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mercredi 9 novembre 2011

Pour une accessibilité raisonnée, humaine et priorisée

(des villes, du bâti (ancien ou nouveau), des administrations, aux aveugles et à ceux qui souffrent d'un handicap plus lourd que le leur!

Réflexions personnelles à peine remaniées et publiées, dans leur version initiale, sur un forum dédié aux Etats généraux de la cécité en réponse à quelqu'un qui proposait fort judicieusement que les associations dévolues aux aveugles commencent par se réunir, d'où les lignes liminaires de ce message.


"Chers amis,

Sans doute, mon message est-il hors de propos sur cette liste peu active (NDLR/ (message traitant de l'accessibilité posté sur le forum qui travaille aux implications sociales de la cécité), (...) mais l'impertinence de la position qui va suivre n'est pas aussi évidente qu'il y paraît d'abord.

Inutile de dire que j'adhère à 100 % au message de C. Il a très bien exprimé sa façon de voir les choses, je ne pourrai donc que le répéter en disant que le CFPSAA (NDLR: fédération d'associations regroupant les principales associations d'aveugles (dites associations tiphlophiles) et destiné à les regrouper toutes)doit oeuvrer pour fédérer le maximum d'associations en son sein et que le maximum d'associations doivent être conscientes de l'intérêt de se fédérer au sein d'une structure qui puisse porter notre parole à large échelle. Pour bien faire, il faudrait aussi que les individus puissent avoir d'une manière pérenne voix au chapitre au sein de cette instance fédérative, car il est à peu près impossible par exemple de faire partie de l'AVH (NDLR: Association Valentin Haüy, l'association historique oeuvrant en france "pour le bien des aveugles, mais fonctionnant par cooptation), et, si l'on n'est en contact qu'avec elle, aucune chance que notre avis soit entendu en dehors de circonstances exceptionnelles comme ces etats généraux.

Mais je voudrais faire un pont entre l'accessibilité et le social, puisque C. nous en donne l'occasion. Je n'ai pas demandé à faire partie de la liste qui discute de l'accessibilité, n'ayant à dire que ce que je vais dire ici, mais je serais très reconnaissant à qui fait partie des deux listes de bien vouloir transférer mon opinion sur la liste accessibilité. Si mon message fait réagir, je m'y inscrirai pour discuter avec ceux qui réagiront.

Selon moi, la loi de 2005 a instauré une très mauvaise dynamique en prétendant, à tous les étages, pallier l'aide humaine, qui facilitait notre communication avec autrui, par la mise aux normes du plus grand nombre de bâtiments publics et de la voierie dans les villes qui voudraient bien s'atteler à ce travail toujours à recommencer, politique dépensière, tonneau des danaïdes, qui a affecté des lignes budgétaires à l'accessibilité, là où il était indispensable que l'humain ait des ressources suffisantes.

Nous avons fait preuve d'un égoïsme sans pareil, nous, aveugles, qui avons prétendu avoir un besoin aussi vital que les villes nous soient adaptés que les paralysés, par exemple, et ce à un moment où commençaient de se mutualiser les revendications des personnes handicapées. Nous n'avons pas songé un instant à hiérarchiser les priorités, à nous dire que l'accessibilité était plus prioritaire pour les personnes en fauteuil, tandis qeu, pour nous, c'était l'aide à l'acquisition d'équipements techniques pour tous qui devait être privilégiée par exemple et, à travers cet équipement technique, notre "déficit culturel", qui devait être comblé.

Mais cette volonté d'être autonome en tout temps et en tout lieu a eu un autre effet pervers : c'est que nous paraissons désormais, dans des administrations théoriquement adaptées à nos besoins, absolument illégitimes pour continuer à demander de l'aide à un agent d'accueil.

Je prends un exemple entre mille : vous attendez votre tour dans une mairie pour passer au bureau des passeports. Une voix synthétique débite les numéros des personnes devant passer et le guiché où ils doivent se rendre. Vous êtes bien avancés quand cette voix synthétique annonce votre numéro : vous n'avez pas la moindre idée d'où peut se trouver le guiché où vous êtes attendu et, le temps que vous le trouviez, le temps imparti à ce que le fonctionnaire accrédité puisse attendre que vous soyez parvenu jusqu'à lui, ce temps aura coulé. Qu'aurez-vous gagné à vous passer de demander simplement à quelqu'un de vous amener, le moment venu, auprès de son collègue travaillant au bureau des passeports ? Vous pouvez bien sûr continuer de le faire, s'il reste un agent d'accueil qui ne travaille pas loin de la salle d'attente où vous devez faire la queue pour vous rendre au bureau des passeports. Mais cet agent d'accueil pourra vous répondre qu'il ne comprend pas pourquoi vous avez encore recours à lui, puisque la mairie s'est équipée en prévision de votre venue et que cela a coûté si cher au contribuable municipal.

J'ai vu émergé ce discours du "nous voulons tout, nous avons droit à tout" au début des années 2000. J'ai dit alors à mon entourage amical le plus proche qu'à tout vouloir ainsi, nous allions tout perdre. Je n'ai pas dû attendre longtemps pour être bon prophète. Cinq ans après les années 2000, il y eut la loi de 2005 qui nous octroyait tout, théoriquement, mais qui devait plus que jamais faire de notre vie un parcours du combattant, et cela ne fait que commencer.

Comment expliquer qu'en 1993, lorsqu'edouard balladur a voulu revenir sur l'exception qui consentait que nous n'ayons pas à justifier de l'emploi que nous faisions d'une tierce personne dans le cadre de la perception de l'ACTP (NDLR/ Allocation compensatrice pour tierce Personne), l'AVH, sous l'impulsion de Monsieur Chazal, nous ait fait manifester vent debout contre ce décret et que, douze ans plus tard, ce soit avec une grande résignation, voire en le considérant comme une victoire, que nous ayons accueilli la loi de 2005 qui, sous couvert de tout nous rendre accessible à tous, ne pouvait que nous appauvrir, chacun en particulier ? Il est vrai que, dans l'intervalle, nous avions obtenu de l'Etat de ne pas avoir à rembourser si nous venions à hériter, dans le cas d'un "retour à meilleure fortune".

C'est qu'entre temps, notre mentalité avait changé. Nous étions devenus revendicatifs à la manière des syndicalistes d'aujourd'hui, c'est-à-dire qu'à la fois nous ne pensions plus qu'à nos intérêts catégoriels, dans une dérive individualiste que la notion d'"autonomie" traduit bien, et nous avons accepté des lois valables pour les "classes moyennes" des déficients visuels, mais nous avons oublié notre propre prolétariat.

Nous avons laissé brader l'enseignement spécialisé. Résultat ? C'est double journée pour les bons élèves et ceux qui le sont moins, lesquels n'accéderont jamais au niveau d'étude que la moyenne d'entre nous pouvait atteindre, lorsqu'il existait un minimum de bases à avoir bien acquises avant de partir en intégration. Aujourd'hui, on acquiert ces bases au petit bonheur, dans la fatigue et, certes dans une plus grande ouverture au "milieu ordinaire", mais à quel prix, quel est le coût scolaire de toutes ces mesures, quel est aussi le coût en matière de fatigue ? Comment s'en sortent ceux qui doivent passer d'une classe à l'autre sans avoir acquis les bases de leur propre prise de connaissance du monde, tout en devant savoir communiquer avec ceux qui n'ont jamais appris le braille, ni l'informatique adaptée, ni la cartographie en relief et qui ne connaissent rien à la cécité ? Les aides à la vie scolaires sont-elles la réponse à tout ? N'est-il pas plus hautement probable qu'il en soit de ces élèves moyens comme il en va de nombreux aveugles qui trouvent un emploi dans la "fonction publique" et à qui l'on ne donne, en réalité, rien à faire ?

Ne serait-il pas possible de se demander si l'on n'est pas allé trop loin, si la loi de 1975 ne convenait pas mieux à notre situation que la loi de 2005 ? Certes, on ne pourra pas abroger cette dernière pour revenir à celle-ci, mais il y a tout de même des choses que l'on pourrait faire : par exemple, exprimer nos besoins par ordre de priorité ; et lors même que l'accessibilité en demeure une, qu'est-ce qu'il est indispensable que nous demandions tout de suite et qu'est-ce qui est secondaire ? Qu'est-ce qui nous paraît prioritaire et qu'est-ce qui peut attendre ? Le CFPSAA ne pourrait-i pas poser la question en ces termes ? Puisqu'il fait partie du Comité consultatif des Personnes Handicapées, ---- ne pourrait-il pas nous sensibiliser à quel point nous sommes nantis par rapport à d'autres et combien nous ne devons pas, par simple altruisme et souci du "collectif", nous montrer un peu moins gourmands ? A ceux qui ont participé à l'une des manifestations du collectifs "ni pauvre, ni soumis", n'a-t-il pas sauté aux yeux que des gens qui ne peuvent même pas bouger n'ont même pas les moyens de payer les services d'une aide humaine, indispensable à leur vie quotidienne, tandis que nous nous plaignons parce que toutes les villes n'ont pas à tous les carrefours des feux sonores et des bandes de vigilance pour la traversée des passages cloûtés? ?

De plus, n'est-il pas capital, enfin, que soient consultés, de préférence à l'expertise des professionnels de l'aide à l'autonomie des non-voyants qui ne vivent pas la cécité dans leur chair et qui parlent en véritables experts et ingénieurs de l'accessibilité, les principaux intéressés impliqués dans cette problématique avant toute prise de décision d'amélioration de l'accessibilité de tel bâtiment public, de tel feu ou de telle rue ? Les personnes impliquées dans l'accessibilité ne se doivent-elles pas, à leur tour, de consulter les déficients visuels qui vivent dans le lieu dont elles veulent améliorer la qualité de vie ? A cet effet, ne se doit-on pas, dans toutes les municipalités où c'est possible, de se connaître, d'organiser des groupes de parole, pour que la dynamique de ces états généraux ne s'épuise pas quand sera terminée la journée du 26 novembre 211, mais qu'elle s'étende à une connaissance mutuelle des acteurs visibles et invisibles du terrain, qu'ils s'y déplacent seuls ou accompagnés ?

Voilà quelques réflexions dont le désordre apparent me semble néanmoins couvrir un large spectre de la manière d'aborder les choses qui nous concernent en relation, à la fois avec le milieu dit ordinaire, avec ce qu'il est réaliste de demander et ce que nous devons savoir attendre, nous qui avons désappris la patience; en relation aussi avec nos concitoyens dont nous ne devons pas négliger qu'à trop vouloir ne pas avoir besoin d'eux, nous finirons par être coupés du monde, et avec nos collègues handicapés dont il serait temps que nous portions un peu plus concrètement le souci...

En espérant que ces réflexions ne braqueront personne, mais feront un peu réagir...

J. weinzaepflen"

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