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jeudi 14 décembre 2023

Réaction à chaud après ma première lecture intégrale de la Légende du grand inquisiteur

A Peter Henri (ou plutôt Henri Peter).

J'ai bien pensé à vous ce matin, tombant, dans la suite logique de ma lecture, sur la "Légende du grand inquisiteur" dont vous me parliez si souvent.

L'avoir lue pour la première fois en totalité me fait y réagir ainsi, pour ainsi dire à chaud:

-Elle montre qu'il y a un universalisme russe alors qu'il n'y a pas d'universalisme chinois, sauf le confucianisme que je connais mal, mais dont je me suis laissé dire qu'il enfilait les perles du bon sens.

-Cet universalisme russe jette une lumière crue sur le catholicisme, j'y reviendrai sans doute bientôt dans un post dédié.

-Si Jésus revenait pour saluer les priants de cette terre et leur offrir le cadeau merveilleux de sa visite, la sainte Inquisition qui a "corrigé son oeuvre" ne manquerait pas de le crucifier à nouveau et il n'est pas certain qu'elle ferait preuve de la même mansuétude que le grand inquisiteur sévillan du "mystère" inventé par Yvan Karamazov (mais les romans de Dostoïevski sont pleins de mystères, un "coup de théâtre par page" avez-vous écrit vous-même, dans une succession de récits qui donne le vertige, mais ne sont emboîtés ainsi que pour faire apparaître un fait brute, si on prend comme archétype de l'intrigue du romancier russe la trame de "l'Idiot". De sorte que Nathalie Sarraute, théoricienne du nouveau roman, pouvait dire à bon droit que les personnages de Dostoïevski échappent à la typification balzacienne.

-Pour Dostoïevski (alias Yvan Karamazov), l'homme est ivre d'une liberté dont il ne sait que faire, car il a été créé rebelle. Et pourtant le Christ a préféré la liberté dans la foi que l'assujettissement de ses fidèles. (Dans le chapitre précédent, DostoÏevski parlait d'Alexandre II qui avait aboli le servage en Russie comme du "libérateur du peuple").

-Les croyants capables de suivre le Christ autrement qu'au rythme trè imparfait du troupeau dont il faut faire de la vie "un jeu d'enfants" ne sont pas tant opposés à l'orgueil qu'ils ne sont nécessairement des orgueillieux, car leur âme est forte et puissante, mais le Christ ne les aime pas à l'exclusion des faibles et des médiocres.

-Dostoïevski fait des trois tentations de Jésus les questions d'une raison éternelle qui n'ont mystérieusement pas été perdues par les Evangiles bien que leurs auteurs n'aient pas entendu résonner de l'intérieur les trois tentations du Christ qu'ils restituent comme des narrateurs omniscients dans un mystère exégétique. Yvan Karamazov reformule ces questions à l'usage des masses pour ouvrir à une sorte d'adhésion générale au Christ malgré l'incapacité de chacun en particulier à choisir "dans la connaissance du bien et du mal", sauf s'il fait partie de l'élite des très rares disciples de Jésus-Christ.

-Dans sa manière d'universaliser les questions qu'il déroule, Dostoïevski est bien le maître de René Girard dont il n'est pas étonnant que ce soit en lisant "l'Eternel mari" qu'a commencé son propre cheminement littéraire auquel je reproche de ne pas être suffisamment opératoire, mais aussi de trop réduire le Royaume à ce qu'il en pense, en lit et en voit incomplètement dans les evangiles, avec ce sens de la synthèse exégétique hérité d'un Dostoïevski chez qui tout personnage, le plus plongé dans les bas-fonds soit-il, peut être un exégète.

-Pour ce qui est de la conversion personnelle, je crois qu'il faut garder le conseil du starets à ses moines à son dernier matin: être pécheur, ne pas avoir peur de ses péchés, se repentir tous les jours et si l'on pèche de rechef, ne jamais désespérer.

-Car vous avez raison, on est très mauvais juge de soi-même. Et cela, un prêtre pourtant réputé très fermé l'avait dit en chaire un jour que je l'accompagnais.

-Et enfin, me concernant, même si c'est tout à fait accessoire: je me sens beaucoup plus proche du romantisme russe de Dostoïevski que du romantisme allemand de mes origines germaniques et en un sens, cela me rassure plus qu'à moitié. 

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