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lundi 25 juillet 2011

Aphorismes cruciverbistes, la vie lévitante (I, II, III)

APHORISMES CRUCIVERBISTES




(sur le fil du rasoir et des jours)






I LA VIE LEVITANTE






1 . Les liens.



Le détachement est un antidouleur. [1]



L’attachement est un désir de permanence.



On se détache par peur de l’arrachement.



On refuse de se détacher par peur de la dépossession. On veut garder de l’emprise pour se garder d’être possédés. On s’accroche, comme si notre liberté n’était pas sauvée. Au vrai, rien ne peut nous départir du sentiment que notre liberté est enchaînée. Nous sentons notre liberté tenue en laisse au bout de sa chaîne. A notre sens charnel, le diable est déchaîné et c’est notre liberté qui est enchaînée ; alors que, selon le sens spirituel, le diable a été enchaîné pour que notre liberté soit délivrée, mais nous avons peur qu’elle se déchaîne…



Tout renoncement est une amputation. On parle beaucoup du renoncement, mais on en parle surtout. On a peur de renoncer parce que, là où le psychisme est engagé, l’opération se fait à vif. Plus sommairement et plus archaïquement, on a peur de renoncer parce qu’on a peur de perdre, tel le crabe qui s’accroche à ses pinces. Or qui ne peut dépasser ni raisonner la peur de perdre ne peut avancer qu’en rampant. Pour cesser d’avancer comme un chancre, comme un cancer, comme un serpent, comme un crabe ou comme un diable, il faudrait pouvoir renoncer à la peur de perdre.



Peut-être ne se dit-on attaché à dieu que parce que l’on a peur de constater à quel point on est naturellement détaché des hommes. Le mystique n’est peut-être si suintant que par insensibilité.



La souffrance suscite la compassion ; le malheur suscite l’incompréhension ; et la misère suscite l’indifférence. La souffrance s’épanche ; le malheur se tait et la misère s’ignore.



L’idolâtrie est une patère qui fait contrepoids à notre peur du vide.



La vie est abondante et elle nous abonde.



Je n’aime pas la vie, et pourtant j’aime vivre.



La vie ne tient qu'à un fil et on y tient, mais c'est plus souvent le fil qui nous tient que le contraire. Il est de fait plus facile d'être somnambule que d’être funambule.



La vie ne tient qu'à un fil ; mais, quand on ne tient plus à la vie, la vie ne tient plus à rien. C'est ainsi qu'on peut mourir de chagrin ; ou mourir, dans un syndrome de glissement qui nous efface à petit feu, un petit feu qu'on est heureux de nous laisser éteindre.



La vie ne tient qu’à un fil et il faut s’y accrocher.



On ne peut s’accrocher à rien dans la vie, mais il faut s’étendre sur les ailes de dieu et se baigner en Dieu en suivant la voie des anges.



On ne sait pas à quoi tient le fil de la vie, il est comme l’axe de la terre.



Le fil de la vie est électrique, empathique, télépathique, affinitaire.



Il ne faut pas tenir à quil'on aime. Si le Français parlait encore au datif, il marquerait que, quand on dit :

"Je tiens à toi",

cela veut dire :

"Je te tiens !"

Le datif se veut la déclinaison attachée au don. « Je te tiens », c’est l’antidatif, c’est le captatif. Le datif, ce devrait être l’anticaptatif.



Il ne faut pas se laisser vivre en conflit intérieur avec soi-même pour éviter que ce conflit ne dégénère en emprise surles autres. Il est urgent de désenchaîner son esprit pour délier ceux que l'on s'est injustementenchaînés, car par la censure que nous nous imposons à nous-mêmes, nous empêchons ceux sur qui nous avons jeté notre dévolu d'évoluer, sous prétexte de ne pas leur faire du mal en les quittant, en rompant le lien où nous les avons injustement engagés à nous.



Il y a deux manières d'être somnambule, soit qu'on se mette en transe pour se laisser porter, soit que le travail nous hypnotise comme un complot du monde pour se faire porter pâle [2] par nos visages, ([3]) sans que le monde prenne égard à ce que les Indiens que nous ne sommes plus disposent d'une moindre capacité à en soutenir les soubassements, que le fil de la vie n'en détient pour ne pas nous laisser tomber quand nous oublions de le tenir. Nous sommes des équilibristes déséquilibrés, à la torture de la pâture.





2. La ligne de vie.



La vie humaine est une ligne brisée comme le cycle de l'eau, mais brisée, en ce qui la concerne, par la nostalgie de ne pas être un arbre planté au beau milieu du cercle paroxystique et paradisiaque de l'éternité. (Entre le paradoxe, le paroxysme et le paradis, il y a parenté de radical ; mais la parenté n'est intéressante qu'à l'hypoténuse, entre paradoxe et paradis. Est-il radical d'être paradoxal, et l'intrusion du paradoxal dans le paradigme du paradis ne trahit-elle pas qu'on fait parade de paroles comme le paroxysme essaie de lancer une parabole dans le ciel pour avoir des antennes ? L'éternité est le paradis du temps come le jardin persan l'exprime dans l'espace.)



