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dimanche 10 juillet 2022

La rémission des péchés et la résurrection de la chair

Cher Guillaume,


Tu abordes dans ce billet (et mon coup de fil d'hier n'était pas prémédité par l'intention de le recevoir, j'ignorais que tu l'avais écrit), le dogme qui me paraît aujourd'hui le plus mystérieux dans le christianisme, le plus digne d'attention, sur lequel il est le plus urgent de réfléchir, et même le plus dangereux s'il est mal compris. Car le risque existe que nous identifiions le christianisme avec une religion éventuellement culpabilisante (la culpabilité ça ne mange pas de pain), mais à tous les coups déresponsabilisante, car enfin si tous les péchés sont remis, toute conduite morale est relative et en effet tout est permis.


Or, je crois, contrairement au diagnostic que tu formules, que notre société ne supporte plus du tout cette irresponsabilité. Il fut un temps où comme tu l'écris, "La pastorale [détournait] trop souvent les fidèles de la croix." Je ne dis pas qu'elle nous fait à nouveau jeter les yeux sur la Croix, mais elle nous fait jeter les yeux sur ce qui se passe quand il n'y a pas la Croix. Et la crise des abus pour rester neutre, la bobologie et la victimologie pour dire les limites du mouvement actuel, nous ont réveillés d'un sommeil de somnifère où nous croyions que nous pouvions pécher impunément et accumuler  sur la tête des autres toutes les offenses sans qu'aucun traumatisme ne s'ensuive, dont nous serions comptables. D'où tant de réputations détruites d'icônes à peine refroidies érigées en saints de vitrail avant le temps, qu'on prétend désormais piétiner pour l'éternité, ce qui ne vaut pas mieux. Réveil comme à l'enfance de la responsabilité, car elle n'est pas plus mûre, mais réveil néanmoins. Il fut un temps où "la théologie Polnareff" existait, notre société a gagné en inquiétude, je ne dis pas sur son propre salut, il ne faut pas exagérer, mais sur le salut des salauds, sur le salut des autres, étant entendu qu'on ne saurait soi-même être un salaud, sauf quand on se retourne sur sa propre trajectoire, qu'on regarde la trace que l'on a laissée au risque d'être transformé en statue de sel, que l'on "compte les morts" comme disait Jean Ferré citant "le Travail intellectuel" de Jean Guitton.  ET alors on est pris d'un vertige personnel. Du moins celui qui t'écrit a souvent été pris par ce vertige en allant accompagner laudes ou messes aux petites heures en se faisant l'effet d'un imposteur. Accepter de se faire cet effet comme tu l'écris, c'est ne pas esquiver l'expérience du mal. Et toute bonne confession commence par là. Toute confession commence par une confession du péché, des péchés, du mal en tant que mal. Toute confession commence par ne rien banaliser et ne pas dire que le mal est bien ou que le bien est mal.


Et ensuite, il faut aller plus loin. Il faut faire le parcours que tu proposes. Il faut accepter la rémission des péchés, parce que le dogme suivant, l'apposition suivante des oeuvres de l'Esprit comme tu l'écrivais en introduction de ton commentaire de la dernière partie du "Credo", le commande. Il faut accepter la rémission des péchés parce que la résurrection de la chair est à l'horizon, qui le commande. Il faut accepter celle-ci pour se reconstruire au moyen de celle-là. Que dis-je, se reconstruire? Cela serait égoïste. Non pas pour se reconstruire, mais pour reconstruire.Ca tombe bien, je me sens en phase de préreconstruction, mais je veux dépasser ici mon cas personnel et donc je pose avec toi la question "comment faire"?


Tu donnes deux clefs qui me semblent essentielles: après avoir discuté avec Dieu, accepter que c'est Lui qui va nous rendre notre innocence parce qu'"Il nous a aimés plus que Lui-même" selon la citation que tu fais du vieux cantique inconnu de moi, qui nous indique une expérience indispensable à faire pour que le parcours psycho-spirituel soit concret. Cette indication d'une expérience à faire me rejoint, moi qui me suis demandé un nombre incalculable de fois, y compris dans les colonnes du Métablog, en quoi il était intéressant d'adhérer à un Dieu qui paraissait s'être aimé Lui-même plus que nous-mêmes, à voir comme la théologie n'a cessé de nous Le présenter comme un Créateur qui nous infériorise, nous créant dans la limite avec un amour prétendument infini, nous toisant de manière que nous ne puissions jamais aller à Sa hauteur. Et certes, c'est ontologiquement exact, car il ne s'agit pas de monter jusqu'à Lui, mais de se laisser hisser par Lui jusqu'à Lui. C'est même en cela que consiste la divinisation qu'Il nous propose, où l'amour qu'il s'agit d'atteindre n'est pas une affaire de taille, ce n'est pas d'abord un petit ou un grand amour, ce n'est pas un amour quantitatif, ce n'est pas un amour de performance, c'est l'amour de Dieu, un Etre qui sera nécessairement toujours plus grand que nous puisqu'Il est l'Etre suprême, mais que cela n'empêche pas de nous aimer plus que Lui-même. Car il ne suffit pas à Dieu comme à nous de nous aimer comme Lui-même, il faut qu'Il nous aime plus que Lui-même. Sinon cela ne tient pas, la Rédemption ne tient pas, le rachat ne tient pas, le salut ne nous est pas proposé.


Et on ne saurait s'en tirer avec "la réversibilité des mérites". Car qui la comprendrait? Les plus héroïques d'entre nous pourraient peut-être s'en tirer en offrant leurs souffrances. Mais la première façon de s'en tirer est de contempler cet amour de Dieu pour nous plus grand que l'amour dont Il S'aime Lui-même. Car tout est dans le désir de Dieu. Si Dieu nous a rachetés, il n'est pas dit que tout soit réparable. Mais si Dieu ne désire pas nous racheter, rien ne sera réparé. "Pourquoi ne profites-tu pas d'être catholique pour te reconstruire?", me demandait un ami, ajoutant: "Tu as la chance d'être le croyant d'une religion qui croit dans la réparation et dans la reconstruction. Pourquoi n'en profites-tu pas?" Je serais tenté de lui répondre: "Parce que le résultat ne m'appartient pas." Le désir de Dieu non plus, mais lui, je le connais. "Dieu ne regarde pas au résultat", m'asséna un jour tout de go l'abbé Guy Pagès, "Dieu regarde au désir, donc peu importe que vous ayez le sentiment d'avoir très mal mené votre barque comme vous me le dites". Cette saillie me surprit tellement que je répondis du tac au tac: "Je crois que je suis assez inattaquable sur le plan du désir..."Alors combat gagné? Je persiste et je signe: le résultat ne m'appartient pas, il appartient à Dieu, mais quel allié j'ai dans le combat lors même que je le refuserais, ce que je suis bien capable de faire, avec la nature détraquée que je me promène, un beau morceau de nature humaine!


Et cependant un mot encore sur ce désir de Dieu où l'on verra que le diable porte pierre, si j'ose dire. Je n'aime pas du tout le sort qui est fait à la mouvance traditionaliste à laquelle tu appartiens. Les traditionalistes ne sont pas sans excès, mais ils ne méritent pas d'être maltraités au point qu'on veuille tuer le rite par lequel l'Eglise s'est sanctifiée pendant 2000 ans. Le motu proprio "Traditionis custodes" a présenter l'intention d'assassiner ce rite et je n'approuve ni cette intention, ni la brutalité de cette décision. Et pourtant le pape François, à la politique de qui je ne comprends rien, mais que je comprends dès qu'il parle d'Evangile, car il est plein d'Evangile, le pape a donné en fin de mois dernier l'explication  qui dit tout de notre sujet  du jour, qui est la rémission des péchés, mais aussi de l'origine de toute liturgie: "J'ai désiré d'un grand désir manger cette Pâque avec vous." Et le pape d'ajouter qu'il n'y a pas une seule messe qu'un prêtre célèbre où un fidèle se rende, pas une seule communion que le Christ n'ait  désirée, et le Christ ne désire pas que Ses fidèles Le mangent pour leur condamnation. Cette intention à l'origine de toute liturgie est une très bonne nouvelle.


Bien à toi,


Julien 

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