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mardi 15 février 2011

Les gardiens de la révolution

(Suite du dialogue entre le Torrentiel et le croissant de lune, partie IV, herméneutique 8)

Envoyé par le Torrentiel, le 16 février à 17h54

Mon cher Croissant de lune,

Si tu invoques le salut sur "ceux qui soupirent pour un monde nouveau, exempt de toute servitude, et pour un homme nouveau, franc de toute aliénation", alors, que le salut soit sur moi, car je suis de ceux qui soupirent pour ce monde, si je n'ai l'âme assez combattante. J'ai aussi aimé que tu applaudisses à la victoire du "sultan" comme à celle du peuple, que Rousseau après le marquis d'argençon et quelques autres, désignait comme "le souverain", en qui, pour qui et au nom de qui était concentrées la légitimité et la force du gouvernement. Souverain-sultan référé en egypte au "Souverain des sultans, qui a été "la cause du peuple" comme "le peuple a été la cause (du tout-Puissant)". ". Que dieu n'ait pas été "la "cause du peuple", voilà ce qui aura manqué à la révolution française, qui aura voulu substituer "une religion civile" instrumentale à une foi active et vivifiante. Que "le peuple (soit la cause de dieu", c'est ce que le concile vatican II, fort malmené depuis que ses déclarations ont été promulguées, a lui aussi découvert, ouvrant la voie par cette expression, je le comprends en te lisant, à la "téhologie de la libération", et pour cette raison critiqué par ceux qui n'avaient nulle envie que l'homme se libérât un jour.

Lorsqu'a retenti la nouvelle de la démission de Moubarak, mon sang n'a fait qu'un tour, et j'ai immédiatement téléphoné à mes amis coptes, perdus de vue depuis si longtemps et dont la femme était gravement malade. Je redoutais toujours, si je leur passais un coup de fil, d'apprendre une mauvaise nouvelle. Je n'ai pas plus tôt retrouvé et composé le numéro de téléphone de leur nouvelle brasserie que je tombe sur mon amie fadia, dont la voix est rassérénée comme aux premiers jours où je l'ai connue, après des années de longue maladie et des passages par des états commateux. Notre joie éclate de nous réentendre, j'y sens comme le signe d'une double résurrection, celle de l'egypte se confondant avec celle de mon amie fadia, et puis... J'évoque inévitablement les événements d'Egypte, je sens que ça ne mord pas à l'autre bout du fil, mon interlocutrice est méfiante, j'ai mal pour elle, mais j'épouse sa crainte.

Le lendemain, samedi 12 février, vient sonner à ma porte un chrétien irakien rencontré à la messe du dimanche précédent et que, comme il se proposait de me raccompagner, j'avais. invité à boire un verre. Ces chrétiens d'Orient sont sobres comme vous autres, chameaux, mais d'une honnêteté, d'un dévouement sans faille envers la veuve, l'orphelin, l'aveugle, comme peuvent l'être des citoyens de ta nation, j'en ai eu maints exemples : les seuls chauffeurs de taxi qui ont refusé mon défraiement au nom de la religion étaient de tes correligionnaires. Devant mon visiteur, j'évoque, à la fois la coïncidence qui me fait le retrouver le lendemain du jour où j'ai renoué avec mon amie copte, depuis si longtemps perdue de vue et que je craignais d'avoir perdu tout court ; j'oublie de lui faire part de ses réticences implicites devant la révolution d'egypte que je salue ensuite devant lui. Lui n'a pas la même réaction que Fadia, il s'en félicite aussitôt, ajoutant que nous autres, chrétiens, nous sommes trop habitués à offrir aux dictateurs un visage résigné qui peut vite devenir complice. Or, me rappelle-t-il, Jésus devant Pilate, mais plus encore devant les représentants des autorités d'Hérode, n'a fait preuve d'aucune faiblesse. Il n'a jamais déclaré bon un régime qui était mauvais, ni roi qui n'était que pantin. Seulement, il a laissé pilate répondre à la propre question qu'il posait devant le Dieu de Vérité et qui soulevait en lui un abîme de perplexité :
"qu'est-ce que la vérité ?"
Pilate, c'est ma foi, avait en face de lui la vérité même, et la vérité lui laisse faire son chemin, cette Vérité qui, ailleurs, se dit le chemin, chemin de silence dans le doute sublimé, chemin, moins de pesée des événements, moins de discernement que de réceptivité contemplative et de réponse du coeur.

