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jeudi 30 décembre 2010

NOEL DE CETTE ANNEE PLACE SOUS LE SIGNE DES CHRETIENS D'ORIENT (dans la série DIALOGUE DU TORRENTIEL AVEC UN CROISSANT DE LUNE" (partie III)

(troisième échange, répartie b)
(Du Torrentiel, posté le 29 décembre à 2h38)

Mon cher croissant de lune,

Je n'avais pas vu passer un message et, dès que je l'ai retrouvé, je t'y ai répondu ; ce qui m'en a informé, c'est, avant la copie que tu m'en renvoies, celui auquel je réponds à présent et auquel je m'étais proposé de répondre : c'est précisément pourquoi j'ai tenu à répondre en premier lieu au message que tu m'as envoyé hier avant de me mettre à la rédaction de celui-ci auquel, me dis-tu, "va falloir répondre", sans quoi ce serait la preuve que "l'ambiguïté est décidément cousue à la peau du chrétien"... Puis-je te tenir rigueur d'un tel jugement téméraire, moi qui t'ai dit en son temps que je craignais en mon for intérieur que le musulman installé sur le sol de France en venant à proliférer, signifie à ma main, pour autant qu'elle l'eût nourrie et que ce n'ait pas été ta main qui n'ait donné pâture de farine à ma paresse et à ma médiocrité, que le moment était venue pour elle, ma main, d'être mordue... Avant de pousser plus loin, cessons d'être suspicieux l'un envers l'autre.

Tu me dis que le Noël de cette année est, dans l'univers médiatique, placé "sous le signe des chrétiens d'Orient". Je n'avais pas remarqué. Sincèrement, ç'avait échappé à ma vigilance. Paraîtrait que ce serait Bernard-Henri Lévy qui aurait donné le "la" en répondant à un journal espagnol qu'aucune communauté n'a été aussi constamment, silencieusement et impunément persécutée que celle des chrétiens d'Orient. J'avais pourtant noté quelques signes d'intérêt qui m'avaient étonné, des détails qui te sembleront probablement anecdotiques :

1. L'émission "Foi et Tradition des chrétiens orientaux" qui était diffusée sur France-culture, vient de changer de présentateur. Exit Jean-Pierre Enkiry, après quarante-cinq ans de bons et loyaux services, qui est remplacé par Sébastien de courtois, journaliste voyageur et visiteur des différentes communautés chrétiennes orientales. Une chose qui m'a mis la puce à l'oreille sur un changement de climat éventuel est en effet que, lors de son avant-dernière émission, Jean-Pierre Enkiry, quia vai l'habitude de recevoir des "huiles" de l'Eglise occidentale ou orientale capables de disserter des théologiens arméniens, assiriens ou byzantins, a préféré, pour la première fois depuis que je suis son émission, recevoir Jean-Claude chabrier, un drôle de type, plutôt habitué des plateaux de "radio courtoisie" qu'il a présenté comme un vieil ami et qui, médecin, musicologue, soidisant membre du CNRS vingt années durant bien qu'il publie le premier livre de sa vie et peine à trouver un éditeur, visite chaque année, au cours d'un voyage qui paraît relativement improvisé, la plupart des communautés chrétiennes opprimées, essentiellement pour leur adresser un signe d'amitié venu de l'Occident, pour enregistrer leurs liturgies qu'il collectionne et pour prendre langue avec des évêques aux opinions peu modérées sur leur situation dans des pays dominés par l'Islam, tout en reconnaissant que les opinions des épiscopats des différents rites chrétiens à travers "l'Orient compliqué", qui va des Balkans à l'Irak, sont extrêmement variées.

