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samedi 10 mars 2018

Macron et l'opinion


Macron joue de l'opinion avec une rare perversité qui bénéficie d’un empilement d'Artefact politiques commencé sous l'ère Sarkozy. D'abord il y a les éléments de langage dont deux sont particulièrement récurrents : "J'assume" que Manuel Valls a dégainé le premier, et "transformation" pour réforme (et souvent réformette).  Le macronisme est une certaine conception du lyrisme qui fait sonner creux un mot emphatique dans une nouvelle prouesse du transformisme.

 

Deux marqueurs sont particulièrement intéressants à étudier : la réforme du droit du travail et celle de la SNCF. La gauche croit que le peuple la reconnaît si elle codifie beaucoup. Mais du petit peuple au grand patron, tout le monde en a marre de ne pas savoir sur quel pied danser ni comment être dans les clous de l’administration. Donc si on présente une réforme en disant : « On va simplifier », tout le monde est d’accord, jusqu’au moment où l’on découvre, mais trop tard, que la simplification était celle de la restructuration et du plan social – la restructuration est une transformation -. Les effets de la simplification se font d’autant moins sentir pour le citoyen Lambda qu’il n’a plus d’interlocuteur dans l’administration, qui ne lui oppose que des procédures.

 

De son côté, la réforme du statut des cheminots agit comme un signal. L’opinion a toujours trouvé inéquitable qu’il y ait des régimes spéciaux. À cela, le camp du progrès répondait : « Laissez-nous nos privilèges, ils nous permettront de vous tirer vers le haut, comme ce fut toujours la logique des acquis sociaux. » Macron entre en scène dans les habits du langage de l’opinion : « Quand des agriculteurs pleurent parce qu’ils n’ont pas de retraites, je ne peux pas laisser prospérer le statut des cheminots. » Sous-texte : « Je ne vais pas créer une retraite pour les agriculteurs. Je pourrais, mais je ne le ferai pas, car je veux prendre la sociale démocratie à revers, en prouvant à l’opinion que, puisque je peux réformer le statut des cheminots, c’est que la promesse de la sociale démocratie de tirer tout le monde vers le haut à partir des acquis sociaux était mensongère. Je le prouve, je détruis l’acquis social et je tire tout le monde vers le bas. Puisqu’il n’y a pas de retraite pour les agriculteurs, je n’en créée pas, et je punis aussi les cheminots en les privant de leur statut. L’opinion reçoit le message que, si elle ne se tient pas tranquille, elle risque de tout perdre.

 

C’est avec conviction que je mène cette politique : je suis le fruit du reniement de la sociale démocratie de presque toutes les élites et de leur ralliement au libéralisme. Ce reniement et ce ralliement se sont faits lentement et inconsciemment. Des signes en ont été donnés lorsque mon prédécesseur m’a désigné comme le point de mire de son quinquennat (« mon ennemi, c’est la finance »), m’a nommé ministre et a finalement suggéré passivement et malgré lui que je serais son successeur. Je mène cette politique avec conviction, mais je ne le fais pas pour moi. Je ne le fais pas non plus pour mes concitoyens. Je ne les méprise pas, mais je voudrais qu’ils aient des ambitions de milliardaires. Je crois en l’argent roi, qui fait des riches des premiers de cordée, même quand ils fuient leur pays comme la bourgeoisie a émigré loin de ses valeurs : les voyages forment la jeunesse. Je mène cette politique pour les puissances d’argent qui veulent que la SNCF soit mise en concurrence. Je détruis le statut des cheminots pour que, dans mon pays vendu à la découpe à l’argent roi sans tête, on vienne marcher sur les plates-bandes de la SNCF, joyau de notre patrimoine. La « transformation » passe parce que le lien était rompu entre la société française et celle des chemins de fer, qui maltraitait ses usagers. Mais c’est encore l’usager qui trinque dans le citoyen, et il ne le sait pas. » C’est redoutable.

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