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dimanche 1 mars 2020

La nouvelle sainteté

Posté sur le blog de René Poujol.

Je trouve extrêmement profonde la remarque de Marcel comby, selon qui la tentation la plus intime que doit affronter Jésus, c'est de se prendre pour Son Père, Lui qui ne cesse de dire qu'Il ne dit rien qui ne Lui ait été transmis par son Père, Lui, la Parole, qui parle comme un porte-parole, Lui qui vit Sa condition de fils dans toute la radicalité que sa racine hébraÏque donne à ce mot de "fils", où le fils est la cible du père, le père envoyant la flèche de cupidon dans le fils et toc ! Voici sa vocation décidée, son orientation déterminée: le Fils doit aller dans la direction indiquée par le Père et le Verbe se faire porte-parole, à nous en faire perdre la comprenette, nous, enfants de la psychanalyse , qui sommes persuadés que le fils ne peut s'affirmer qu'il n'ait tué le père. Il y a de quoi nous faire désirer être désaffiliés, pratiquer une religion de la désaffiliation, nous qui, disciples du Fils, sommes conduits à ambitionner d'être des fils à la suite du fils, et chantons quelquefois: "Pour que l'homme soit un fils", Est-ce vraiment indispensable?

Là-dessus, Guy Legrand nous a précédemment écrit qu'il était tout à fait étranger à la notion de sainteté. Pour parler comme en Provence chère à René, Pagnol et Jean giono, "ça me fait peine", ça fait peine au catholique viscéral que je suis, à celui dont la religion catholique (et non seulement la foi de l'Eglise apostolique et romaine) constitue la colonne vertébrale. Devrions-nous nous protestantiser jusqu'à abandonner notre culte des saints?

Heureusement que Michel de Guibert nuance l'impératif de Guy: il aime la fête de tous les saints, moi aussi. Et il l'aime comme on me l'a apprise. Il l'aime comme la célébration de la victoire du "peuple immense de ceux qui ont cherché" Dieu et L'ont trouvé puisque qui cherche trouve en régime chrétien, ou de tous les "saints inconnus" pour qui fut composée une prière et qui ne sont pas assez souvent invoqués. C'est la fête de ma grand-mère et d'autres amis que j'ai connus. C'est aussi la fête de Jean-Paul II qui m'a caressé la joue et, si j'en crois la "vox populi", de sœur Emmanuelle avec qui je me suis engueulé un soir, rue du regard. Toujours selon la rumeur médiatique, c'est la fête de l'abbé Pierre, qui s'arrangea pour qu'on ne le canonisât pas, en confessant quelques "liaisons passagères" dans le livre co-écrit avec frédéric Lenoir, "mon Dieu, pourquoi?".

Simone weil dans ses cahiers à la veille de sa mort, se disait en quête pour l'Église d'une "nouvelle sainteté". Moi aussi. Est-ce la sainteté de ceux qui "pratiquent la justice", impératif éthique auquel essaie de se borner Guy dans le sillage de sa grand-mère juive? Mais quitte à me protestantiser à mon tour, que ferais-je de cette parole qui a tant torturé Luther: "Il n'y a pas un seul Juste devant Toi, pas même un seul". "Le juste vivra par sa foi", tempère Abacucq. Non, dit Luther. Seul Jésus-Christ justifie. On est justifié par sa foi dans le seul juste. Dieu Seul est Juste, Dieu Seul est Saint. Tout au plus, peut-on pratiquer une morale conséquencialiste afin d'être conséquent avec sa foi, par gratitude envers Celui qui nous a justifiés. Mais la sainteté n'est pas une affaire morale. Ou pour renverser un pilier du dogme à propos du bois dont on fait les ssaints, la sainteté n'est pas fonction d'une héroïcité des vertus. La sainteté n'est pas affaire de vertu. La sainteté n'est pas fonction d'une proximité supposée avec Dieu. La sainteté n'est irréfutable que dans la mesure où Jésus S'est identifié à celui que l'Eglise a déclaré, et le plus souvent a oublié de déclarer saint.

L'Eglise déclare saint celui qui donne aux pauvres, Jésus S'identifie au pauvre. Donc le pauvre est saint par position. Et le pauvre est d'autant plus saint qu'il n'a pas conscience que Jésus S'est identifié à lui et partage sa vie misérable.

Ce sont les pauvres et non ses bienfaiteurs que l'Eglise devrait élever sur les autels. Les bienfaiteurs des pauvres sont toujours suspects d'être des pharisiens. Leur main gauche pourrait trop bien savoir ce que donne leur main droite. Ils font une transaction avec le ciel. Ils investissent sur une transfiguration prévisible de Jésus dans le pauvre, ils n'aiment pas le pauvre comme Jésus.

La sainteté n'est pas affaire d'odeur ou de proximité ressentie du mystique avec Dieu ou supposée par les autres de ce mystique avec Dieu. La sainteté n'est pas subjectivement affaire de charisme, elle est objectivement affaire de pauvreté matérielle, intellectuelle, morale, psychique, de cœur, que sais-je. Le saint ne peut pas s'appuyer sur sa sainteté et les autres ne peuvent présumer du charisme d'un être d'exception pour se figurer que c'est un saint. Le saint n'est pas l'accompagnateur du pauvre, c'est le pauvre.

Voilà la "nouvelle sainteté" en laquelle je crois. On m'a dit que le P. François Liebermann aurait eu une intuition de ce genre. Je n'ai pas vérifié, mais m'y retrouve paravance.

Et voilà résolue par là même mon inaptitude, la mienne propre ou l'inaptitude humaine à être fils. Je suis un fils d'autant plus accompli que je suis allé sans le savoir dans la direction donnée par Dieu, non du fait d'une Volonté indomptable et indiscutable qu'Il aurait eue pour moi, d'un Projet ou d'un Plan qu'Il aurait fait sur moi, mais du fait d'une Identification qui m'aura échappé, à laquelle je me serais laissé gagner sans le savoir, l'Identification étant le commencement de la divinisation : "Dieu S'est fait homme pour que l'homme devienne dieu!"

Jésus peut avoir eu conscience de Sa condition de fils ayant surmonté la tentation d'être l'égal de Son Père, mais pas moi. Si je joue à être un saint, moi le fils à la suite du Fils, alors je vais me faire appeler Père ou maître. Alors je vais devenir un gourou, avec toutes les dérives abusives qui passeront à ma portée. Alors je vais acquérir de la notoriété spirituelle. Ou bien je vais devenir un psychologue qui cédera au transfert, comme supplie François-Jean qu'on le laisse faire. Très peu pour nous. Soyons des saints à la manière de la prostituée qui ignore qu'elle précède le pharisien dans le Royaume des cieux. Dépouillons-nous des oripeaux de la belle apparence et de l'image de soi pour retrouver l'Image de Dieu et devenir des saints par Identification, à la Ressemblance de Jésus, le Seul Saint.

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