2. Dans le même temps, autre personne atteinte par "la limite d'âge" qui passe le flambeau, l'"oeuvre d'Orient" change de main : elle était dirigée jusqu'à ce jour par Mgr Philippe Brisard ; elle a été confiée au Père Pascal Gollnisch, le frère de l'autre, le politique, qu'on m'a dit fâché avec son frère, bien que j'aie observé chez ce prêtre, depuis l'époque où je l'ai connu comme l'une des chevilles ouvrières de la "mission étudiante", une évolution qui l'a fait, d'une part adopter des positions conservatrices quant à la foi et aux moeurs (il a par exemple défendu le baptême des petits enfants), et faire d'autre part des pèlerinages en quasi solitude, allant à pieds, flanqué d'un seul compagnon, visiter l'Irak en guerre. Il faut dire que, sur le terrain de l'Irak en guerre, la famille politique dont le frère du nouveau directeur de "l'oeuvre d'Orient" brigue la présidence a été plutôt en pointe et dès le début. Précisément, c'est ici qu'il faudrait s'interroger : ne sont-ce pas les etats-Unis qui ont installé des régimes beaucoup plus défavorables aux correligionnaires de la majorité de leurs concitoyens, ou qui les mettaient davantage en danger que ceux qu'ils renversaient ? Il en est allé de paire avec la construction du Liban par le mandat britannique, avec sa constitution boîteuse : je redirai un mot de ce pays pour revenir sur tes allégations concernant le patriarche sfeir, que le peu d'informations dont je dispose me permettrait plutôt de confirmer.

3. Le succès du film "DES HOMMES et DES DIEUX" ne m'avait pas échappé et, si je suis allé le voir, si je l'ai trouvé plutôt bien fait et efficace, je n'ai guère aimé son intention, pas plus que je n'ai compris ce que les moines allaient faire dans cette galère pour autant qu'ils ne se sentaient nullement dans l'obligation de prêcher l'Evangile, d'être, même discrètement missionnaires : ils étaient là, ils accompagnaient une population qui les aimait. Ils étaient là et ils étaient restés là, semblant avoir établi, autour de leur communauté monastique, le même genre de vie qu'au Moyen Age, où les villages poussaient auprès des monastères. Un bourg musulman poussait aux pieds de ce monastère chrétien et semblait être relativement dépendant de son activité et des soins de son médecin: ici se bornait la mission de ses moines, contents s'ils avaient renouvelé le modèle monastique médiéval en plein pays maure, c'est du moins ainsi que nous le présente ce film. Ces moines avaient choisi d'habiter là et d'y demeurer, même après l'indépendance, c'était tout à leur honneur. Jamais on ne leur avait fait le chantage de la valise ou du cercueil. Survient le terrorisme et les temps changent, et voici que ces moines, qui ont pourtant fait le don de leur vie, sont déchirés de débats intérieurs : ne ferions-nous pas mieux de partir ? Rester n'est-il pas un suicide collectif ? Mais à ce compte, le Christ Dont nous confessons qu'Il a certes sué du sang avant de donner sa Vie, mais que, pas un instant, Il n'a songé à se soustraire à Son Destin et à son Sacrifice, même s'Il aurait préféré ne pas boire ce calice, aurait Lui aussi arrangé Son départ. Si l'on fait des voeux monastiques, on sait ce que l'on risque. Bien sûr, plus facile à écrire devant un ordinateur qu'à vivre devant la menace d'un égorgement collectif. La chose est évidente. Mais enfin, le martyre fait partie intégrante de la condition de moines qui choisissent de s'établir sans plus prêcher dans un pays musulman secoué par une vague islamiste. Si j'ose dire, au risque de passer à mon tour pour peu sensible à la douleur des miens, pas de quoi fouetter un chat, sauf si (j'abonde ici dans ton sens (et la publicité faite mondialement autour de ce film n'y contribue pas peu), sauf si l'on veut se servir de ces martyres monastiques comme d'amorces, auquel cas le dessein est fort peu louable. Du reste, le film montre un peu ça : ce qui fait vaciller les moines dans leur certitude de rester, c'est le massacre qui est fait, à quelques kilomètres de chez eux, d'ouvriers croates (catholiques) travaillant sur un chantier duquel on ne dit pas grand-chose, pas plus que de la mort atroce de ces ouvriers, qui vaut bien celle de nos moines. Mais le martyre est à géométrie variable. La vie du héros a toujours valu beaucoup plus que celle de l'innocent ignoré, et cela est d'autant plus injuste que le héros avait choisi de donner sa vie, l'innocent non ! J'ai souvent pensé que la médiatisation de la société était née au moment de l'affaire dreyfus : ça n'a fait que s'accélérer à ce moment-là, mais il en a toujours été ainsi : pour huit moines assassinés à tibérine, combien d'ouvriers croates égorgés ? Pour un soldat allemand capturé, combien d'otages? Pour un otage, combien de vies qui continuent de traîner leur misère en silence? Or ces moines avaient fait voeu de suivre le Christ jusqu'au bout, les ouvriers s'étaient juste contentés de venir travailler. Pour un dreyfus dont le procès avait peine à être révisé et qui se contenta de la grâce sans attendre d'être réhabilité, combien de victimes colatérales, combien de Zola exilés et de partisans de l'un ou l'autre bord assassinés ? Pour un pape qui s'exprime dans une chaire à ratisbonne, combien peu fait-on de cas de l'assassinat d'une religieuse ? Pour un christ qui donne sa vie en rançon pour la multitude "une fois pour toutes", combien de chrétiens martyrisés, amorces ou non ? Je suis d'accord que de se servir de martyres comme d'amorces n'a rien de sain, dans une religion comme dans une autre. Je peux te suivre jusque là que c'est la situation d'une population dans son ensemble qui est à considérer pour savoir si cette situation est ou non victimaire et si la nation qui a à en pâtir a ou non lieu de se victimiser, qu'elle sache ou non le faire. Tu m'as dit naguère que ta nation ne savait pas, je commence à penser qu'elle apprend vite. Car enfin le musulman n'est pas seulement la victime de ses ennemis extérieurs : ses ennemis intérieurs sont peut-être aussi ses pires ennemis, ainsi qu'il en va de ses chefs concussionnaires. Il y a aussi des brebis galeuses dans vos sociétés, ainsi qu'il y en a dans les nôtres, des brebis galeuses qui, si ces massacres sont ensuite instrumentalisés, ne les ont pas moins commis à l'encontre des moines de Tibérines, et les musulmans se sont rendus coupables d'autres oppressions à l'égard de chrétiens, comme on en a commis à leur encontre, mais il faudra un peu détailler la chose, ne nous emballons pas. N'entrons pas dans la dynamique des persécutions comparées. Revenons à notre sujet. Les chrétiens d'Orient sont-ils au centre de l'attention médiatique ?