Comment mon coeur ne vibrerait-il pas à l'unisson de l'Egypte longue et libre ! Et pourtant, comment me défendre d'éprouver la surprise que cette leçon de liberté me soit donnée par deux sociétés islamiques, qui incarnent le moins cette valeur dans l'esprit plein d'a prioris de l'occidental que je suis ! Comment être sûr que je dois tout à fait me réjouir de cette victoire, si d'abord, cette société islamique me somme de reconnaître la supériorité de son modèle social et religieux, qui a certes permis cette révolution, mais qui a aussi couvert et couvé, plus d'un demi-siècle durant, les régimes despotiques dont elle se libère aujourd'hui, dans ce "printemps des peuples". De plus, suis-je bien sûr que j'assiste à un "printemps des peuples" ? La chose ne me paraît pas aussi évidente qu'en roumanie ou qu'en russie, lesquels pays m'ont cruellement détrompé après que j'ai accueilli d'une joie sans mélange la révolution de velours qu'ils offraient au téléspectateur que j'étais : à peine chassées, les olygarchies sont renées de leurs cendres ; la roumanie s'est rapidement montrée un régime autoritaire ; quant à la Russie, les dirigeants qui ont succédés à gorbatchev ne se sont pas montrés à la hauteur de ce grand homme d'etat, dont je me suis toujours demandé à part moi s'il n'était pas un agent de la cia. Chaque fois que je la posais autour de moi, la question faisait rire ; aujourd'hui encore, je ne suis pas sûr que je n'avais pas vu juste. Come quoi tu vois que, moi aussi, je sais quelquefois déceler du "complot dans l'histoire" bien avant qu'on m'ait appris à me méfier de toute "téhorie du complot", et que ce n'est pas toujours ni unilatéralement celui qu'on croit.

Bref, j'ai été largement déçu par le "vent de liberté" qui venait des pays de l'est. Peut-être celui qui vient d'Egypte ne porte-t-il pas exclusivement la liberté sur les fanions que l'histoire emportera, sitôt qu'on aura cessé de les regarder s'agiter ; et, si l'on est optimiste, il est possible qu'on doive gager que ce mélange de liberté avec autre chose, qui la rend plus complexe et moins pure qu'un absolu , est ce qui l'enracinera dans le merveilleux. Dieu réponde à cette espérance optimiste qui, je le sais, rencontre ton assentiment de croyant dans une nature humaine qui n'est, ni totalement à proscrire, ni davantage à idéaliser !

