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mardi 28 juillet 2015

Rimbaud et moi



Ce que je peux être tardif !

 

Je suis en train de suivre l’émission que consacre Jean-Michel Djian à Rimbaud, le voyant, le voyou, dans le cadre de « la grande traversée » que ce producteur, ami de Depardieu aux plus mauvais jours, quand celui-ci se justifiait de sa déchéance physique et fiscale de ce  qu’il allait produire un film sur ce poète admiré qu’il comprenait, consacre au poète.

 

Poète sur lequel alain Bohrer (ou Morer) confirme en la formulant une intuition que j’ai toujours eue :Les illuminations montrent qu’il ne s’est pas contenté du « déréglement raisonné de tous les sens » pour se confirmer dans l’idée qu’il était né poète et transformer la poésie : mais, en plus qu’anarchiste, il voulait aussi « transformer les conditions originelles » (ça resort de « Génies » « ), « transformer la vie » et « réinventer l’amour ».

 

Alain Borer a raison de dire qu’en cela (et non seulement parce qu’il a réussi à transformer la poésie au hasard d’une phrase, « je est un autre »), Rimbaud est vraiment révolutionnaire. Le révolutionnaire ne fait pas que renverser la hiérarchie du moment pour que les premiers soient les derniers et réciproquement comme le ferait Dieu le Père d’après Marie dans le magnificat, le poète et le révolutionnaire renouvellent les conditions dans lesquelles, par art ou par nature, la condition humaine a établi des conventions pour vivre sa condition.

 

Je suis bien tardif. IL y a des années, grâce à Daniel Ancelet, j’avais rencontré Alain breton, le directeur de la librairie Racine. Celui-ci me dit que je produisais de la poésie de qualité, mais qu’elle était architecturée en des recueils trop longs. Il me dit que j’étais, non pas volcanique, mais volcanesque. Je lui demandai la différence. IL me dit qu’un volcan était en ébullition quand la lave en fusion dégorgeait du sous-sol, mais que j’étais en ébullition permanente. Ce qui ne se voulait pas un compliment, mais un constat, çam’a plu. Je le rapproche d’une phrase que prononça un jour Jean Johan sur lui-même. Je lui demandais comment il allait, je ne l’avais pas vu depuis longtemps. . Jean Johan me répondit tout naturellement : « J’ai toujours le même feu en moi. » Quelle belle manière de vieillir !

 

En me faisant son compliment et en me disant à quelle condition il me publierait, que je limite mes recueils à 70pages (il me disait aussi que la poésie doit éviter les adverbes), Alain Breton me récitait du rimbaud, ce qui provoqua en moi un sentiment mêlé : d’un côté j’admirais que l’éditteur eût tant de mémoire ; et de l’autre, je trouvais trop conventionnel qu’un éditeur de poésie soit entiché de Rimbaud, comme une figure obligée. Je luien demandais des comptes tout en lui avouant ne pas bien le conaître. J’en reçus le conseil de le lire, de l’apprendre par cœur, car je ne pourrais plus me poser la question. Je l’ai lu raisonnablement, c’est même avec Rimbaud et Claudel que j’ai pratiqué ce que j’appelle la « lecture en aède ». Je suis entré dans le poème ou dans le partage  en comentant directement les retentissements qu’ils provoquaient dans mon « expérience intérieure » (pour me mettre l’eau à la bouche de découvrir Bataille avec le pressentiment assez certain que je n’en tirerai rien).

 

J’ai donc suivi le conseil d’Alain breton,  j’ai lu Rimbaud, je l’ai souvent compris et je n’en ai pas tiré grand-chose. Écrivant ces lignes, je continuais d’écouter l’émission de J.M. djian (je réapprends depuis quelques semaines à faire plusieurs choses à la fois, j’en éprouvaisdu scrupule jusqu’alors), et j’ai été heureux d’entendre que cet Alain Bohrer qui l’a si bien compris n’admire pas le poète et que René Etiamble, dont on diffusait une archive, avait du mal à ne pas le mépriser. Même ce snobe de Philippe Sollers, qui n’en comprend pas moins les écrivains comme personne,  donne à son corps défendant un plus beau contre-exemple de l’admiration en bonne partie gratuite que l’on porte à Rimbaud que de l’ignorance des éditeurs qui servent de filtre à la littérature et de l’inanité du filtre éditorial, lorsqu’il raconte à l’envi ce canular génial que lui et quelques-uns de ses comparses avaient imaginé : ils ont envoyé plusieurs exemplaires des illuminations à de grands éditeurs en changeant le titre du reucueil et le faisant passer pour l’œuvre d’un illustre inconnu, et chaque fois le recueil leur est revenu avec un refus, et pour motif de ce refus une critique en immaturité ou en hermétisme, ce qui relativise ce que roland Barthes, ce « fils à maman »,  écrit du lisible et du recevable.

 

Lorsque je faisais un stage à l’erdv, Emanuelle Philippe, qui avait l’air d’une jeune femme très timide et très sage, se passionnait pour Rimbaud. Elle dirigeait le cdi et essayait de faire passer sa passion à des élèves de cinquième tout en leur demandant (gentiment, il faut le reconnaître) de ne pas faire de chahut. Je trouve absurde que l’on enseigne à des enfants à se reconnaître dans la figure tutélaire d’un « poète maudit » (qu’ »on a moins pensé » qu’il ne s’est lui-même vécu comme tel), tout en les rasant de séances de prévention contre les « conduites à risque » et tout en leur demandant d’être sages. C’est une des absurdités de l’enseignement du français, qui n’a son pareil que dans le fait de faire étudier des effets de style à des enfants qui ne savent pas consruire une phrase, ou les lettres de Madame de Sévigné à des élèves à qui l’on explique qu’une lettre est formée, comme une dissertation, d’une introduction, d’un développement et d’une conclusion, ce qui est fait pour les intimider et leur couper la chique épistolaire.

 

Je ne vois pas comment des enfants pourraient se découvrir nés poètes par l’enseignement même qui a pour fonction de réprimer leur part de fantaisie et de contestation du système scolaire. Et ce n’est pas seulement l’école qui n’est pas légitime à leur enseigner Rimbaud, c’est l’enfance qui est un âge trop précoce pour se découvrir poétesse.

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