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vendredi 17 février 2023

Dialogue de l'ombre avec Michel Houellebecq

Michel Houellebecq, histoire d’une dérive – Libération (liberation.fr)


Quel parcours que celui d'un homme qui se trouve, d'emblée, à la croisée d'une politique qu'il surplombe en dandy fatigué sans passé, sans mémoire, avec un vague désir d'avenir, et qu'il va anticiper, de roman en roman, non pas tant par leurs intrigues (bien qu'il ne faille pas s'y tromper, car l'écriture de Houellebecq ne tient pas au corps) que par la date de parution de ceux-ci: le 11 septembre pour "Plateforme" où il est question d'un attentat islamiste et à la veille du 7 janvier 2015 pour "Soumission", où les attentats contre "Charlie hebdo" laissent Paris hébété comme l'est Houellebecq qui ne s'en laisse pas conter malgré ses petits airs de ne tenir à rien, et continue de jouer les prophètes: Zemmour est le "petit héros de la droite bourgeoise" (je pense comme lui, donc je valide, et pourtant toute cette droite a mordu à l'hameçon et s'est faite avoir, jusqu'à la droite aristocratique). Ses oracles sont sertis dans une écriture blanche et sans effet, dépouillée jusqu'au naturel, détachée, comme la langue des signes, celle des coïncidences, des synchronicités et des champs magnétiques, qui nous rappellent qu'il y a énigme, mais qui ne nous donnent pas la clef, et qu'il y a signes linguistiques, mais c'est un vocabulaire sans traduction, un "système en équilibre" et une syntaxe qui se soutient, comme la terre qui ne repose sur rien. 


La langue des signes est celle de l'absurde, celle de l'anti-pentecôte ou de la simple préfiguration, celle des sourds qui ne veulent pas entendre ce que le réel veut leur dire ou celle du réel qui ne veut pas se faire entendre, et avant tout celle de la psychanalyse: la mauvaise interprète et moralise, la bonne pense que l'événement découle d'associations d'idées comme nos pensées, que l'histoire est inconsciente et structure le langage du monde que nos rêves organisent, non dans leur désir idéalisé, mais dans leur foutraquerie dégentée.


Houellebecq est un nihiliste qui prédit, un artiste contemporain qui  choisit un sujet, se documente et le dépeint dans un reportage grimé en installation.


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Sophie des Déserts: "On dirait parfois qu’il se rêve en président plaidant, au nom du peuple, pour une démocratie directe, à la Suisse, plus d’interventionnisme en économie, moins en matière de mœurs, très remonté contre la loi sur la fin de vie, mais tout de même «réservé» sur l’abolition de la peine de mort…" Je pense comme lui en inversant les deux derniers articles.


Houellebec en audio:

https://www.youtube.com/watch?v=V_6JYQrpuyU (et les suivants):


"C'est la modernité en elle-même qui génère son autodestruction et c'est troublant. On a un phénomène pour lequel les mots de "nihilisme européen" ne suffisent pas. Je voulais vous dire ça, mais je n'ai pas la clef de l'énigme: pourquoi, à partir d'un certain niveau de développement, on s'autodétruit?"

Michel Onfray (MO): "Quand la volonté s'épuise dans une civilisation, on ne fait plus d'enfants."

MH: "C'est au Japon qu'est apparue l'incapacité de sortir de l'univers virtuel. Soit on trouve un autre moyen de faire des enfants en dehors de la sexualité, soit on disparaît."


Épisode 2: 


https://frontpopulaire.fr/fpplus/grand-format/videos/houellebecq-onfray-la-conversation-episode-2-creolisation-et-grand-remplace_vco_19341207


"La créolisation" est le mot d'Édouard Glissant que Jean-Luc Mélenchon a choisi pour ne pas parler de "grand remplacement." 

MH: "Il n'y a pas de volonté organisatrice derrière tout cela. La vérité est que personne ne contrôle rien."