Qu'est-ce qui me fait penser que cette liberté venue d'egypte est moins pure que le vent trompeur qui était venue m'en visiter depuis Bucarest, berlin et Moscou ? C'est que, de ces trois pays, je croyais connaître un peu la dissidence ; pour autant, les dissidents y ont-ils exercé le pouvoir ? Ensuite, dans ces trois villes, il y avait des syndicats qui pouvaient se substituer en se renouvelant à une société en voie de désintégration, comme est toute société qui vit une révolution, laquelle est toujours une histoire longue où les masses se soulèvent et, si elles ne sont pas portées, retombent. En Egypte, j'interprète positivement que la révolte des assaillants de la place de la libération se transforme en "révolte des bassalaires", avec grèves et débrayages sociaux pour remédier à cet état d'injustice flagrante. Autant je m'étais impatienté de mon fauteuil ou de mon lit que ces assaillants campent sur cette place et ne prennent pas d'assaut le palais présidentiel, autant je me disais que la meilleure manière de "garder leur révolution" était de ne pas accepter d'en être chassés, comme l'exigea l'armée, à peine le pouvoir lui fut-il remis et qui eut pour premier réflexe d'évacuer un grand nombre de barricades, pour faire cesser la liesse. Le pays devait se remettre en ordre de marche, l'économie le réclamait ; le peuple ne l'entendit pas de cette oreille, il fut conséquent avec sa révolte, ne se contenta pas que le dictateur eût été renversé, mais réclama du pain. Comment va-t-il s'organiser pour être entendu ? C'est toute la question. Quelques jours avant que Moubarak ne soit démis, ton cheik tarik Ramadan laissa percer la même inquiétude que la mienne : cette révolution n'a pas de leadership. En l'absence de syndicats capables de suppléer à la vacance organique du prolétariat en associations revendicatrices, en l'absence de l'émergence d'un leader en lequel le peuple puisse se reconnaître comme on a cru un temps que pourrait être Amr Moussa, en l'absence plus étonnante d'une saisie plus significative d'une partie du pouvoir par les "frères musulmans" qui, bien qu'ils reconnaissent avec panache qu'ils n'ont pas été les instigateurs de cette révolution, pourraient lui donner une ossature sociale, d'autant que l'"aide sociale" a toujours été leur fort, cette révolution serait-elle en train de se donner "spontanément" la suite et l'organisation qui découlent logiquement du renversement du dictateur qui passe pour un des plus corrompus du monde, sinon pour une des plus grandes fortunes de celui-ci ? Evidemment, le "spontanéisme révolutionnaire" fait généralement long feu, il est à espérer que l'egypte soit en voie de trouver la parade à l'anarchie qui pourrait être un des premiers éléments de la confiscation de la démission qu'elle a su faire d'un dictateur dont ne supportait plus le joug tortionnaire.

La seconde raison qui renvoie de ce vent de liberté un souffle mêlé à nos narines occidentales tient à ce qu'il paraît évident qu'un dictateur a été démis, mais qu'il ne s'ensuit pas nécessairement qu'on ait changé de régime. Et c'est ici que je risque à nouveau de poser une question qui fâche : comment expliquer qu'autant l'absence de syndicats fait défaut à cette révolution jusqu'à ce qu'elle ait trouvé comment la remplacer, autant le Président s'est démis au profit de ceux-là mêmes qui l'avaient installé, c'est-à-dire d'une armée à qui on peut certes accorder le crédit de n'avoir pas tiré sur son peuple, mais qui, avec les biens dont elle dispose, est chargée d'organiser une "transition démocratique" dont on doute qu'elle ait très envie. C'en est au point que des malveillants ont pu dire que le renversement de Moubarak s'était fait, par le principal intéressé, au profit d'un coup d'etat militaire. C'aurait été vrai s'il n'y avait pas eu de révolution civile. Mais tout de même, alors que tu te gargarises que "le printemps des peuples" nous soit apporté par des sociétés islamiques, il demeure un fait constant que pas une de ces sociétés ne réussisse pour lors à tolérer un gouvernement purement civil. En tunisie, le général ben ali cède la place à un gouvernement étroitement surveillé par l'armée dont était issu Ben ali. En algérie, la peur d'une recrudescence de la guerre civile fait que se cumule au despotisme du Président le fait que cet homme ne soit que le représentant de son parti et soit entièrement ligoté par une armée, dont chaque général détient le monopole des pots de vin sur une denrée : il y aurait le général du sucre, celui du logement, sans parler de ceux du pétrole. En Turquie même, Erdogan est étroitement surveillé par une armée qui menace à tout instant de le démettre, s'il pousse un pas trop loin de ce qu'on peut tolérer de sa dissidence vis-à-vis du kémalisme, dont ils restent les stricts observants. En matière d'observance, il faut dire un mot des "gardiens de la révolution" de la République islamique d'Iran qui, en les instaurant, a, comme je te l'ai déjà fait observer, repris l'un des points de l'organisation de la république platonicienne. Mais ce corps prouve au-delà qu'en complément de ce que tu m'as laissé entendre lors d'une de nos deux longues nuits téléphoniques, certes, un parti islamiste à la mode turque pourrait être indéfiniment réélu parce que satisfaisant à la manière dont le peuple souhaite être gouverné ; mais aussi, une révolution islamiste à la mode iranienne n'entend tellement pas se laisser renverser qu'elle établit des gardiens pour éviter cela. De même, le "guide lybien est lui aussi un colonel, pas exactement, je te le concède, comme les grecs ont eu leurs colonels, d'autant que je crois que Khadafi a été l'un des plus grands et des plus constants serviteurs de la cause arabe, ce qui n'empêche pas que ses concitoyens ne veuillent le chasser au plus vite, bien qu'on ait dit sa société réglée d'une façon pyramidale exemplaire, malgré des avoirs en suisse du guide, et des troubles de moeurs à la berlusconi. D'où vient, en résumé (et voici la question qui fâche et que tu voyais poindre), ce quasi unanimisme des sociétés islamiques à manifester une propension certaine à s'appuyer sur des armées puissantes, et qui restent le premier pouvoir dont il faut s'assurer de la neutralité bienveillante, une fois que les tyrans ont été chassés ? Tu me répondras sans doute que, presque toujours, les premiers ministres israéliens sont eux aussi des généraux, parfois même d'anciens chefs terroristes, comme Menahem begin ou ou Yitzhak Shamir, ce qui est encore plus grave, assurément. Mais ce n'est pas parce qu'un mauvais pli a été pris dans un etat que tu considères comme ton ennemi, qu'il faut le perpétuer chez toi. Si j'adresse une prière pour la réussite de la révolution égyptienne, c'est pour que les gardiens n'en soient pas un corps érigé à l'exemple de celui de la république islamique d'Iran, mais pour que les gardiens de cette révolution soit les civils de la place Tahrir ou mieux, les civils organisés en syndicats.

