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lundi 4 juillet 2022

Conversations sur Dieu (3)

@Pierre Durand, @Tipaza, @Etienne, merci pour cette conversation. Employer ce terme au début de ce commentaire me rappelle les remerciements émus que m'envoya mon ami de plume de regrettée mémoire, qui était plutôt  avare de compliments, lorsque je lui offris l'enregistrement dialogué que nous avions réalisé avec ma lectrice des trois volumes de "Conversations avec Dieu" de Neal-Donald Walsh, sorte de Platon américain qui ne fait pas que de la soupe quand certes en bon Américain, il promet que qui fait confiance à la voix de Dieu qui lui parle à l'intérieur et ne donne pas de prise à la peur en sera récompensé en ce monde par la corne d'abondance, mais il dit aussi (et pour moi, c'est la découverte la plus fondamentale de son livre) que "Dieu crée pour faire l'expérience de Lui-même" à travers nous. "C'est la première fois, m'écrivait mon ami, que l'on m'offre un livre sur Dieu."


Quand j'étais petit, j'ai retrouvé la foi que j'avais perdu précocement. Je l'ai retrouvée trop tôt, me croyant saisi d'un transport mystique dont je ne suis certes jamais revenu, mais c'était la découverte d'un enfant. Comme j'aimais déjà mettre des mots sur ce qui se passait en moi, je me mis en tête d'approfondir la foi que je venais de découvrir et de la consigner dans un livre que j'ai malheureusement perdu. Sur les conseils de ma tante, j'allais interroger des "sachants" dont une soeur, à propos du premier chapitre de cet "Approfondissement de ma foi" que j'escomptais écrire. Le chapitre s'intitulait: "Qu'est-ce que Dieu? "Mauvaise pioche", me dit la soeur qui était une catéchiste assermentée, il faut te demander "qui est Dieu". Respectant son autorité, j'admis cette douche froide et modifiai mon titre, mais restai sur ma faim. Car avant d'être personnel, Dieu est conceptuel, je suis d'accord avec vous, Pierre. Dieu est quelque chose avant d'être quelqu'un et pour ainsi dire, Il est quelque chose pour faire de nous quelqu'un. Comme la philosophie est un roman conceptuel à la lecture et à l'écriture duquel on reçoit quelques lueurs de sagesse, la sagesse étant "le féminin de Dieu" selon cette autre image de la Bible, son Verbe-enfant qui jouait sur la terre pendant qu'il créait le ciel et la terre. Cette idée du Dieu Créateur me parle, contrairement à vous. Et contrairement à ceux qui postulent une vie post mortem qui me fait plus peur qu'elle ne m'intéresse à l'approche de la cinquantaine, car j'ai le sentiment de n'avoir pas très bien mené ma barque et de m'être souvent trompé de priorités, je suis plus intéressé par "le sentiment d'innatalité" dont parle Rudolf Steiner (car d'instinct, l'homme n'a pas la notion du temps, mais il a la notion de l'éternité), que par l'immortalité de l'âme qui me fait l'effet d'une rampe de lancement pour nous aider à vivre le présent en l'orientant selon une finalité que l'on ne connaît pas, mais que l'on devine: réaliser ses potentialités dans la mesure du possible, certes, mais nos talents ne servent qu'indirectement à nous-mêmes, nous les avons reçus pour en faire profiter les autres, nous ne vivons pas de nos dons, c'est un capital à usage collectif, même si personne ne nous demande rien et que les gens s'usent quand on ne s'en sert pas; mais s'orienter vers le bien dans la mesure de la perception que l'on en a, essayer d'être heureux et de rendre heureux, et c'est sur ce point que mon bilan laisse  à désirer à ce tournant de ma vie, en cette crise de milieu de vie. Autant la quarantaine m'avait réveillé, autant la cinquantaine me secoue: "Qu'as-tu fait de ta vie ?" Pas grand-chose de valable. Et c'est en quoi la "puissance de la résurrection" me relance sur les feux de la rampe pour que je m'oriente mieux, pour que je me reboussole après m'être beaucoup désaxé par refus de la vie tout à fait conscient et métaphysique: j'ai bu pour oublier que je devais vivre et pour rendre cela supportable. C'est en quoi la puissance de la résurrection m'intéresse et j'aimerais m'en emparer, si ma morbidité toute germanique ne prend pas le dessus.


A l'être, tout comme vous, Pierre, j'accroche d'abord cette idée d'avoir une réalité. Est ce qui a une réalité. Jésus, qu'Il soit un personnage conceptuel comme le soutient Michel Onfray, ou un personnage historique comme le croient la plupart des gens (sur ce point ma religion n'est pas entièrement faite), Jésus a une réalité, car même à supposer que nous L'ayons fait exister, Il nous aide à vivre.


