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lundi 1 octobre 2012

Les anticoncepts de modernité et de correction politique

"Il nous est devenu indifférent d'être modernes" (Roland barthes). L'impasse de "l'horizon indépassable" que représenterait le progressisme, c'est d'avoir abouti à des concepts aussi creux que ceux de "modernité" ou de "correction politique" (ou "political correctness"). - Je me rappelle que, quand j'étaisenfant, les deux mots que je trouvais les plus idiots étaient ces deux adjectifs :"correct et moderne". Un jour, j'avais regardé la définition du mot "correct", que ma grand-mère employait à tout bout de champ, dans le petit Larousse dont je disposais. La définition en était laconique : "correct" voulait dire "conforme aux règles". Celles-ci me paraissaient devoir être précisées. Mais être "correct", c'était régulier, il n'y avait pas de quoi en faire un fromage ! Au début des années 90, a été inventé la "political correctness", contre laquelle on était censé devoir luter pour pouvoir dire toutes les abominations qu'on avait sur le coeur. Il ne me paraissait pas de bon aloi qu'on dût "se débattre" contre ce qui était correct, ou bien il fallait désigner autrement les entraves à la liberté d'expression. Il fallait dire qu'on voulait être libre de tout dire, mais ne pas invoquer une correction vraie ou artificielle contre laquelle un esprit libre serait censé s'insurger de manière réactionnaire, ce qui redoublait le paradoxe, car un esprit réactionnaire ne devrait pas s'insurger contre les règles. - Puis je fis atention à l'essor qu'avait pris "l'anticconcept de modernité". Je ne pouvais le prendre au sérieux, car je l'envisageais comme ne recouvrant que le fait d'être de son temps, ce qui était une simple évidence, puisqu'on n'était pas né dans une autre époque que celle où on avait vu le jour. Instinctivement, je me sentais "antimoderne" puisque je n'aimais pas le mot ; mais quand je découvris qu'il s'élevait des critiques de la modernité, je trouvais celapuérile et d'une grande pauvreté intellectuelle, car la modernité n'était pas une notion. Encore aurais-je compris si ces antimodernes avaient cherché à mettre en garde les hommes contre la tendance à suivre une mode au point de devenir une "fashon victim". Mais non ! Ils avaient trouvé une brèche où s'engouffrer pour faire reluire leur combat contre les valeurs de leur temps : le vice de la modernité, qu'ils baptisèrent de "modernisme", moyennant quoi il y aurait eu la modernité qui était un fait et le modernisme qui était une idéologie, comme il y avait la mondialisation qui était un fait et le mmondialisme qui était une idéologie ; le vice qui permettait à la modernité de devenir "modernisme", "égoût collecteur de toutes les hérésies" selon l'anathème de Saint Pie X (on ne saurait concevoir unehérésie plus mal définie), anathème lancé après que Léon XIII eut condamné l'"américanisme", ce qui ne voulait pas dire grand-chose non plus, pris au sens littéral, d'autant que Léon XIII ne prétendait pas s'opposer à l'"américanisation" que redoutait tellement baudelaire – la papauté actuelle s'appuie beaucoup sur les catholiques américains… - ; le vice du modernisme, selon les détracteurs de la modernité, qui cachent bien mal leur pessimisme viscéral et personnel (quand on n'aime pas sa vie, on n'aime pas son époque), était contenu dans l'étymon du mot "mode" qui, en latin, signifiait manière ou façon : le moderniste était donc un maniériste, pire, un façonneur, donc un faussaire, puisque toute façon contient sa malfaçon, un poseur et un faiseur, qui ne cherchait pas à envisager le monde à partir de la vérité, mais la vérité à partir de sa vision du monde, de sa subjectivité, de sa relation au monde, de son relativisme. Belle posture intellectuelle, mais une fois cela posé, une fois dénoncés tous les faiseurs, poseurs, causeurs ou imposteurs, une fois déterminé que tout le mal venait de ce qu'ils agissaient en "modernes", était-on plus avancé ? Ne leur donnait-on pas trop deprise, au contraire, du fait que, comme il y avait contiguïté entre être "moderne" et être de son temps, eux au moins, les "modernes",passaient pour être contemporains de leur époque ? Peut-être convenait-il en effet de n'avoir plus pour critère premier la prétention de détenir la vérité sous prétexte qu'on s'appuierait sur les bons axiomes et les bons maîtres ; peut-être fallait-il faire droit au filtre éthique et esthétique dela subjectivité, ce qui n'est, après tout, que reconnaître le statut de l'observateur, qui doit se neutraliser avant de rien pouvoir dire de ce qu'il observe. Reconnaître qu'on n'est pas objectif n'entraîne pas que l'on s'autoriseà devenir falsificateur ! Affecter par avance "les modernes" qui n'en peuvent mais, parce qu'on se voit changer d'époque au lieu que "les sociétés, normalement, comprennent rarement l'histoire qu'elles vivent,", d'un coefficient de falsification, c'est faire prospérer à coup sûr la falsification dans la modernité, en vertu de la "parole efficace", qui fige ceux qu'elle désigne dans l'image que l'on s'en fait. - A l'origine, "les modernes" avaient pour défaut de s'être trop axés sur l'impératif de l'aujourd'hui, mais ce temporalisme excessif leur serait passé si on ne les avait pas poussés dans ce retranchement répulsif. Comment des concepts aussi creux que "la modernité" ou "le politiquement correct" peuvent-ils avoir fait florès dans l'univers intellectuel occidental, qui neutralise partiellement ses vices, parce qu'il a le sens de l'autocritique… ! Certes, le sens de l'autocritique n'est pas l'esprit critique, l'autocritique peut être une manière de se justifier et de s'acquitter à bonmarché, se critiquer soi-même n'est qu'un prétexte au dilettantisme esthétique, puisque la critique est aisée mais l'art est difficile ; c'est peut-être parce que nous nous perdons en autocritique que nous ne nous adonnons plus à l'art. Notre sens de l'autocritique et de la dérision est peut-être un des effets du nihilisme européen, comme celui d'avoir érigé "le concept" en art, dans une confusion volontaire du penser et du faire, puis la modernité en "concept", celui-là relevant de l'étendue de l'esprit – la pensée est spatiale - et celle-là de l'intensité temporelle – la modernité est époquale -, sans qu'il en résultât – bien que tout artiste ait ses époques - une intensification de la pensée, bien au contraire. - - Pour critiquer conjointement les anticoncepts de "modernité" et de "correction politique", aucune philosophie ne s'est jamais définie comme une régularité temporelle. L'autocritique ne suffit pas, mais un peu d'autocritique publique ne nuit pas, car cela aiguise le sens, l'esprit critique. Cela évite les dérives orthodoxes précritiques, comme un refus de peser les choses autrement qu'à l'aulne de certaines routines éthiques ou esthétiques, qu'on n'est même plus en mesure de savoir que l'on porte. La modernité étant critique, elle est perpétuellement en crise. - - Et "vivre une époque moderne" en "pensant correctement", n'est-ce pas vouer un culte à labanalité, dans une perpétuelle quête de normalité, où nous nous apercevons si peu que notre "Nord" nous met "mal" que nous croyons à" la banalité du mal" ? Nous avons perdu la boussole et l'équilibre, c'est pourquoi nous voudrions finir équilibrés. Mais trouver l'équilibre, c'est une ambition de fonctionnaire, pas de funambules ! Nous avons perdu la boussole parce que nous n'aimons pas le Nord.

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