Voilà deux questions laissées en suspens et que je te pose : pourquoi des régimes paramilitaires en terre d'Islam et quel est le différend islamomarxiste ? Je n'oublie pas, qu'en termes très autoritaires et véhéments, tu m'as sommé de retirer que je pouvais penser qu'il y avait un atavisme islamique de l'immolation et de l'égorgement, je m'en expliquerai, faits à l'appui, dans ma missive. Mais je ne crois pas qu'un homme libre pisse sommer un autre homme libre de retirer une de ses questions. Surtout pas dans un pays libre dont l'homme libre qui les pose est l'autochtone. Jouirais-je de la même liberté de parole si j'étais un étranger chez toi, liberté qui te permet, en terre ayant été chrétienne, d'accabler le christianisme de reproches qui sont rien moins que des questions ? Ceci valait d'être noté, à la suite de ton injonction pour ma chute dans l'article traitant de l'analyse de la "révolution de jasmin" par abdelwahab Médeb à qui je précise, si jamais il tombait par hasard ou parce que quelqu'un les lui aurait signalées, sur l'une de nos analyses de son article sur "etudestorrentielles" que, bien évidemment, lui est d'avance accordé tout droit de réponse qu'il pourrait réclamer, d'autant que tu le traites de "musulman renié", ce qui n'est pas aller avec le dos de la cuillère, dans une société où la renégation est souvent poursuivie, et sinon interdite, du moins très mal vue. De plus et pour clore cet incident, je crois légitime de te poser une question, même violemment formulée, sur l'islam, tandis que je m'interroge publiquement et en tant que chrétien, sur le caractère non temporellement opératoire du sacrifice christique. Ne serais-tu pas capable de faire la même critique de ta religion que je fais de la mienne ? Trouves-tu la mienne l'oeuvre de "l'esprit qui nie", c'est-à-dire du diable en christianisme ? Es-tu le seul fondé à t'interroger sur ta religion ? Je soutiens que toute question est légitime et vaut d'être posée, y compris celle, présentement, du rapport de la société islamique et du corps d'armée qui semble la placer sous surveillance et dont je souhaite vraiment qu'elle ne phagocyte pas le nouveau régime, qui succédera à Moubarak. Je reconnais que cette question ne brille pas par son originalité dans les consciences et dans la presse occidentale. Pourtant, à supposer que nous ne fassions pas la même analyse du rôle de l'armée dans la sphère musulmane et dans la chrétienté qui a tort de se croire enterrée, de l'armée, ici gardienne et là confiscatrice des révolutions, le malentendu vaut d'être dissipé.

