Pages

mardi 15 novembre 2022

Luc Ferry, comme si tout lui était dû...

Quand j'écoute cet entretien,


Justice au Singulier: Entretien avec Luc Ferry (philippebilger.com)


je comprends pourquoi je ne supporte pas d'écouter Luc Ferry où qu'il plastronne. Je ne peux pas dire que je n'aime pas le lire, je ne l'ai jamais lu. Je ne peux pas présumer de ses qualités philosophiques en termes de connaissance de la discipline, j'en manque trop cruellement pour avoir une quelconque expertise en ce domaine. Il parle de "l'idéologie allemande" avec l'air d'être chez lui dans "la Phénoménologie de l'esprit", je n'ai jamais lu Hegel dans le texte ni même en traduction, je ne l'ai approché qu'à travers ceux qui voulaient bien le décoder pour moi. 


Mais il est dégoulinant de mondanité:  il se prétend  l'ami de tout ce qui compte et il se reprend quand par hasard il oublie d'appeler Régis Debray "Régis", pour suggérer une intimité qu'on ne supposait pas. Il finit par avouer qu'andré Comte-Sponville est le seul philosophe de tout le PIF (paysage intellectuel français) auquel il se pique d'être agrégé de gré ou de force. 


Il commence par qualifier Marcel Gauchet de philosophe avant de se reprendre "C'est le seul universitaire" [de la bande]. Longtemps il gratifie Alain Finkielkraut du titre de philosophe avant de le disqualifier: "C'est un grand intellectuel. C'est vrai qu'il n'écrit pas mal, enfin il a des bonheurs d'écriture. C'est un grand intellectuel, comme Victor Hugo, qui lui aussi est un grand intellectuel" et doit avoir une oeuvre au moins supérieure ou égale à celle d'Alain Finkielkraut...


Quant à la formation de notre discoureur, on le voit "quitter très tôt le lycée" et dix ans plus tard, enseigner à la rue d'Ulm  et raccompagner Raymond Aron qui l'appelle "Luc", non pas paternellement, mais  comme un pair. Il y enseigne bien qu'il ne soit pas normalien et qu'il ne fasse pas mention de sa carrière universitaire.


C'est tout naturellement qu'il est conseiller des princes. IL ne veut pas se baisser pour ramasser un portefeuille de ministre. Mais son épouse, que "tout le monde veut [lui] piquer" et sans laquelle il ne serait rien,  lui a fait valoir qu'"il avait des idées" et qu'être ministre lui permettrait de les faire avancer. Ses idées, il ne s'en souvient plus très bien, il en dénombre trois, la lutte contre l'illettrisme et j'ai oublié les deux autres. Tout bien considéré, il veut bien être ministre, mais c'est à condition de se voir offrir le plus grand ministère de l'Education nationale qui ait jamais fleuri sous la cinquième République, car il ne lui suffit pas d'être à la tête du premier budget de l'Etat: il veut que toute la jeunesse tombent à ses pieds avec les universités,  et il veut être nanti de deux ministres délégués. Ses idées, il ne réussit pas à les faire avancer: les élèves ne savent toujours pas lire, mais c'est dans son bureau, excusez du peu et vous êtes prié de ne pas rire, que se négocie la réforme des retraites avec François Fillon dont le bureau est trop petit bien qu'il soit ministre des affaires sociales. Mais on doit traiter de l'avenir des fonctionnaires, donc on va voir Luc Ferry, c'est tout naturel, car tous les fonctionnaires travaillent pour le ministère de l'Education nationale, comme chacun sait. 


Seul le secrétaire général de la CFDT trouve grâce à ses yeux et à ceux de son collègue Fillon. Quand les négociateurs envoyés par les syndicats ont quitté la table des âpres négociations, à trois heures du matin, les deux ministres éreintés prennent ensemble un petit whisky et trinquent à leur commun mépris de leurs partenaires du jeu social: "Les cons", trinquent-ils, à la manière de Dalladier. "Et dire que c'est pour eux que nous faisons tout ça." Car Luc Ferry, qui avouait ne rien connaître en économie, peut vous le jurer maintenant, lui qui a tout compris en quelques mois de ministère, au budget de l'Etat et aux affaires publiques: si les partenaires sociaux n'acceptent pas les conditions du gouvernement, il n'y aura plus rien, c'est plié,  dans leurs caisses de retraite et ils pourront se brosser. Les syndicats se mettent en grève, les fonctionnaires grognent et Luc Ferry est exfiltré.  La presse de l'époque bruissait du fait que Jacques Chirac avait eu tort d'aller le chercher: il hante les salons et parle de l'illettrisme, mais il ne travaille pas ses dossiers et fait craquer le mammouth.


Quand j'écoutais Luc Ferry et Jacques Julliard commenter sans la comprendre la crise des Gilets jaunes, cette révolte des déclassés, je trouvais qu'ils avaient mal tourné et m'étonnais que tant de beau savoir se répande en tant de cuisante incompréhension. Maintenant je comprends pourquoi je ne les comprenais pas et, privilège de l'âge, je pardonne plus à Jacques Julliard. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire