Pages

lundi 7 août 2023

Emmanuel Macron et l'école du vide

"Le Monde" dépose avec tristesse le bilan des quatorze mois de Pap Ndiaye à la tête du ministère de l'Éducation nationale.


Pap Ndiaye quitte le gouvernement, la faillite d’un symbole (lemonde.fr)


C'est plus qu'un hochet qui récompense cette personnalité autrefois signalée et aujourd'hui déchue, ministre démis qui, nommé un an auparavant par Emmanuel Macron responsable du musée national de l'immigration, est désormais promu ambassadeur de la France au Conseil de l'Europe. Pap Ndiaye ne voulait pas être reconduit au gouvernement pour ne pas être solidaire de la loi immigration dont les préparatifs sont en discussion entre la "majorité relative" et ses alliés potentiels de droite. Il accepte  néanmoins sans ciller d'être l'ambassadeur d'un pays qui, quand il se dote d'un secrétariat d'État aux droits de l'homme, ne dévolue à cette administration, rattachée au quai d'Orsay,  que le droit de critiquer la dérive des droits de l'homme à l'étranger, la France étant a priori au-dessus de tout soupçon.


Sur son blog, Philippe Bilger trouve que la République est "bonne fille" de récompenser aussi rapidement un ministre ayant brillé par son incompétence. 


Justice au Singulier: Pap Ndiaye : la République est bonne fille... (philippebilger.com)


Pour ma part, je dénonce "l'école du vide" prônée par Emmanuel Macron après "la refondation de l'école" proclamée par Vincent Peillon.


La nomination de Pap Ndiaye au poste de ministre de l'Éducation nationale après Jean-Michel Blanquer et avant Gabriel Attal est la parfaite illustration du "en même temps" d'Emmanuel Macron, homme de l'antithèse, qui gouverne par injonctions paradoxales tel un pervers narcissique assumé.

En Jean-Michel Blanquer, il avait choisi certes un ancien recteur d'académie, mais aussi un homme qui avait dirigé une prestigieuse école de commerce. Le premier message subliminal était d'adapter l'école au marché. Les élèves n'étaient plus au centre du système, le marché avait pris leur place. Et on ne demandait plus à l'orientation professionnelle de relever d'une merveilleuse alchimie entre les désirs de l'élève et les besoins de la nation. C'était parfaitement d'équerre avec le voeu que formait Emmanuel Macron, notre banquier philosophe, d'une jeunesse qui rêve d'être milliardaire.

Mais un autre trait du profil de Jean-Michel Blanquer a été insuffisamment souligné. Il avait contribué à la préparation de la proposition de loi portée par Valérie Pécresse et Patrick Bloche envisageant que l'on repère dès l'école maternelle les élèves qui, issus du quart monde ou des quartiers populaires, risquaient de devenir délinquants. Non seulement le marché était au centre de l'école, mais la sélection, refusée pour l'inscription en faculté, commençait dès l'école maternelle. Ce qui n'empêchait pas Emmanuel Macron de se faire passer pour le président de l'"égalité des chances", désireux que les élèves ne soient pas assignés à résidence et puissent s'émanciper des conditionnements sociaux qui les suivaient depuis la naissance.

Le fringant Gabriel Attal, qui consacre le retour de Jean-Michel Blanquer - car la thèse reste supérieure à l'antithèse en macronie - continuera de tenir ce discours comme il l'a déjà fait. Cet ancien de l'"École alsacienne" n'a-t-il pas eu pour première fonction ministérielle de jeter les bases du service national universel ? Comment mieux signifier qu'on se moque du monde ? Bien sûr, rien de mieux qu'un héritier pour promouvoir la méritocratie républicaine.

Quant à Pap Ndiaye, il a été désigné pour être l'anti-Blanquer et aurait pu incarner tout ce qu'Emmanuel Macron détestait si l'"École alsacienne" n'avait été le tronc commun qui, d'Emmanuel Macron à Gabriel Attal en passant par les enfants de Pap Ndiaye, évoquaient un même profil d'enfants privilégiés et protégés devant libérer de leurs chaînes leurs pairs moins nantis comme aux yeux de Marx, seule la bourgeoisie était en mesure d'éclairer le prolétariat dans sa lutte pour l'émancipation.

Pap Ndiaye n'était pas le premier ministre de l'Éducation nationale dont les enfants étaient dans le privé, mais son indécence consista à les citer ("Jeanne et Lucien") lors de sa passation de pouvoir, comme s'ils étaient des élèves lambda de l'école de la République.

Je l'avais souvent entendu intervenir sur "France Culture", aussi me suis-je donné la peine de lire "La Condition noire - Essai sur une minorité française", ce n'était pas du Frantz Fanon. On y sentait un universitaire méthodique et structuré qui savait mener des interviews et interpréter des statistiques, mais au service d'une démonstration wokiste tempérée par la qualité d'écriture et un besoin toujours pressant de passer pour un modéré, compagnon et presque co-fondateur du CRAN, mais à distance universitaire. Ministre, notre nouveau Moïse de l'éducation a eu de plus en plus un caillou dans la bouche et marquait toujours plus d'hésitations au fil de ses interviews.

Robert Marchenoir a bien défini le personnage quand il l'a qualifié de "Noir professionnel".

Seulement la lutte exclusive contre le racisme et la discrimination ne fait pas un contenu pédagogique. Elle ramène l'école à surexposer les marqueurs identitaires qu'il faudrait précisément dépasser pour devenir des citoyens d'une nation universaliste, ces marqueurs identitaires s'imposant en pleine lutte contre l'identitarisme et prenant la place des "apprentissages" et des "savoirs" dans la construction de l'élève, instruit par une coquille vide en fait d'école, qui ajoute à cette conscience identitaire la prévention des conduites à risques ou encore les gestes de protection de l'environnement plutôt que l'étude de l'éthologie ou des sciences naturelles.

Pap Ndiaye a été une sorte de sous-Vincent Peillon. Admirateur de Ferdinand Buisson, celui-ci estimait que la révolution n'était pas terminée et sa "Charte de la laïcité" entendait faire de l'école une contre-Eglise. La laïcité était une autre coquille vide par laquelle l'école se définissait négativement, mais au moins avait-elle une idéologie, ce qui est le propre d'une culture, même si cette vérité n'est pas bonne à dire après la crise des idéologies. Sous Vincent Peillon, l'école avait une idéologie. Sous Pap Ndiaye, elle se réduisait aux stigmates.

Marlène Schiappa a arrosé avec le fonds Marianne des copains associatifs qui ont fait du "contre-discours républicain" un fonds de commerce sans obligation de résultat. Mohamed Sifaoui a vendu du vent. De son côté, Pap Ndiaye n'a pas eu le courage d'imposer que le collège où il enseignait portât le nom de Samuel Paty. Sa famille a de quoi s'estimer trahie, surtout quand résonnent encore à nos oreilles la promesse d'Emmanuel Macron lui rendant hommage dans la cour de la Sorbonne: "Nous continuerons, professeur." 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire