Discuté
tout à l’heure avec Nathalie. Confronté nos récits nationaux. J’ai du mal à
assumer mes dissentiments avec elle. Je lui ai dit qu’elle était une femme de
récit et moi un homme d’analyse. Beaucoup de gens se racontent des histoires sans
analyser leur récit. Au contraire, je supporte très bien que mon récit soit de
bric et de broc (d’ailleurs la fin d’un roman ne m’intéresse pas, je ne retiens
pas les coups de théâtre ; ce qui m’intéresse,
c’est son atmosphère), j’accepte tous les paradoxes entre le dire et le faire
de quelqu’un, mais je n’accepte pas ses incohérences : je pense A et
sciemment, je fais b qui est le contraire de a. J’accepte les paradoxes entre
le « dire » et le « faire », mais je n’accepte pas les
incohérences entre le « faire » et le « penser ». Nathalie
m’a demandé si j’en avais contre l’hypocrisie. Je lui ai répondu que non, car l’hypocrisie
est le fait de quelqu’un qui pense noir, te dit qu’il pense blanc et qui fait
gris. Le mot de « dissimulation » revient souvent dans la bouche de
Nathalie. Je pense que c’est parce qu’on l’a accusée de dissimulation, ou parce
qu’on accuse l’islam de Takyiah – le pape François parle bien de « sainte
ruse » -. L’hypocrisie est de
la dissimulation. Les hypocrites dissimulent leur incohérence aux autres. Les
gens paradoxaux se dissimulent leurs paradoxes à eux-mêmes. Dans le conflit des
récits nationaux, je dissimule mes dissentiments à Nathalie. Nous nous
dissimulons nos dissentiments pour ne pas entrer dans leur conflictualité :
par exemple, le conflit des récits sur la guerre d’Algérie. Nous nous
dissimulons nos dissentiments pour assurer le « vivre ensemble » (je
préfère l’expression de « vie commune » employée l’autre soir par mgr
Pontier). Nous nous dissimulons nos dissentiments au risque d’être sans
mémoire. « Tout ça, c’est du passé », me dit Nathalie. « Je
ne crois pas au : « Je me fous du passé » d’Edith Piaf ou au « balayons
le passé » des mauvaises réconciliations. Tôt ou tard, le passé nous
resaute à la figure. On peut être sans mémoire quand on manque d’esprit d’analyse. La France est une société
mémorielle car elle est judéo-chrétienne. Peut-être est-ce un raccourcis facile
que le procédé auquel je recours trop souvent de caractériser les peuples par
les monopoles mentaux ou spirituels qu’ils auraient. Dans mon système monopolistique
du jour, les juifs auraient le monopole de la mémoire. Alors pourquoi les Algériens
nous demandent-ils d’inscrire dans un traité d’amitié que nous regrettons tout
le mal commis pendant la colonisation ? Mais peut-être ne nous le
demandent-ils pas sérieusement et ne le font-ils sous cette forme que parce qu’ils
nous savent une société mémorielle. Serait-ce une composante musulmane que d’être
une religion de la fraternité, de la désaffiliation et de l’absence de mémoire,
le risque étant que les sociétés musulmanes ne se souviennent pas qu’elles sont
en conflit permanent depuis la mort de Mohamed, selon des stratégies d’alliance
qui changent très vite et rendent « l’Orient compliqué »à la
rationalité occidentale qui aimeles dualismes simplistes. La contrepartie
positive est que le musulman est volontiers « pardonnant » comme l’est
Allah selon le Coran, dont les colères ne sont pas considérables, car bien que
nous soyons sous son regard, il a la prescience calvinienne de qui est sauvé et
de qui est damné, et il a l’indifférence voltairienne du dieu des philosophes
et du grand horloger.
