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mercredi 12 avril 2023

Lettre ouverte aux vieux cathos qui veulent quitter l'Église

Posté sur le blog de René Poujol au pied de son article


Quitter l’Eglise catholique ou y rester… | René Poujol (renepoujol.fr)


"Faut-il partir? Rester? Si tu peux rester reste. Pars s'il le faut." (Baudelaire, le Voyage)

J'ai toujours aimé cette citation  et été interpellé par cette question baudelairienne tout en trouvant sa réponse un peu lâche. La question n'est pas si l'on peut rester dans une relation ou dans une situation difficile, mais si on le veut, si on y tient et si oui, pourquoi est-ce qu'on y tient: est-ce par dépendance affective, par besoin de se raccrocher à quelque chose   ou par amour de ce à qui ou à quoi l'on tient? 


Le conseil assez statique de Baudelaire m'a toujours paru dépassé par l'interpellation à la fois plus provocatrice et prête à en découdre de Jésus à ses apôtres, après que son Discours sur le pain de vie eut entraîné pas mal de défections parmi la foule: "Vous aussi, vous voulez partir?" Les apôtres sont bien embêtés, ils restent les bras croisés et Pierre se fait leur porte-parole quand il répond, en désespoir de cause: "A qui irions-nous, Seigneur?" Si j'avais été Jésus, je lui aurais rétorqué: "Et pourquoi veux-tu absolument trouver quelqu'un à qui aller pour t'indiquer le sens de la vie?" "Je donnerai ma voix à celui qui n'ira Pas chercher dans son livre d'idées La vérité." 


https://www.youtube.com/watch?v=52Ww9SVhLm0


Ah, je lui en aurais donné à Pierre,  après qu'il m'aurait répondu son célèbre: "Tu as les paroles de la vie éternelle" censé me prouver son attachement, si j'avais été Jésus. Mais si j'avais été Pierre, je n'aurais certes pas été choqué outre mesure par le discours sur le pain de vie auquel je n'aurais pas compris grand-chose,  mais j'aurais tourné les talons, trouvant la question de Jésus trop abrupte et agressive. Une de mes grandes fiertés est de m'être éclipsé lors d'un chemin de croix où des enfants (du XIXème arrondissement de Paris où j'habitais alors) étaient censés apporter des roses à Jésus pour Le consoler du mal que lui faisaient les pécheurs. Je suis parti tambour battant et me suis trouvé d'accord avec moi-même. 


Dans cet esprit, je pourrais contresigner cette phrase du pape François: "Je n'ai pas peur des schismes" et dans toute cette affaire, il faudrait que les uns et les autres n'aient pas peur de s'affirmer schismatiques en assumant leur envie de partir si elle est irrésistible. Mais les traditionalistes n'oseront jamais quitter cette Romme qui ne serait plus dans Rome et qui aurait perdu la foi parce que, s'ils le faisaient, ils ne sauraient plus à quel saint se vouer et, pire, croiraient avoir mis un doigt dans l'engrenage diabolique, c'est qu'ils sont superstitieux, nos tradis; et les "progressistes" n'ont pas le courage de partir, ce qu'ils auraient au fond voulu faire depuis longtemps sans se l'avouer, parce qu'ils se raccrochent à une institution, quitte à en faire le procès permanent, l'âge venu, procès qu'ils feraient bien de se faire à eux-mêmes, qui n'ont pas eu le courage, du temps de leur folle jeunesse, de faire comme les copains et de trouver autre chose que l'Eglise catholique. Car derrière le besoin de s'accrocher à une institution (et non à une religion qui détient les clefs du paradis), il n'y a pas la peur de déplaire à Dieu qui anime les superstitieux charbonniers transcendentalistes que sont les traditionalistes, il y a un besoin de nouer un lien social et politique et de se référer à la société qui est une alliance de seconde zone par rapport à la société sacrée qui se prétend le Corps du Fils de Dieu. Mais pour nouer un lien social ou politique, nos jeunes-vieux soixante-huitards réfugiés dans le catholicisme de grand-papa auraient pu trouver moins ringard come parti politique que l'Eglise  catholique, ses froufrous, ses orgues et ses pompes. Une Eglise parti unique et stalinien, où il faut toujours admirer le pape régnant et infaillible, ce n'était pas très baba cool pour aller élever des chèvres en se faisant traiter de brebis, et pourtant c'est l'option qu'ont choisie ces "jeunes vieux" qui, l'âge venu, jouent les révoltés du Bounty, sortent du bois en disant qu'ils n'ont jamais aimé ce parti de l'Eglise, osent enfin s'avouer que la question est celle du partir et   pourquoi ils ne la quittent pas. Mais come ils n'osent pas prendre le parti du partir, ils tirent à vue sur leur parti et disent que la corruption y est "systémique" (ils se gargarisent de ce nouveau mot des sociétés complexes) et que leur hiérarchie, qui est devenue un pouvoir faible, n'a jamais été aussi lamentable. 


