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mercredi 27 octobre 2010

LA VOIX ET LE REGARD

La voix est la marque thoracique de l'âme dont les yeux sont les fenêtres.

Voix et yeux sont l'expression de l'âme, mais les yeux en sont l'expression extravertie qui la mettent en relief à destination du reste de l'existant, tandis que la voix est poitrinaire. Elle frappe à la poitrine de son possesseur pour libérer en l'extravertissant la connaissance qu'il voudrait avoir de son âme, mais un ordre est donné que la voix reste enfermée dans la cage thoracique pour être entendue, comme l'a si bien dit Malraux, par les oreilles à l'extérieur et par la gorge à l'intérieur. La voix est poitrinaire, ou pour le dire autrement, elle vit dans le sanatorium de la pensivité. La voix est enfermée parce que la pensée s'est cloîtrée et cloisonnée dans le monastère où, en fait d'être au secret pour se retirer et prier, et aller à la rencontre de Soi ou du Dieu Intime que l'on porte en Soi, elle erre d'heureuse dilection dans les travées de la distraction où elle parle, observatrice et sans charité bien plus qu'observante et chartreuse, des moines des stalles d'à côté, dans "les petites chapelles" (qui bernèrent le vieil amant de Manon Lescot) aussi bien qu'aux restaurants où l'on déblatère à part soi quand on dîne seul.

A quoi sert-il qu'il y ait des visages qui produisent de la lumière si l'on a perdu les hommes pour savoir la regarder ?
La voix, comme le regard, est unique.
Il y a pourtant des types de regard et des fonds de voix. ([1])
Par exemple, il y a des voix hypocrites dont le déguisement de la pensée est devenu un revêtement du parler qui trompent jusqu'à leur émetteur. des voix où la perversité s'entend et qui sont souvent des voix de prêtres ou des voix dépravées d'homes de droite, étant entendu que la droite est très hypocrite puisqu'elle ne sait même plus qu'elle fait de la psychologie inversée ([2]) et que, quand elle thésaurise au nom du "bien commun", c'est uniquement pour qu'on ne lui fasse pas les poches.


[1](comme je disais quand j'étais petit qu'il y avait des "marques de chiens" alors que c'étaient des "races", m'avait-t-on corrigé, mais le mot ne me plaisait pas, un de mes copains d’école aimait à employer cette expression de « fond de voix » alors que l’on parle plutôt du « grain de la voix », comme on parle des « couleurs de l’orgue » ou de celles d’une symphonie. Or cette expression de « fond de voix » est merveilleusement adaptée à la nature de celle-ci, car la parole par du fond de celui qui parle, et la voix la fait vibrer dans sa poitrine. La voix est un intermédiaire entre « le silence des organes » que ne troublent les battements du cœur qu’en cas d’arythmie ou d’effort et l’extraversion d’un message projeté sagitalement vers le monde, mais qui résonne en vibrant comme une introversion dans celui qui parle et que parler libère si peu de sa gangue que c’est ce qui empêche, même si sa parole part en flèche, son messaged’atteindre son but.
[2](expression empruntée à sandrine Moreau, mon ancienne femme de ménage, à propos des pessimistes qui le deviennent pour n’être jamais à l’abri d’une bonne surprise, comme c’est généralement le cas des hommes de droite.)

5 commentaires:

  1. A la suite de la parution de ce petit "article" sur une liste amicale, s'en est suivi l'échange que voici avec Mme Agnès Robert, chanteuse lyrique:

    Agnès Robert:

    Bon, Julien, juste pour vous donner mon sentiment concernant l’”enfermement” de la voix. Ceci est une chose heureuse car la voix sans enfermement partiel, je dis bien partiel, ne pourrait se faire entendre car le son laryngé ne rencontrerait aucun résonateur ! De même que le cloître permet la vibration de l’âme, la voix ne peut se faire entendre que si elle rencontre de la matière pour propager la vibration qui s’initie à l’occasion de la phonation.
    Ceci est le propos d’une chanteuse lyrique de métier, comme je crois, vous savez.
    Vos considération concernant les “hommes de droite” peut se généraliser à gauche aussi, mais doit s’individualiser en disant “certains hommes de droite comme de gauche” et donc aussi, du centre. Oui, je suis d’accord avec vous pour dire que la perversion s’entend très bien dans la voix.
    Amitiés,
    -- Agnès ROBERT

