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mercredi 17 janvier 2024

La parole libérée de Macron

Je préférerai toujours l'abandon des non-dits à son contraire: le mur du silence. Parce que je suis un enfant de mon siècle, du siècle de la psychanalyse, cette école de pensée qui nous a peut-être appris à déshonorer nos parents, mais qui nous a aussi appris à regarder passer le langage sans l'illusion de Dieu, ou sans l'illusion de méditations pronominales comme celles-ci: "Papa est mon sur-moi, maman est mon "tu" au nom de qui je "tuerais la loi du surmoi de papa", et "il" est le pronom critique par lequel je me retranche pour mieux me réfléchir, et du promontoire de mon observatoire et du haut de mon île perchée, je crois juger de tout avec une neutralité qui ne se rapporte qu'à moi, mais me ramène à moi et à ce que les classiques appelleraient mon "amour-propre", car je prends tout de haut, comme si j'en étais la raison suffisante, tandis que ce que la mystique m'a fait prendre pour Dieu ou pour le diable n'est que la projection de la manière dont "ça" parle en "moi" et dont je suis agi par mon inconscient en des actes manqués qui ne sauraient me suivre, car ce sont avant tout des actes de parole.


Mais de manière plus prosaïque, j'ai l'impression que la parole d'Elisabeth Borne était tellement contrôlée et sans affect, sauf quand elle s'en prenait à ses deux ennemis congénitaux qu'étaient le RN et LFI qu'elle ne cessait de renvoyer dos à dos, que le départ de cette première ministre lointaine et au verbe robotique a provoqué une libération de la parole à la #MeTo, mais sans la mélancolie  des abus, une parole théâtrale en germe dans la rencontre entre le président de la République et sa professeure de théâtre qui pourrait mourir de l'avoir trop aimé, aurait pu dire Georges Pompidou; en germe encore lorsqu'Emmanuel Macron tirant son premier premier ministre à la loterie nationale des gens suffisamment connus pour faire sérieux, mais pas suffisamment célèbres pour lui faire de l'ombre, le choisit parce qu'il portait le nom de l'auteur de la comédie qu'il a adaptée avec Brigitte pour en jouer le rôle principal à la Providence d'Amiens, rôle qu'il jouit tellement d'avoir joué que, voulant pour une fois rendre un peu de la saveur des exhibitions et concours généraux que la vie lui a permis de croquer à belles dents en les vivant comme des rites initiatiques porteurs de "symbolique", il décide que le passage par le théâtre deviendra obligatoire pour les petits Français, pour en faire des républicains à la mode de Platon ou à celle des pashdarans de la révolution iranienne, et si c'est ça tant pis, mais ils seront passés par le théâtre, ils auront connu cette exaltation, par le théâtre et par le gymnase, comme dans la République de Platon, vous dis-je. 


Et le président, qui est un exalté et un lyrique, à nommé un "petit sciences potard" (dixit Yves Tréard hier soir dans Cdansl'air) en la personne de Gabriel Attal, non pas pour son master en politiques publiques, mais parce que lui aussi a aimé le théâtre quand il était petit, comme le président. Lui aussi s'est réjoui d'avoir joué "le Chat beauté" et d'avoir tenu le rôle du chat: si jeune et déjà jeune premier. Mais surtout lui aussi jouit de s'écouter parler. Oh, pas particulièrement bien, on peut rêver mieux comme orateur, mais Gabriel Attal est un autre lyrique. Pas un comptable ni un techno borné comme Borne, peut-être un angoissé à la Edouard Philippe, mais avant tout un lyrique. 


D'accord, Amélie Oudéa-Castéra ment mal quand elle survend son éthique de "maman" passée, comme son petit, d'abord dans le public. Elle la vend mal, mais il est touchant de l'entendre parler ainsi. Depuis le #MeTo libéré par le départ de Borne, les ministres sont des mamans et Emmanuel Macron est enfin dans son rôle, pour le verbe, s'entend. La forme de sa conférence de presse d'hier soir était de loin la plus réussie qu'on l'ait entendue faire dans l'exercice constamment transformiste de ce président cherchant la scène où il allait crever les planches. Et hier soir il a pris la lumière à défaut de renverser la table. 


Posté sur le blog de Philippe Bilger en commentaire de son billet:


Justice au Singulier: La fin des non-dits en politique et ailleurs ? (philippebilger.com)

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