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mercredi 17 janvier 2024

Le pape et l'Église inclusive

"Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil", la question n'en demeure pas moins celle-ci: "L'Église est-elle inclusive?" et au-delà de l'Église, le paradis est-il inclusif?


La question de l'universalité du salut me hante depuis trente ans et je ne la réduirai pas à  la qualifier de  "théologie Polnareff" comme Guillaume de Tanouarn, dans un raccourcis cinglant et très drôle, l'accusant d'écrire sa thèse dans cette chanson: "On ira tous au paradis". (Polnareff a écrit une chanson autrement plus profonde sur la mort, dont malgré mes recherches, je ne retrouve pas le titre. Elles contiennent ces paroles: "Ça ira", et pourtant sa méditation sur la mort est une contemplation, pas une révolution, mais le pape préfère être inclusif et révolutionnaire.). 


Le pape est inclusif, à l'exclusion de tous ceux qui ne pensent pas comme lui, contre qui il décrète des actes d'autorité, mais il est synodal. On a encore relevé cet autre paradoxe de sa personnalité: il est péroniste et pour cette raison, il voudrait transformer l'infaillibilité pontificale en infaillibilité du peuple de dieu (appelée "sensus fidei fidelium, le sens inné de la foi des fidèles). Il voudrait bien transporter la démocratie dans l'Église, mais dans le "synodalisme", qui est une sorte de "démocratie participative", une démocratie du "cause toujours". Car malgré tout cet amour du peuple, il dénonce le populisme, craignant avant tout qu'il ne collecte l'égout de la xénophobie. 


Le pape est péroniste, il devrait donc être populiste, mais il dénonce le populisme. Il devrait être conservateur, mais il commence par jeter à bas "ce qui distingue une société d'une nation", comme le disait Emanuel Macron hier soir dans sa conférence de presse fleuve: une société est un "peuple" tel que le voit Jean-Luc Mélenchon, un ensemble de gens qui se partagent un territoire et qui signent un contrat, le contrat social, pour s'organiser. Une nation ajoute à cela un supplément d'âme, même si ce n'est qu'une "frise symbolique" ou un "roman national". Le pape ne prend même pas cette peine: il est populiste et a dû être nationaliste dans sa jeunesse, il n'est même plus contractualiste. Il dit: "Arrière la politique!" au moment même où on l'accuse de faire de la politique. Les peuples n'ont qu'à faire société. 


Le pape est un populo-mondialiste, il récuse toute idée de civilisation. Ce faisant, il clarifie le contresens de Jean-Paul I qui parlait de "civilisation de l'amour" en oubliant que la civilisation suppose le multiple et réunir le monde en une seule civilisation suppose de déclarer un ce qui est multiple par essence. Henry de Lesquen a une définition très personnelle, mais intéressante, de ce qu'il appelle "l'universalisme de l'incarnation": selon lui, chaque civilisation a des valeurs et se distingue par la manière dont elle les hiérarchise. Le pape refuse cette hiérarchisation multiple des valeurs universelles. Il a voulu déseuropéocentrer l'Église, mais italo-argentin, mais latino, il a adopté à son corps défendant la hiérarchie des valeurs de l'universalisme européen rénové. 


Pour refuser l'idée même de civilisation, il a une bonne excuse que j'aime à rappeler: la civilisation chrétienne ou la romanité de l'Eglise catholique et apostolique sont des ruses de l'histoire, car le christianisme est intrinsèquement apolitique. "Rendez à César ce qui est à César" ne veut pas dire: "Séparez les pouvoirs et respectez ce qui relève de chacun d'eux", mais littéralement: "Je me fous de César". Le pape a des excuses pour se jeter dans le bain libéral-libertaire à ce moment de l'histoire, qui vit une parenthèse néo-puritaine qui ne durera pas. Le pape a compris que la civilisation chrétienne est une ruse de l'histoire qui a assuré la survie historique du christianisme.  Et il est césariste, il a compris que le  césaro-papisme a fait long feu. Il abdique le papisme en refusant l'idée de civilisation pour lui préférer le mondialisme et ce faisant, il est mondain.


Il est mondain sous couvert d'inclusivisme, mais les cibles de son inclusivisme sont celles du monde: les migrants et les homosexuels, deux catégories strictement apolitiques en ce que les premiers sont redoutés comme de possibles plus grands communs diviseurs et que les seconds sont à la lettre inféconds, sans préjudice de l'esprit. Le pape est évangélique et mondain. Il met en garde contre "la mondanité spirituelle", mais il adopte les catégories du monde pour dire au monde ce que le monde  a envie d'entendre et dans le monde, il choisit les grands de ce monde. Il choisit l'Europe, supposée être toujours en avance sur son temps par un préjugé néo-colonialiste, et non pas l'Afrique, accusé d'être hypocrite, sous-développée et jamais en retard d'une guerre... 


