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mercredi 9 février 2011

De l'esprit de sacrifice et du prix de la liberté

(suite du dialogue entre le torrentiel et un croissant de lune, partie IV, herméneutique 7 et chronique 9)

(Envoyé par le torrentiel, le 9 février 2011 à 4h48

Mon cher croissant de lune,

Si je ne laisse pas à Nicolas dupont-aignan le bénéfice du doute ou de la repentance, c'est, pour le doute, que sa voix sonne faux, or je suis voconomiste, ce qui répond en même temps à la question de l'envergure, car si on entend que sa voix sonne faux, c'est que l'home a peu d'envergure ; et, quant à la repentance, que je ne crois pas à la maximalisation de cette vertu. Je n'y crois pas en politique, où cela signifierait qu'on peut avoir été n'importe quoi ; il suffirait qu'on s'en repente pour obtenir de continuer d'être quelque chose, quand même ce qu'on aura été auparavant aura fait beaucoup de mal à ceux que l'on gouvernait. C'est ainsi que les olygarques se sont maintenus dans les pays de l'Est après avoir été commissaires politiques. Mais je n'y crois pas non plus en morale, quel que soit l'accent excessif que met la religion sur les repentants qui seraient des convertis de meilleure farine, que ne seraient des croyants d'un zèle sans tiédeur, ceux qui seront contentés d'êtrerestés fidèles depuis toujours, comme le fils aîné de la parabole de l'enfant prodigue. Non qu'il faille être jaloux de la prédilection divine, qui est la même dans l'evangile que dans le coran, à l'endroit de ces "recommençants" ou "revenants" ; mais il ne faudrait pas que l'on aboutisse à ce que tout se passe comme si mieux valait avoir été préalablement pécheur, pour être jugé plus digne des faveurs de dieu, au risque que tombe en désuétude la vertu de fidélité. En bonne logique humaine, il y a là une situation d'injustice patante. D'autant que le repentir et l'habileté ne font pas bon ménage. Ou bien l'on se repent et l'on cesse d'être habile, ou bien l'on n'est qu'habile et l'on passe d'un errement dans un autre, sans repentir.

J'en dirai de même de l'esprit de sacrifice et du prix de la liberté. Certes, l'homme n'a jamais su jusqu'à ce jour dénouer le fil qui relie sacrifice et religion ou sacrifice et liberté, et à travers lui révolution et violence. On peut estimer que ce fil est indénouable. Mais on peut aussi croire au progrès de la conscience humaine et appeler de ses voeux que ce fil se dénoue. La violence n'est pas forcément un déterminisme si puissant que la civilisation ne puisse la faire baisser, si elle ne peut la faire disparaître. L'atrocité n'est pas une fatalité. Lorsque je parle d'atrocité, je me réfère à cette citation qui décrit les "temps révolutionnaires" comme voulant "des moeurs atroces". Se méfier de la révolution, ou désirer au moins qu'elle ne soit pas d'emblée répressive, vindicative, terroriste, et qu'elle reste constituante, constructive et, le plus possible, non violente. L'absence de pacifisme des révolutions est ce qui les a presque toujours conduites à ne faire que remplacer une olygarchie (ou une aristocratie) par une autre. Ce refus de l'atrocité comme prix de la liberté est-il un refus de l'héroïsme contradictoire avec ce que je t'écrivais hier de la même vertu, savoir qu'on ne saurait jamais cesser d'en avoir besoin ? Contradiction apparente seulement. Car ce qui reste vrai à mon sens et ce qu'il faut toujours "mesurer sur soi", come tu dis si bellement, c'est qu'à défaut de souhaiter que l'atrocité ne soit à toujours une fatalité, l'on doit se travailler à être prêt, le cas échéant, à payer le prix de la liberté, si les ennemis de la liberté en demandent quittus. Il faut être prêt à payer ce prix personnellement. Pour mon compte, je dois dire que c'est une perspective qui n'est pas dans ma ligne de mire mentale au quotidien, mais à laquelle je réfléchis malgré tout. Je croirais presque impie une prière qui demanderait à dieu de me préserver du martyre comme de telle opération dont je craindrais les conséquences douloureuses. En résumé, je crois qu'il faut prier pour avoir la force physique et morale d'être près de payer le prix de la liberté, mais que seuls, les ennemis de la liberté s'imaginent qu'elle a un prix intrinsèquement.

Pour l'heure, il faut bien reconnaître que l'homme, qui peut changer, mais qu'on ne peut changer, n'est pas arriver à dénouer la liberté ni la religion de son prix sacrificiel, bien que le christianisme ait prétendu en accomplir le dénouement définitif, l'inefficience actuelle de ce dénouement restant un mystère pour le chrétien à la foi inébranlable que j'espère être. Mais ma foi peut s'épanouir dans le sein du Mystère. Au passage, que la liberté et la religion soient actuellement liées par le sacrifice prouve que l'une et l'autre ont un lien très étroit. L'étroitesse de ce lien est la négation des efforts des laïcistes qui voudraient avoir endigué la religion. La chose est plus difficile à faire que ne s'y attendaient ces sectateurs du sentiment religieux ou de la théocratie dans le meilleur des cas. Les laïcistes sont des rêveurs, d'avoir cru possible cet endiguement, comme je le suis peut-être de vouloir que la liberté n'ait pas de prix ou que la religion puisse se passer du sacrifice ; mais comme tu l'es aussi de croire que le peuple d'Egypte cultive d'emblée "un goût rêvé" pour le martyre et pour le sacrifice. Si tel avait été son goût, plus vite il se serait mis en marche à l'assaut du palais présidentiel, fût-il réputé imprenable. Mais nous reviendrons tout à l'heure à l'egypte. Car je voudrais, une fois n'est pas coutume, te répondre dans l'ordre.

Ne crois pas que j'aie jamais esquivé ta question sur un candidat beur. Pourquoi devrait-il représenter les idées d'emmanuel Todd ou de tout autre économiste sortant des sentiers battus ? Un candidat à l'élection présidentielle ne serait-il que le porte-voix de ses conseillers ? J'estime qu'on a trop joué avec la présidentielle. Tu ne peux pas dire d'un côté qu'il ne serait pas sain que le Président de la République ne soit pas un autochtone et vouloir d'un autre côté qu'un candidat beur prenne le risque d'être élu, car la présidentielle est une chose sérieuse. Celui qui s'y présente, si peu de chances ait-il d'accéder réellement à la fonction, doit se mettre dans l'état de faire comme s'il concourait pour gagner, d'autant qu'un retournement de l'opinion n'est jamais impossible. Pour un candidat beur, je ne serais pas contre, même qu'il devienne Président, contrairement à toi, mais je crois que l'heure n'est pas encore venue. On assiste en France à l'émergence d'une beurgeoeisie réellement vertueuse. Il me semble qu'elle agit plus intelligemment en commençant par émerger sur un plan local, municipal, régional ; en essayant d'accéder jusquà la députation, avant qu'étant bien implantée moins dans les apareils des partis que dans les coeurs, elle puisse prétendre à exercer la magistrature suprême et non pas y prétendre à la coluche, mais y prétendre en vue d'une élection.

Pour le silence assourdissant qu'ont exercé les médias relativement aux événements d'Egypte, il y a la conjonction des phénomènes que l'on connaît bien : l'actualité aime le temps court, ce qui va de paire avec le fait que les peuples ont la mémoire courte ; donc il faut qu'une révolution parvienne vite à son terme. C'a été la réussite de la révolution roumaine, de la destruction du mur de Berlin et du coup d'etat des opposants à gorbatchev qui ont été les meilleurs agents de sa perestroïka et du fait qu'elle devait se terminer en abdication du régime, fût-ce pour donner place à un régime qui s'est révélé pire que le précédent. Tu fais état d'une dissymétrie entre l'attention qu'on a accordée à la tunisie et à l'egypte. Selon toi, ce week-end aurait donc été celui d'un "retour en tunisie". Je ne trouve pas que ce retour ait été éclatant. A part une chronique de Catherine Nay racontant son déjeuner avec le ministre des affaires étrangères tunisien en visite au quai d'Orsay, je ne trouve pas que les médias exercent beaucoup le droit de suite que devraient revendiquer les citoyens d'être informés de ce qui se passe, une fois que le spectacle est terminé. Une vraie démocratie ne peut se passer d'une information sérieuse et continue, on est loin du compte. Il est vrai par ailleurs qu'après que la classe médiatique eut cédé à son premier penchant, qui est de se réjouir de toute révolution ou contestation où qu'elle se produise, soudain, une méfiance lui est revenue, de se dire qu'il se pourrait bien que les islamistes ne récoltent ce que ce mouvement aurait semé. Horreur pour les médias que cette conséquence toujours inopinée d'après eux qu'est l'arrivée au pouvoir de ceux qu'ils n'avaient pas prévu et qu'ils croient à tous les coups les ennemis de la liberté, alors que les mouvements radicaux ne sont, quand ils sont démocrates, que les ennemis de leur façon de l'exercer. Mais surtout, on a vu les raisons profondes du recul qu'a pris la presse généraliste à évoquer les événements d'egypte, sachant que le soutien policier promis d'abord au régime tunisien,puis le voyage en Tunisie de Michèle alliot-Marie, suivis des attermoiements de ce ministre, s'envolant dans le jet privé d'un affairiste ben alyen et se permettant de dire, elle qu'on laisse après cela se réclamer du gaullisme, qu'elle n'était pas ministre des affaires étrangères de la France quand elle était en vacances, que tout cela n'était rien, auprès du prochain scandale qui allait éclabousser le gouvernement et qui concernait le premier ministre en personne, qui s'est bien gardé de dire, non seulement qu'il s'est rendu en Egypte durant la même période des vacances d'hiver, mais qu'il a emprunté un avion appartenant à la flotte personnelle du Président Moubarak. Selon moi, la conjonction de ces deux scandales devrait entraîner la démission immédiate du gouvernement fillon. Certes, les voyages au Maroc, en egypte ou en tunisie des politiciens français aux périodes hivernales ne sont pas nouveaux. Moins connues du grand public et, je dois dire, de moi-même, étaient en revanche leurs escapades dans des avions privés des dirigeants arabes. Après ça, on dit que la politique ne rapporte pas... d'"enrichissement personnel", tu parles, sans compter les à côtés... Pas de quoi certes, quand on est un politicien français, devenir la plus grande fortune du monde. Encore que rien ne le prouve, j'exagère sans doute, mais la chose serait à vérifier...