Episode 3:

https://www.youtube.com/watch?v=TTjBGXW4HBk


Israël peut-il être une réserve d'Indiens pour lutter contre la fin de l'Occident? Et le dernier des colonisateurs? Quel universalisme sous le territorialisme juif (le judaïsme n'est pas qu'un universalisme territorial, il propose aussi une manière spirituelle d'aller vers les promesses de la terre, et le sionisme n'est laïque qu'en ce qu'il hâte la reddition par Dieu de la terre d'où le peuple fut dispersé en lui forçant la main pour la lui rendre.) Faire d'Israël la dernière réserve d'Indiens occidentaux en pays arabe est aussi farfelu que d'avoir imaginé un président musulman qui proposerait de refaire l'empire romain sur une base musulmane, puisque les trois monothéismes sont censés s'être emparés de cet empire pour le dénaturer.


MH: "Je soutiens Israël pour des raisons morales. Il y a une différence de fond entre attentats aveugles et assassinats ciblés. Quand on a un doute moral, il ne faut pas aller au fond des choses, il faut examiner les moyens employés. Les Palestiniens emploient des moyens immoraux, les Israéliens emploient des moyens nettement plus moraux. Ça clôt le débat pour moi." 

Pas sûr que la différence ne se réduise pas à ce que les assassinats ciblés sont perpétrés par un Etat militariste et militarisé quand les  attentats aveugles sont le fait de commandos paramilitaires faute d'avoir pu s'organiser ou être reconnus en États.


MO: "La création d'Israël est un dommage de guerre." 

Mais le dommage d'une guerre européenne en pays arabe.


Épisode 4:

https://frontpopulaire.fr/fpplus/grand-format/videos/houellebecq-onfray-la-conversation-episode-4-islam-islamisme-guerre-civile-_vco_19539217


""Soumission" est une anticipation modérée. Le mouvement woke n'existait pas encore à l'université. J'ai souvent dit que je n'étais pas réactionnaire parce que je croyais tout retour en arrière impossible. Les salafistes ont réussi à retourner plus loin que le XIIIème siècle auquel aimeraient revenir les nostalgiques [de la chrétienté]. Les talibans gouvernent leurs pays. S'il y avait un régime théocratique, je préférerais qu'il soit catholique que musulman."

Par attachement personnel, je dirais la même chose. Mais je suis trop modéré, trop pleutre ou trop incapable de choisir pour ne pas ajouter que je ne souhaite ni l'un ni l'autre.


MO: "Il faut être prêt à tuer pour construire une civilisation." 

L'Occident n'a plus cette énergie. Il a une énergie morbide, il n'a plus d'énergie mortifère. Nous arrivons à la fin de cette ruse de l'histoire qu'était la civilisation chrétienne. La dernière "idée chrétienne devenue folle" de l'Occident, c'est qu'il connaît son déclin et y consent. Moi qui me dis un catholique occidental, je suis occidental parce que catholique, et un catholique de mon siècle qui consent à mon déclin, qui me retrouve dans l'Occident parce qu'il est décliniste et non plus conquérant, un catholique qui préfère être morbide que mortifère, mais qui regrette de ne pas avoir assez aimé la vie et qui sais aujourd'hui qu'on ne l'aime jamais assez. Car aime la vie et tu seras un bon vivant et un bon compagnon qui voudra et fera le bien d'autrui, aime-toi et tu aimeras ton prochain. 

2 commentaires:

  1. Cette critique du livre de Florence Aubenas, "Ici et ailleurs", par Philipe Lançon (voir ici:


    https://www.liberation.fr/culture/livres/ici-et-ailleurs-de-florence-aubenas-sept-ans-de-hors-champ-20230222_FKJHGQOUCNBOFOFNSPYROURIRE/?at_creation=NL_A_la_Une_2023-02-22&at_campaign=NL_A_La_Une&at_email_type=acquisition&at_medium=email&actId=ebwp0YMB8s1_OGEGSsDRkNUcvuQDVN7a57ET3fWtrS9HUSwXKjBJ04lG8iIFK0HW&actCampaignType=CAMPAIGN_MAIL&actSource=523065,
    illustre ce que je voulais dire de
    Michel Houellebecq Michel Houellebecq est un personnage tel qu'aimerait les peindre Florence Aubenas si elle l'avait rencontré dans le flux de la vie (et s'il ne faisait pas partie du paysage et des arcanes de la littérature):

    "Ce qui les caractérise est leur vivacité, leur nervosité, leur humour insolent et placide. Ils font de l’absurde comme Monsieur Jourdain fait de la prose, sans le savoir. Et, avant tout et en tout, ils ont du rythme, comme s’ils avaient la mort aux trousses." "On dirait des rats de laboratoire affolés par la cocaïne. Le laboratoire, c’est le monde, et la cocaïne, c’est simplement la vie, dans son élan et sa résistance."