N'omettons pas de dire un mot, d'abord des menées que font les ennemis de ce "printemps des peuples" arabes, ennemis dont je ne suis pas, si croisériste qu'il t'arrive de me croire ; car, si je n'en fais pas une conséquence inéluctable du sionisme, j'ai toujours prévu , qu'il se passerait une libération de cet ordre dès lors que nous avons imposé la guerre du golfe persique au monde arabe. Ce "printemps des peuples" est même la meilleure chose qui pouvait nous arriver, y compris à nous, occidentaux. Car s'il se fût fait à travers la guérilla dans des pays à forte minorité musulmane, comme y poussait George Bush à travers sa stigmatisation du terrorisme, ce monstre tentaculaire insaisissable, et non par le soulèvement d'une nation constituée, on ne peut présager des dommages que nous aurions subis en europe. Tandis que, même si un relèvement des minorités musulmanes est consécutif à ce soulèvement de l'egypte et de la tunisie, d'abord ce relèvement sera un relèvement de dignité et non pas une multiplication d'agressions sporadiques ; et puis ces minorités ne seront pas seules. Or rien n'est plus terrible qu'un guerrier qui se croit seul pour faire oeuvre de justicier.

Ces menées de vos ennemis sont doubles : d'abord, à l'intérieur de la Tunisie, de fortes vagues migratoires conduites par des passeurs voguent vers Lampedousa, emmenant des jeunes qu'on dit pauvres et sans travail, mais dont le caractère de pariats a l'air de tenir essentiellement à ce que ces migrants étaient d'anciens miliciens de Ben ali. Encore que, rien n'étant simple, il se puisse que s'y mêlent d'authentiques fuyards d'un pays en train de se reconstruire, qui ne veulent pas participer à cet effort de reconstruction parce qu'ils ne croient pas qu'ils pourront y trouver leur place, ni que leur avenir changera le moins du monde, que Ben ali soit déchu ou soit resté en place. Ces sortes de déserteurs font malheureusement équipe avec les anciens miliciens. Toujours est-il que ceux qui ont intérêt à dire que rien n'a bougé en Tunisie peuvent dauber sur cet exode massif. Enfin, se réactivent (ou sont rréactivés) les manifestations opposées au régime iranien. Là encore, il y a fort à parier qu'elles sont largement télécommandées, même si la pression étrangère ne doit pas être le seul facteur explicatif de ces manifestations. Si d'autres l'étaient davantage, cela voudrait dire que la composante islamiste, dont on ne peut pas dire qu'elle récupère dans la précipitation les révolutions qui se produisent dans le monde arabe, dont on ne peut même pas dire qu'elle joue un rôle essentiel en Algérie par exemple, aurait du plomb dans l'aile. Pour autant, la réactivation de ces manifestations contre le régime iranien intervenant tout juste après que la révolution égyptienne a réussi à atteindre son objectif immédiat et de plus haute portée symbolique, le renversement de Moubarak, me paraît tout de même un peu trop cousue de fil blanc.

