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mercredi 17 octobre 2012

Equilibre et normalité

Parmi les signes qui me rendaient naguère optimiste, il y avait celui-ci, que j'avais cru à un amoindrissement du culte de la normalité. C'est tout le contraire qui s'est produit, puisque la France a élu en 2012 "un Président normal". Or il y a une grande continuité entre la modernité, correction temporelle, et la pensée correcte, dont la fin n'est ni le bonheur, ni la sérénité, mais la normalité, correction mentale et exaltation de la banalité, dont la banalité du désir est presque le moindre mal. Le désir de normalité, s'il va jusqu'au bout de sa logique, s'érige contre ce qui passe pour le contraire de la normalité, c'est-à-dire le pathologique. Au mieux, on peut souffrir sans être malade, mais être malade encourt une "condamnation à vie" : les schizophrènes, qui sont censés prendre leurs médicaments à vie, les alcooliques qui ne devraient plus jamais toucher un verre d'alcool, de façon qu'en supprimant leur problème, il n'existe plus, ou les "majeurs protégés", qui voient constamment leurs recours en levée de tutelle refusé, comprennent de quoi je veux parler. La normalité, c'est conjointement le culte de l'autonomie individuelle et de la dépendance sociale. Or l'autonomie individuelle ne peut pas être normative, car si chacun faisait sa loi... L'autonomie individuelle, c'est la phobie de l'autre individuellement, qu'on trouve avantageusement remplacé par l'abstraction sociale, qu'on ne sent pas coercitive puisqu'on ne mesure pas son pouvoir poolitique. La quête de la normalité, dans son refus, non du pathos, mais du pathologique, croit en la guérison, bien qu'elle n'aime pas la guérison puisque la normalité n'aime rien - quand on n'aime pas les malades, on n'aime personne -. Or la guérison est une illusion du même genre que l'autonomie, car de même qu'un anarchisme indifférent de tous étant à eux-mêmes leur propre loi finirait en société déchirée, de même que les indépendances ont montré qu'elles n'avaient pas tué l'interdépendance et qu'un esclavage économique des plus cyniques s'était substitué à l'esclavage colonial, plus franc et massif dans son paternalisme accapareur, de même, la guérison reste une illusion puisque la propriété du terme de guérison supposerait que celle-ci soit définitive. L'horizon du normal, c'est l'équilibre. Mais l'équilibre qui équipare, de la façon dont le mot est formé, l'égalité et la liberté, dénonce le côté où il penche et la valeur qu'ilpréfère, dans la mesure où il n'existe pas de liberté qui ne soit une fêlure et donc une maladie. La liberté est une fêlure de l'intelligence à qui la vérité ne suffit plus, une fêlure de la volonté que l'impulsion maîtrise, une fêlure de l'avidité qui ne connaît point de tempérance, enfin une fêlure de l'amour qui s'éprend pour capter. Or l'équilibre, ne peut aimer la liberté, puisque la normalité n'aime pas le pathologique et que la liberté est une maladie. D'autre part, l'équilibre, ayant accusé son penchant pour l'égalité, n'aime pas non plus la fraternité. Car la volonté d'égalité veut servir "la rivalité mimétique", là où la fraternité ferait un effort pour comprendre son frère, pour éviter le fratriciede et mettre en évidence la différence entre l'égalité et l'identité. L'égalité est censé tenir l'équilibre entre la liberté et la fraternité, mais ce n'est qu'en les détruisant toutes les deux qu'elle le tient. La normalité est donc une aspiration psychopathe et sociopathe au refus du pathologique au profit de son ersatz pathétique.

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