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jeudi 30 décembre 2010

PAROLES CROISEES (dans la série : "DIALOGUE ENTRE LE TORRENTIEL ET UN CROISSANT DE LUNE, partie III, deuxième échange, répartie b)

(du Torrentiel le 27 décembre 2010 à 23h48)

Mon cher Croissant de lune,

Tout d'abord, je te prie instamment de me pardonner si je n'ai pas vu passer ce premier message auquel je réponds bien tardivement, au détour duquel tu me proposais un rendez-vous téléphonique qu'il m'eût fait plaisir d'honorer, si je n'avais, je ne sais comment, pas vu passer ce message. Aussi, pour peu que nous convenions d'un jour, je te redonne mon numéro :
.........
Je te remercie également pour ce que tu me dis du rapport de ma poésie intitulée "chanson de neige" avec la poésie soufi. Tu sais bien voir ce qui se cache derrière une inspiration poétique : la désincarnation et, bien que de violence et de romantisme existentiels ce poème soit teinté, le besoin de protection que dissimule une telle écriture. Quant à ton opinion que je suis intangible autant qu'insaisissable, puisse-t-elle être vraie bien que ce puisse être une souffrance. Car être insaisissable, c'est l'être aussi pour soi-même.

Tu as réagi à un poème que j'avais écrit quasi sous l'impulsion d'une écriture automatique. Si le poète se prouve en traduisant, tu es bon poète parce que bon traducteur, exercice auquel je ne me suis jamais livré. J'ai particulièrement apprécié ces deux vers :
"Si t'atteint le mal des prisonniers,
Un jour viendra, tu ouvriras le portail."
Tu aideras celui qui est injustement tenu dans les fers, ou qui n'a pas trouvé en lui assez de ressort pour connaître la liberté fût-elle intérieure, à prendre son essor, à s'évader plus loin que l'onirisme. Tu briseras ses chaînes. Il y a là un horizon plus vaste que de simplement proposer aux prisonniers de s'évader en dormant, comme le faisait Edith Piaf dans sa chanson. "Briser les chaînes" du prisonnier fait partie de l'utopie cryptochrétienne, dirais-tu peut-être, de la seconde moitié du vingtième siècle, de bâtir un monde nouveau, dans laquelle j'ai été élevé. "Je plains cette utopie" (c'est-à-dire que je la regrette), parce qu'elle était encore porteuse d'une espérance, si tu veux politique, mais politique en ceci qu'elle voulait assigner au monde certaines valeurs. Nous croyions à un "monde nouveau" fondé sur l'amour, répétions-nous. Le christianisme d'après l'euphorie postconciliaire a tout simplement renoncé à croire au progrès humain. Il s'est inscrit dans la dépression qu'a suivie la défaite des idéologies. Il l'a crue sienne. Or le christianisme ne saurait être entraîné dans la défaite des idéologies, d'abord parce que c'est une spiritualité et non seulement une idéologie, ensuite parce qu'il a pour lui les promesses de la vie éternelle, de sorte que son espérance, lors même qu'elle veut avoir les pieds sur terre et s'incarner dans cet ici-bas qu'elle veut rendre meilleur, n'est pas mortelle.