La vie se présente à la fois et alternativement sous un aspect cyclique et éternel. Elle est caractérisée par la permanence du cycle et la variabilité de la sensation de pérennité. La vie se meut entre « l’éternel retour du cycle » et le sentiment mutant de la permanence. Cette variation n’est peut-être jamais mieux désignée que dans cet oxymoron qu’est « l’état d’âme ».



La vie est un sillon qui essaie de se tracer comme le diamètre d'une nébuleuse dont le centre est le vent, créant dans son atmosphère de souffle d'envoûtants sortilèges, dont la moindre variation n'est pas que l'envoûtement se transforme en clef de voûte et le sillon en thème. La vie est une symphonie crépitante que, sur son échelle, vient canaliser l'outrance des nuages dont l'effusion d'averse vient étendre le sillon lessivé au contrecourant du fil du lac d'une âme dont rien ne peut altérer la tranquillité du fond sans vase, l’âme repose sur de bonnes bases.



La charrue qui laboure le sillon de la vie peut être tirée par des boeufs imbéciles à force de docilité, mais ont-ils mauvais fond avec leur souffle chaud ? Ils ont été castrés. On ne devient mauvais qu'après être tombé. Il n'y a pas de méchanceté que ne prévienne la trahison d'une innocence, pas de malignité que ne précède une chute.



Un souffleur de verre fait des formes avec son souffle. Sa matière première est de la fibre, du sable. Friable est la fibre dans ses mains lacérées, mais le sable, sous son souffle, écrit.



Faute de pouvoir changer les lignes de sa main, il est bon de faire bouger les lignes de sa vie.



L’amour est un effet d’entraînement.



Il faut scrupuleusement veiller à ne pas arracher l'écharde de sa chair.



3. La grâce et le vide.



"Le vide crée une avidité que soutient l'imagination" (Père André-Marie foutrin)


L’homme se retire du vide par le moyen de l’avidité et quand il croit, vaincu, se rendre au vide, c’est la Grâce qu’il trouve à sa place.



Si l’air est l’élément du ciel, inspirer, c’est faire entrer le ciel en soi ; et faire entrer le ciel en soi, c’est recevoir l’inspiration. Quand on quitte ce monde, on expire. Expirer, c’est être aspiré par le ciel.



Il faut prendre la vie à la légère pour lui donner du souffle. Sur lequel s’envoler.



La vie n'est pas soumise à la gravitation.



Pour vivre en apesanteur, il ne faut pas s'appesantir. Cela donne à notre visage une grâce solaire. Mais un couple est formé par l'appesanteur avec la grâce solaire et un autre par "LA PESANTEUR ET LA GRACE". [4] Car la pesanteur et la Grâce ne sont pas opposées. La Grâce de l'appesanti, c'est son visage transfiguré par la transparence de sa fragilité ; la grâce de l'ensoleillé, c'est l'illumination de celui qui a trouvé le chemin durayonnement sans avoir eu besoin de la Grâce. L'appesanti vient du ciel, l'ensoleillé va au soleil. Ce qui distingue l'appesanti de l'ensoleillé, c'est un certain rapport à l'épreuve, mais c'est aussi que l'appesanti se croit indigne d'un dieu qu'on ne peut atteindre tandis que l'ensoleillé identifie Dieu au soleil ou L'exporte au-dedans. L'appesanti se brûle les ailes quand l'ensoleillé se les chauffe en faisant disparaître son angoisse dans des séances d'ultraviolets. L'appesanti et l'ensoleillé sont deux modèles de naturel, mais le premier vit dans la consomption du surnaturel quand le second se satisfait d'une religion naturelle. Par celle-ci, l'ensoleillé devient le descendant de Dieu tandis que celui-là croirait manquer à la Transcendance divine de ne pas la laisser descendre jusqu'à lui. Si l'ensoleillé n'a pas nécessairement de religion biendéfinie, voire s'il se vit comme "libre de Dieu", c'est qu'il croit irradier par la grâce naturelle à la vie, tandis que l'appesanti attend le résultat de son recours en Grâce. [5]



Si l'on pouvait ou devait départager l'ensoleillé et l'appesanti, bien que la manière dont ils rayonnent soit essentiellement une affaire de tempérament, et de densité avec laquelle on a subi ou aimé la vie, il faudrait être en mesure de savoir si Dieu Est le soleil ou la vie ou s'Il Est une force extérieure au dynamisme organique du moteur vrombissant dont l'explosion qui est à son principe est à l'origine de l'entretien de notre peur de vivre en dégagement.



" Dieu, c'est une Lumière qui parle à ton esprit et qui te dit la vérité, mais non pas dans le langage des hommes " (Franck Bourel)

Julien Weinzaepflen (dit le Torrentiel)


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[1] Nous étions en train d'observer depuis la plage, avec un prêtre que je connaissais et que je rencontrai par hasard à Nice où nous étions descendus dans le même hôtel, quatre personnes faisant du parapente attachées à un bateau quand le Père O-Sullivan me glissa à l'oreille :

"Vous vous imaginez si l'attache lâchait ?"