Car mesure sur toi, croissant de lune : tu m'accuses d'avoir trouvé de la grandeur au discours de Moubarak. Si tu lis bien le fil de nos chroniques, j'ai plutôt relativisé la grandeur que toi, tu lui trouvais, au point d'en ressentir un ébranlement physique. De même, tu pensais que Moubarak n'avait pas "touché" autant que Ben ali avant de découvrir qu'il détenait, répartie entre sa femme suzanne (qui n'a reçu qu'un petit milliard et qui est copte) et ses deux fils, dont le cadet Gamal a été beaucoup plus gâté que son aîné, une fortune supérieure à celle de Bil Gates, soit la première fortune du monde. Tu croyais encore que le régime était plus fragile que tu le vois, et sous totale dépendance américaine, dont tu dis que la diplomatie n'a fait que du verbalisme. Si le régime égyptien se découvre plus souverain que tu le croyais, cela prouve au moins qu'une alliance avec le sionisme ne coupe pas l'herbe sous les pieds d'une malesouveraineté certes, mais qui n'en reste pas moins un commencement de souveraineté. Je ne crois pas, à ta différence, que la diplomatie américaine n'ait fait que des gesticulations. Que fais-tu de ceci, si c'est vrai, que ce soit précisément l'émissaire américain qui ait imposé au vice-président Souleiman, pourtant du dernier bien avec Israël, de prendre langue avec les "frères musulmans" ? Considères-tu que le fait qu'ils l'acceptent si facilement signifie qu'ils sont par avance des traîtres à cette révolution ? Enfin, tu reproches aux cassiques du régime de ne se reconnaître aucune responsabilité dans l'offensive des bastonneurs. Mais toi-même n'imaginais pas que ce fût Moubarak lui-même qui les ait envoyés, mais plutôt ceux qui avaient intérêt au maintien et à la pérennité de son régime. Tu en viens à croire, semble-t-il, que l'armée a choisi son camp et que c'est bel et bien celui du soutien du maintien de l'un de ses séides. Tu penses encore que la répression obéit à une logique de chasser dans le peuple révolté "le goût rêvé du martyre". Il faut dire que ce peuple se montre lui-même passablement attentiste en continuant de palabrer et camper sur cette place. On peut supposer, plus simplement que tu le fais, que ce relatif adoucissement de la répression, obéit à des principes de neutralisation d'un mouvement social à la manière occidentale. Quand on veut que reflue la vague, on oppose moins de contrecourant. La stratégie de l'alternance des jours de marche et des jours de repos (se traduisant en regain de l'activité économique) a l'air en revanche d'être celle que tu décris. En réalité, il est très difficile de déchiffrer au jour le jour l'évolution d'un mouvement en train de se faire. Il est normal que toi ou moi, ou tout autre observateur beaucoup plus avisé, émette çà et là des appréciations qui se révéleront erronnées avec le temps. Plaise à dieu que ce qui a lieu aboutisse à l'émergence d'un "peuple libre" qui ne cède pas à la vengeance et ne connaisse pas la fatalité de l'atrocité.

Mais j'aimerais avoir tes lumières sur un dernier point que tu soulèves. Je trouve très intéressant le front que tu établis dans la "révolution mondiale", que je trouvais naguère incarnée dans le non alignement dont Khadafi avait pris la tête, que je vois aujourd'hui réfléchissant plus informellement dans des forums sociaux annuels altermondialistes, entre le front révolutionnaire marxiste antireligieux et plutôt latinoaméricain d'une part, et d'autre part le front révolutionnaire et conservateur islamiste, qui connaît la même avidité de justice, mais sur une base religieuse et traditionnelle. Pourrais-tu développer ce point ? Est-ce que, tout simplement, le front marxiste ou altermondialiste, s'il y est fait plus de publicité qu'aux révolutions islamistes, ne se trouve pas plus en phase avec toute une partie du monde qui trouve, en dehors de tout matérialisme, qu'on en a séculairement soupé des violences religieuses, toutes religions confondues? Les violences marxistes se sont révélées impitoyables sur la courte durée où le marxisme a exercé un pouvoir politique réel. Mais les violences religieuses ont été constantes, toute religion en faisant feu. N'est-ce pas ce parti que l'on craint en essayant de ne pas favoriser l'émergence islamiste, quoique tu en fasses le rempart contre le non sens, alors que ce rempart pourrait puiser, outre dans la ressaisie du Logos chrétien, dans le désir de justice associé aux fondements anthropologiques, qui peuvent être sous-jacents à une société, mais qui ne doivent pas nécessairement être haussés jusqu'à l'exercice du pouvoir ? En quoi considères-tu qu'ont consisté les trahisons respectives des islamistes envers les marxistes et des marxistes envers les islamistes ?

Ton torrentiel qui demande une leçon de ces choses en priant pour la libération des peuples dans la maturité du pardon et de l'absence de vengeance

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