Jésus a une réalité, donc Il est. J'accroche la réalité à l'être, car il faut s'accrocher à la réalité. Mais aussitôt que j'ai dit ça, la parole qui le définit le mieux est cette réaction de fuite que Jésus a quand Marie-Madeleine veut l'étreindre, L'ayant reconnu ressuscité: "Cesse de me tenir". Jésus ne fuit pas comme une anguille ainsi que je fais à tous les conseils qu'on me prodigue. Jésus proclame qu'avant d'être ineffable (et j'ai un nom qui me rapproche de l'ineffable puisqu'il est presque imprononçable), l'être est insaisissable. La parole voudrait-elle le cerner qu'elle n'en aurait qu'un instantané. On ne peut pas mettre une image de Dieu dans la boîte, que ce soit Dieu qui nous ait créé ou nous qui  le lui ayons bien rendu, créant Dieu à partir de nos manques, comme le pense Feuerbach, ce grand théologien devant l'Eternel, sans plagier ce que Cioran dit de Bach. Et on ne peut pas non plus remplacer des "caricatures de Dieu" du passé par des images d'un Dieu désirable qu'on voudrait promouvoir, comme l'écrit StannRougier tout au long de ses livres. On ne doit pas nécessairement aimer la vérité qu'on embrasse, mais on doit embrasser la vérité que l'on découvre.


Et la vérité, comme vous le dites, Tipaza, c'est qu'on ne connaît pas notre finalité, la finalité de Dieu ni celle de la vie, si ce n'est qu'elle est un édifice à construire ensemble et à perpétuer. Saint Thomas d'Aquin dit peu de choses du mal quand il ne le considère que comme un manque à être. Le colloque singulier entre Dieu et le diable dans le livre de Job m'a toujours fait penser à "la partie de cartes" dans la pièce de Pagnol, je crois que c'est dans "Marius". Jung est plus conséquent quand il l'identifie comme l'ombre au tableau, car l'ombre est dans le tableau. Mais sommes-nous suivis comme notre ombre par notre ombre ou la suivons-nous? Voilà un premier choix à faire. Il est utilement complété par ce conseil de Jésus d'aimer notre ennemi, notre ennemi intérieur, non pas pour lui complaire ou pour le terrasser, mais pour lui faire la part de l'ombre, se réconcilier avec Satan, suggère Anick de Souzenelle, pour le faire entrer dans une espèce d'apocatastase intérieure où Origène croyait que Jésus est venu sauver même le diable en personne. "Il faut tomber dans les hérésies vers lesquelles tu penches", me conseilla très malicieusement un de mes meilleurs amis prêtres à qui je donne beaucoup de fil à retordre.


Non, le mal n'est pas un manque à être, il fait partie de la réalité. Mon amie Nathalie, qui est d'autant plus intelligente qu'elle n'aime pas lire, me dit un jour qu'il y a deux dieux, le dieu du bien et le dieu du mal, celui qui donne les maladies, car un  père ne rend pas malade, ce que Jésus abonde en disant que "si même vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père céleste donnera-t-Il l'esprit-Saint à ceux qui le lui demandent." J'ai toujours été interpellé par cette parole de Nathalie définissant deux dieux, qui exprime sous une forme pure la croyance des Manichéens. Je ne sais pas s'il y a deux dieux, mais il y a un Dieu dans lequel le combat du bien et du mal n'a pas voulu se jouer, d'où l'interdiction (mythique?) à nous faite de consommer du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Dieu ne voulait pas voir le mal, il préférait polariser dans "la coïncidence des opposés" ou "l'union des contradictoires" dont je crois que parle  Simone weil (à moins qu'elle s'en tienne à l'"union des contraires", mais elle est trop profonde pour cela). L'homme est combattif et a transformé en combat ce qui supposait une séparation en vue d'une réunion, chaque pôle étant aiguisé. L'homme a fait qu'il n'est plus possible d'éluder le combat  spirituel, excepté au terme du devoir de s'asseoir, il doit calculer s'il a de quoi payer. Et l'enjeu, c'est encore Michel Onfray qui m'en donne la formulation dans "Cosmos", supposant une ontologie des deux, à égalité, leur présence dans la réalité: est-ce que je veux être un prédateur ou être une proie ? Je préfère être du côté des proies que des prédateurs, mais je ne suis pas le sauveur des proies, sauf à me placer sur un des sommets du triangle infernal du sauveur, du bourreau et de la victime. Je ne suis pas le sauveur des proies, mais Jésus nous a  sauvés sur la Croix. Je suis l'indigne serviteur de ce Sauveur, si peu que vaille ma foi sur ce sol où je la ramasse. 

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