Par contre, que veulent dire les deux vers suivants :
"Mais si ton peuple est sur le peuple de Palestine
Qui a (plutôt que qui ont) oublié jusqu'au pays des Arabes"... ?
Cela veut-il dire que c'est parce que le peuple de Palestine a oublié son arabité qu'il en est à cet abandon ?" Cela veut-il dire que les peuples de la nation arabe ont oublié le peuple de la Palestine ? L'abandon de la Palestine résulte-t-il au plan intérieur de ta nation du croisement de ces deux phénomènes ? Une chose est sûre : c'est que "la rue arabe" (pour autant que l'on puisse employer pareille expression que je trouve méprisante) n'a pas oublié le peuple de Palestine, si ses dirigeants l'ont fait. Sadam Hussein aurait-il été l'homme qui, à la faveur d'une menace, s'en serait ressouvenu ? Et s'en serait-il ressouvenu pour instrumentaliser cette cause ? Je ne l'ai jamais cru, pas plus que je ne pense aujourd'hui que l'Iran fasse ainsi. Cette région du monde étant son point névralgique, les judéochrétiens sont vraiment judéochrétiens, au risque d'être en réalité sionisto-occidentalistes ; et les islamo-palestiniens sont réellement des panislamaistes qui voudraient faire de la Palestine le levier d'une renaissance de leur grande nation, tu me l'as assez démontré. Deux projets politiques émanant de deux ères géographiques se font face. Te disant que le judéochristianisme adoptant le territorialisme de ce que le judaïsme comporte de moins spiritualiste devient un occidentalo-sionisme, je te fais l'aveu que le sionisme est un projet occidental à contre emploi de l'orientalisme des origines de ce territorialisme, mais qui cesse d'être à contre emploi si l'on considère que l'Occident est devenue l'ère d'influence sur laquelle s'est émancipée le judaïsme en son exil. Nous reviendrons plus tard sur la justice ou la justesse de ces deux projets, je n'ai pas encore désespéré de répondre à ta missive. Pour le moment, tu te félicites de la pénétration d'une poésie populaire qui exalte l'action, qui dit qu'il faut des hommes pour les armes, qui ne se résout pas au chômage de masse, bref qui entrevoit comment régler les problèmes politiques que l'incurie des dirigeants laisse en friche. C'est une preuve de plus, croissant de lune, que la solution politique passe par la ressaisie par le peuple de la souveraineté. La politique est poésie parce que la poésie est création et projet et que la politique ne peut se faire sans dessein. Le peuple est souverain de son expression à sa décision. Que ta nation soit passée maîtresse en cette sorte de poésie populaire, je te le concède en partie, ne fût-ce que parce que, du peu que j'ai pu connaître de l'atavisme préislamique kabyle, il y avait cette poésie tribale, où la parole d'un homme, du chef, du guerrier, où ce qu'il répondait sur le marché à qui essayait de le truander ou à qui lui disputait de pouvoir vendre telle denrée là où il l'avait transportée, se colportait en une sentence qui devenait la parole de la tribu. Ainsi les poètes étaient les plus grands chefs de tribu, ce qui va exactement à l'encontre de ce que j'énonçais à l'instant ; encore qu'une parole ne naisse jamais directement d'un peuple avant qu'elle ne soit sortie d'une bouche dont la produire est le charisme, répercutant l'inspiration d'un peuple qui, ensuite, peu la reprendre à son compte. L'avènement de la démocratie directe s'il a jamais lieu, si ce n'est pas une utopie comme je ne souhaite pas pour toi que le soit la ressaisie de ses forces vives par ta nation, n'exige pas l'avachissement des "leaders". Alors elle s'opposerait au charisme naturel de certains individus. Or s'opposer à quelque chose de naturel est simple vanité. Mais si je dis d'autre part que ce bon sens de la poésie populaire de ta nation fait partie de songénie, mais n'est pas son monopole, ce n'est pas seulement pour regretter que tu aies tendance à monopoliser pour elle certains traits du génie des peuples qui n'est à proprement parler le propre d'aucun d'entre eux. C'est aussi pour te rappeler le succès de certaines manifestations comme "le printemps des poètes", de l'ensemble des poèmes affichés dans le métro et qui vont bien plus droit au but que ne sauraient le faire des poèmes forgés par des intellectuels et publiés des revues lues par une improbable élite ; le succès de toutes les académies poétiques ou clubs de poètes florissant dans toute la province française ; mais même du Tag, du SLAM ou du RAP qui ont certes pris certains traits de la prosodie nègre (la même dont on a fait les negro spirituals et de la même origine dont on ne peut nier que le soit le RAP), mais qui se sont bien acclimatés au Français tel qu'ils le renouvellent. Je ne puis moi non plus te rendre compte dans des termes exacts et précis de ce qu'il en est de la vivacité poétique populaire dans d'autres pays d'Europe ou ailleurs dans le monde. Ce dont je suis sûr en revanche, c'est qu'une antienne nocive consiste à regretter le manque d'influence de la poésie dans l'édition contemporaine. Evidemment, si la poésie en question est purement formaliste et nullement significative parce que paradoxalement adepte de la religion du signe aud détriment du sens, elle ne saurait se répandre et susciter l'intérêt des masses. Mais, là où tu peux comme moi espérer dans la reprise en main par tout peuple de son destin, c'est qu'un peuple n'a jamais la religion du non sens. Et c'est ainsi que le peuple n'a jamais cessé d'aimer et de lire de la poésie, pas plus qu'il n'a jamais cessé de fréquenter et d'alimenter les expositions de soidisant "peintres du dimanche", dont j'aimerais que l'inventivité des "artistes contemporains" que le marché de l'art surpaye et qui sont subventionnés par les DRAC ou le ministère de la culture, ait quelque chose à envier à cette créativité tous azimuts et du tout opposée au non sens. S'il y a, parmi ces peintres du dimanche, d'inévitables sans talent qui exposent des "croûtes", ils ne sont pas majoritaires. Une expérience toute récente me convainc avec émerveillement et émotion de la créativité des faiseurs d'estampes qui ne sont pas estampillés, subventionnés ni pensionnés.

