Hier à l'Assemblée nationale, il était risible de voir comment, tout à coup, tout le monde se posait en défenseur des agriculteurs.
-Un député socialiste a mis en avant son métier d'agriculteur pour poser en préambule que l'avenir de l'agriculture était dans l'Union européenne.
-Le deuxième équestionneur au gouvernement était un député Horizons à l'accent paysan, jamais mis en avant par son groupe politique et à qui Marc Fesneau a dû rappeler qu'ils n'allaient pas se tirer la bourre comme s'ils ne faisaient pas partie de la même majorité.
Une députée LFI s'est mise à insulter le gouvernement comme si ce parti des banlieues était le parti de la ruralité.
Une députée écologiste a pris le parti des paysans comme si son parti ne les avait pas traités d'"agriculteurs pollueurs" et Gabriel Attal a eu beau jeu de lui répondre que les écologistes versaient "des larmes de crocodile" sur le sort des paysans.
-Marc Fesneau et la macronie a fait comme s'ils avaient les mains blanches et n'étaient pas doublement à l'origine de cette révolte paysanne en superposant les normes françaises aux normes européennes.
-LR voudraient bien se refaire la cerise en se posant comme les alliés traditionnels des agriculteurs. Jacques Chirac ou François Guillaume avaient été de populaires ministres de l'agriculture. Mais ils ont été entre temps suivis par Bruno Le Maire qui finira par cristalliser tous les mécontentements, lui, le ministre qui avait assuré mettre l'économie russe à genoux, et prétend aujourd'hui que c'est à cause de Poutine que l'on doit augmenter nos factures d'électricité.
-Il ne restait plus à Marc Fesneau qu'à tirer sur Grégoire de fournas "avec qui on n'est jamais déçu" et qui a rappelé au ministre (sans attache avec le monde agricole?)que lui-même était viticulteur tandis que son père, à 62 ans, est agriculteur et plongé au quotidien dans tous les tracas que rencontrait la profession.
Les "Gaulois réfractaires" ont le tropisme paysan et les Français défendent toutes les jacqueries sans se rendre compte qu'en l'état actuel des conditions commerciales et de production de notre agriculture, leur donner raison leur ferait perdre un peu plus de pouvoir d'achat et augmenterait l'inflation sur les produits alimentaires et de première nécessité. Ils voudraient "manger Français", opteraient volontiers pour "le localisme" et "l'économie circulaire", mais se révolteraient rapidement s'ils devaient en payer le prix.
Tout le monde a à peu près oublié la lutte contre le Glyphosate qui faisait les beaux jours des débats politiques au début du premier quinquennat de l'ère Macron, et les verts sont obsédés par la lutte contre le réchauffement climatique dès lors qu'elle peut embarrasser le quotidien des citadins, mais propose rarement une alternative à l'agriculture industrielle.
L'éditorial de Rémy Gaudot dans "l'Opinion" résume bien nos contradictions françaises:
"Tragédie dans la tragédie, comment ne pas s’associer à l’hommage rendu à l’agricultrice morte en Ariège ? Avant même ce drame, la colère des agriculteurs bénéficiait d’une rare empathie de la part de Français pourtant demandeurs d’ordre. Et de la part d’une classe politique toujours prompte à célébrer la ruralité . Pour autant, sommes-nous « tous paysans », selon le slogan en vogue ? Pas sûr, tant sous la chape de condescendance percent toutes les contradictions – les hypocrisies ? – françaises.
Nous sommes tous paysans, oui, lorsque nous exigeons une alimentation de qualité « made in France » ; mais, non, quand la culture du prix bas instillée par la grande distribution ronge les marges jusqu'à la faillite. Oui, lorsque nous réclamons des produits locaux ; non, tant le principe du « not in my backyard » rend désormais sensibles, voire impossibles certaines activités. Oui, par la fierté d’appartenir à une puissance agricole, clé de la souveraineté nationale ; non, par la désinvolture face à l’excès de normes, de coûts, d’interdictions et de contrôles qui détruit des filières entières comme autrefois l’industrie...
Nous sommes tous paysans. Prêts à sauver la planète par la surveillance des haies et des retenues d’eau tout en consommant des pommes néo-zélandaises et des poulets ukrainiens. Prêts à adhérer à une Europe protectrice sans mesurer combien la décroissance par précaution excessive prépare son désarmement. Prêts à défendre notre modèle social sans trop de soucier des semaines à 70 heures, des revenus plus que modestes malgré les subventions, des délires administratifs.
Ces incohérences ont un coût. Elevé pour les agriculteurs qui, pire que mal-aimés, se vivent comme les effacés de la transition écologique. Mais plus élevé encore pour le pays tout entier, prisonnier de ses dénis et de son dogmatisme. Pétrifié par ses colères."
mercredi 24 janvier 2024
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