Eh oui ! Si l'attache lâchait ! Un ami de mon frère définit la vie comme balançant entre "le lien" et "le mouvement". Je ne sais pas quelle est la fascination malsaine qui pousse les mystiques occidentaux à tant préconiser "le détachement". car, outre que celui-ci n'a rien d'une évaporation qui pourrait, au lieu de confondre ou d'échanger les deux coeurs, humain et divin, "dissoudre" l'esprit humain dans le flot de l'Amour divin, dissolution corrosive comme le sel, les mystiques ont beau se dire détachés, nul n'est plus attaché qu'eux ! Chez eux, "LA CERTITUDE DE L'ESPERANCE" survit à "la nuit de la Foi" ! (Sur "LA CERTITUDE DE L'ESPERANCE : réf. au titre d'un ouvrage du doyen André Wartelle et de l'archéologue André Berthier. Sur "la nuit de la Foi", penser à l'expérience de catherine de Sienne, de sainte-Thérèse de Lisieux doutant de l'existence de Dieu pendant presque une année et ne se réveillant de ce doute que sur son lit de mort. Tout en doutant, elle n'avait jamais cessé de désirer croire, et elle avait offert la perte du sens de sa vie qu’était sa foi, pour "sauver les âmes » qui n'avaient pas eu le privilège de connaître Celui Qui la faisait vivre : ainsi aurait-elle pu décrire, je crois, la nuit qu’elle traversait, elle dont la première interrogation d'enfant se rebellait contre la différence de la taille et de la beauté des fleurs entre elles, différence qui trahissait, lui semblait-il, que Dieu avait des préférences... De même, la publication du journal de mère Thérésa a faita pparaître que, pendant près de 50 ans, cette soeur que le monde entier faisait vivre en odeur de sainteté, ne sentait pas le Dieu Auquel elle avait voué sa vie ; et, non seulement ne le sentait pas, mais elle était convaincue par cette sécheresse de sa prière qu'Il ne devait pas exister puisqu'Il ne lui répondait pas, bien que son âme, peut-être peu poreuse, continuât de s'astreindre, à l’indienne, à Le prier, à faire comme si... Qu'est-ce qui l'a retenue toutes ces années ? La volonté de tenir, pas un pari spéculatif comme l'a sottement présumé Pascal de ses propres forces, qui ne savait pas qu'en-dessous des motifs bien ficelés de son raisonnement noué comme un « bouclage » (dominique descottes), il y avait une faiblesse de constitution qui l'inclinait à penser, comme presque tous les humains, qu'il fait bon croire plutôt que de se mouvoir dans le noir et dans l’intenu de l’inconnu! Voilà ce qui fait allumer aux moins religieux d’entre nous des cierges aux heures les plus sombres ou les plus cruciales de leur vie. Il fait bon croire, "toucher le rocher" de Lourdes, vouloir être convaincu, s'efforcer de s'éclairer à la chandelle d'un souffle pour ne pas perdre pied quand tout vacille. Ceux qui ferment les yeux sans savoir ce que c'est que le néant de voir croient que le néant est tragique. Il n'en est pourtant rien, j’en parle en ayant l’expérience existentielle du néant visuel, sans pour autant me croire capable de penser le néant, car le néant est un impensable. Je n’ai pas pensé le néant et sais bien qu’il fait bon croire, et ce n'est pas moi qui nierai que l'on n’est fort que tant qu'on n'a pas mal !)

[2] Le monde nous prend pour ses brancardier, nous, des malades... Il voudrait que nous le fassions rouler et, pendant ce temps-là, c’est lui qui nous roule…

[3] « visages pâles ! », criaient les Indiens à propos des hommes blancs, quand ils eurent cessé de les prendre pour des dieux. « Le sanglot de l’homme blanc », c’est qu’il n’y a plus personne pour le prendre pour un dieu, lui qui découvrit un continent en se trompant sur la destination à laquelle il était arrivé… Ce qu’il y a de drôle, c’est que des nudistes l’aient pris pour un dieu, lui qui s’est découvert séparé du Sien lorsqu’il a dû revêtir « une tunique de peau » ou une feuille de vigne pour cacher sapudeur.



[4](Cf. Simonne Weil)

[5] Michel Onfray a dit que « l’athée était un homme libre devant dieu ». Cette profession d’athéisme trahit selon moi le lapsus d'une profession de Foi, car la rigueur des termes exige de dire que l’athée n’est pas un homme libre devant Dieu, sans quoi il reconnaît un etre face Auquel être libre, mais l’athée est un être libre de Dieu.



Tout croyant (et croyant converti) que je suis, c’est-à-dire croyant ayant recouvré la Foi, et l’ayant recouvrée peut-être pour me couvrir, l’objectivité m’oblige à reconnaître que je n’ai jamais été aussi heureux que lorsque j’étais libre de dieu, c'est-à-dire lorsque je n'avais pas la foi. Et pourtant, telle est la loi du lien qui, désormais, m’unit à dieu, qu’à présent que je L’ai découvert, à présent que je L’ai reconnu, plus rien ne saurait me séparer de Lui.

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