Macron joue de l'opinion avec une
rare perversité qui bénéficie d’un empilement d'Artefact politiques commencé
sous l'ère Sarkozy. D'abord il y a les éléments de langage dont deux sont
particulièrement récurrents : "J'assume" que Manuel Valls a
dégainé le premier, et "transformation" pour réforme (et souvent
réformette). Le macronisme est une certaine conception du lyrisme
qui fait sonner creux un mot emphatique dans une nouvelle prouesse du
transformisme.
Deux
marqueurs sont particulièrement intéressants à étudier : la réforme du droit
du travail et celle de la SNCF. La gauche croit que le peuple la reconnaît si
elle codifie beaucoup. Mais du petit peuple au grand patron, tout le monde en a
marre de ne pas savoir sur quel pied danser ni comment être dans les clous de l’administration.
Donc si on présente une réforme en disant : « On va simplifier »,
tout le monde est d’accord, jusqu’au moment où l’on découvre, mais trop tard, que
la simplification était celle de la restructuration et du plan social – la
restructuration est une transformation -. Les effets de la simplification
se font d’autant moins sentir pour le citoyen Lambda qu’il n’a plus d’interlocuteur
dans l’administration, qui ne lui oppose que des procédures.
De son côté, la réforme du statut
des cheminots agit comme un signal. L’opinion a toujours trouvé inéquitable qu’il
y ait des régimes spéciaux. À cela, le camp du progrès répondait : « Laissez-nous
nos privilèges, ils nous permettront de vous tirer vers le haut, comme ce fut
toujours la logique des acquis sociaux. » Macron entre en scène dans les
habits du langage de l’opinion : « Quand des agriculteurs pleurent
parce qu’ils n’ont pas de retraites, je ne peux pas laisser prospérer le statut
des cheminots. » Sous-texte : « Je ne vais pas créer une
retraite pour les agriculteurs. Je pourrais, mais je ne le ferai pas, car je
veux prendre la sociale démocratie à revers, en prouvant à l’opinion que,
puisque je peux réformer le statut des cheminots, c’est que la promesse de la
sociale démocratie de tirer tout le monde vers le haut à partir des acquis
sociaux était mensongère. Je le prouve, je détruis l’acquis social et je tire
tout le monde vers le bas. Puisqu’il n’y a pas de retraite pour les agriculteurs,
je n’en créée pas, et je punis aussi les cheminots en les privant de leur
statut. L’opinion reçoit le message que, si elle ne se tient pas tranquille,
elle risque de tout perdre.
C’est avec conviction que je mène
cette politique : je suis le fruit du reniement de la sociale démocratie de
presque toutes les élites et de leur ralliement au libéralisme. Ce reniement et
ce ralliement se sont faits lentement et inconsciemment. Des signes en ont été
donnés lorsque mon prédécesseur m’a désigné comme le point de mire de son
quinquennat (« mon ennemi, c’est la finance »), m’a nommé ministre et
a finalement suggéré passivement et malgré lui que je serais son successeur. Je
mène cette politique avec conviction, mais je ne le fais pas pour moi. Je ne le
fais pas non plus pour mes concitoyens. Je ne les méprise pas, mais je voudrais
qu’ils aient des ambitions de milliardaires. Je crois en l’argent roi, qui fait
des riches des premiers de cordée, même quand ils fuient leur pays comme la
bourgeoisie a émigré loin de ses valeurs : les voyages forment la jeunesse.
Je mène cette politique pour les puissances d’argent qui veulent que la SNCF
soit mise en concurrence. Je détruis le statut des cheminots pour que, dans mon
pays vendu à la découpe à l’argent roi sans tête, on vienne marcher sur les
plates-bandes de la SNCF, joyau de notre patrimoine. La « transformation »
passe parce que le lien était rompu entre la société française et celle des
chemins de fer, qui maltraitait ses usagers. Mais c’est encore l’usager qui trinque
dans le citoyen, et il ne le sait pas. » C’est redoutable.
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