4. D'habitude, à Noël, il en est ainsi, en effet, mais ce n'est pas pour dénoncer les mêmes brimades : celles que l'on dénonçait du vivant de Yasser arafat était l'impossibilité qui était faite à ce chef d'une autorité civile de confession musulmane, de se rendre à la messe de Noël qui était célébrée tous les ans à Bethléem et à laquelle feu ce raïs tenait à être présent. Les autorités israéliennes prenaient un malin plaisir à l'empêcher de s'y rendre. Ceci révoltait chaque année les chrétiens que l'on assurait par ailleurs qu'Israël était tout à fait respectueux de la liberté de culte de l'extrême diversité de ceux qui étaient célébrés sous la juridiction laïque de cet Etat qui tient son existence d'une raison religieuse. En dehors de cela, peut-on dire que le sort des chrétiens persécutés intéresse beaucoup, non seulement leurs correligionnaires, mais les médias ? On en a fait des tonnes pour soustraire à la lapidation de sakinéh en Iran, qu'on n'a plus appelée que par son prénom. On a prétendu que la Justice iranienne avait condamné cette femme à la lapidation parce qu'elle n'avait commis que l'adultère. Quand on s'est aperçu qu'elle était probablement la commanditaire de l'assassinat de son mari perpétré par ses trois amants, on a jeté un voile pudique sur ce fait nouveau, et on a continué de crier au scandale à la lapidation. Quels réseaux ont-ils permis à cette jeune condamnée d'attirer l'attention sur son cas, quand on a passé quasiment sous silence l'arestation par l'algérie d'ouvriers ayant rompu le jeûne du ramadan, sans compter le sort d'une autre chrétienne iranienne, incarcérée pour fait de prosélitisme religieux ? Pour tant de coptes que tu dis stipendiés par l'ennemi pour être embrigadés dans des milices devant compléter les effectifs de sa parapolice pour assurer sa sécurité, combien de villages passés au peigne fin, si possible au cours d'une liturgie, exactement dans les mêmes conditions que pour la cathédrale de Bagdad, par des troupes de paramilitaires islamiques fanatisées? Suis-je désinformé par celui que tu appelles ton ennemi ? Pas du tout, je puise mes informations aux meilleures sources, c'est-à-dire auprès d'amis coptes ruraux que j'ai connus, qui ont émigré pour fuir ce climat de terreur et qui ont gardé des contacts dans leur pays. En quoi ces chrétiens-là sont-ils moins innocents que les chrétiens d'Irak ? Est-ce parce qu'il a existé une minorité copte, beaucoup moins forte que la minorité chrétienne libanaise, qui a constitué une élite plus opulente dans la capitale égyptienne, qui pouvait rivaliser avec la classe des nababs musulmans de cette même capitale ? J'ai aussi connu, tenant un restaurant à Montparnasse, des descendants de cette espèce d'aristocratie copte du caire, et je ne dirai pas qu'elle m'était sympathique. Enfin, le pape actuel, sur les positions duquel je reviendrai, est allé visiter le patriarche Bartholomeos II de Turquie, dans le réduit où cette nation le laisse, non pas persécuté, mais à peine toléré. Trouves-tu que sa situation soit normale ? Tu me dis que je dois te laisser "les chrétiens d'Orient", ils sont à toi ; mais ne sont-ils pas aussi mes correligionnaires ? Ne dois-je pas m'émouvoir quand j'entends de quelles voies de fait attentatoires à leur vie ils sont victimes ? Et l'Occident laïciste s'en soucierait d'après toi ? C'est pour ça que la France ne délivre que cinq cents visas aux chrétiens iraquiens qui sont constamment menacés. Mais que valent ces cinq cents visas comparés au nombre de visas qui sont délivrés pour l'arrivée des Algériens en France, et de tant d'autres réfugiés politiques ? Même si l'on voulait ne comparer que ce qui est comparable, combien de reconnaissances du statut de réfugiés délivre-t-on à des chrétiens, en raison de la vindicte dont ils sont potentiellement poursuivis en tant que chrétiens, en comparaison de ceux que l'on délivre aux ressortissants non chrétiens d'autres pays ? En connaît-on le ratio et est-il vraiment discriminatoire en faveur des chrétiens ? Je crois qu'il faudrait connaître ces chiffres et répondre à ces questions avant de s'indigner si, pour une fois, dans un pays qui se qualifiait anciennement de "fille aînée de l'Eglise", l'attention est un peu attirée sur la situation des chrétiens à travers le monde, qui passent leur temps à être vilipendés, persécutés, ignorés et moqués, comme des minorités auxquelles on ne prend pas garde et dont notre indifférence est la meilleure ennemie, comme sont tes meilleurs ennemis ceux qui ne se comportent pas dignement à l'égard des exigences éthiques que sa religion confère à ta nation. Sous ce rapport, ne peut-on expliquer que par l'influence néfaste occidentale que 8 % des Pakistanais soient héroïnomanes ? Est-ce uniquement dû aux narco-trafiquants occidentaux ou chinois, héritiers des guerres de l'opium ? Et que dire de la pénétration de l'alcool en Iran (les Persans dans leur simple particulier ne sont pas toujours aussi bons musulmans que la loi de leur République le requérerait) ? Puis-je te laisser dire sans réagir que les musulmans sont meilleurs ou moins mauvais, ou plus justes que les autres ? Pour autant qu'ils le soient en effet, ce qui reste à prouver, en regard des exemples que je t'ai donnés ci-devant, ne sont-ils tout simplement pas en situation d'être aussi injustes que ceux qui les oppriment et que les gouvernants des divers etats de ta nation ne veulent pas désobliger pour le moment ?

5. Quelle est la position de l'Eglise envers les guerres que vous menez ou qui vous sont faites puisque tu dis que "ne pas prendre parti, c'est prendre parti" ? Tout d'abord, puis-je me tenir pour un ambassadeur de la position de l'Eglise ? D'autre part, l'Eglise est-elle une société si pyramidale qu'une chose ne soit pas la position de ses autorités supérieures et une autre la position de ses militants de base ? Tu avais l'air de dire toi-même que, si l'attention avait été focalisée sur les chrétiens d'Orient dans la sphère médiatique, il n'en était pas allé de même dans l'opinion chrétienne, encore que je ne sois pas sûr que l'eglise de france n'ait pas, pour une bonne part, récupéré le film sur le massacre des moines de Tibérines pour mettre les émotifs de son côté, comme jadis, on aimait à mettre les rieurs ? Mes positions te sont connues, aussi ne les développerai-je pas. Celles de l'autorité pontificale t'importent davantage, jetâcherai donc d'exposer comment il me semble les avoir vues évoluer, mais je ne puis le faire qu'en simple observateur qui ne me croit pas particulièrement bien informé, non sans faire précéder les remarques qui vont suivre de cette observation liminaire que le pape est réputé infaillible en matière de Foi (ce que je peux comprendre) et de moeurs (ce qui me paraît déjà plus contestable), mais certainement pas en matière politique. Autrement dit, quelle que soit la manière dont a pu évoluer la diplomatie vaticane, le fidèle catholique de base, pour ne s'en tenir qu'à lui, n'est pas tenu de le suivre dans ses atermoiements ou revirements. Mais, pour reprendre le point de vue de l'observateur, il va sans dire que l'évolution de la diplomatie vaticane est allée dans le sens inverse de ce qu'il en a été de l'évolution de l'opinion publique occidentale, et ceci a été essentiellement dû à la différence des perceptions, des influences et des personnalités des pontifes entre Jean-Paul II et benoît XVI, et aussi au fait que Jean-Paul II était, du fait de son état de santé plus que déficient, en perte d'influence au moment où la seconde guerre du golfe s'est déclarée, pour laquelle soutenir, le Vatican n'a jamais clairement pris position, mais il s'en est fallu de peu, du moins est-ce l'impression que j'en ai retirée...

Au moment de la première guerre du golfe, le cardinal de courtray avait fait scandale pour avoir été le seul à reprendre l'argument prétendument antimünichois de George bush père et pour avoir appliqué à l'événement la célèbre phrase de Churchill concernant la guerre et le déshonneur. Jean-Paul II a été vent debout contre cette invasion américaine. Il faudrait dire un mot de l'impact qu'a eu l'intervention des Alliés dans les balcans, y compris sur la diplomatie vaticane, en partie parce que le cardinal Lustiger, très influent à Rome, s'était montré particulièrement choqué du spectacle qu'avaient donné les attaques serbes contre la bosnie. De toi à moi, nous n'avons guère parlé de ces guerres balkaniques, dont le moins que l'on puisse dire est que le camp supposé chrétien n'a là encore pas défendu les siens. Le cardinal Lustiger avait beaucoup d'influence sur Jean-Paul II, ce qui a peut-être poussé celui-ci à être moins sévère sur l'intervention de la coalition onusienne dans les balkans que sur l'intervention de la même coalition dans le golfe.

Lorsqu'entre le 11 septembre et la seconde attaque des Etats-Unis en irak, un an et demie s'écoula durant lequel on prépara l'opinion à ce qui allait se passer, tandis que Jacques Chirac essaya de faire valoir que cette guerre était injuste, un sulpicien un peu connu de moi, Mgr René cost, commettait un livre sur "les guerre préemptives", où il en présentait une défense un peu embarrassée. Jean-Paul II étant malade, l'Eglise s'interrogeait. N'avait-elle pas toujours considéré certaines guerres comme justes ? Pouvait-il en aller ainsi des guerres préemptives ? C'était là manière d'avancer à pas feutrés que la position changeait et changeait dans le sens inverse des aiguilles de l'opinion mondiale. Pourtant, le Vatican ne soutint pas clairement la seconde intervention dans le golfe, mais son opposition s'y montra moins frontale.

Ceci s'explique sans doute par la relation assez particulière que nouait le cardinal Ratzinger, qui était à demi pressenti pour succéder à Jean-Paul II, avec les Etats-Unis. Au cours de la campagne électorale qui se disputa dans ce pays pour décider de la succession de george bush, le cardinal ratzinger ne prit certes pas ouvertement position pour le candidat républicain, d'autant que le Parti Démocrate était représenté par un candidat catholique ; mais il émit une circulaire en interne pour faire savoir que tout candidat catholique qui se déclarerait favorable à l'avortement ou ne s'opposerait pas aux juridictions actuellement en vigueur contre ce fléau prises dans le pays se mettait en état de péché public, ce qui justifiait que la communion ne lui fût plus distribuée. Ainsi agit du moins une minorité d'évêques proches du courant ratzingerien qui estimèrent mettre par là en application ce qu'"ils avaient lu de Rome. Lorsque Jean-Paul II était allé voir Bil clinton, l'entretien n'avait pas été tendu entre les deux hommes, mais l'opposition avait été très nette entre le chef du catholicisme et le Président des etats-Unis, et cette opposition avait porté sur ce que ce pays-monde véhiculait des valeurs matérialistes incompatibles avec les aspirations spirituelles véhiculées par le christianisme. Tout autre fut la relation entre BenoîtXVI et George bush d'abord, puis Barak Obama par la suite. Lorsque celui-ci se présenta pour succéder à celui-là, les circulaires avaient cessé de pleuvoir contre les candidats qui ne convenaient pas à rome ; mais il semblait que la politique d'ensemble que menaient les Etats-Unis était davantage comprise et approuvée par le Siège de Pierre. Le terrorisme devint une des menaces contre le monde que se mit à brandir périodiquement benoît XVI. En un mot, il semble que, depuis l'avènement de ce pontife, l'Eglise ait davantage occidentalisé ses positions et ne soutienne plus, quand elle est légitime, la lutte que vous menez contre l'oppression dont vous êtes la cible, de la part, non pas d'un suprématisme chrétien, mais d'un certain impérialisme américain.

6. Tu fais état de certaines rumeurs d'ententes illicites qu'il pourrait y avoir eues entre le patriarche Nassrallah Boutros Sfeir et l'ennemi israélien qui, pourvu que ne soient pas bombardées les zones chrétiennes, lui aurait fait quelques concessions. Oui, mais lesquelles ? Il me semble que les alliances dans la nation libanaise sont assez souvent réversibles, ne serait-ce que parce que les chrétiens entre eux sont divisés, entre les partisans de Samir Geagea ou ceux du général Aoun, et les musulmans ne sont pas plus unis. Ce que je sais du patriarche sfeir est que le gouvernement libanais, à l'époque où il était dirigé en sous-main par la sirie, mais peut-être même après, voulait lui faire rendre certains de ses domaines, ce qu'il refusa, arguant que ces domaines n'étaient pas à lui, mais la propriété du pape. Je tiens cette histoire d'une conférence où je l'ai entendue raconter à antoine Joseph Assaf, qui y voyait une preuve d'habileté de son patriarche, quand je n'y voyais, moi, qu'une preuve de dissimulation et de manque de patriotisme qui ne pouvait être bon à rien qu'à flatter des ambitions d'un autre temps. La preuve m'était apportée par là que le christianisme maronite n'a point renoncé à être domanial. Ce n'est pas, comme le nôtre, un christianisme de la désappropriation. Il n'a pas renoncé à ses ambitions patrimoniales. Mais encore une fois, la couture du Liban est-elle assez solide pour qu'on puisse en tirer quoi que ce soit de généralisable à l'ensemble de la civilisation islamique dans laquelle les chrétiens sont une part de la nation ? Tu sembles faire aveuglément confiance aux allégations de Wikyleaks. Sont-elles bien sérieuses, et toi qui n'es pas homme à nier qu'il puisse y avoir du complot dans l'histoire, qui te dit qu'il n'y a pas une vaste intoxication derrière cet écran de fumée, intoxication visant par exemple à diviser le front de la nation islamique en y aggravant le désespoir ? Je n'ai jamais jeté un oeil aux dépêches de Wikyleaks et le considère comme une lacune, mais je crois cette interprétation possible, étant donné ce qu'il en appert : ce ne serait plus seulement Israël qui voudrait la fin de l'Iran, mais le roi d'arabie qui supplierait à genoux les Etats-Unis de la détruire. Est-ce bien sérieux ? Je ne manifeste nulle ironie en posant cette question, je sais que les hommes, même d'un même camp, sont capables d'assez de divisions pour qu'ils n'aient pas besoin de se faire aider. Mais ce que je vois derrière les informations qui filtrent de ces dépêches, c'est que finalement, tout le monde est d'accord... L'empire américain ressort plutôt grandi de ces révélations, sinon certes qu'il ne sait pas se protéger de ceux qui veulent divulguer ses télégrammes non chiffrés. Depuis quand les télégrammes des services secrets ont-ils cessé de l'être et leurs auteurs de prendre les précautions minimales pour ne pouvoir être interprétés par le premier venu ? Autant je vois mal comment les Etats-Unis auraient eu intérêt à se découvrir non invincibles à travers un complot par lequel ils auraient organisé eux-mêmes leur 11 septembre pour faire ensuite une guerre d'Irak où ils ne capturèrent qu'un Saddam Hussein en loques et une guerre d'Afghanistan où, s'enfonçant dans le bourbier afhgan, ils ne réussirent jamais à mettre la main sur Oussama Ben Laden, autant, de voir ainsi la diplomatie des etats-Unis censés tous nous espionner accessible au tout venant, les rend plutôt sympatiques. Si ma contribution pouvait seulement te rendre espoir, bien que je ne te suive pas dans toutes tes sommations, je n'aurais pas perdu mon temps.

Quant à l'antienne sur le bénéfice de la puriculturalité dans ta nation et à l'apport de l'élément chrétien, tu la cites bien que ne te déclarant guère convaincu. Pourquoi l'éventuelle trahison des chrétiens te paraît-elle plus grave que la trahison des tiens, tout aussi éventuelle ? N'exiges-tu pas beaucoup en demandant à l'élément chrétien de se reconnaître "musulman de nation" ? Ne faut-il pas que, chez toi comme chez moi, l'élément indigène permette à l'élément allogène de relever la tête pour qu'il puisse se sentir partie prenante d'un destin croisé, le terme étant pris ici dans le sens inverse de celui que tu lui donnes habituellement ? Mais toi aussi sais jouer avec. Est-ce que ce qui ressort de tout ce que nous disons n'est pas la nécessité d'une définition d'une "identité territoriale" à travers le monde à l'instant t de cette époque déboussolée et sans repères ? ? Car je sais bien que cette identité est amenée à se mouvoir.

Je ne puis, ni épouser toutes tes causes, ni les proscrire toutes. La justice réclame que je les pèse avec équité. Tu es accueilli chez moi (pour simplifier), tu as été modifié par cette culture et cette terre et tu entends la modifier. Jusqu'où puis-je accepter de prendre ton parti sans me renier moi-même ? Charge à moi de ne pas te demander de renoncer à ce que tu es, ce que je ferais si, en te nationalisant à la va vite, je déclarais sans te demander ton avis que je t'ai adopté. Il y a une chose à laquelle je suis très sensible dans ta situation c'est que le différentiel entre les Arabes qui connaissent une langue européenne et les Européens qui connaissent la langue arabe est de 1/250000. Je ne puis certifier l'exactitude de ce chiffre, mais je l'ai entendu citer il y a peu, et je crois que le rapport est de cet ordre-là. D'autre part, il y a une chose à laquelle j'ai été très sensible dans ta missive : c'est lorsque tu me dis que le dialogue islamochrétien est par essence asymétrique parce que, par l'héritage dont se réclame ta religion, tu es obligé de me reconnaître et moi pas. Pire encore, je suis obligé d'invalider ta révélation-doctrine pour m'assurer dans la mienne. Cette asymétrie me commande la douceur et le respect. Elle est à l'origine, plus encore que ne peut l'être la différence de suprématie entre ta nation et le bloc occidental hérité de l'influence chrétienne qui tient encore le haut du pavé et dont je gage que cet impérialisme te désespère plus que mon christianisme ne pourra jamais le faire en se montrant franc avec toi, de ton sentiment de frustration. Ceci, je ne peux que l'entendre et je dois en tenir compte lorsque j'entre en relation avec toi. Tu es dans une asymétrie idéologique et médiatique qui te tient en humiliation existentielle. Où tu me trouveras toujours de ton côté est que je souhaite ton relèvement. Mais où tu ne me feras jamais t'approuver est si tu considères que ton relèvement ne peut faire l'économie du ressentiment. Les Juifs disent que la shoah relève de l'impardonnable. Cela va à l'encontre de leur foi, car le pardon fait partie des préceptes qu'ils doivent respecter. Ne les imite pas et apprends à pardonner. Si tu t'élèves sans avoir pardonné d'abord, tu seras un tyran implacable. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, et le préalable de notre discussion ne porte pas que je sois certain que tu t'élèveras. Elle me porte néanmoins à te le souhaiter même si, dans ton état d'esprit actuel, je ne gage rien de bon de ton élévation. Rien qui ne m'assure qu'un ordre injuste sera, si tu es couronné, remplacé par un ordre juste. Car l'accumulation de trop d'injustices ne peut être vengée. Aussi, pardonne avant de te relever, et laisse peut-être à penser que le pardon, que la cessation du ressentiment est peut-être la condition de ton élévation. N'oublie pas que tu ne dois t'élever que pour le bien de l'humanité. Si tu es dans ces dispositions, je ferai fi de l'élément religieux et j'épouserai tes causes. Mais si j'y vois trace de haine, je ne puis être avec toi dans la lutte. Tu me diras que cet ordre du monde te hait. Il te hait peut-être sourdement, mais tu risques de me haïr aveuglément. Tu vois qu'insensiblement, je viens de me confondre avec cet ordre du monde, de me rallier au bloc occidental. C'est que je ne puis m'empêcher, si je suis un chrétien apatride, d'être un occidental qui se raccroche à ce qui reste, solide ou non, de son suprématisme bien entamé et qu'il est tout prêt à te céder si tu t'apaises. Salam,

sur toi du Torrentiel

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