Est-ce un avatar de notre "civilisation de l'image" que les producteurs d'images aient perdu toute imagination ? La chute de l'offre télévisuelle est catastrophique. Est-ce parce que le cinématographe n'était pas tant le septième art qu'il ne représentait une régression dans l'art en ce qu'il se proposait moins de dessiner la nature qu'il ne se contentait de la remettre en scène, avec à peine un correcgtif quant au zoom ou au plan de ce qui était filmé? Va-t-on nous taxer d'obscurantisme parce que nous nous permettons des remarques acerbes sur ce que nous appelons d'un nom qui paraît surgi du fond des âges, le cinématographe ? Puisque nous sommes si bien partis, continuons sur cette lancée. Il y avait quelque chose de vrai au fond de l'intuition iconoclaste. Ce quelque chose de vrai, c'est qu'à force d'imiter la nature, nous allions avoir un culte de l'images, au point de nous fatiguer les yeux à fixer une image formée par vingt-quatre images par seconde, de nous fatiguer les yeux jusqu'à imiter les trois dimensions sous lesquelles nous regardons pour croire voir des films en relief. L'art s'était donné pour fonction d'imiter la nature en en parachevant la perception. La civilisation de l'image a poussé l'imitation jusqu'à la singerie, la dérision, la mise en scène sans perspective, avec défiance de l'art qui devait aller jusqu'à démystifier son geste et sa finalité, jusqu'à ne plus croire au signe ni au beau, étant donné la prolifération de l'image, laquelle devait de son côté amener ceux qui en produisaient à perdre toute imagination. On ne peut donc impunément ironiser sur l'iconoclasme. Pour autant, faut-il voir une source de paganisme dans le fait que nous aurions attribué une énergie à toutes nos passions, voire à l'aura de toute chose ? Je me ris de ce que tu supposes un "esprit de tabac" tout comme on a parlé d'"esprit de vin" qui n'était pas l'esprit du vin, mais je ne sais quelle composition formée à partir du vin. Où le jeu de mots poussait encore à la chanson était que les spiritueux se trouvaient avoir même racine que le spirituel. Le vin est l'espèce à partir de laquelle le Sacrement réalise la transsubstantiation dans le Sang du christ. Tu me diras peut-être que mon goût immodéré du vin m'égare et qu'il n'est pas étonnant que je m'aveugle à décliner ce spiritueux en énergie spirituelle. Au vrai, l'énergie existe et l'énergie est esprit. L'énergie est ce que Freud après les Mélanésiens auxquels il emprunta le nom, aurait appelé "le manah" de la matière. La matière n'est qu'une certaine condensation, déperdition et sédimentation de l'énergie. Chair est matière tout comme Esprit est énergie. Toute énergie doit-elle être élargie à la dignité d'une spiritualité ? Certainement, si seulement l'on sait pratiquer "le discernement des énergies" ou le "discernement des entités, expressions que je préfère au "discernement des esprits", car l'esprit n'est pas divisible alors que le diable règne sur un "royaume divisé". On pourrait parler de "discernement des énergies" ou de "discernement des entités", par où l'on pourrait revenir à vos gins. Mais les entités ne sont pas l'Esprit, justement parce qu'elles