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jeudi 10 février 2011

Un point de vue techniciste, symbolique et islamocentrique

Voici ma réponse à ce point de vue:

1. Abdelwahab Médeb est considéré comme un traître par beaucoup de musulmans, parce qu'il a affirmé ne pas "vouloir faire un pas avec les Palestiniens".

2. Son interprétation des événements reste relativement occidentale, en ce sens que l'Occident méprise le géographique au profit du sans frontiérisme et du technicisme. Il satisferait nos catégories occidentales de supposer que cette révolution s'est propagée par la toile. Or la toile n'a été qu'un des vecteurs, l'effort humain de contestation au risque de brimades physiques, donc l'héroïsme a fait le reste. Globalement, nous avons importé, dès que nous avons commencé de la connaître, dans notre interprétation de ces événements, nos catégories de lutte habituels : cette révolution aurait été faite par la toile, par les femmes, bref accomplie par ce qu'on appelle communément "l'idéologie du progrès". Il est faux, d'autre part, de dire qu'Internet et ses sous-ensembles, ses applications, ses hébergeurs, sont sans dessein : quelqu'un a inventé le world wide web, l'armée américaine ; quelques-uns en ont repris le contrôle : google, facebook, twiter. Les etats-Unis n'ont que lâché la bride de l'aspect opérationnel du contrôle exercé sur Internet. Ils n'ont délégué ce contrôle qu'en raison de leur préférence pour les entreprises privées sur la gestion étatique. Lorsqu'Internet a été inventé, on a dit qu'on tenait enfin le moyen infaillible de l'information transparente. L'information y est relativement transparente en effet, mais le moyen n'est pas infaillible : on peut couper Internet et fermer dans des pays entiers l'accès à certains sites. Il était évident qu'on évoluerait de la sorte. Tout système d'information, tout "forum démocratique", sécrète malheureusement ses systèmes de censure.

3. Abdelwahab Médeb a tort de dire qu'en ce début de troisième millénaire, le meilleur et le pire sont venus de terres d'Islam. Pour le pire, on n'est pas sûr. Non que je dénie la version officielle des attentats du 11 septembre : je ne vois pas quel aurait été l'intérêt des américains de les provoquer eux-mêmes au risque d'être blessés dans leur réputation d'invincibilité, bien qu'ils en aient fait ensuite l'usage politique et belliqueux que l'on sait. Mais les etats-Unis ont-ils vécu le pire ? Parce qu'un symbole s'effondre ? C'est bien le propre d'une société médiatique que de le penser, parce qu'une société médiatique repose sur du symbolique. On ne peut pas à la fois vouloir délocaliser un événement et, dans le même temps, prétendre islamo-centrer le meilleur et le pire. Car prétendre que le meilleur et le pire sont venus d'ère d'influence islamique, c'est recouvrer à son insu une interprétation géographique des événements. On ne peut s'empêcher de la recouvrer, puisqu'elle répond à la réalité de l'expérience et du vécu.

4. La société médiatique est une société symbolique. C'est le vice de cette société, en un sens humaine parce que l'homme est symbolique. Mais l'homme est symbolique au seul plan spirituel ou religieux. Quand on passe du religieux à la politique, quand on rentre dans l'histoire, on devrait sortir de l'ordre symbolique, car ce qui arrive à l'homme n'a rien de symbolique, ce qui arrive à l'homme est bien réel. Le vice d'une société médiatique est d'avoir cru qu'on pouvait faire avec l'histoire une société mythique. D'où des focales aveugles, dont, non seulement les intellectuels, mais les informateurs ne parlent pas. C'est en partie contribuer à la persistance de cet ordre symbolique que de dire que le pire est le pire parce qu'il est arrivé dans la focale à laquelle le monde est le moins aveugle. C'est procéder au contraire à la dénonciation nécessaire du mal que de disqualifier le silence des intellectuels, à la faveur d'une gradation étrange, néanmoins, qui désigne d'abord ce silence comme "compréhensible" parce que référé à des événements inouï,, puis comme "impardonnable", enfin comme seulement "coupable".

5. Il ne me paraît pas sain de confondre "le corps sacrificiel" de Mohamed bouazizi avec la Figure christique, d'abord parce que Mohamed Bouazizi a lancé un message politique et non pas spirituel ; ensuite parce que c'est conforter l'idée que le sacrifice est nécessairement le prix de la liberté. Pour autant, on peut reconnaître à Mohamed Bouazizi de s'être désigné lui-même comme le "bouc émissaire" dont la vie réclamait vengeance, ce qui amène la société à faire autre chose que de se désigner un ennemi imaginaire. Comment a pu réagir René girard face à la persistance du geste sacrificiel au principe d'un acte politique ? C'est que le christianisme a échoué à enlever au sacrifice sa valeur réelle, s'il a permis de sortir de la Logique Sacrificielle au plan symbolique. De cela même, on peut douter ; car si la rédemption est acquise au prix du sacrifice du christ, c'est qu'on en est pas sorti, d'autant qu'il faut joindre le sacrifice de son coeur, repentant et brisé, au sacrifice du Corps du christ. C'est toute la logique de la "représentation de l'humanité par un seul homme" qui est interrogée par cet échec apparent de la sortie de la logique sacrificielle au plan temporel. Quant à cette barbarie qu'est l'immolation par le feu, il est vrai qu'on a vu des gens vouloir mourir en "torches vivantes" il est exact aussi qu'il y a le précédent du printemps de Prague ; mais le courage et l'honnêteté intellectuelle commandent d'interroger l'Islam sur son atavisme inflamatoire et de l'égorgement. On ne peut tout à fait se sentir rasséréné de voir une révolution s'inaugurer par un acte qui, même infligé à soi-même, rappelle les pires tortures du Moyen age.

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