Ils quittent le navire au moment où il coule et où ils croient n'avoir plus rien à en tirer (et pour eux-mêmes plus rien à perdre), car comment ce navire pourrait-il  les tirer de l'embarras de la mort avec ce trou dans la coque, de n'avoir plus d'idée précise sur le salut personnel, bien que l'affaire des rats qui veulent le quitter, mais qui attendent qu'il coule, soit plus proprement politique et politiquement, l'Eglise est foutue.


Ce qui m'agace dans la posture de cette génération est qu'elle ne se révolte pas contre quelque chose qui en vaut la peine. elle se révolte contre l'homme (pourquoi abuse-t-il, lui qui est abusif?),elle ne se révolte pas contre Dieu: pourquoi laisse-t-Il naître des enfants pour le malheur et qui n'ont d'emblée aucune chance? Pourquoi énonce-t-Il que "celui qui a recevra encore et celui qui n'a rien se fera enlever même ce qu'il a?" Le Dieu qui énonce cette horreur est-Il d'accord avec cela ou l'énonce-t-Il comme une loi de la nature? Et dans ce cas, pourquoi ne combat-Il pas cette loi et laisse-t-Il la nature à ses lois, et lui laisse-t-Il  la même liberté qu'à l'homme? 


La "génération CCBF" (pardon, Anne Soupa) se révolte contre l'homme qui abuse parce que c'est sa nature au lieu de se révolter contre Dieu Qui abuse, ce serait abuser... Quand j'étais pré-ado, j'ai eu, après un athéisme et une conversion précoces, une nouvelle crise de foi où, face à l'Inquisition, à la guerre et au malheur des enfants innocents, je formulai trois hypothèses: soit Dieu est impuissant (mais alors il n'est pas Dieu), soit Il est méchant (et ça me paraissait le plus probable), soit Il n'existe pas (mais je ne pouvais plus y croire). Je préfère encore aujourd'hui ma révolte à celle de cette génération, pas seulement parce que je lui trouve du chien, mais parce qu'elle va à l'essentiel, sans se focaliser sur la turpitude humaine du jour, cet abus de l'homme cruel et plein d'hommerie qui sera toujours le même puisque Dieu ne semble pas l'avoir sauvé en ce monde. 


La révolte de cette génération se focalise sur le dernier effet de mode, mais aussi elle ne se montre pas intéressée à mettre du ciel dans sa vie ou d'aller au ciel à l'aide des sacrements dont elle discute s'il faut tout à fait répudier l'Eucharistie et la remplacer par un repas fraternel avec des frères qui devront se signaler parce qu'elle n'ira pas frapper à leur porte dans cette société individualiste et ces "villes de grande solitude". Mais elle trouverait obscurantiste de conjurer l'enfer en ayant un peu peur de Dieu. Cette peur l'honorerait, car elle montrerait qu'elle a un peu le sens de l'incandescence du Dieu transcendant, tout-puissant et tout autre, qui n'est pas dans le Père un Dieu souffreteux. Mais le Dieu de cette génération est politique et sa dissidence théologique s'exprime dans une société laïque et post-démocratique  où cette dissidence  ne risque pas d'en faire des prisonniers politiques. 


Pardonnez-moi de trouver un peu médiocre cette manière de vouloir partir sans oser le faire, sur le mode: "Retenez-moi ou je fais un malheur". Et puis si vous vouliez partir, il fallait le dire plus tôt, il fallait le dire avant, on aurait gagné du temps. Mais le comble est que vous qui avez toujours occupé le devant de la scène ecclésiale prétendiez maintenant vous prendre pour des "périphéries". 

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