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mardi 16 octobre 2018

Quand François Ruffin et Médiapart nous permettent de parler intelligemment du handicap et de l'école inclusive


Adalie :

 

« Nos gouvernants ont décidé l'inclusion avec AESH parfois pour pouvoir fermer les structures trop chères à leur goût. Ils réduisent des enfants très fragiles à "subir" l'école, une collectivité qui leur met une pression bien trop lourde quand ils auraient besoin d'être rassurés, entourés et protégés. Total de l'opération, on ne compte plus dans les classes, le nombre d'élèves complètement ingérables, en grande souffrance qui violentent leurs camarades, leurs AESH (quand ils en ont), leurs enseignants. Les classes sont survoltées et les apprentissages ont lieu entre deux crises pour les élèves inquiets, angoissés qui se demandent quand la prochaine violence interviendra. Tout le monde souffre, les parents des autres enfants sont dans l'incompréhension la plus totale mais on maintient le cap, on étouffe les drames humains sous quelques "éléments de langage" pour une pure raison ECONOMIQUE.

La dernière trouvaille réside dans l'inclusion de cellules IME ou ITEP au sein d'écoles ou de collèges... pour progressivement, dans quelques mois ou années, retirer le dispositif et laisser les enfants dans les écoles, sans soin, sans soutien avec des enseignants légitimement dépassés ! Quant aux AESH, mal payé.e.s, mal formé.e.s, ils et elles sont la variable d'ajustement d'un système qui maltraite enfants comme adultes. Ils et elles sont maintenu.e.s dans un une précarité douloureuse pour mieux les envoyer balader chaque fois que le ministère décide de serrer encore un peu plus les cordons de la bourse.

Voilà pourquoi les députés de sa majesté Macron (mais les autres avaient déjà bien préparé le terrain ) ne veulent SURTOUT pas en débattre ! Ils mentent à tous le monde :

- en faisant croire aux parents d'enfants handicapés que l'école ordinaire est un droit et que leurs enfants apprendront aussi bien à 25 ou 28 élèves qu'à 5 dans une classe protégée d'un établissement spécialisé ;

- en fustigeant dans les médias les enseignants qui font mal leur travail si ces élèves fragiles explosent dans les classes ou  en pointant du doigt la faiblesse globale des acquis des élèves . On ne mesure pas les temps de non-apprentissage , la perte de concentration liée au parasitage  de l'attention dans une classe où quelques élèves souffrent et font souffrir les autres ;

- en maintenant les AESH, payé.e.s une misère, sur un fil qui peut casser à tout moment.

Pourquoi ces députés, ministres ou président discuteraient-ils publiquement d'un projet rampant qui cherche uniquement à faire des économies au détriment de TOUS les élèves ?

Les enseignants font un burn-out, les le concours de recrutement des professeurs ne fait plus le plein, les écoles privées se frottent les mains puisqu'elles récupèrent pas mal d'enfants qui fuient les écoles publiques et refusent les enfants qui les dérangent. Le système est bien rodé et nous conduit tout droit vers une école à deux vitesses. Le système anglo-saxon : tu paies et tu peux apprendre, tu ne paies pas et tu apprendras peut-être ! C'est ce qu'ils appellent la réduction des inégalités sans doute !

Et je crains fort que ce ne soit pas fini : il est question de réduire le nombre d'AESH qui "seraient illégitimement" trop nombreuses... »

 

Adalie, votre commentaire est remarquable, et je regrette que le lien qui me permettrait d'y répondre directement soit toujours inactif sur mon ordinateur et sur le site de Médiapart avec mon lecteur d'écran, ce qui vous indique que je suis déficient visuel, comme on dit en langue périphrastique, la même qui a fini par inventer de rallonger l'adjectif "handicapés" en (personne) "en situation de handicap" et qui a donné l'écriture inclusive que vous semblez affectionner, mais c'est bien le seul défaut de votre analyse.

 

Ce préliminaire linguistique n'est pas indifférent. Depuis 2005, l'approche sociale de la question du handicap ne met plus l'accent sur la déficience, mais sur des déficits de situation créés par la déficience. En pratique, cela produit une logique inclusive, quel qu'en soit le coût humain, alors qu'une approche qui reconnaîtrait l'existence de la déficience conduirait à envisager une scolarité à la carte pour l'enfant, quelquefois dans le milieu ordinaire et quelquefois dans le milieu spécialisé, avec des passages de l'un à l'autre si les prérequis de la compensation du handicap sont acquis.

