mère, j'aimais
musculairement qu'on dût aimer, et je voulais m'y efforcer, de toutes mes
forces. Comme cette foule d'hommes qui aiment abstraitement et veulent emplir
le monde - qui ne veut en boire goûte - de leur amour sans
réciproque, je voulais aimer pour crever la bulle de mon orgueil et Toi, Jésus,
Tu avais GÉNÉREUSEMENT DONNÉ Ta Vie !
Je savais que
chacun devait aussi donner la sienne, mais jamais je n'aurais imaginé que la donner,
c'était se donner, prostituer son amitié au point de la rendre superficielle
parce qu'on tenait à tenir table ouverte ; c'était rire d'une voix éraillée,
c'était donner son corps, car on avait été femme avant que d'être mère, ma mère
me le répétait souvent !
En somme, donner sa
vie, ce n'était pas se perdre. C'était faire briller ses qualités
jusqu'au fantasme, où l'imagination se taille son Image de la divinité, et puis
elle recule, craignant l'idolâtrie ; mais la divinité la rejoint, car elle
aime cette Image Que le fantasme a fait d'elle. Cette imagination généreuse n'a
pas craint de confronter la Vérité de l'Original avec les couleurs crues de la
copie.
"Il faut
favoriser cette imagination", se dit la divinité, car c'est sans mérite du
donneur qu'il se donne, mais Ma Grâce Efficace, par un subterfuge, lefait se
donner au moment qu'il est le plus égoïste, le plus plein de lui-même, traversé
seulement par un élan de générosité."
Merci
Seigneur ! Je suis content que se donner, ce ne soit pas se perdre. Je
l'avais toujours espéré au fond, non pas seulement parce que je n'aime pas me
mortifier, mais parce que j'ai remarqué que Nous nous donnons buvablement quand
nous avons perdu toute abnégation.
Ma mère était donc
maîtresse de générosité. Se donner, c'était donc, comme elle le faisait, se
propager à partir du besoin qu'elle avait de se faire aimer, c'était aimer
l'autre à partir de l'amour de soi, c'était se montrer extraverti et oser tout
ce dont j'avais peur, recroquevillé dans
ma coquille d'escargot désorienté, qui voulait bien partir, mais qui ne savait
pas grimper aux murs et, quand il devait faire le tour du pâté de maison, se
cramponnait, se cramponnait...
J'avais apprivoisé
des escargots qui tous étaient tombés du mur. Je les avais un peu aidés.
C'était ma générosité à moi, de les faire partager mon sort, mmoi qui, si je
m'aventurais, allais, je n'en doutais pas, tomber moi-même, si je ne les
envoyais à ma place, dans un trou où m'aurait happé la possession diabolique.
Quand même j'eus
cru, combien de fois !, que ce coup-ci, j'étais bon, le diable m'avait eu,
alors me revenaient, à moi révélées au moment où j'allais la quitter, la
générosité de ma mère comme un modèle à suivre pour que soit bannie la crainte.
Moi qui avais
condamné au Nom du Père, voici qu'au Nom du Fils, le Dieudonné, je devenais
libéral comme l'avait toujours été mon père, épris de liberté comme moi ;
et, de toute la liberté dont était capable ma pensée sans frontière, j'essayais
d'aller où j'avais choisi.
4.
Il me restait à choisir ma mère, ou plus précisément à savoir si elle
était de Dieu et fréquentable, elle dont j'avais cru longtemps que nous
n'étions pas faits pour nous rencontrer, pour nous entendre parce qu'elle avait
une grosse voix, ou si elle n'était pas certainement condamnée, parce qu'elle
ne vivait pas sa foi de la manière intransigente et intransgressive dont je
croyais qu'il fallait que chacun la vécût.
Ma mère était une
louve et c'est pourquoi elle avait une grosse voix. Son amour était dévorant et
c'est pourquoi j'avais peur d'être mangé par elle, mais jamais, même s'il lui
était arrivée de lever la main sur moi, elle n'eût fermé ses dents sur ma chair
pour que je ne fusse plus qu'en elle, une bouchée giclante et
ensanglantée. N'avais-je pas réussi à la quitter sans qu'elle m'ait montré les
dents, comme un fugueur officiel qui entre en pension, non seulement de son
plein gré, mais à sa demande ?
J'avais quitté ma
mère soi-disant pour apprendre le latin qu'on n'enseignait qu'à Paris, car à
l'école spécialisée de la ville où j'habitais, il y avait de petits effectifs,
mais aucunprofesseur n'était assez qualifié pour prodiguer cet enseignement, le
latin, à ce seul élève que j'étais, qui voulais apprendre les langues mortes.
J'avais donc fui ma maman-louve pour aller apprendre à parler la langue de
celui que la louve avait recueilli et qui devint, grâce aux soins et au lait de
la tendresse attentive de cet animal, conditor urbis, le fondateur d'une
nation capitale qui finirait par dominer le monde, la moitié du monde connu.
Ma mère ne rêvait
pas pour moi cette élévation dominatrice à cheval sur un trône d'emprunt. Mais
sans elle, certainement, je n'aurais pas été Mozart. Tout petit, ne
m'asseyait-elle pas au piano, laissant carrière à ma fantaisie de mélanger les notes comme elle faisait des
couleurs ? Ce qui me valut, quand je voulus mettre un peu d'ordre à mes
dissonances, d'avoir un sens inné de l'harmonie que je n'ai jamais apprise, ce
qui est fantastique, et d'éprouver un immense bonheur que je fais partager
quelquefois, à improviser en ouvrant mon robinet à musique. Mozart et Rossini
écrivaient au robinet.
Ma mère était une
louve : ce n'est pas moi qui le dis, c'est elle-même qui l'a avoué.
Souvent, quand, vers l'âge de vingt ans, déjà éloigné de celui où j'étais
parti, mes frères et moi venions dîner chez elle, elle nous accueillait en
disant : "Voilà ma nichée !" Au point qu'il m'est arrivé de
me demander si elle était louve ou lionne et parfois d'opter pour la seconde solution,
puisque la lionne va chercher de quoi nourrir ses petits et que ma mère a
quelquefois raconté qu'avec nous, elle avait vécu des période de "vache
maigre » où nous mangions des « sandwichs jambon beurre", ce qui
ne risquait pas de m’arriver puisque je déteste le beurre...
Je ne me souviens pas de
pareilles périodes, mais ma mère n'est pas une lionne. Elle a bien trop besoin
de se rassurer sur ses vieux jours : la nourrirons-nous. Une vraie lionne
ne s'arrêterait pas à des préoccupations si viles. On ne met pas des enfants au
monde pour qu'ils nourrissent leur mère et lui servent de bâton de vieillesse.
Le malentendu qui
faisait que, longtemps, j'ai cru que ma mère et moi n'étions pas faits pour
nous rencontrer, pour nous entendre, se nourrissait de ce que ma mère était
louve et que moi j’avais peur des chiens et, non pas étais agneau, mais j'étais
né sous le signe du taureau, ce qui fait que très tôt, moi aussi, j'ai eu
les idées graves et quand j'étais pris de chagrin, ce qui procédait
rarement d'un caprice, je brâmais, pleurais comme une vache. Car j'avais une
voix qui, sans être rauque, atteignait au naturel une téciture d'enfant
contre-alto. Autrement dit, j'aurais pu faire un castra tout à fait
respectable.
Ma mère était louve et
j'étais un taureau castré. Elle avait faim et j'avais peur. Elle me
chatouillait et ma peau ruisselait d'un certain malaise où il se lisait qu'elle
portait trop lourd et attendait trop de la vie pour ce que je pouvais lui en
donner, moi qui étais né avec des pieds bots et qui, des années plus tard, un
soir qu'elle se faisait draguer devant moi, l'encornai en lui tordant le pouce.
5.
Ma mère était-elle possédée ? Pour ma tranquillité d'esprit - il
fallait bien que je vive avec moi -, il était pour moi acquis que je ne
l'étais pas. Mais elle, ? C'était sûrement parce qu’elle l’était que
longtemps, j'avais cru que nous n'étions pas faits pour nous entendre, nous
rencontrer, parce qu'elle était possédée, infréquentable et pas moi, que Dieu n'appréciait pas sa façon de vivre
et ses contournements d'une morale qu'elle faisait d'abondance aux autres et se
faisait en ayant toujours l'air de ne pas se la faire et en protestant ([3]) tous ses grands dieux qu'il ne fallait pas la lui
faire, qu'on la "culpabilisait"... Mais au fond d'elle-même qui était
puritaine, elle ne cessait de s'en vouloir et de se demander comme moi si elle
n'était pas en état de péché mortel.
Ma mère était
généreuse et un jour, j'eus besoin d’elle, j’eus besoin d'argent. Elle n'en
avait pas, en ayant toujours dépensé au-delà de ses économies. J'étais au bord
de ne plus pouvoir me subvenir et, comme je n'allais pas m'abaisser à demander
quoi que ce soit à mon père, si je n'étais pas à la rue, du moins étais-je dans
l'impasse. Elle me conseilla de faire un emprunt, me conduisit à la banque et
se porta caution. Ma mère était généreuse avec l’argent qu’elle n’avait pas.
Plus tard, je me
vis pour la première fois foutu dehors de quelque part. Je fus renvoyé du
séminaire Saint-Sulpice sis au six, rue du regard où j'avais trouvé domicile
après avoir quitté, dans des conditions de grande mésentente, un studio que
j'occupais à Colombes, ville des oiseaux de paix, et que je louais deux cents
francs par mois. Je m'étais donc allé blottir en cet antre de prêtres parce que je voulais moi-même le devenir,
mais cela ne me fut pas donné. Je n'habitais pas plus tôt là où tout aurait dû
m'édifier que je m'abandonnais à mes penchants les plusvils, instincts les plus
bas, habitudes et turpitudes.
Je buvais jusqu'à
de colossales ivresses alors que je m'étais contenu jusque là, des ivresses à
vomir dans l'escalier, quand je remontais dans ma chambre d'étudiant qui, s'il
se conduisait bien, deviendrait séminariste, mais je chancelais et vomissais
les études dans un banquet perpétuel où moi-même et moi nous disputions sur la
contenance des carafons.
Une aube que mes
vomissements s'étaient encore étalés dans l'escalier et avaient de nouveau
repeint les murs, l'économe du séminaire jugea que c'était un matin de trop.
Et, comme il m'en avait averti, il me convoqua pour me signifier que je devrais
pourvoir à me reloger dans les plus brefs délais. Il m'accordait trois mois.
Ce coup-ci, je
n'étais pas seulement dans l'impasse, j'étais à la rue, car je ne voyais pas où
aller, ni comment expliquer aux miens que je ne pouvais plus me trouver où je
venais d'emménager.
M'expliquer du
reste, j'étais fermement décidé à ne pas le faire, mais à ma mère à qui, ce fut
plus fort que moi, je me confiai et qui, loin de me condamner, prit la plume,
écrivit à Monsieur l'économe, démarche qui ne donna rien, mais elle me comprit,
ne m'intima aucun commandement de reconversion, me déclara que j'étais pardonnable,
que je ne l'avais pas fait exprès, de vomir ou de tordre son pouce ; que
tout petit déjà, je voulais faire le bonheur de tout le monde, que j'étais
malheureux, mais généreux ; que si je ne devenais pas prêtre, ce n'était
pas de ma faute, mais celle de la vie qui s'était acharnée, retournée, et il
n'y avait pas à rechercher si c'était un bien ou un mal, si la vie s'était
retournée contre moi ou pour autre chose.
Ma mère fut si
généreuse envers moi que j'acquis la conviction que je l'étais aussi et que, non
seulement elle ne pouvait pas être possédée, mais qu'elle était plus intimement
unie au bon Dieu que tous ceux qui avaient de l'hypocrisie mêlée dans le miel
de leur amour pour moi, l'hypocrisie du conditionnel : "Nous
continuerons de t'aimer si tu deviens ce que ton père veut que tu sois, un
normalien !"
Ma mère était comme
Jésus, elle m'aimait en Lui. Jésus n'avait pas voulu de moi pour prêtre et Il
m'avait regardé me faire exclure, mais exclus j'étais devenu Jésus, plus Jésus
que si j'avais suivi le droit chemin. Jésus avait toujours fait la Volonté du
Père. Réduit à moi, je devenais Lui et donc, moi aussi, sans l'avoir fait
exprès, je faisais la Volonté du Père, et c'était ma mère qui l'avait compris,
que j'avais prise pour celle qui me montait contre mon père, pour celle
qui ne l'aimait pas, alors qu'elle l'attend toujours.
Mon père, mon
pareil (il me disait cela quand j'étais petit : "Tous les deux, on
est pareils!", toi qui détestes à la fois que je sois devenu Mozart et que
j'aie tout perdu parce que je suis dépensier comme ma mère ; toiqui
détestes tout ce que je suis devenu parce que "tout cela," dit-tu,
"c'est ce qu'a fait de toi ta mère", Pardon papa, mais ce qu'a fait
de moi ma mère, je l'aime bien - car il faut bien que je vive avec
moi - comme elle aussi, j'ai fini par bien l'aimer, d'un amour qui ne se
démentira pas, quelque prodigieux agacementdont elle m’indispose.
Et toi, mon père,
mon pareil, qui as tout fait pour ne pas devenir ce que je suis devenu et as bien
fait, toi, je t'aime aussi, et je ne te demande même plus de m'aimer comme
je suis, je t'aime comme tu es, il faut partir de là, qui est le degré zéro de
la vie :
un enfant naît,
anormal, expression de la Vie Qui Est Dieu, car Dieu Est la Vie, Il l'a dit et
Il la Veut. Anormale Est Sa Volonté.
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