    Florence Aubenas a ce rapport avec ses personnages de rencontre (et elle aurait ce rapport avec Michel Houellebecq si elle l'avait rencontré):
    "elle choisit des situations et des personnages qui lui correspondent, que son talent peut faire vivre. Ses personnages sont comme ceux des peintres : d’une certaine façon, ils se ressemblent tous, comme s’ils remontaient vers une source intérieure, intérieure à celle qui les dépeint."

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  2. Michel Houellebecq ne sera jamais un activiste en politique, parce qu'il a été happé par les traumas du monde avant de s'intéresser à la politique, ce qu'il n'a fait que de seconde main. tel un "soldat ukrainien" pendant la guerre qui sévit actuellement dans ce pays, Houellebecq naît en Algérie et est soustrait par son père de chez ses grands-parents maternels chez qui sa mère l'a refourgué pour s'occuper de son propre militantisme, avant que le FLN n'oblige de fait les Pieds-noirs à s'expatrier et à choisir entre "la valise et le cercueil". Tout son génie prédictif et littéraire sera à l'avenant, dans un rapport mêlant prophéties involontaires et coïncidences invraisemblables entre les dates de publication de ses livres et événements mondiaux cataclysmiques qu'ils ont plus ou moins annoncés.

    Michel Houellebecq est un témoin passif de la politique, contrairement à Florence Aubenas ou à Philippe Lançon qui critique la dernière parution de sa consoeur. Eux sont des portraitistes conscients, volontaires et résilients de ce qui se passe à la périphérie de ce que la politique fait au monde. Lançon est un rescapé des attentats de "Charlie". Aubenas a été otage en Irak, condition qui n'a rien changé à son regard sur le monde, salue Lançon: "Dans sa courte préface, Florence Aubenas raconte qu’être otage en Irak n’a rien changé en elle. Ce qui a changé, c’est le monde autour d’elle, ce monde qu’elle parcourt tel un fantôme, un moustique et un courant d’air. Un jour, elle se réveille dans une chambre d’hôtel, sans savoir où elle est, seule, flottante, uniquement «sûre de [se] trouver à l’endroit où devait être un journaliste à ce moment-là»."

    Michel Houellebecq ne tient pas spécialement à être là où il est. Il "a peur" et prend la fuite, comme le héros de "Soumission" est le seul à faire son exode entre les deux tours de l'élection présidentielle fantasmée par sa fiction et mettant en présence un candidat islamiste et Marine Le Pen. Lui fuit, les Français se terrent, mais il ne se passe rien à ce moment de son roman, les Français ne sont pas réactifs. Le héros houellebecquiens a pris sans raison la poudre d'escampette et va bientôt revenir au bercail de sa tranquillité tandis que son amie Myriam, vraiment menacée par cette élection, préfère faire son aliyah, le laissant de plus en plus seul.

    Philippe Lançon apprécie que Florence Aubenas ait croqué, deux mois après les attentats du 7 janvier 2015, , les jeunes musulmans des cités françaises qui se ruent en Thaïlande, à Patong sur l’île de Phuket, paradis clinquant et surchauffé aux pizzas à l’ananas où ils peuvent entrer en boîte, faire semblant de boire du champagne, renoncer ou pas à se taper des putes, bref, où ils ne se sentent pas traités comme la cinquième roue du carrosse français.

    Là où Michel Houellebecq, écrivain nonchalant qui s'arrange pour "n'habiter jamais loin d'un aéroport" ou veiller sur sa sécurité personnelle, a peur et prend la fuite, Florence Aubenas et Philippe Lançon essaient de se vivre en acteurs d'un destin qui les dépasse et qu'ils n'ont pas davantage organisé, mais qu'ils assument. Michel Houellebecq s'est trouvé au confluent des drames du passé et anticipe les drames à venir pour avoir moins mal. Philippe Lançon fait un croc-en-jambe à celui dont il est un rescapé en saluant Florence Aubenas qui préfère être un reporter de guerre.

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