 

La logique inclusive n'est pas démagogique dans son principe, mais des démagogues s'en sont emparés pour faire croire aux personnes handicapées et à leurs familles que ce sont des personnes comme les autres, à une différence près (d’où le langage différencialiste), mais cette différence est méliorative alors qu’en réalité, elle est handicapante, elle réduit la mobilité physique, mentale ou sociale, elle est un stigmate, pour employer le langage d’Herving Goffman.

 

Cette confiscation démagogique d’une revendication d’autonomie légitime aboutit à ce discours tenu implicitement par le pouvoir : si je suis comme les autres, je dois travailler comme tout le monde, donc l’Etat crée une loi pour obliger les entreprises à m'employer, sauf que, comme je ne suis pas rentable, les entreprises qui cherchent la rentabilité préfèrent payer une amende que de m'employer. Mais puisque je suis susceptible d'être salarié, on ne me servira que des allocations compensatoires et non pasun revenu minimum.

 

Si je suis comme les autres quand je suis un enfant, l'école obligatoire doit m'accueillir et me faire une place, même si les troubles dont je souffre affectent la classe et si le comportement de la classe à mon égard me fait souffrir.

 

Les instituts spécialisés étaient des cocons protecteurs destinés à me donner les ressources  nécessaires à entrer  dans le sas de la vie ordinaire. Ils n'ont pas tout réussi. En 1990, on estimait à un sur dix le nombre d'élèves sortis de l'INJA (institut national des jeunes aveugles) qui s'étaient bien intégrés dans la société. Qu'en sera-t-il quand on fera le bilan du "tout inclusif" ?

 

En plus de ce que vous avez mentionné, on peut déjà en observer deux conséquences notoires, relativement universelles :

 

- Les enfants handicapés font une double journée : dans la première, ils doivent acquérir les apprentissages de tout le monde et dans la seconde, ils doivent acquérir les apprentissages nécessités par leur infirmité - j'emploie à dessein ce mot désuet -. Cette double journée se déroule dans un contexte d'inversion pédagogique, puisque l'enfant devrait d'abord maîtriser les techniques qui lui permetttraient ensuite de suivre avec un certain confort d’apprentissage l'enseignement commun à tous. Cette double journée augmente en outre la fatigabilité d'enfants que leur fragilité fatigue déjà. Elle est donc absurde à tous les points de vue. 

 

- Mais il y a plus grave. Étant donné que l’enseignement spécialisé pare au plus pressé, beaucoup d’élèves n’auront pas accès à des techniques aussi indispensables que la locomotion, d’autant que de laisser leur enfant se déplacer seul fait peur à beaucoup de parents. Je suis personnellement en contact avec un lycéen que la canne blanche rebute et qui ne sort jamais seul, bien qu’il soit intégré dans une classe ordinaire depuis son plus jeune âge. À ce déficit de connaissances des techniques palliatives par les élèves, s’ajoute le manque de formation des professionnels (qui n’affecte pas seulement les auxiliaires de vie scolaire) : un enseignant spécialisé pour élèves déficients visuels n’est plus tenu de connaître le Braille s’il n’est pas professeur des écoles.

 

L’enseignement spécialisé ne sera bientôt plus, le modèle inclusif ferme toutes les écoles. C’est autant d’économisé pour la sécurité sociale puisque tout son personnel était rattaché au ministère de la santé et ne dépendait pas de celui de l’éducation nationale. On est passé d’un extrême à l’autre.  La représentation collective du handicap était dans le tout curatif, elle est aujourd’hui dans le tout éducatif. Il faut prévenir, élever  et guérir. Mais tout cela coûte cher. Pourtant la radicalité du handicap devrait mettre la société en face du mystère de l’essentielle gratuité humaine.

 

En attendant et pour parfaire le bilan du « tout inclusif » censé scolariser tous les enfants, un de mes amis travaillant dans la « rééducation » spécialisée dans mon département, a avancé devant moi le chiffre de soixante-quinze enfants déficients visuels ne bénéficiant d’aucun suivis par un service spécialisé faute de moyens.  Jusqu’à quand tolérera-t-on le scandale de la scolarisation des enfants handicapés dans de telles conditions ?

 

Je me sens souvent bien seul à tenir ce discours. J’ai l’impression, chère Adalie,  que vous en produisez quelques échos et je vous ensuis reconnaissant.

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