Enfin, dans quelle mesure ce qui a réussi en egypte a-t-il un caractère exportable dans le monde arabe et dans le monde ? ON sait ce qu'il en est dans les différents pays arabes, où la situation est variable, mais où la révolte gronde au Yémen, où la coordination Nationale pour la Démocratie et le Changement a l'air décidée en algérie qui pourrait bien être le prochain pays sur la liste, même si la révolution y est presque plus difficile à mener qu'en egypte, où les soulèvements populaires n'épargnent pas les monarchies marocaines ou jordaniennes, où l'"autorité palestinienne" de Gaza joue à faire comme si le mandat de Mahmoud abas n'était pas indûment prolongé par la puissance occupante, à travers ce premier ministre qui s'autodémissionne... Mais dans le monde, où le Forum social altermondialiste vient de finir son show en réplique à davos ? Mais ne parlé-je pas un peu légèrement de mouvements qui réfléchissent de façon trop déconnectée des peuples ? En Italie, là même où les migrants tunisiens se rendent avant de trouver à se disperser dans le pays de leur choix, des "ligues de vertu" en ont assez de berlusconi, en raison de sa lubricité jointe à une corruption ou à une possession monopolistique de l'appareil d'etat. En France, on commence à se rendre compte que la politique paye un peu trop bien, si bien que le directeur du FMI que, soidisant, les sondages appellent, nous est soudain présenté comme un multimilliardaire possédant villas et hôtels particuliers place des Vosges à Paris, au Maroc et à washington. Cependant qu'après l'affaire des vacances de Fillion et de Michèle alliot-Marie, l'on découvre que le Président sarkozy qui leur a gentiment tapé sur les doigts a été lui-même avec sa femme l'invité du roi du Maroc dans un de ses palais. La diplomatie française ne cesse de se ridiculiser en exigeant la plus rigoureuse indépendance de la Justice dans une France de magistrats frondeurs et en s'ingérant contre l'indépendance de la Justice mexicaine, parce qu'elle s'est exercée à l'encontre d'une de nos compatriotes, envers qui elle a rendu des conclusions défavorables, ce que contestent le Président de la république et sa ministre des affaires étrangères avec un tel aplomb, que les autorités mexicaines, non seulement seront les premières à boycotter "l'année du Mexique en france", manifestation bien coûteuse en cette période de vaches maigres, mais seront d'autant plus braquées à s'opposer au transfèrement de leur prisonnière qu'on prétend leur Justice sommaire, à peines, il est vrai, bien longues. Or tout cela n'est qu'une chronique des petits faits du jour. Il y a des faits qui peuvent beaucoup plus fondamentalement unir le "printemps des peuples" inauguré par le monde arabe avec un sentiment tout à fait similaire, dont pourrait naître une réaction européenne sinon occidentale.

Les citoyens américains ne se sont guère opposés aux prêts bancaires frauduleux qui ont privé bon nombre d'entre eux de leurs maisons et combien plus de leur emploi ! En l'absence d'une révolte populaire, s'en est suivie une crise financière internationale, devant laquelle le monde entier est resté relativement passif, avant que cette révolte, conduite par le monde arabe, pour des raisons qui pourraient bien ne pas lui être qu'intérieures, ne vienne remplacer la crise dans les esprits. De beaucoup plus grande portée est cette crise politique en réponse à une crise de l'impéritie politique et du cynisme des gouvernants du monde qui laissent jusqu'à leurs classes moyennes être traitées comme elles n'ont eu cure de ménager le prolétariat, depuis longtemps désorganisé par la social-traîtrise des syndicats européens. Seulement, là où emmanuel todd a raison, c'est que d'une toute autre ampleur pourrait être la réaction d'une classe moyenne abandonnée, et que le gouvernement croit endormir en l'exaspérant au jour le jour, comme s'il avait oublié la théorie de la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Dans les pays prétendus nantis, il s'en faut qu'un quart de la population ne vive pas dans des conditions décentes aussi bien matériellement que moralement : au deux millions et demie de chômeurs officiellement recensés desquels ont été retranchés ceux qu'on a radiés arbitrairement, il faut ajouter (ce que j'ai appris tout récemment) quatre millions d'inactifs qu'on n'avait pas particulièrement repérés parce qu'ils ne s'étaient enregistrés nulle part. A quoi il faut ajouter les 7 millions de "travailleurs pauvres" ou "précaires", dont on peut bien supposer que ne dépende plus tout à fait une personne par tête, étant donné la désagrégation de la famille et le fait qu'un peu plus d'une personne sur deux est célibataire, soit non mariage, soit divorce. Mais même si l'on supposait le chiffre raisonnable de 0,5 (en arrondissant) personne dépendant d'un chômeur, d'un inactif ou d'un travailleur précaire, cela amènerait le nombre des précaires au tiers de la population française. Une telle proportion peut-elle longtemps rester invisible ? D'autant qu'une des causes premières de l'écrabouillement dont sont victimes les classes moyennes est le mal-logement, c'est-à-dire exactement le même problème qu'en Algérie. Que des inactifs soient mal logés, on ne peut que le trouver dur pour eux ; mais si en plus des travailleurs précaires gagnant le SMIC n'arrivent pas à trouver logement parce que les loyers ne sont pas plafonnés, c'est le fondement d'une exaspération qui couve, dont le deuxième étage est l'exaspération par la bureaucratie, dont le troisième étage est constitué par l'ensemble des mesures vexatoires qui sont prises au jour le jour contre ces travailleurs et dont l'étage ultime peut fort bien être la corruption des élites, si l'étalage continue de s'en accumuler, comme c'est la pente très naturelle d'une "société de l'image" qui, loin de cacher ses turpitudes de "petits marquis", a l'air fière de les montrer au grand jour.