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  2. Moi, dix minutes plus tard, soit le 9 octobre 2010 à 12h37:


    Chère Agnès,

    Je suis content de votre réaction à plus d'un titre, d'abord parce qu'en corrigeant ce texte déjà ancien avant de l'envoyer à ce groupe, je me rendais compte que c'était vraiment la réaction d'un homme face à sa voix parléee (j'avoue que c'est vous qui me faites penser à la voix chantée). Je pense que la femme a un tout autre rapport à sa voix que l'homme. La voix de l'homme est poitrinaire. La voix (même parlée) de la femme est plus près de son visage que de ses entrailles. Pour la raison simple que ses entrailles sont affectées à une autre fonction. La transition entre la voix poitrinaire et la "voix de visage" est la voix de gorge, plus fréquente chez la femme que chez l'homme. Lla voix parlée de la femme, parce qu'elle a les réflexes de son visage, est plus extravertie que la voix de l'homme. La femme met du sourire dans sa voix comme il est rare que l'on voie une femme se renfrogner sans perdre sa féminité. D'autre part, vous avez très bien cerné que j'établissais un lien entre la voix et le cloître par l'intermédiaire (plus ou moins implicite) de la pensée. Ce qui est à l'origine du chant lyrique est de l'ordre, me semble-t-il, de la déclamation poussée à son degré le plus extrême. Ne le prenez pas en mauvaise part : la déclamation peut commencer par la vocifération (je me sens à mes heures un poète vociférateur) pour trouver son achèvement expressif dans le chant lyrique. Pourquoi le chant lyrique est-il un achèvement expressif ? Vous le dites très bien, parce qu'il cherche un résonateur.

    Amitié

    Julien

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  3. Agnès Robert, le 9 octobre à 14h18:

    Oh la la, on pourrait discuter longtemps.

    J’ai des réserves lorsque vous distinguez tant la voix d’homme et la voix de femme.
    La voix de femme optimisée résonne en tête mais aussi en poitrine, et ce, dans des proportions variables, selon la nuance forte ou piano, et selon l’épaisseur de timbre que l’on veut y mettre. La problématique de ce mixage, chez l’homme, est particulièrement saillante pour les voix de ténors : le “fort ténor” mixe peu ; le ténor plus lyrique (par opposition à “dramatique”) mixe davantage. Adolphe Nouri, ténor qui défendait la mixture, s’est suicidé à cause de cette bagarre qu’il y a eu parmi les chanteurs.

    Si ! La voix de la femme est en rapport avec ses “entrailles” ! C’est ce manque de relation avec les entrailles qui donne des sopranos sans graves ! Alors que la voix de soprano bien travaillée est presque sur toute sa tessiture mixte : tête poitrine.

    Pour les entrailles, sachez que plusieurs de mes élèves femmes ont en cours une fois éclaté en sanglot, me déversant leur traumatisme : elles avait été violées ! Oui, je ne l’invente pas ! C’est venu au déversoir par l’effet du travail vocal. Je vous laisse mesurer le rapport entre le “ventre” et la “gorge”...

    Les différenciations tête, poitrine etc viennent simplement des zones résonantes selon les fréquences émises par les cordes vocales dans le larynx. Elle se “trouvent” toutes seules si on n’y met pas d’obstacle, et dans les obstacles, je mets aussi bien ceux qui ressortissent du psychique que ceux qui proviennent d’un manque de maîtrise du corps, engendrant, pour ces derniers, des tensions musculaires parasites. Il faut un long et assidu travail pour se débarrasser de ces tensions parasites.

    La déclamation n’a rien d’opposé à la “presque clôture” du cloître. Mon vécu personnel est que, au dedans, je suis parfois une moniale, et qu’au bout d’une sorte de tunnel, j’entre en scène, devant le public pour dire ce qui est au dedans.
    Je ne vocifère plus : je vociférais à une époque où mon chant était, pour des raisons psychiques personnelles, un cri mal sublimé. Aujourd’hui, par bonheur, mon chant est devenu vraiment un art, c’est à dire, qu’il n’a plus le caractère insupportable à mon avis de l’exutoire thérapeutique, mais qu’il est une expression gratuite, détachée (autant que possible, bien entendu !!!) de son contexte anciennement pathologique.

