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mardi 24 mars 2020

Le roi n'a plus besoin de moi

Le roi n'a pas besoin de moi. Il n'a pas toujours refusé mes services.

Un soir, je me trouvais dans un café-restaurant de la rue du cherche-midi. J'étais pénétré de mes lectures des "Mémoires de Saint-simon accompagnantavec Madame des Ursins l'arrivée de Philippe V en Espagne, pour se faire couronner. Saint-Simonvenait d'être nommé Grand d'Espagne et Philippe V était petit-fils du Roi Soleil. Je n'avais pas spécialement bu, quelques ballons de côte, bien au-dessous de ma moyenne. Et tout à coup, je ne sais pas quelle mouche m'a piqué. . Je vois dans quelque client du bar un manant qui veut attenter à la vie de"l'héritier présomptif de la couronne d'Espagne". N'écoutant que mon courage, je me saisis de ma canne blanche que je brandis comme une épée en direction de l'assaillant que j'essaie de viser au hasard. On me pourchasse, on me met dehors. Je ne vais pas laisser la vie du roi entre si mauvaises mains.

Cahin-caha, je me dirige vers le boulevard Saint-Germain en alpaguant les passants: "Où est le roi? Où est Madame de Maintenant ? Quelqu'un en veut à la vie de l'héritier présomptif de la couronne d'Espagne." Les troupes se dérobent. Les passants me ramènent à la vie des modernes. Je suis dépité. "En quelle année sommes-nous?" "En 1993."

On me conduit à une station de taxi. Je n'ai que deux cents mètres à faire: je suis aveugle et j'habite la rue du regard. Le lendemain, je suis pétrifié. Comment ai-je pu me dédoubler comme ça? Je dîne avec deux amis, dont une compositrice devenue anachorète pour souffrir ce qui manque à la passion du christ, sur "appel à l'amour" de Jésus-Christ à Josépha Ménindez, petite soeur lingère d'un couvent de Poitiers. "N'aurais-tu pas une amie qui pourrait me sortir de là?" "Je connais une psychologue, elle est membre de mon tiers-ordre, l'ordo virginum", l'ordre des vierges consacrées. "Elle s'appelle soeur armelle de Jésus." Des mois durant, j'irai la voir, dans son appartement de la rue Béliard à la porte duquel elle me fait attendre une bonne vingtaine de minutes à chaque fois, car elle est infirmière de nuit et n'est pas loin de se réveiller quand j'arrive.

Elle interprète mes rêves. Il arrive que je rêve du Sorbon, un bistrot de la rue des écoles, car j'étudie à la Sorbonne et je fréquente ce bistrot. Elle me dit que ça veut dire que mon inconscient me souffle: "Sors bon." D'accord. Quelques années plus tard,une amie éducatrice spécialisée me raconte que pour un de ses protégés qui donnait beaucoup de souci à l'équipe, car c'était un handicapé mental qui faisait beaucoup de chutes, la psychologue conseille lors d'une réunion de synthèse: "Mettez-lui un mouchoir dans la poche."

-Pourquoi un mouchoir?

-Parce qu'il choira mou, choir-mou."

Je rencontrerai encore un thérapeute transpersonnel qui m'expliquera que l'idéal dans la vie est de se dissoudre dans le divin. Ça me paraît beaucoup prêter au "sentiment océanique", mais pourquoi pas? Je lui donne mes rêves à interpréter. Un ami, Dieudonné, travaille beaucoup chez moi à l'époque. Il apparaît dans un de mes rêves. Mon thérapeute me dit que cela signifie que je veux me donner mon propre Dieu, que j'en ai assez du Dieu que l'on m'impose. .

Quant au taxi qui m'a ramené des Deux Magots-enfin, je crois- à mon foyer d'étudiant de la rue du regard, je le retrouverai à l'issue du dîner pris le lendemain avec mes deux amis. Nous nous rendons à Bobigny, chez l'un d'entre eux. Le taxi m'interpelle: "Alors François I-er, comment ça va aujourd'hui?" Mon ami ne goûte pas du tout la plaisanterie. Il s'en vexe pour moi. "Vous parlez ce soir à un autre personnage."

"Un sujet de sa majesté et un sujet de droit ne devraient pas raconter ça, car nul ne doit se prévaloir de ses turpitudes." Je n'ai pas toute honte bue, mais je n'en suis pas à si peu près.

Le roi n'a plus besoin de moi. Mais à quoi sert le roi, s'il gouverne et qu'il ne règne pas, si, tel Siméon de Bulgarie ou Juan carlos pourtant préceptoré par les zbirs de Franco, il ne peut prétendre que s'il sert la démocratie qui peu reconnaissante, l'enverra s'étioler dans le stupre ou dans la retraite quand il l'aura bien servi et qu'il aura contribué à son rétablissement?

PhelippeVI, comme on appelle à l'espagnole ce descendant de la maison de France, n'a pas pu beaucoup pour l'unité de son pays dans la crise de la Catalogne. Comme Emmanuel Macron, il demande à son peuple de se laver les mains après avoir renié son père. Mais son peuple ne lui en sait pas gré, pas plus que d'avoir épousé Claire Chazal, une roturière -Ah non, sa femme s'appelle Laetizia-.

Phelippe n'a pas pu ce qu'a pu son homonyme, le roi des Belges, en faveur de qui son père le digne roi Albert avait abdiqué. Albert passait pour beaucoup moins prestigieux que son frère le roi Baudoin, qui a surtout brillé par sa femme, la reine Fabiola, brillante conteuse et auteur de contes que me lisait dans mon enfance Catherine, une babysiter inoubliable, qui me gardait pendant que ma mère finissait son travail à "Arts déco", 22, rue du bain aux plantes à Strasbourg. Albert n'abdiqua pas pour la galerie comme son frère Baudoin qui ne voulait pas accoler son nom à une loi sur l'avortement qu'il refusa de signer, se démettant, puis étant réinstauré, à l'admiration des catholiques traditionalistes qui avaient vu là un geste de renonciation temporaire et d'abnégation formidable. Baudoin était un Tartufe. Albert avait eu des déboires conjugaux et, au mariage de Philippe et de Mathilde, eut un mot pour remercier la reine Paola de lui avoir pardonné.

Albert n'abdiqua pas pour la galerie. Il abdiqua pour que Philippe puisse continuer à veiller sur l'unité de la Belgique menacé de sécession. Le maintien de la nation obsédait le roi Albert. Le cardinal daneels avait prononcé lors du mariage de Philippe et de Mathilde une homélie qui se voulait édifiante et fondatrice de l'exemplarité de ce couple et qui le fut. Phelippe VI ne réussit pas à faire pour l'unité de la Catalogne ce que Philippe, le roi des Belges et le fils d'Albert dont t'as le bonjour, fit pour son pays. Quant à la France, elle n'a plus de roi. Les bourbons d'Espagne ont renoncé par le traité d'Utrecht à avoir la moindre prétention sur la couronne de France. Louis XX a épousé une noble latino-américaine et fait ses armes dans la banque en adressant des messages à ceux qui le soutiennent dans un Français approximatif.

La maison de France dans sa branche Orléans est l'héritière d'un conventionnel régicide dont le fils devint "le roi des bourgeois" au lendemain de la révolution de 1830. Le prince Jean, comte de Paris, fait tout ce qu'il peut pour redorer le blason de sa maison, mais son digne père Henri, comte de Paris, un franc-maçon mélancolique revenu de pas mal de choses et de la maçonnerie elle-même, qu'avait écrasé son père le célèbre comte de Paris, qu'on soupçonna d'être impliqué dans l'assassinat de l'amiral Darlan et d'être de mèche avec De Gaulle pour négocier les conditions d'une improbable restauration, a eu le malheur de mourir le jour où on décapitait le roi, comme si la Providence avait voulu rappeler par la date de sa mort l'inexpiable(?) forfait de son ancêtre Philippe égalité.

Le roi n'a plus besoin de moi et nous n'avons plus besoin de cet arbitre.

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