« Cela, c’étaient les affaires de nos
grands-parents. » Mon père le voyait ainsi, alors qu’il faisait sienne la
souffrance que les Allemands avaient infligée à sa mère , qui l’avait faite
être germanophobe toute sa vie, et mon père l’avait suivie en n’avouant sa
germanophobie qu’à la fin de sa vie. Il était plus antimilitariste que la
plupart des appelés du contingent, mais beaucoup souscrivaient à ces paroles de
la chanson de Serge Lama : « L’Algérie, c’était une aventure dont on
ne voulait pas. […] C’était un beau pays, l’Algérie. »
« Je suis contre toutes les guerres »,
me dit Nathalie. Moi aussi, je suis pacifiste à 99 %. Je me laisse 1 % de marge
en cas de guerre inévitable. Or quand j’ai cru la guerre inévitable, c’était dans
le bourbier libyen de Sarkozy, pays que Kadhafi menaçait de massacrer pour le
libérer d’Al-qaïda Maghreb islamique. On a empêché Kadhafi de massacrer son
peuple et on a bousillé la Libye comme
on l’a fait du Centrafrique, ce dont m’avertissait Abdel qui voyait plus clair
que moi, même si je ne me suis pas vraiment laissé bercer par les sirènes néo-colonialistes
du hollandisme qu’Emmanuel Todd avait cru révolutionnaire et qui n’était que
néo-conservateur et bushiste, bien que Hollande fût entouré de conseillers aussi
intelligents que celui qui intervenait à l’émission où Nathalie a donné son
témoignage. Nathalie ne m’a pas rejoint dans mes marges guerrières, mais elle a
donné le seul lieu où il lui semble qu’on
devrait intervenir et c’est le Yemen, où la guerre a fait 7 millions de morts
alors qu’on s’agite autour de la Sirie que l’on compte bombarder alors que la
guerre vient d’être gagnée par le régime. Mais on ne se satisfait pas de celui
qui a remporté la victoire, alors qu’on reçoit en grandes pompes le magnat
sahoudien dont Nathalie trouvela réception honteuse. C’est que la France n’est
plus gaullienne et a clairement choisi le camp occidental. Les Américains sont
russophobes et sahoudophiles, la France les suit sans état d’âme et sans
broncher. L’axe sahoudo-sioniste s’affirme clairement de Riyad à Jérusalem, les
Yéménites peuvent mourir tranquilles et ils sont déjà 7 millions, un million de
plus que...
En France, on invite au « vivre- ensemble »
au risque qu’Hind se persuade qu’elle a tort d’être contre les Américains parce
qu’elle n’aime pas Trump alors que son copain qui a été en Amérique l’a assurée
que le peuple américain est très accueillant ce qui est vrai, . Mais il est
important qu’Hind déconstruise son préjugé anti-amméricain (ou il est
important, sous prétexte d’esprit critique, qu’elle fasse son auto-critique
comme aux pires heures du communisme) parce qu’ainsi, elle sera une enfant du « vivre-ensemble »
qui pourra excuser ceux qui l’y encourage de vouloir qu’elle soit la seule à
converger : la France accueille toutes les nationalités, mais ne se voit
pas dans l’obligation de converger avec les luttes de ceux qu’elle accueilleet
dont elle fait des Français. Il y a des limites à l’universalisme
révolutionnaire ! Les minorités stigmatisées du « vivre-ensemble »
devront pousser la convivialité jusqu’à accepter que la France accueille le
prince sahoudien qui est la honte du sunisme. Elles le devront dans la
virginisation de leur identité qui exige des individus qui sont issus de ces
minorités qu’ils deviennent des citoyens amnésiques, les Français de souche,
pour leur part, aimant perdre la mémoire. Or le pardon n’est pas amnésique et
ne s’accorde que sous la condition que celui qui le reçoit ne recommencera plus.
« Et si nous arrêtions de parler de la guerre ? »
Comment nous sommes-nous retrouvés dans un monde aussi conflictuel ? Nathallie
est viiscéralement pacifiste et moi viscéralement démocrate. Mon démocratisme
va jusqu’à l’accepptation de la victoire d’Hitler, contre lequel je lutterai
pied à pied s’il arrivait au pouvoir. Mon pacifisme ne vient pas loin derrière. Je
me souviens de mon père qui attendait d’avoir cinquante ans pour jouir dans la
sécurité de la certitude de n’être plus mobilisé. Il était né en 39 et cet
enfant de la guerre se réjjouissait de penser qu’il ne verrait plus la guerre,
même s’il se méfiait. Moi, je ne me méfiais pas. Quelle ne fut pas ma
déconvenue quand s’allumèrent les premiers feux de la première guerre du golfe !
Deux ans après la chute du mur de Berlin et la défaite du communisme que
Maurice druuon appela un peu vite « un cadavre » alors qu’un quart de
l’humanité en la personne des chinois y restait soumis, la civilisation de l’optimisme opulent rentrait
sans qu’on l’y ait poussée dans le tragique de l’histoire en refusant le scénario
de fukuiama pour lui préféreer dix ans plus tard celui de Huntington. La
substitution du tragique de l’histoire au progressisme défait du matérialisme
historique prôné par les communistes plut beaucoup aux humanitaires « un
tiers-mondiste, deux tiers mondain »
du type Bernard Kouchner ou son épigone Bernard-Henri Lévy, le nouveau
philosophe, qui se dépensa sans compter pour montrer que le monde dans les
radicalisations duquel il s’engouffrait, se divisait entre salauds et « camps
du bien ».
« Comme on était bien sous Chirac !
On ne se mêlait pas des affaires des autres. »Pourquoi l’homme aime-t-il
tant s’autodétruire ? Pourquoi notre pays riche casse-t-il tous ses jouets
pour une domotique qui a déjà vingt ans de retard ? Pourquoi refusons-nous
l’héritage humaniste de la vieille bourgeoisie philanthroopique dont la « fin
de race » est formée de jeunes coqs numériques (ils savent compter mieux
que jamais), humanitaristes et robotisés ?
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