sont contenues entre l'étroitesse de la chair, réduites à une passion ou à une impulsion, et la largeur, et les largesses de l'Esprit libérateur, qui peut "ouvrir le portail des prisonniers" pour les élargir, à qui est sensible à leur "mal". Le contraire du mal, c'est l'esprit. Il ne faut donc pas craindre une dispersion des esprits en autant d'impulsions énergétiques que donnent à l'homme ses passions puisque l'esprit ne saurait être dispersé dans ce qui le divise. Une occasion pour moi de te dire (peut-être répondrai-je ainsi à ta missive par petites touches) que tu fais un bien mauvais procès aux lumières, catégorie philosophique pas autrement raisonnable que ça, d'être une réaction contre l'obscurantisme chrétien. Ceci peut être de ta part une réaction dialectique ou rhétorique, mais tu ne peux pas supposer que "les lumières" soient une réponse à "la Lumière". Tu dis que l'Islam est "lumière sur lumière" et que "l'Islam des lumières" prôné par Malek chebel laisserait à penser qu'il pourrait seulement n'être pas lumineux. N'oublie pas que c'est Saint-Jean qui a, le premier, ajouté à sa définition de Dieu comme "amour, l'affirmation toute aussi prédicative que "dieu Est Lumière". Dernière concordance avant de quitter ces sphères, celle du commandement que donne le Coran et du commandement vétérotestamentaire accompli a fortiori dans son expression néotestamentaire : le commandement est moins conçu comme un ordre que comme une explication des lois de la nature. Les "tables de la loi" sont moins gravées comme des sentences à respecter que comme des explications du mode d'emploi du coeur et du monde ou des lois ontologiques. Elles contiennent moins des injonctions qu'elles ne sont assorties d'une promesse. Les exégètes les ont appelées "les dix paroles", de même que les béatitudes, qui accomplissent la vaine de l'expression du commandement, déclarent "heureux en espérance" celui qui adopte telle attitude spirituelle. Il n'y a donc pas grande différence entre l'énoncé primitif du commandement accompli par la béatitude et l'injonction coranique assortie d'un "cela vous est bon". Comme toi, je crois qu'il ne saurait y avoir Parole de Dieu qu'abondée par une parole humaine, que répondant à des questions que le prophète (ou voyant) pose à dieu parce que le peuple les pose au prophète, ou à des questions que Dieu sait que l'homme se pose. Il ne saurait y avoir de prière qui n'émane d'un dialogue de l'homme avec Dieu où la liberté de l'homme est d'abord insoumise, et c'est par où la dénomination de Jacob comme Israël exprime une réalité puissante quant à la liberté religieuse : le nom de Jacob est changé en Israël qui signifie : "fort contre Dieu" ou même, d'après certaines traditions rabbiniques, "en lutte avec dieu". Par opposition, on a voulu faire de vous les "soumis à dieu" comme des esclaves spirituels. L'une et l'autre attitude se justifient : il ne faut lutter qu'en vue de se soumettre, mais on ne peut se soumettre qu'après avoir lutté afin d'être "un home complet sorti des mains de Dieu", comme l'exprimait fort bellement un texte spirituel sur lequel je n'ai jamais cessé de méditer ma vie durant.

Mais redescendons sur des terrains plus politiques où l'actualité nous commande. Marine le Pen, à qui tu fais allusion sans la nommer, a assimilé à l'"occupation" le fait que des rues soient "occupées" par des musulmans qui prient. Au début, révolte et condamnation unanimes des médias et de la classe politique avant que les uns et les autres ne se ravisent. Il faut dire que la "fille à papa" (pour qui je n'ai nulle tendresse) se défend habilement : "ce sont les réflexes conditionnés des médias qui écrivent ce mot d'occupation avec un O majuscule". Ben voyons, comme si les mots étaient innocents ! Marine, qui veut faire avec la bénédiction de celui-ci, une OPA sur le parti de son père, qui ne rêve à rien tant que d'associer à son nom une force protestataire et de former une dynastie républicaine, était censée dédiaboliser le Front, elle en reprend les dérapages les plus nauséabonds. Mais tout à coup, dans la bouche de Marine, ils ne deviennent plus des dérapages, parce que ces dérapages ne sont pas antijuifs (Marine a d'ailleurs adhéré à l'association "france-Israël"), mais antimusulmans. Comme on s'en aperçoit, la parole médiatique se libère : voilà que le fait de voir des gens prier dans la rue contrevient à la laïcité, ces gens qui prient occupent donc la rue... Ceux qui processionnent aux dates élues par le calendrier chrétien en font autant, mais on n'empoierait jamais le mot d'"occupation" à leur sujet... Même on ferme les yeux, on se voile la face, non pas parce que la laïcité ne serait pas neutre, mais quand bien même rêverait-elle d' effacer pour jamais le terreau culturel chrétien de dessus le sol de France pour le remplacer par son athéisme qu'elle ne le pourrait pas : l'empreinte en est trop marquée. Et quand bien même le pourrait-elle, l'empreinte du christianisme s'effaçant à force d'indifférence, qu'elle ne le voudrait plus, car son athéisme ne supporterait pas qu'une religion encore plus affirmée que ne l'aura été le christianisme en ses heures les plus triomphantes ne vienne suppléer au néant de la laïcité, néant, non pas idéologique, mais spirituel ; or, comme tu le dis à juste titre, la nature a horreur du vide spirituel. La laïcité est neutre, mais c'est l'identité qui ne l'est pas. Si tu dis que les municipalités ne délivrent pas facilement de permis de construire, attentant ainsi inutilement à la liberté de culte et exaspérant la religiosité musulmane en une délinquance juvénile éventuelle, c'est que les réticences sont fortes dans la population à voir construire, à supposer qu'il le faille, autant de mosquées que d'églises, bien qu'il y en ait déjà beaucoup qui soient désaffectées. La laïcité doit reconnaître malgré elle qu'elle est plus identitaire qu'elle ne se voudrait. Mais, étalant ses contradictions, elle se révèle d'autant moins respectable par les vrais religieux quels qu'ils soient. Elle perd toute respectabilité parce qu'elle se révèle une pure idéologie désincarnée, déterritorialisée, à la superbe de qui le principe de réalité vient rappeler en la narguant qu'elle ne saurait vivre à moins de s'incarner sur un territoire et dans une identité. La laïcité se révèle ainsi comme le fruit d'une histoire et celui du christianisme. Mais comme c'est un fruit qui a poussé en haine de son arbre, la laïcité se révèle comme l'ennemi des autres religions parce que l'ennemi de sa religion mère. Donc le laïcisme est le fruit pourri du christianisme, le rejeton de la mère qu'il a rejetée. L'Occident n'ira que sur une pente déclinante en se réclamant de ce fruit pourri-là. Quant à Marine le Pen, je te sens enclin à croire que, si les médias et la classe politique ont été si prompts à se raviser, c'est qu'il ne fallait pas oublier que la droite républicaine voulait faire alliance avec elle. Je persiste à n'en rien croire. Mon interprétation du cordon sanitaire que les médias forment autour de "la fille à papa" contre son adversaire dans l'élection à la présidence du front National qui n'est jamais invité que dans des émissions marginales est que, depuis trente ans, la politique actuelle a pu continuer de se mener, toujours la même, contre un épouvantail dont on connaissait le nom. Sauvegarder à la présidence du parti contre lequel on est censé faire front et qui est censé faire front contre le système, quelqu'un qui porte le nom de l'épouvantail, nom qu'on connaît depuis trente ans, c'est donner à cet épouvantail une chance de le rester, ne pas fatiguer les médias à devoir en choisir un autre et pouvoir, de la sorte, continuer de faire tranquillement ses affaires. Il n'est pas jusqu'au cardinal Vingt-trois qui, en termes moins véhéments que ceux de son prédécesseur, ne vienne commenter les déclarations de Marine le Pen. Il les commente assez pitoyablement d'ailleurs. Il dit que le problème n'est pas que d'autres occupent les rues en venant y prier ; qu'il n'a pas à se déterminer en fonction de ce que sont les musulmans ; mais que, si nous ne savons plus qui nous sommes, c'est bien triste. Or il ne suffit pas de se survivre : il faut encore faire des néophites. "Lève-toi et prêche", dirais-tu. Eh bien oui : bien que je n'aie pas l'impression qu'au terme de ce dialogue, je vais te convertir, quelle joie ce serait pour moi si cela arrivait ! que, pour le chrétien, le prosélitisme cesse d'être un gros mot !

