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dimanche 9 avril 2023

Les prêtres ont-ils perdu la foi?

Les prêtres sont déboussolés  et ce déboussolage, c'est cela, la crise de l'Eglise, une crise dont on s'est gargarisé pendant des années sans comprendre qu'avant d'être un problème de moeurs cléricales comme on le croit depuis le rapport Sauvé, le noyau de cette crise est de ne plus s'entendre sur ce qu'on appelle avoir la foi ni sur le contenu de cette foi, à la fois commune et déposée et qui peut connaître un développement interne sur un mode immanentiste et créatif (le mot qui fait tant peur aux traditionalistes). A ces deux tendances opposées de la foi s'ajoute la question du tempérament personnel, qui fait que, selon qu'on est plus ou moins inquiet, on est plutôt tendu ou plutôt téméraire, et la foi est aussi une confiance en Dieu qui devrait pousser à la témérité, témérité de dire ses engagements ou de compter sur la liberté des enfants de Dieu qui nous fait avancer avec le Saint Esprit au large de notre conscience droite, et notre conscience n'a rien à craindre si elle est de bonne foi, même si elle se trompe de bonne foi.


Beaucoup de prêtres s'accusent mutuellement de ne plus avoir la foi. J'en ai entendu un (d'origine africaine, car il y a aussi cette différence culturelle, même en Europe occidentale, nouvelle terre de mission)accuser à demi-mots ses confrères européens de ne plus avoir la foi et d'être de faux témoins. Autrefois on se contentait de dire que les prêtres qui ne restituaient pas tout le dépôt de la foi constitué par couches sédimentaires dans des montagnes de documents dogmatiques où nous est expliqué ce que nous devons croire n'étaient pas catholiques... Entre progressistes et traditionalistes, on s'anathématise réciproquement et on s'excommunie allègrement, sans voir que le véritable oecuménisme est celui qui respecte en les décloisonnant toutes les sensibilités spirituelles. Car la ligne de partage est aujourd'hui beaucoup plus spirituelle que confessionnelle et si chacun reconnaît que l'autre est a priori de bonne foi, on devrait pouvoir s'entendre et trouver un but et une destination commune.


Dans ce contexte, le pape a-t-il été fédérateur? Un paradoxe de sa personnalité est qu'il est plein d'Evangile: il est manifestement pétri par la Parole de Dieu, la diffusion en direct de ses messes à sainte-Marthe pendant le confinement a été pour moi un révélateur à cet égard). Il est plein d'Evangile, mais il dit au monde ce que le monde a envie d'entendre. Et comme le monde aime bien que l'on tape sur l'Eglise, il tape sur l'Eglise en invoquant cette notion de cléricalisme à laquelle un prêtre répond très bien, dans l'article de Jean-Marie Guénois qui sert de prétexte à ce billet de blog

(, Comment les jeunes prêtres veulent sortir l’Église de la crise (lefigaro.fr))

qu'il n'a pas suivi le Christ pour prendre un pouvoir quelconque. Les jeunes prêtres disent se sentir mal aimés par ce pape qui les accuse sans cesse de cléricalisme et quand on se sent mal aimé, on n'aime pas bien. Certains prêtres commencent à avouer qu'ils n'aiment guère ce pape. "Autrefois les prêtres ne critiquaient jamais le pape."


Pourquoi François a-t-il déconstruit méthodiquement le pontificat de ses deux prédécesseurs? Cela contribue à empêcher les fidèles de savoir sur quel pied danser.  François agit un peu comme un liquidateur avant inventaire. Réalise-t-il son personnage de la prophétie de saint-Malachie? C'est troublant, dans un monde qui a perdu ses repères. Il ne confirme pas ses frères dans la foi, car il insiste moins sur le dépôt de la foi que sur la vie de foi ou sur la fraternité de vie et d'intercession, il croit plus en la "praxis" que dans la théorie, mais sans la théorie, on marche sur des sables mouvants. Les dogmes sont notre colonne vertébrale. On a besoin d'une colonne vertébrale pour pouvoir se contortionner. 


Je parle bien librement du pape. Dans le même temps, je me permets de signer une pétition appelant à la démission de Luc Ravel, mon archevêque référent de Strasbourg. J'ai des pudeurs de gazelle à me sentir plus téméraire que la Marguerite de Faust ou son interprète la Castafior ne sourient de se voir si belles dans leur miroir. Il y a un point commun entre mes deux "autorisations" de défier l'autorité: je me crois un homme libre. J'aime infiniment cette réplique du frère Luc dans "Des vivants et des dieux": "Laissez passer l'homme libre." Je l'ai citée en la lui appliquant à un de mes meilleurs amis prêtres en train de mourir, qui m'a dit: "C'est incroyable que vous me disiez cela maintenant, car à l'instant même où vous me le dites, Michael Lonsdale est en train de passer sous mes fenêtres pour aller déjeuner au Vauban. (Le P. J.P. Dugué dont je parleactuellement, ce grand gaulliste et ce grand proustien devant l'Eternel, a fini ses jours comme aumôniers des petites soeurs des pauvres avenue de Breteuil (autre paradoxe géographique)).


Je me sens libre de penser depuis longtemps que, selon la proposition faite à l'Eglise par la Constitution civile du clergé, on devrait revenir aux premiers temps de l'Eglise où un évêque était élu par son peuple. Sans doute faudrait-il que cette élection soit validée par le Vatican qui doit rester le référent hiérarchique de l'évêque. La hiérarchie n'est pas un gros mot, l'Eglise est et doit rester une société sacrée. Mais il n'y a pas d'élection sans démission (et pourtant je ne suis pas pour le référendum révocatoire en politique, sauf peut-être s'il était organisé une seule fois et à mi-mandat). Mais nulle part plus que dans l'ordre spirituel, ne doit être mesuré le degré d'adhésion de la volonté du peuple de Dieu à la volonté de Dieu ou à ce qui est censé en émaner des "supérieurs" de ce peuple à qui on ne doit pas l'obéissance aveugle prônée dans l'Imitation de Jésus-Christ. M'associé-je à la protestantisation de l'Eglise catholique en pensant de la sorte? Je ne crois pas et je m'en voudrais si le contraire se était vrai. Car je suis viscéralement catholique et ennemi de la culpabilisation luthérienne. Je ne crois pas que l'Eglise catholique doive être une congrégation de congrégations comme le croient tous les protestants et à tout prendre, je préfère élire ou démettre mon évêque que m'inscrire dans la démocratie participative (ou la démocratie du "cause toujours, ton babil m'intéresse") de nos démarches synodales.


Les changements de paradigme introduits par la modernité et parfois par ses découvertes scientifiques ont rendu difficile de garder la foi dans son expression charbonière si chère à mon coeur d'enfant. ON ne parle plus de Création, mais de big bang, d'évolution créatrice et de création continuée; on ne parle plus de péché originel, mais de "meurtre primitif", de "repas totémique", de "meurtre du père par la horde primitive" ou de complexe d'Oedipe; on ne parle plus de récit, mais de poème de la Création en assumant son côté mythologique dans le "christianisme des Lumières"; on assume la part mythologique de la foi, mais on n'est pas jungien pour autant; on ne parle plus de salut ou de rédemption, mais de guérison; on ne parle plus de paradis, de purgatoire et d'enfer comme de trois états éternellement exclusifs les uns des autres, mais comme de trois états éventuellement consécutifs ou plus volontiers simultanés, y compris dans la vie éternelle. L'épistémè de l'époque a changé, donc ni la foi ni l'expression de la foi ne peuvent rester les mêmes. 


La nuit de la foi n'est plus seulement existentielle. J'admire le héros de "Lourdes" d'Emile Zola (chef-d'oeuvre positiviste auquel Léon Bloy n'a rien compris) ou de "l'Imposture" de Bernanos qui choisissent de rester prêtres même s'ils ont perdu la foi.


Bien sûr que la question fondamentale reste celle de Jésus: "Quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-Il encore la foi sur la terre ?" Ceux qui partent, comme la majorité de Ses auditeurs après le Discours sur le pain de vie, font preuve de courage et les disciples font peut-être preuve de lâcheté en ne relevant pas le défi que leur lance le Christ: "Vous aussi, vous voulez partir?" . Mais rester n'est pas toujours une lâcheté: "Faut-il partir? Rester? Si tu peux rester, reste. Pars s'il le faut", conseille Baudelaire (dans le Voyage). 


Le Fils de l'homme trouvera-t-Il encore la foi sur la terre? Ceux qui restent lui répondent "oui" avec des jambes bringuebalantes.

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