Il ne faut pas
redouter la chienlit, elle nous protège.
Chers billettiste, lecteurs et commentateurs,
Ce " prurit de
contestations dont on ne sait plus trop bien ce qu'elles dénoncent", ne doit-on pas lui mettre
en parallèle une confusion
d'humeur louangeuse dont on ne sait pas bien ce qu'elle approuve ? Et les
"insupportables déréglements sociaux et professionnels"
n’ont-ils pas été provoqués par la déréglementation des professions
réglementées qu'au titre de l'application du rapport Attali, mais aussi de la
feuille de route de la Commission européenne, Emmanuel Macron a méticuleusement
portée ?
Je dois reconnaître au président de
la République que, dans sa volonté de restaurer "l'autorité de la
démocratie" contre le risque de "démocraties autoritaires" ou
"illibérales" -un de ces néologismes dont il raffole et qui dans sa
bouche est synonyme d'" anti-individualiste »-, il refuse courageusement
d'être une "machine à supporter toutes les interpellations",
c'est-à-dire qu'il signifie qu'on ne doit pas attraper un président de la
République par la manche avec un irrespect qu'on n’aurait pas pour un directeur
d'école. Mais l'exercice de cette autorité est anachronique, pratiqué par le
garant de l'organicité sociale, qui ne comprend précisément pas le caractère
organique de la société, et qui brise les joyaux du patrimoine de la solidarité
nationale.
Les " cheminots "
"ignorent" "les étudiants » ? N'en a-t-il pas toujours été ainsi
? N'en fut-il pas de même en 1968 quand les ouvriers et le parti communiste ne
trouvait pas très sérieux ce monôme sociétal avant la lettre, annonciateur de
la dérive que connaîtrait le parti socialiste quarante-cinq ans plus tard, avec
l'irruption du "mariage pour tous" comme priorité du quinquennat de
François Hollande ? En 2005, les faiseurs d’opinion et Nicolas Sarkozy lui-même
qui s'en servit comme tremplin pour avoir la peau de son rival Villepin, firent
les yeux doux aux contestataires du CPE. Or ceux-ci, avec Bruno Julliard à leur
tête, étudiant attardé qui juré craché ! ne ferait pas de politique et qu’on
retrouva conseiller à l’Éducation nationale de Martine Aubry première secrétaire
du PS, n’agissaient-ils pas beaucoup plus que nos bloqueurs d’aujourd’hui, au
rebours de l'intérêt des salariés et des actifs de leur âge, qu'ils privaient
d'un contrat qui leur aurait permis d’entrer dans l’emploi tout en faisant
mécaniquement baisser le chômage des jeunes ? Ces étudiants d'il y a dix ans, à
qui les médias faisaient la courte échelle, étaient beaucoup plus nocifs que les
agitateurs d'aujourd'hui, non qu'en s'opposant à une sélection minimale et
nécessaire, ces derniers comprennent ce qu'ils font, mais ils sont
l'avant-garde du service public, combattant consciemment pour la sauvegarde de
ses acquis sociaux, comme s'il devait exister des droits acquis dans une
République fondée par et sur l'abolition des privilèges ; mais combattant
inconsciemment pour la sauvegarde de ce service public de la société par l’État,
qu'une droite idéologiquement opposée à l’existence même des fonctionnaires a
eu beau jeu, jusqu'à Fillon lui-même, d’attaquer comme un corps paresseux et
non dévoué à sa tâche, mais dont on voit, maintenant qu'il n'y a plus personne
dans les petites gares pour faire monter les personnes âgées et les handicapés,
qu’il n’y a pas assez de policiers, pas assez de juges et que les tribunaux
d'instance ferment à tour de bras, pas assez de personnel soignant, quelle
déperdition est la casse de ce service public par l'ingénierie sociale des
ronds de cuir, précurseurs de l'"et en même tempsisme (et tant pisme)"
d'une République de la proximité qui s'éloigne ou de la "santé qui n'a pas
de prix, mais a un coût", et qui prévoient un redéploiement partout, sauf
dans l’ingénierie sociale...
Alors bien sûr,
les cheminots ignorent les étudiants, mais ça ne compte pas. Il vaut mieux
écouter les postiers qui, au coude à coude avec les cheminots, nous explique
que la SNCF qui devient une société anonyme finira comme la poste qui ne
distribue plus le courrier et n'aide plus ses usagers vulnérables à remplir un
formulaire. Il faut entendre ces fonctionnaires qui nous rappellent qu’un
statut protecteur et avancé des agents de l’État est la garantie d’un niveau
élevé de qualité du service public. Il faut considérer ces soignants qui, dans
l'émission "Les pieds sur terre" de ce jour, mettent Martin Hirsch devant
ce bilan calamiteux et pire que celui de Stéphane Richard à France télécom, que
cet ancien directeur du cabinet de Bernard Kouchner s’étant perfectionné au
service de l’abbé Pierre, ce paupérocrate à la sauce Emmaüs, a causé le plus
grand nombre de suicides qu'on n’ait jamais enregistré dans le personnel de
l'assistance public hôpitaux de Paris (APHP). Je constate que les médecins de
ville ne visitent plus leurs malades, même ceux qui ne peuvent plus se
déplacer. Accompagnant il y a deux ans ma très proche, ayant perdu la vue et
qui se paraparésiait, j'ai assisté à cette scène ubuesque et inoubliable de
cinq cadres de santé compétents, bienveillants et au bord des larmes d’une clinique
privée, qui refusèrent car c’était la loi du système, de la garder le temps qu’une
solution soit prête pour l’accueillir à domicile, et qui prétendirent nous convaincre
que la meilleure chose que nous ayons à faire était de rentrer chez nous, alors
même que les infirmières à domicile nous avaient fait savoir par téléphone
devant ces cadres de santé que nous avions pris à témoin, qu'elles
n'assureraient pas la prise en charge médicale de ma compagne, qu’elles
estimaient trop lourde.
Que dire après
cela ? Faut-il laisser la France se tiers-mondiser et devenir une favela
sans solidarité ? Le président de la République se frotte les mains parce que
la promesse de la sociale démocratie de niveler la condition des salariés par
le haut est intenable, la sociale démocratie étant le bras gauche de l'individualisation
de la société dont le libéralisme cyniquement économique est le bras droit. Ce
n'est pas parce que cette contestation sociale fait quelque chose qui la
dépasse qu'il faut jeter le bébé de ce qui l’agit par-devers elle et de ce qui
nous rassemble comme peuple et comme société politique avec l'eau du bain de
méthodes d’expression d’une saine colère que, même dans le village d’Astérix, on
aimerait voir plus matures et surtout plus opérationnelles. Et si, comme le
disait Michelet, la France, au-delà d'être un peuple de râleurs, demeurait malgré
tout "la Révolution » ?
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