Ce que je peux être
tardif !
Je suis en train de
suivre l’émission que consacre Jean-Michel Djian à Rimbaud, le voyant, le
voyou, dans le cadre de « la grande traversée » que ce producteur,
ami de Depardieu aux plus mauvais jours, quand celui-ci se justifiait de sa
déchéance physique et fiscale de ce qu’il
allait produire un film sur ce poète admiré qu’il comprenait, consacre au
poète.
Poète sur lequel
alain Bohrer (ou Morer) confirme en la formulant une intuition que j’ai
toujours eue :Les illuminations
montrent qu’il ne s’est pas contenté du « déréglement raisonné de tous les
sens » pour se confirmer dans l’idée qu’il était né poète et transformer
la poésie : mais, en plus qu’anarchiste, il voulait aussi
« transformer les conditions originelles » (ça resort de
« Génies » « ), « transformer la vie » et « réinventer
l’amour ».
Alain Borer a raison
de dire qu’en cela (et non seulement parce qu’il a réussi à transformer la
poésie au hasard d’une phrase, « je est un autre »), Rimbaud est
vraiment révolutionnaire. Le révolutionnaire ne fait pas que renverser la
hiérarchie du moment pour que les premiers soient les derniers et
réciproquement comme le ferait Dieu le Père d’après Marie dans le magnificat,
le poète et le révolutionnaire renouvellent les conditions dans lesquelles, par
art ou par nature, la condition humaine a établi des conventions pour vivre sa
condition.
Je suis bien tardif.
IL y a des années, grâce à Daniel Ancelet, j’avais rencontré Alain breton, le
directeur de la librairie Racine. Celui-ci me dit que je produisais de la
poésie de qualité, mais qu’elle était architecturée en des recueils trop longs.
Il me dit que j’étais, non pas volcanique, mais volcanesque. Je lui demandai la
différence. IL me dit qu’un volcan était en ébullition quand la lave en fusion
dégorgeait du sous-sol, mais que j’étais en ébullition permanente. Ce qui ne se
voulait pas un compliment, mais un constat, çam’a plu. Je le rapproche d’une
phrase que prononça un jour Jean Johan sur lui-même. Je lui demandais comment
il allait, je ne l’avais pas vu depuis longtemps. . Jean Johan me répondit tout
naturellement : « J’ai toujours le même feu en moi. » Quelle
belle manière de vieillir !
En
me faisant son compliment et en me disant à quelle condition il me publierait, que
je limite mes recueils à 70pages (il me disait aussi que la poésie doit éviter
les adverbes), Alain Breton me récitait du rimbaud, ce qui provoqua en moi un
sentiment mêlé : d’un côté j’admirais que l’éditteur eût tant de mémoire ;
et de l’autre, je trouvais trop conventionnel qu’un éditeur de poésie soit
entiché de Rimbaud, comme une figure obligée. Je luien demandais des comptes
tout en lui avouant ne pas bien le conaître. J’en reçus le conseil de le lire,
de l’apprendre par cœur, car je ne pourrais plus me poser la question. Je l’ai
lu raisonnablement, c’est même avec Rimbaud et Claudel que j’ai pratiqué ce que
j’appelle la « lecture en aède ». Je suis entré dans le poème ou dans
le partage en comentant directement les retentissements
qu’ils provoquaient dans mon « expérience intérieure » (pour me mettre
l’eau à la bouche de découvrir Bataille avec le pressentiment assez certain que
je n’en tirerai rien).
J’ai
donc suivi le conseil d’Alain breton, j’ai
lu Rimbaud, je l’ai souvent compris et je n’en ai pas tiré grand-chose. Écrivant
ces lignes, je continuais d’écouter l’émission de J.M. djian (je réapprends
depuis quelques semaines à faire plusieurs choses à la fois, j’en éprouvaisdu
scrupule jusqu’alors), et j’ai été heureux d’entendre que cet Alain Bohrer qui
l’a si bien compris n’admire pas le poète et que René Etiamble, dont on
diffusait une archive, avait du mal à ne pas le mépriser. Même ce snobe de
Philippe Sollers, qui n’en comprend pas moins les écrivains comme
personne, donne à son corps défendant un
plus beau contre-exemple de l’admiration en bonne partie gratuite que l’on
porte à Rimbaud que de l’ignorance des éditeurs qui servent de filtre à la
littérature et de l’inanité du filtre éditorial, lorsqu’il raconte à l’envi ce
canular génial que lui et quelques-uns de ses comparses avaient imaginé :
ils ont envoyé plusieurs exemplaires des illuminations
à de grands éditeurs en changeant le titre du reucueil et le faisant passer
pour l’œuvre d’un illustre inconnu, et chaque fois le recueil leur est revenu
avec un refus, et pour motif de ce refus une critique en immaturité ou en
hermétisme, ce qui relativise ce que roland Barthes, ce « fils à
maman », écrit du lisible et du recevable.
Lorsque
je faisais un stage à l’erdv, Emanuelle Philippe, qui avait l’air d’une jeune
femme très timide et très sage, se passionnait pour Rimbaud. Elle dirigeait le
cdi et essayait de faire passer sa passion à des élèves de cinquième tout en
leur demandant (gentiment, il faut le reconnaître) de ne pas faire de chahut.
Je trouve absurde que l’on enseigne à des enfants à se reconnaître dans la
figure tutélaire d’un « poète maudit » (qu’ »on a moins
pensé » qu’il ne s’est lui-même vécu comme tel), tout en les rasant de séances
de prévention contre les « conduites à risque » et tout en leur
demandant d’être sages. C’est une des absurdités de l’enseignement du français,
qui n’a son pareil que dans le fait de faire étudier des effets de style à des
enfants qui ne savent pas consruire une phrase, ou les lettres de Madame de
Sévigné à des élèves à qui l’on explique qu’une lettre est formée, comme une
dissertation, d’une introduction, d’un développement et d’une conclusion, ce
qui est fait pour les intimider et leur couper la chique épistolaire.
Je
ne vois pas comment des enfants pourraient se découvrir nés poètes par
l’enseignement même qui a pour fonction de réprimer leur part de fantaisie et
de contestation du système scolaire. Et ce n’est pas seulement l’école qui
n’est pas légitime à leur enseigner Rimbaud, c’est l’enfance qui est un âge
trop précoce pour se découvrir poétesse.
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