Réaction au billet un peu alarmiste de Philippe Bilger sur "l'inculture générale", que l'on peut lire ici:
L'inculture générale : une plaie française
philippebilger.com
Cher Philippe,
J'ai toujours déploré les quelques conversations que j'ai eues avec des professeurs d'université se plaignant devant moi du niveau d'inculture crasse qu'ils constataient chez leurs étudiants, non que cette baisse du niveau ne soit réelle, mais elle est la conséquence d'un enseignement qui fait plus de la prévention contre les conduites à risques et contre la pensée incorrecte qu'il ne dispense des savoirs bien ordonnés. Et se repaître de l'idée qu'on enseigne à des ignares n'intéresse guère ceux-ci à l'enseignement qu'on se prépare à leur dispenser. Avec ce guillemic des professeurs d'université de prendre un malin plaisir de poser à leurs étudiants des questions dont ils savent très bien qu'ils ne connaissent pas la réponse: "Vous savez évidemment ce qu'a dit Stendhal à propos de son grand-père dans"La vie d'Henri brulard. -La vie de qui?", se demandent les étudiants confus en se regardant perplexes et en écarquillant des yeux pleins de honte sur le professeur triomphhant.
Vous pratiquez la bone approche dans votre Institut de la parole si vous proposez à ceux que vous formez de se poser tous les problèmes que charrie une citation que vous leur soumettez. Mais dans le second cycle du secondaire, les professeurs de français ne pratiquent pas ainsi. Les programmes scolaires leur font obligation de demander à des élèves qui n'ont pas le goût de lire de se poser en critiques littéraires ou d'écrire des essais littéraires en se positionnant dans des débats sur la littérature qui les dépassent de cent coudées. Les sujets d'invention rattrapent un peu ce mauvais pli, par lequel non seulement on ne leur donne pas envie de lire, mais on les en dégoûte.
Emmanuel Macron a remporté le concours de culture générale. On ne voit pas que cela lui ait donné une pensée générale, même si ça lui permet d'empiler les poncifes et de maîtriser ses dossiers en ce sens qu'il sait tout ce que l'on écrit d'un sujet, mais il le compile mal etdit qu'il va tout faire, sans jamais hiérarchiser les strates de son sempiternel "en même temps", dont il finit par s'amuser lui-même, et sans davantage indiquer les priorités de son action.
Montaigne savait ses auteurs latins par cœur, ce qui ne l'empêchait pas de puiser dans sa bibliothèque pour dicter en citant. Aujourd'hui, on ne sait plus guère des auteurs latins et ggrecs que l'argument de leurs œuvres principales et les racines des mots qu'ils emploient. Est-ce une perte? On revient à la racine pour former à partir des étymons une pensée exprimée dans des phrases françaises. Revenir à la racine, n'est-ce pas revenir au radical?
"Les livres nouveaux nous empêchent de lire les anciens", regrettait Jean d'Ormesson. Oui, bien sûr, mais la réciproque est vraie.
"L'honnête homme" de Montaigne a été. L'honnête homme d'aujourd'hui est celui qui sait cliquer d'une discipline à l'autre, sauter d'une idée à l'autre, comme Michel Onfray qui dresse d'excellentes panoramiques. C'est l'homme hypertextuel. L'interdisciplinarité est le mot qui désigne l'honnête homme d'aujourd'hui. C'est un mot barbare et qui tire en longueur. Il annonce une cuistrerie jargonnante regrettable sans préjudice de compétence.
Les enfants d'aujourd'hui ont moins d'orthographe et de grammaire que ceux d'hier. Ils écrivent moins bien, mais ils parlent mieux. Et ils sont loin de penser plus mal. Ils vont tout de suite à l'essentiel, droit au but. L'information dont ils sont gargarisés par le commérage de l'actualité y est pour beaucoup, et peut-être aussi l'épidémie d'hyper-activité qui frape les nouvelles générations et qui peut être un signe d'intelligence et de précocité. D'aucuns ont parlé d'enfants indigos. Pourquoi pas?
Je ne sais pas si la culture générale favorise une pensée générale. Compte beaucoup plus pour moi l'originalité de la pensée. Quand, très jeune, j'ai commencé à écrire,je pensais qu'on écrivait mieux si on avait moins lu. Je ne me rendais pas compte que ce que j'écrivais pastichait maladroitement Pagnol ou Molière, que j'aimais bien (je les aime encore aujourd'hui), pour une pièce de théâtre et un petit roman que j'avais écrits.
En sixième, notre manuel de grammaire, rédigé entre autres par Henri Mitterand avec un "R", comportait cette question: "Les livres que j'aurais voulus écrire". Je me disais: "Les miens". J'étais comme le Brel des "Bourgeois" étant déjà aussi saoul que lui-même, tandis que son ami Jojo se prenait pour Casanova. Étudiant en lettres, je révisais mon jugement et me disais que tout de même, j'aurais bien aimé écrire "Les souffrances du jeune Werther", si l'ouvrage ne s'était pas terminé par le suicide du héros.
Le premier jour où je pénétrai à la Sorbonne pour y assister à mon premier cours, le 22 octobre 1990, je me souviens d'avoir éprouvé du dépit et de m'être dit: "Ce n'est pas possible, on pratique ici le culte des grands morts. Or moi qui suis chrétien, je pratique le culte de Dieu, et je suis tributaire d'un Evangile où il est écrit: "Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame Ta louange, car ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout petits." Comment vais-je me débrouiller avec cela?"
D'autant que s'ajoutait à ma méfiance pour la patrimonialisation d'auteurs choisis pour être des phares de notre civilisation, l'impression qui ne m'a jamais quitté que, si la sélection naturelle à laquelle je ne crois pas relève de l'adaptation, la sélection culturelle relevait de l'arbitraire.
Qui sait, si je m'étais adapté, j'aurais peut-être été sélectionné. Mon père me conseillait de préparer "Normal sup". Je lui rétorquais que je ne voulais pas devenir un bourgeois. "N'importe, tu apprendras à travailler et tu t'y feras uncarnet d'adresses qui te servira dès que tu auras écrit quelque chose." Je voulais devenir prêtre, j'estimais ne pas avoir besoin de carnet d'adresses. Finalement je ne suis pas devenu prêtre et je n'ai pas de carnet d'adresses, "mon père avait raison" comme en convenait Sacha Guitry dans une pièce où j'ai vu s'affronter les Brasseur père et fils, Claude et Alexandre, il y a une dizaine d'années, était-ce au théâtre Édouard VII ou à la Comédie française? Je ne sais plus.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire