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jeudi 9 octobre 2025

Macron veut "prendre ses responsabilités", démissionner ou décréter l'article 16?

après son approbation.

Sébastien Lecornu était très attendu hier soir dans un numéro dont la première équivoque formelle était qu’on ne savait pas pourquoi c’était lui qui devait prendre la parole ni tenter d' »ultimes négociations », et on s’est aperçu que lui qui était nommé Premier ministre -pour quoi faire- avait fait gagner quarante-huit heures à Macron en acceptant la « mission flash » qui lui fut confiée par le président après sa démission qu’il avait acceptée, et était invité au « 20h » de « France 2 » à parler pour ne rien dire ou plutôt si! Pour lui faire gagner quarante-huit heures de plus en assurant que « le président de la République allait nommer un nouveau Premier ministre sous quarante-huit heures »,, mais quand on sait avec quelle lenteur il nomme un gouvernement après avoir nommé son Premier ministre -encore, nome-t-il son gouvernement en deux étapes, autre inédit sous la Vème République: une annonce pour les ministres et une autre pour les secrétaires d’État-… Le président qui après Sarkozy a confisqué la Lanterne, l’ex-résidence des Premiers ministres où les révolutionnaires de 89 voulaient pendre les aristocrates, le président est parti pour nous faire lanterner.

Lecornu a repris à son compte pour se congratuler le qualificatif de « moine-soldat » que son entourage lui décerne. Il en a fait un peu trop dans l’autosatisfaction -les fleurs ne coûtent pas cher en hiver et ce n’est pas Macron qui lui en offrira-, mais on retiendra sa loyauté envers un mentor qui aurait gagné du temps s’il lavait nommé plus tôt et s’il ne s’était pas laissé tordre le bras par François Bayrou, le Premier ministre qui lui a fait perdre du temps en se déclarant capé pour gravir l’Himalaya et en posant crampons et piolet à la première difficulté budgétaire. Sans doute notre nouveau Premier ministre démissionnaire serait-il arrivé au même résultat que le Béarnais, mais sans jeter l’éponge par une absurde « motion de confiance » qu’il ne pouvait pas remporter.

Lecornu a assuré le service avant-vente de la parole présidentielle: « Le spectre de la dissolution s’éloigne » et « un chemin s’ouvre » sans que jamais Léa Salamé lui demande lequel. De même , il n’a cessé de ponctuer son interview de: « J’ai démissionné » sans que Léa Salamé lui demande la raison de son coup de tête. Sous-entendu, « je quitte ce panier à crabes, même si je trouve Édouard Philippe et Gabriel attal mauvais joueurs d’affaiblir l’institution présidentielle qui les a traités comme des fusibles, quand bien même c’est celui qui préside mal qui affaiblit tout seul comme un grand la fonction présidentielle. »

Lundi dernier, Emmanuel Macron promettait de « prendre ses responsabilités ». On peut craindre le pire. Cependant, courageux, mais pas téméraire, le président s’accordait un premier sursit de deux jours en envoyant Sébastien Lecornu au charbon pour consulter la horde des chiens enragés, muselés par des dents désappointées, ayant perdu leur aiguisement d’avoir trop rayé le parquet.

Psychologiquement, Macron ferait un grand pas vers la reconnaissance de l’autre s’il acceptait de tester l’hypothèse que le NFP, l’insoumis en chef en tête, lui a soumise dès le soir du second tour des élections législatives: nommer Premier ministre un membre du bloc arrivé en tête de la tripartition aggravée par les élections issues de la dissolution et pour laquelle la Vème République na pas été pensée. S’il nommait un Premier ministre, Emmanuel Macron accepterait enfin qu’on ne peut pas cohabiter qu’avec soi-même et ce serait la fin d’un déni de réalité.

Marine Le Pen réclame à corps et à cris une nouvelle dissolution, la seconde en un quinquennat et même en un mandat présidentiel, ce qui serait sans précédent sous ce régime de stabilité. Dans son parti, on est béat d’admiration devant la cheftaine qui « sacrifierait son mandat » et ne pourrait pas en réclamer un autre puisqu’elle est inéligible. « C’est pour mieux réclamer Matignon, mon enfant », se lèche les babines la grande méchante louve qui s’entendait comme chien et chat avec les Dobermann de son père. Dissoudre aujourd’hui ne servirait à rien, sinon à reconfigurer la tripartition et la reconfigurer d’une manière qui interdirait encore plus de trouver un équilibre politique. Macron ne veut pas se résoudre à dissoudre et on ne peut que lui donner raison sur ce point. Ça n’aurait strictement aucune utilité. Mais l’autorité tutélaire du Rassemblement national qui veut rassembler les Français sous son nom est aussi capricieuse que l’héritier au sens bourdieusien qui nous sert de président de la République. Aussi capricieuse et plus irresponsable encore: rappelons-nous que c’est à son initiative et à celle de son parti qu’a eu lieu la première « dissolution sans raison »; comme elle a censuré sans raison le gouvernement de Michel Barnier qui lui faisait pourtant des mamours pour se maintenir au pouvoir; aujourd’hui elle promet de « tout censurer », quelle perspective!

