...comme si la cécité avait quelque chose de
muséographique.
Dans le livre de mémoires de françois Nourrissier, "à défaut de génie", j'ai
trouvé chez l'auteur la même gêne, doublée d'une verve satirique pour
décrire cette propension, comme les prêtres et les homosexuels sont les
derniers à vouloir du mariage, à être les derniers à souhaiter fréquenter
les musées, en dehors des journées du patrimoine, où tout le monde s'y
précipite parce que c'est gratuit.
Ce que je veux dire par cette provocation, c'est qu'avant que n'émerge
l'audiodescriptiion, l'accès à la culture tel qu'on l'envisageait pour nous
et tel que nous avons nous-même fini par l'envisager, se bornait à visiter
des musées.
Or vous en connaissez beaucoup, vous, des gens qui fréquentent assidument
les musées ? Les aveugles devraient être de ceux-là. Dans l'inconscient collectif et
d'une manière que les déficients visuels avalisent, cela tient au fait qu'on les relègue, tels des oeuvres abstraites ou des bêtes curieuses, dans une espèce d'arrière-monde muséal ou zoologique où ils font des exploits comme des "bêtes de foire, sommés de "faire une performance", à
moins qu'ils ne visitent des musées en touchant le plus possible les oeuvres qu'avec crainte et tremblement, redoutant qu'elles n'en ressortent abîmées, les conservateurs laissent à portée de leurs mains.
Lorsque des "visites tactiles" sont organisées, cela peut atteindre au
cocace. Les aveugles sont parqués derrière des barrières, à portée de mains des
oeuvres, tandis que leurs chiens guident aboient de l'autre côté. Des aveugles derrière la barrière ou de leurs chiens, à hauteur d'hommes, qui sont les animaux ? Une scène digne d'Hervé guibert !
Ah, comme la cécité fait fantasmer ! Des "expériences", toujours des expériences : des photographes qui veulent photographier comme voient les aveugles, des photographes aveugles, des restaurants où l'on dîne dans le noir, servi par des aveugles interrogés par des sociologues qui enquêtent sur la perception des aveugles... Et des aveugles qui se prêtent au jeu, y a-t-il pas quelque chose de morbide à tout ça? En manifestant mon désaccord, je voudrais sensibiliser... les aveugles à ce que cette forme de sensibilisation des "voyants" ne les met pas à leur avantage. Car, dans l'archaïque des perceptions inavouées,
quel que soit l'édulcorant qu'on mette pour le cacher, les aveuggles ont, au
mieux le "troisième oeil" et au pire "le mauvais". Ils voient du noir, donc
ils en broient, donc ils sont messagers de mort. Ca se réveille dans des cas
où un proche est malade, ça aussi, je l'ai vécu. tout à coup, il ne fallait
surtout pas que je vienne visiter.. mon propre père.
Les aveugles ont le troisième ou le "mauvais oeil", donc on les envoie au
musée, ou on joue à être comme eux. Tout ça n'est pas très sain.
Veux-je donc interdire les aveugles de musée? Pas du tout. Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'une visite entre amis vaut mieux qu'une "visite tactile", que l'audioguide ne nous fait pas mieux apprécier le château de Versailles, que
toucher ne fait pas tout comprendre, qu'il y a d'excellents descripteurs
parmi ceux qui nous côtoient, que, dans les visites, même guidées,
d'églises, il est rare que le guide ne fasse pas son possible pour qu'un
aveugle qui se trouverait de la partie puisse toucher tout ce qui n'est pas
hors d'atteinte, qu'enfin, les maquettes pourvoient ingénieusement à tout le reste.
Quand on veut s'amuser, on ne va pas au musée!
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