Pages

vendredi 27 mars 2020

La crise du châtiment

La pensée du châtiment n’est plus du tout assumée en Occident. La communauté évangélique, qui prétend opérer des guérisons spirituelles, est le foyer de contamination de Mulhouse. Elle s’en émeut à peine, tout en se demandant pourquoi « Dieu permet des choses incompréhensibles » et pourquoi Il a d’abord créé le chaos avant de créer le cosmos, ne créant pas tout en ordre tout d’un coup.

Le coronavirus n’est pas le châtiment de la mégachurch de Mulhouse. J’ai failli me faire lyncher quand, zélote préado, je hasardai que le SIDA était peut-être un châtiment divin. Au lendemain de l’attentat contre le Bataclan, un prêtre eut la malheureuse audace de relever qu’il survint lors du concert d’un groupe sataniste et au moment où éclatait un tube à la gloire de Satan.

Le châtiment est l’archaïque de la pensée religieuse, ce qu’elle est au niveau de la taupe. L’homme est mi-ange, mi-taupe. Je prétends que la religion meurt si elle n’assume pas la taupe en nous et ne fait pas la part de l’archaïque. On prend avec colère ce qu’on comprend de ma part comme une défense de l’archaïque, de l’obscurantisme religieux et de la régression psychique, comme si l’archaïque dans le sentiment religieux n’était pas un invariant anthropologique, et comme si faire la part de la taupe, ou faire la part de l’archaïque dans la pensée religieuse, c’était avoir une pensée religieuse archaïque.

On n’assume plus le châtiment, bonne nouvelle pour l’Occident, il a bon moral, il est évolué. Mais le bon moral n’est pas toujours un bon aiguillon pour le perfectionnement moral. Le bon moral qui évacue le châtiment même à titre de question a perdu le sens du péché et de la gravité.

L’homme est ainsi fait qu’il ne sait marcher qu’à la carotte et au bâton, à la menace et à la récompense. C’est sa part animale. Qui trop veut faire l’esprit large risque de s’évaporer. S’il n’y a pas d’enjeu, je ne joue plus. Si tout va bien, rien ne va plus.

Il ne fait pas bon être défaitiste depuis que le défaitisme de la révolution nationale a été le ressort du maréchal Pétain, qui lui a fait signé l’armistice, qu’il a négocié dans « une certaine idée » de l’honneur ou du déshonneur. Sartre a fait jouer « LES MOUCHES » en pleine occupation pour faire la satire du défaitisme et du repentir. Mais l’annonce du repentir est la mauvaise nouvelle par laquelle commence la bonne Nouvelle de l’Évangile. Et le prophète Jérémie est dans la Bible le penseur du défaitisme, considérant que l’invasion et la captivité à Babylone étaient des purifications bienvenues.

Jérémie est le penseur du défaitisme et de l’occupation. Victor Hugo estimait quant à lui que le second Empire était le châtiment de la geste napoléonienne, ce qui nous valut un des plus grands recueils de poésie satirique et polémique de la littérature française.

Quand on se croyait victime d’un châtiment expiatoire et mérité, naissait le repentir d’où l’on pouvait remonter la pente. Mais on croit aujourd’hui qu’on n’a jamais mérité ce qui nous arrive. Aussi, la vie ne peut-elle rien nous apprendre, comme le chantait Daniel Balavoine. Inutile de se couvrir de cendres, pas la peine de déchirer son cœur. L’Occident croit en son impunité, iln’est responsable de rien. Ce déni de responsabilité vient de cette ultime idée chrétienne devenue folle qu’est la rédemption conçue comme transfert de responsabilité.

(Posté juste avant le don de l'indulgence plénière par le pape franois qu'on peut suivre et retrouver sur KTO)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire