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lundi 25 juillet 2022

Marie ou la force intranquille

"C’est pour nous que vous êtes mort et nous n’avons qu’à nous laisser vivre, il a fallu des martyrs et des pénitents, jadis, pour nous installer dans ce confort spirituel et matériel qui est probablement le miroir des Anges. Qu’avons-nous de mieux à faire que d’être généreux et doux envers nous-mêmes et de jouir de vos dons, en méprisant comme il convient les prophéties ou les menaces désapprouvées par nos pasteurs ?" (Léon Bloy [ici s'adressant à Jésus], Celle qui pleure", méditation sur l'apparition de Notre-Dame de la Salette, que nous avons tendance à recevoir comme cette mère citée par l'Echo de la montagne au début des années 1850: 


"« Des menaces dans la bouche de Marie, si bonne et si douce ! me disait, l’autre jour, une jeune mère ; des menaces contre de faibles enfants innocents et purs ! et des menaces de mort, de mort affreuse !... Non ! non ! Marie est mère, elle n’a pas pu les prononcer. Elle ne sait qu’aimer, la vengeance ne lui appartient pas, et je voudrais brûler la page où l’on a osé lui prêter un langage comme celui-ci : Les enfants au-dessous de sept ans prendront un tremblement et mourront entre les mains de ceux qui les tiendront. Moi, croire à cette Apparition ! répétait-elle, en serrant son enfant contre son cœur, non, non, pauvre petit ! Jamais cette dévotion ne sera la mienne ; car c’est l’épouvante et non l’amour qu’elle inspire."


Bloy met cette autre parole dans la bouche de Marie: "Tu l’as beaucoup dit, Mélanie, voilà 56 ans que je ne peux plus retenir le Bras de mon fils. Je l’ai retenu, cependant, parce que je suis la Femme forte, mais je cesserai bientôt. On doit s’en apercevoir déjà. J’ai besoin d’être deux fois forte, parce qu’Il compte sur moi. Son Cœur trop doux compte sur le mien. Il sait que je serai implacable : « Maledictio matris eradicat fundamenta – In interitu vestro, ridebo et subsannabo. J’éclaterai de rire et je me moquerai de vous, quand vous serez dans les affres de la mort. »

Ces Paroles s’accompliront exactement. Dérision pour dérision. J’ai donné, en 1846, le dernier avertissement."


Marie dit qu'elle est "la femme forte". Cette affirmation devrait convenir à notre Eglise devenue féministe. Le bras de Jésus ne veut pas s'"appesantir, car Il est doux et humble de coeur." Il y a quelque chose de principiel qui Le retient de jamais punir. Bloy prétend qu'Il est le premier concerné par la promesse de la terre contenue dans la béatitude de la douceur qU'Il a Lui-même proférée. Mais le Fils veut être vengé par sa mère, ou plutôt c'est la mère qui veut venger son Fils.  bloy voit dans l'avènement de Marie, concommitant du fait que la dévotion populaire est passée "de la face au Coeur" de Jésus, l'avènement du "règne du Père", la réponse au "Que ton Règne vienne" demandée dans le "Notre Père". 


Marie est "la femme forte". Et nous qui l'implorons pour qu'elle nous protège "à l'heure de la mort", entendons qu'elle éclatera de rire tandis que nous passerons, qu'elle nous rendra "dérision pour dérision", "car nous "[refusons] la pénitence." 


Fort élixire que les paroles de cet imprécateur et de ce vociférateur qu'est Léon Bloy (on est loin de la méditation de Benoît XVI du 14 septembre 2008 sur "le sourire de Marie" en la fête de la Croix glorieuse lors de son voyage en France et son pèlerinage à Lourdes). Bloy nous incite à ne pas dormir, nous secoue, nous réveille, nous rappelant cette prière au bas de l'Autel prononcée dans l'ancien rite et que je fais mienne inconsciemment tous les matins, moi qui n'ai pas la conscience tranquille: « Pourquoi es-tu triste, mon âme, et pourquoi me troubles-tu ? » Il faut bien la prier avant de conclure avec sainte Claire d'Assise: "Va tranquille, mon âme bénie!" Une clarisse de Cormontreui m'a précisé que les dernières paroles de sainte Claire furent: "Je te rends grâce, ô mon Dieu, de m'avoir créée."  Cette parole me choque par sa sérénité: la Création suffirait-elle? Serait-elle plus importante que la Rédemption et cette louange de sainte Claire avant de pousser son dernier soupir  signifierait-elle que la R2demption est superflue? Car, si la Rédemption ne fait que "rendre à l'homme sa confiance inaugurale dans la vie que Dieu lui a donnée" comme je l'ai entendu dire à Michel Deneken, que fait-elle et qu'est-elle? 


"Le Christ est mort pour nous, il ne faut pas que nous nous laissions vivre." C'est aussi puisant que cette phrase de Pascal: "Le Christ est en agonie jusqu'à la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là." 

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