Au concours Lépine de l’irresponsabilité, on s’abstiendra, c’est plus responsable, comme Marine Le Pen s’abstient de destituer Emmanuel Macron, de départager la fille Le Pen et le président Macron. Mais où l’on tremble, c’est que Macron promet de « prendre ses responsabilités ». Dissoudre serait irresponsable et il le sait. Irresponsable et sans clarification. Néanmoins ça le mettrait moins en échec que de démissionner. Démissionner serait la première des responsabilités que Macron pourrait prendre. On dit qu’il ne le fera pas parce que c’est un sale gosse qui, s’il claquait la porte, le ferait en estimant que les Français ne le méritent pas. Je crois plutôt qu’il ne le fera pas parce que démissionner le mettrait en constat d’échec et que la faille narcissique qui le fait « se caresser dans les miroirs » de l’Élysée ne lui permettrait pas de le supporter. À l’autre extrême, il ne lui reste qu’une forme de responsabilité dont je ne souhaite pas qu’il la prenne, mais elle lui reste objectivement: c’est celle de décréter l’article 16 qui lui permettrait, peut-être bien, de se passer de Premier ministre pour se donner « les pleins pouvoirs », certes pour une durée limitée et en étant bordé par le Parlement. « Mais au moins, pourrait-il se dire, puisque mes compatriotes m’accusent d’avoir bridé leurs libertés au cours de mes deux mandats, au moins ils sauraient pourquoi. » 

jeudi 2 octobre 2025

Dieu ignorant le mal laisse l'homme au conseil de la faute

À lire Kierkegaard, on voit que le mal est le grand impensé du christianisme et cela paraît d’autant plus paradoxal que la faute, au contraire, est son omnipensé, sa pensée omniprésente.

Pourquoi seulement le mal ? Le bien lui aussi est impensable : « Le bien ne se laisse nullement définir », écrit le philosophe ironiste et grand mélancolique danois. Mais le bien est impensable dans un cadre de pensée où poser a priori « la différence du bien et du mal » relève du péché originel puisque c’est en vertu de cette promesse vicieuse qu’Ève consomme le fruit défendu.

Le bien est impensable, mais il est valorisé : « Il est la liberté. Ce n’est que pour elle et en elle qu’existe la différence du bien et du mal. »

Kierkegaard a soin de distinguer la liberté du libre arbitre : le libre arbitre peut errer quand la liberté n’existe qu’en vue du bien. Le libre arbitre croit tout contrôler quand la liberté ne contrôle pas l’ordre du monde ni celui des actions humaines. Et le libre arbitre qui s’en est remis à ses propres forces ne peut se dédouaner ni sur « Dieu qui ne tente personne » (saint Jacques), ni sur le diable qui l’a appâté, d’avoir cédé à la tentation : « La faute est intransférable et qui succombe à la tentation est soi-même coupable de la tentation. »

Le bien n’est pas surévalué, mais survalorisé, existant seul en soi, et encore pour la liberté à qui l’angoisse révèle dans la faute son « apparition à elle-même dans le possible », la liberté terrorisée ne pouvant certes plus faire que la faute n’ait pas été commise, mais se changeant en repentir pour regretter le mal dans son horreur du mal.

Prolongeant dans son romantisme héroïque la tradition scolastique qui veut que le mal ne soit qu’un manque-à-être ce qui revient à refuser de le penser, Kierkegaard affirme que « Dieu ignore le mal. Il ne peut ni ne veut rien en savoir et c’est la punition du mal que Dieu ait la propriété d’ignorer le mal. Puisque Dieu est l’infini, son ignorement est un phénomène vivant de destruction, le mal ne pouvant pas se passer de Dieu, pas même pour simplement exister comme mal. »

Dieu détruit donc le mal à l’infini en laissant l’homme fini au conseil de la faute, qui est la dégradation quasiment biodégradable du mal intrinsèquement détruit par Dieu en cela même qu’il n’a jamais existé, au contraire de la faute, dont l’existence a eu sur l’homme des conséquences incalculables et qu’il ne peut pas référer au mal puisque l’ignorement de Dieu ne le lui permet pas. Le transfert de responsabilité par où se présente la rédemption à l’homme, le rend tragiquement accessible à la conscience du péché qu’ignorait le paganisme, impuissant devant le péché qu’il devait pourtant être en mesure de ne pas commettre et responsable de l’avoir commis sans le matelas éthique qui aurait dû l’informer de l’existence du mal et de ce en quoi il consiste. Le transfert de responsabilité qu’est la rédemption se lave les mains de l’existence du mal et cela met l’home en porte-à-faux, affronté à la seule conséquence du mal qu’est la faute qui le terrorise sans être prémuni de savoir ce que dit le mal qui n’est pas de l’être qu’il ne parvient pas à accomplir ni à réaliser. Dieu en ignorant le mal a peut-être bien tout accompli en privant l’homme de se réaliser. »Et finalement, de moins pire en banal, on finira par trouver ça normal. » (Jean-Jacques Goldmann)

  

Je voudrais être bipolaire

Ce titre est-il fou, quand Claude Dubois s'écriait avec moins d'aplomb, mais plus d'à propos: "Jaurais voulu être un artiste"?   