J'ai longtemps cru que la corruption était un mal mineur, je commence à revenir de cette croyance. La corruption est un mal mineur aussi longtemps qu'elle reste marginale et secrète, et que le pays n'en est pas moins bien gouverné. Mais que ces conditions disparaissent une à une, et la corruption pourrait bien devenir, sinon un mal, mais une cause de déflagration majeure. L'Occident se sent encore enlisé d'avoir connu, l'une après l'autre, les années fastes d'une liberté déchaînée, et et, par un retour du refoulé, un reflux de la liberté, cette "guele de bois" économique, écologique et morale. Mais on se réveille des enlisements les plus longs, surtout si ce réveil obéit à ce que ses ennemis appellent un "effet de contagion". Sans un réveil progressif d'ampleur mondiale, l'interdépendance du monde ne pourra pas évoluer vers plus de justice. Autant Emmanuel todd se montre un fin analyste quand il diagnostique qu'on ne peutpas impunément maltraiter les classes moyennes, autant il lui est un peu facile de se rire de nos maux avec une faconde d'intellectuel plein de lui-même, qui se rend bien compte qu'il porte assez d'idées pour se présenter à l'élection présidentielle, mais qui veut n'en rien faire et laisser les autres mettre la main dans le cambouis. Mais plus encore se montre-t-il utopiste quand il affirme de moins en moins prêcher dans le désert en prônant le protectionnisme européen dont un autre mot est "la préférence communautaire", qui a été défendue, ne lui en déplaise, par Nicolas sarkozy, qui l'est aussi par "ce bouffon de Mélanchon", comme il l'appelle ! Et puis après de toute façon ? Si les dirigeants européens font chorus pour n'en pas vouloir et si les peuples ne se soulèvent pas pour ne pas la réclamer ? Comment l'Europe l'obtiendra-t-elle, sa protection, après que les gouvernements français successifs se sont par exemple assis sur le "non" de leur peuple au traité constitutionnel européen pour fomenter, malgré lui, à l'ombre de leur peuple, le traité de Lisbonne ? C'est dans la participation commune à une saine et juste régulation du monde que nous devons nous allier aux mouvements révolutionnaires qui libèrent lentement, mais sûrement le monde arabe. Nous leur devons encore notre soutien parce que les régimes qui prétendaient nous représenter leur ont fait des "coups pendables" en leur confisquant leur pétrole, en les bombardant, en ne défendant pas leur liberté, en ne leur souhaitant pas une démocratie pour laquelle ils n'auraient pas été mûrs, en traînant sans tâcher de la comprendre leur culture et leur religion dans la boue. Nous avons à nous repentir du mal que notre génération a laissé ses dirigeants leur faire. Nous n'avons pas à les considérer, eux qui nous ont montré le chemin, comme des partenaires mineurs dans la discussion sur la réorganisation, sur le réordonnancement d'un monde par une finance juste et une économie humaine. Nous avons à les laisser s'affirmer tout en ne nous reniant pas en face d'eux. En un mot, nous avons à agir en partenaires avec eux. Nous avons progressivement enfin et surtou à apprendre à les aimer ; mais, pour cela, il ne faudrait pas qu'une xénophobie se répande de part et d'autre. Il faudrait surtout que nous parvenions à chasser la peur que nous fait leur force vitale, mais aussi, parfois leurs élans répressifs, leurs critiques brutales ou leur religion qui sécrète des sociétés organiques, mais que nous trouvons par trop englobante et qui fait à notre idée trop peu de cas de l'individu. Il faut chasser la peur que nous fait le vitalisme arabe. Car notre peur leur fait peur, les fait nous haïr. On sait ce qu'il en coûte parfois d'un regard de travers. La peur est la pire ennemie de la paix.

Ton torrentiel conjuré... de la peur et autres sortilèges immobilisateurs

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