    Je suis d’accord pour dire que les vibrations de tête sont plus proches du visage que celle de poitrine, bien entendu, mais précise tout de suite que la voix, en aucun cas, si on veut l’optimiser, ne doit être volontairement “envoyée” vers des résonateurs sensés se trouver “dans le masque”. Ce genre de bêtise “voix dans le masque” occasionne une remontée du larynx entraînant l’empêchement pour les cordes vocales de vibrer de manière optimale : moindre effort pour résultat optimum.

    Voilà pour tout de suite. A bientôt.

    -- Agnès ROBERT

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  4. Ma réponse le 9 octobre à 15h45:


    Chère Agnès,

    Je ne rivaliserai pas avec vous d'observations techniques sur la voix chantée, je n'en ai pas la compétence. Je ne parlais pas de "voix optimisée" : Mon propos n'était que d'essayer d'exprimer ce qui se passe pour la voix parlée. Et pour tout vous dire, je ne prétends pas tout comprendre de ce qui relève, dans vos remarques, de la science d'un professeur de chant qui a travaillé sa voix pour la produire, elle-même, sur une scène.

    Pour ne vous répondre que sur ce que j'ai compris (ou cru comprendre), si le fort ténor mixe peu et, de même, si c'est le manque de relation avec leurs entrailles qui donne des sopranos sans grave, c'est que les premiers ont une part féminine très développée, ce qui leur permet de chanter directement avec leur ventre. Pour la même raison, les sopranos qui ne chantent pas avec leurs entrailles sont sans graves, parce qu'elles laissent leurs entrailles être dévolues à une autre fonction biologique, qui est celle de la maternité. Les sopranos qui chanteraient avec des graves sont certes plus complètes du point de vue du chant, elles sont peut-être même plus complètes du point de vue humain, car leur féminité contient de l'animus, mais leur voix laisse moins de place à leur maternité, contrairement à ces élèves qui se sont mises à pleurer pendant vos cours, parce que tout ressortait de leur ventre, dès lors qu'elles se sont laissées aller à chanter avec celui-ci. Inversement, Adolf Noury, "défenseur de la mixture" et ténor lyrique, mais pas du tout paradoxalement adramatique selon moi, s'est peut-être suicidé parce qu'opérant cette mixture, le drame qui le nouait ne pouvait sortir de lui en présence de tant de technicité. Il s'étudiait pour opérer le meilleur rendu possible d'un drame qui n'était pas le sien.

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  5. (Fin de la même réponse):
    En second lieu, j'ai dû mal m'exprimer pour vous donner l'impression que j'établissais une opposition entre le "vociféral" et le claustral. Je ne crois pas non plus que le chant lyrique relève de la vocifération. Il peut certes le faire à un stade très primaire. Ce que je pense, c'est que le claustral est en rapport avec l'introversion de la pensée. Inversement, la déclamation, dont la vocifération (qui peut être parlée) n'est que l'une des formes ressortit à l'expression. Vivre dans le cloître de sa pensée, de sa prière, n'empêche pas de s'exprimer. Le moine n'est pas un négateur de son corps : il travaille, le plus souvent manuellement, au moins un tiers de sa journée, avec lui. La seconde partie de sa vie diurne se passe à prier ; mais mesure-t-on que cette prière se fait pour au moins la moitié d'entre elle dans le cadre d'offices dont l'essentiel est chanté ? Lui qui vit dans le silence, son abstension de donner de la voix se fait durant sa vie de travail, encore qu'il n'hésite pas à entretenir les conversations nécessaires et parfois, elles outrepassent la nécessité dans l'intérêt de la vie fraternelle. Quant au "silence de ses organes" pendant la prière, il est troublé, pour une bonne moitié du temps imparti à celle-ci, par le chant auquel il s'adonne, où la voix a sa part, non pas certes sous sa forme la plus expressive, mais pas non plus recto tono.

    Voilà ce qu'à mon tour, je puis vous dire pour l'instant. Je ne sais pas dans quelle mesure mes remarques peuvent rencontrer votre assentiment. Je répète que ce ne sont pas celles d'un professionnel et que ce que je me proposais de décrire était la voix naturelle.

    Amitié

    Julien

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