Quant à la dernière pique que tu me lances concernant l'évangélisme du dictateur ivoirien qui refuse de céder la place, tu me permettras de tomber d'accord avec toi qu'il est désolant que l'évangélisme produise en afrique des personnalités aussi brutales à la tête de pays qui se tenaient comme la côte d'Ivoire. Pourtant, je ne serai pas sans apporter quelques nuances aux conclusions que tu en tires généralement à propos de l'évangélisme, produit d'importation américaine. Tu n'es pas sans savoir qu'à l'heure qu'il est, Laurent Gbagbo n'a pas le soutien des Etats-Unis. D'ailleurs, quelles sont les influences de Laurent Gbagbo ? Laurent Gbagbo est un chercheur et un opposant ayant vécu dans nos banlieues françaises qui, francophone, francophile et ayant force amitiés et entourage français, ne cesse de cracher sur la France. On dit qu'il a aussi bénéficié des largesses soviétiques pour poursuivre ses études, comme pas mal de chefs d'etat ou de membres des élites africaines, même et surtout si ces êtres prometteurs étaient aspirants pasteurs ou fils de pasteurs, ce qui n'est pas le cas de Gbagbo, bien qu'époux d'une évangéliste et se livrant lui-même à un mysticisme pour expliquer son maintien au pouvoir. J'ai discuté un jour avec un de ces étudiants africains, boursiers dans feu l'Union Soviétique. Je lui demandai ce qu'il pouvait bien être allé chercher en Union soviétique et comment quelqu'un de religieux comme lui avait pu accepter d'aller y recevoir son enseignement et ses subsides. Il me répondit qu'on ne lui avait dispensé aucun enseignement de nature idéologique, qu'on lui avait seulement permis de faire de bonnes études que d'autres puissances ne pensaient pas à financer. Son imprégnation idéologique n'était donc faite que de reconnaissance. Quelle reconnaissance a aujourd'hui Laurent Gbagbo pour le pays d'origine des missions qui ont surtout galvanisé sa femme, mais aussi son mysticisme personnel de plus ou moins pur alliage ? On ne peut pas dire que cette reconnaissance soit grande puisque Laurent gbagbo accuse les Etats-Unis d'être, avec la France, à la tête du "complot occidental" qui veut le destituer. Quant à son rival vainqueur Alassane-Raman Ouattara, il est de confession musulmane et néanmoins soutenu par les etats-Unis. On l'a même présenté comme le "candidat des affaires", d'une part parce qu'il fut un brillant économiste aux Etats-Unis et accéda pour cette raison au poste de premier ministre en côte d'Ivoire sous la présidence de Félix Houphouët-boigny, mandat au cours duquel il emprisonna le syndicaliste et opposant remuant Laurent Gbagbo qui militait pour le multipartisme; et d'autre part parce qu'après avoir été démis de sa charge de premier ministre, il fut nommé directeur adjoint du FMI. C'est sous la présidence d'Henri Konan bédié, successeur désigné d'Houphouët-boigny que furent adoptées les lois sur l'"ivoirité", sorte de préférence nationale à l'ivoirienne, qui disposaient que le candidat à l'élection présidentielle devait être natif de la côte d'Ivoire, ce qui n'était pas le cas d'alassane OUattara. Etant donné qu'il était le représentant le plus aguerri des rebelles du Nord, les accords de Marcoussis durent revenir sur cette ivoirité de manière à rendre légitime sa candidature à venir aux élecctions présidentielles, repoussées pendant cinq ans par celui contre lequel on prétend qu'il les a gagnées. On ne fait que le prétendre, attendu que les fraudes ont été massives dans le Nord, fief de ce candidat dont, ce qui est certain, c'est qu'il fut le second au premier tour et qu'il ne devra d'avoir gagné, si la chose se confirme, qu'au soutien d'Henri Konan bédié, dont la présidence fut si répressive qu'elle fut renversée par un coup d'Etat milittaire. Alassane Ouattara a basé sa candidature sur le fait de s'être placé dans le sillage d'Ouphouët-boigny. Il est évident que ce fondateur animiste et catholique de la côte d'Ivoire, chef coutumier d'un village dont il a fait la capitale de son pays, bien qu'il ait lutté tant qu'il a pu contre le multipartisme, a exercé une présidence beaucou moins rude que celle de Laurent Gbagbo. Il faut dire aussi qu'il n'a pas été confronté aux mêmes péripéties politiques de division du pays en deux. Que sera la présidence d'alassane OUattara si la communauté internationale parvient, selon toute apparence, à obliger Laurent Gbagbo à abandonner le pouvoir ? Une présidence qui profitera à la Côte d'Ivoire ou aux amis que OUattara se sera faits à travers le monde ? Nul ne peut le dire encore. Dieu fasse que ce pays connaisse de meilleurs jours que les guerres civiles qui l'ont secoué depuis quinze ans ! Mais cela dépend-il vraiment de la confession du dirigeant ?

Ton Torrentiel qui ne le croit pas

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