Mais sous cette simple accroche, je n'ambitionne que de commenter un bel article de Myriam Tchoudak: "Comment la psychiatrie m'a rendu folle".


Commentaires | Comment la psychiatrie m’a rendue folle | Comment la psychiatrie m’a rendue folle | Le Club de Mediapart


Je reproduis d'abord le commentaire de CHEVAPHIL pour abonder dans son sens et le compléter de mes propres réflexions:


"N'oublions pas que les Anglosaxons surnomment les psys de tout poil « headshrinkers » :" réducteurs de tête !

Cela dit, ne jetons pas le bébé psy avec l'eau du bain de la psychiatrie ; les expériences ne sont pas toutes négatives. De plus, l'annonce d'un diagnostic peut être volontairement provocatrice." 


Je souscris à ce commentaire qui me permet de m'abstenir d'une entrée en matière plus longue pour commenter ce très bon article de Myriam Tchoudak. D'abord une anecdote personnelle: j'ai eu moi-même pour analyste un ancien psychiatre reconverti dans la psychanalyse et dont le nom signifiait extincteur. Il avait été élève de Lacan et était fier de s'être fâché avec le maître, il avait tué le père et il l'imitait, par exemple il fumait en séance. Mais il trouvait ridicule qu'un de ses confrères ait produit ce jeu de mots facile à partir de son nom: "Vous éteignez vos malades." Pourtant, c'était ce qu'il faisait. Il s'endormait en séance et il était éteint, ce qui ne l'empêchait pas d'être parfois pertinent. Un diagnostic peut avoir une visée provocatrice. Mais on peut aussi provoquer la médecine pour qu'elle nous donne un diagnostic en réponse à notre mal-être. On peut vouloir qu'on nous colle une étiquette pour comprendre ce qu'on a ou ce qui nous arrive. Pour ma part, j'aurais bien aimé qu'on me colle l'étiquette de bipolaire ou de dyspraxique. Bipolaire correspond assez bien à mon caractère cyclothymique, à mes "je t'aime, moi non plus" et à mes hausses et mes baisses d'énergie qui ne sont canalisables que par le repos qui me rend souvent non opérationnel, en dehors des efforts que je dois faire pour honorer mes obligations artistiques d'organiste liturgique. Bipolaire, un mot qui désignait autrefois le fait d'être magnaco-dépressif.Le problème est de savoir ce qu'on fait d'une étiquette qu'on nous a collée, parfois à notre demande, quand elle ne nous convient pas, ou si l'on se réduit à l'étiquette qu'on nous a collée. Un autre problème est qu'un diagnostic ne doit pas être une condamnation à vie. "Mon gars, ma fille, tu es schizophrène ou bipolaire pour toujours." C'est une forme de perpétuité incompressible, avec toutes les camisoles chimiques qu'induisent éventuellement ce verdict et cette perpétuité. Se pose alors l'éternelle question de l'évaluation des bénéfices-risques qu'apporte l'étiquette à notre bonheur ou à notre bien-être. Nicolas Demorand a l'air de se résoudre à ce que, diagnostiqué bipolaire, il ne soit jamais heureux. Je ne m'y résoudrais pas, mais je respecte chez lui ce que je vivrais moi comme une résignation.Et puis dernière remarque, la psychiatrie comme discipline médicale donne souvent une réponse chimique à un mal-être existentiel. La psychanalyse va en chercher l'origine dans le passé, mais aussi dans la faculté créative d'opérer une synthèse seconde à partir de ses traumas, précisément grâce à la technique d'association d'idées qui relève de l'écriture, et pas seulement de l'écriture automatique, raison pour laquelle la psychanalyse a été tant prisée par les surréalistes. Il faut sans doute y joindre un peu de chamanisme ou de spiritualité pour que la synthèse soit complète. Mais se soigner ou vouloir aller mieux n'est jamais indolore. Se bercer de cette illusion, ce serait vouloir avoir le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière ou moins trivialement les bénéfices conjugués de la lucidité et de l'anesthésie. J'écris cela en précisant que, pour ma part, je préfère le connu de mon mal-être à l'inconnu lancinant de la douleur que pourrait me procurer un consentement plus sérieux et une plus grande assiduité dans le soin que je demande à ce qu'on me prodigue tout en le fuyant comme une anguille quand il me fait trop sortir de ma zone de confort.