L'Eglise n'a jamais été inclusive, ça se saurait, mais le pape la rend inclusive à la manière du monde, en partant des cibles du monde, avec les signes du monde, étrange "signe des temps". Il rend l'Eglise inclusive à la manière du monde qui ne supporte plus l'idée d'exclusivité ou d'éloignement, qui parle sans cesse des plus "fragiles", mais ne s'en occupe pas, ne s'en et ne les rapproche pas. L'inclusivité de l'Eglise est aussi illusoire que l'inclusivité du monde. 


"Tous à la maison", dirait l'Eglise du Christ qui "n'a pas Lui-même une pierre où reposer sa tête?" Après la tempête et la catastrophe naturelle, réfugions-nous dans cet hôpital de campagne et pansons nos plaies.  C'est une étape nécessaire et le pape a sans doute raison sur le plan psychologique. La psycho-généalogie des hommes d'aujourd'hui qui se sont peu battus les porte à avoir besoin d'être consolés. 


Le pape assure: "Le Seigneur bénit tous ceux qui sont capables d'être baptisés, c'est à dire toutes les personnes. Mais ensuite les personnes doivent entrer en dialogue avec la bénédiction du Seigneur et saisir quelle est la voie que le Seigneur lui propose." 

J'aime cette idée de "dialogue avec la bénédiction du Seigneur" (ou de l'instance, ou de l'instinct de conservation qui nous fait nous aimer nous-mêmes, je suis un peu feuerbachien, Feuerbach me paraît le plus grand théologien apophatique européen et de l'idéalisme allemand). J'aime définir la prière comme un dialogue de deux libertés qui s'aiment. J'aime que le pape substitue la notion de [proposition de Dieu] à celle, totalitaire, de "volonté de Dieu". Un prêtre à qui je m'étais ouvert en son temps de mon incompréhension de la "volonté de Dieu", au-delà de mon incapacité à la mettre en pratique, m'a répondu que si   la notion me gênait, je n'avais qu'à lui substituer celle d'"espérance de Dieu pour moi". Je préfère ce conseil à l'expression de "projet d'amour" ou de "plan d'amour" de Dieu sur les individus, qui le porterait à ne concevoir pour eux que trois états de vie: le mariage, le célibat ou la vie religieuse, et ce malgré la multitude des accidents de la vie qui signifient que si l'amour de Dieu n'est pas un plan sur la comète qui nous aide à tenir debout, il est souvent mis en échec.


Le pape poursuit: "Nous, nous devons prendre cette personne par la main et l'aider à entrer sur cette voie (proposée par Dieu)."

C'est une révolution de l'accompagnement spirituel. Mais in coda venenum:

" mais nous n'avons pas à la condamner dès le point de départ. Voilà le travail pastoral de l'Église".

Dès le point de départ, et au point d'arrivée? "Tous à la maison" au "point de départ" et "après on verra". Si le "dialogue avec la bénédiction" n'a pas réussi, l'Église inclusive ne pourra pas obliger le paradis à être inclusif et empêcher que, si telle est la volonté de Dieu, l'un ne soit pris et l'autre laissé. Les théologiens d'aujourd'hui adorent opposer l'Église à l'Évangile. Celle-ci serait une institution croulante, celui-ci serait ouvert à tous. C'est strictement l'inverse, puisque selon les Évangiles, le paradis n'est pas inclusif.


Mon père était un grand fumeur, pas de Havane. Un jour, en me voyant prendre mon café tandis que je me préparais pour aller à la messe, il se tourna vers moi et me demanda tou à trac: "Mais tu y crois, toi, au paradis ?" Moi qui étais hanté par la question de l'universalité du salut, je ne sus que lui répondre. Et j'imagine que certains, en lisant ce mot de "salut", ont déjà envie de protester: "Mais de quoi diable l'homme aurait-il besoin d'être sauvé" sinon de lui-même, sinon de sa mauvaise part ou de sa mauvaise nature, de sa nature déchue, bonne à 50 % et à jeter pour 50 autres? L'homme ne veut pas se jeter ni être rejeté. Avec Renaud, il supplie: "Me jette pas."


https://www.youtube.com/watch?v=W-Zu1Q5kLXc


Alors c'est beau de vouloir que le paradis soit inclusif pour aimer croire que l'enfer est vide. Le P. Xavier Léon-Dufour me fit cette réponse à un message téléphonique envoyé sur "Radio courtoisie" dans l'émission de Brigitte Level dont il était l'invité et qui était sa parente: 

"Par la foi, je dois croire qu'il existe un enfer, fût-ce en puissance; par l'espérance, je dois espérer ne pas y aller; et par la charité, je dois souhaiter que personne n'y aille avec moi." La Création serait perdue si un seul de ses petits était perdu. Le paradis n'est pas inclusif, mais moi oui. Les témoins de Jéhovah ont résolu la question à leur manière: "Au paradis, on n'aura plus le souvenir des méchants." Ça ne me suffit pas. Le paradis n'est pas inclusif, l'Église ne doit pas l'être, mais le pape a raison de ne pas le supporter, au risque de ne croire que ce qui lui "plaît", comme il aime "la piété populaire" en en respectant les formes, mais en la vidant de son contenu. 

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