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lundi 26 mars 2018

Didier Barbelivien, Benoît XVI, Philippe Bilger et moi



http://www.philippebilger.com/blog/2018/03/entretien-avec-didier-barbelivien.html

Cher Monsieur Bilger,

 

J'aime quand vous travaillez à votre compte, non point pour des médias qui vous font piger, parler ou interviewer, mais quand vous êtes un maïeuticien qui fixe lui-même les règles de l'approfondissement et de l'entretien. Cette maïeutique a ainsi permis de révéler, dans des registres très différents, le fond tourmenté d'un Henri Guaino qui ne passera jamais du plan à la politique active parce que trop écorché vif, et les espérances d'un Olivier Besancenot ou de la victoire par la lutte, course que vos questions découvrent entée sur un but et non point faite à corps perdu, quoi qu'on pense de cette course et de ce but.

 

Savoir interroger donne crédit à votre ambition d'être un maître de la parole. Car sans être un caméléon de l'autre, il faut le comprendre avant de le combattre à supposer qu'on ait à le faire ; il faut se couler dans sa pensée avant de dispenser la nôtre ; il faut croire pour un instant de dépassement de l'ego qu'il a plus d'importance que nous ; il faut en être le révélateur pour qu’il nous révèle à nous-mêmes.

 

Pourquoi Didier Barbelivien me met-il mal à l'aise depuis quelque temps ? J'aurais pourtant tout lieu de l'aimer sans réserve : C’est un « artiste de variété » qui fait de la chanson populaire. Mais voilà : d'abord il a vieilli et ne rougit plus d'être l'ami des puissants. En ce qui me concerne, peu me chaut qu'il soit celui de Sarkozy. Mais peut-on être un saltimbanque embourgeoisé ? Peut-on faire le métier de Brassens et aimer les dîners en ville avec les gens qui comptent ?

 

Ensuite, Didier Barbelivien avoue lui-même avoir été caméléon. Il copie tout parce que tout l'influence. Or un artiste est d'abord un univers. Bach copiait de la musique pour découvrir le sien en filtrant les influences. Gérard Lenormand s'est imaginé retrouver une popularité en orchestrant à la façon des années 90 quand on est entré dans ces années-là. Serge Lama a failli de la même manière sacrifier sa veine tragique à la rythmique ou à la mode acoustique. Or une chanson peut être la poésie des temps modernes. Je dis souvent que Baudelaire vieillit plus mal que Brel. Didier Barbelivien ne s'est jamais pris ou fait prendre pour un poète, mais il incarnait l'adolescence. Or voici qu'il donne à "La Vie" ses entretiens sur la foi ou se pose en ami des puissants. Et par là il se perd pour le peuple qu'il a tant fait rêver d'amourettes en lui faisant danser des slows avec les copines de l’école qu'il regardait avec plus d'amour que Vincent Delerme ne considérait "Les filles de 1973" qui "ont trente ans", elles qui « faisaient des résumés », qu’y a-t-il derrière le cliché ?  On ne peut pas demander à Didier Barbelivien de changer d'amis. A-t-on le droit de lui conseiller de se rapprocher de lui-même ? Qui est-on pour le faire ? S'est-on soi-même atteint ? Non, car la fatalité de la destinée humaine veut qu’on ne s’atteigne jamais. Dieu nous a faits en sorte que nous ne puissions pas nous atteindre afin que nous ayons à Le chercher pour être divinisés par Lui.

 

Et Didier Barbelivien s’en explique. Son image de lui-même était celle d’un chanteur engagé, contrairement à Bob Dilan qui a joué la carte de l’engagement pour avoir quelque chose à écrire. Il n’a pas dû se dégager comme Régis Debray. Au contraire il n’a jamais réussi à faire passer son engagement. Du coup il se retrouve pris dans la tourmente de ce degré zéro de l’engagement où nous sommes et où nous sommes tous contre le terrorisme au risque de nous prendre pour Charlie. C’est Renaud qui commence sa carrière en promettant que la société ne l’aura pas et la finit, chanteur à bout de souffle,  en embrassant un flic. C’est Pierre Perret qui fait scandale en parlant du zizi du pape qui fait des bulles et sort il y a quelques années un album hygiéniste contre les marchands de tabac et les marchands de canon. Et c’est Didier Barbelivien qui n’est pas contre la peine de mort comme Jullos Beaucarne et qui n’est pas pour comme Michel Sardou, mais qui est contre les assassins comme tout le monde, bien que tout le monde lise des romans policiers et regarde l’esprit criminel.

 

Barbelivien n’est pas Brel parce qu’il ne se prend pas pour Casanova. Il n’est pas comme moi, qui ai peine à ne pas être « presque aussi saoul que moi ».

 

J’aime la notation de l’ami Barbelivien sur Léo Ferré : c’était avant tout un comédien. À un moment donné, j’ai soupçonné les larmes qu’il versait chaque fois qu’il passait à la télé d’être feintes. Mais ce que j’en dis est sans doute influencé parce que je me fais de moi l’image d’un personnage tragi-comique. Seul l’ami Didier Barbelivien pourrait nous dire si Léo Ferré jouait la comédie des larmes.

 

« Ce n’est pas sa mort qui me fait de la peine, Mais de ne plus voir mon père qui danse. » C’est une des plus belles déclarations d’amour paternel que j’aie entendues, après celle de Le Pen disant que le mort le plus important de la guerre, c’était son père. Et mettre ces paroles dans la bouche de Michel Sardou est d’une grande sensibilité si mes propres antennes ne me trompent pas, car Michel Sardou a toujours été à la recherche de la bénédiction et de l’image de son père, qui ne pouvait que partir trop tôt à ses yeux, le laissant seul avec l’encombrante Jackie : « Michel, souris ! » « Je n’aurais jamais cru que ma mère ait su faire un enfant. » Quand j’écoutais moi-même enfant Sardou chanter son père, j’avais l’impression qu’il l’avait perdu très jeune. Eh bien non.

 

Merci, Didier Barbelivien, d’être comme tout un chacun un homme insuffisant, mais qui par exception a su nous enchanter, et merci, Philippe Bilger, d’avoir su nous le révéler.

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