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mardi 6 février 2018

La démocratie est un minoritarisme

Réponse à la réaction de Jejomeau à propos de mon article de l'amitié politique, réaction intitulée : "Revenir plutôt à plus d'autorité" et qu'on peut lire ici :

https://www.leforumcatholique.org/message.php?num=843922

Cher Jejomau,

   1. Je comprends votre réaction et votre raisonnement, même si je ne le partage pas. Il est basé sur l'idée, selon moi théocratique (je l'ai encore vu dérouler par saint Pie X dans sa lettre sur le Sillon), que l'autorité est un reflet de Dieu et doit donc émaner de Dieu.

Or ce qui est vrai de la paternité n'est pas vrai de l'autorité. La paternité est un reflet de Dieu, car on dit que Dieu est Père. En revanche on ne dit nulle part que Dieu est Autoritaire, d'où il résulterait que l'on ait le culte de l'autorité.

Quand saint Paul recommande qu'on obéisse aux autorités de l'Etat, il prend une mesure de sage police. Il  place l'Eglise naissante sous la protection de ceux qui exercent le monopole de la violence légitime. Et il rassure ces dépositaires de l'autorité: les chrétiens ne sont pas des dissidents, ils peuvent donc prendre le pouvoir.

Saint-Paul met en œuvre une stratégie politique. Or les catholiques (et surtout les traditionalistes) ont l'air de considérer que l'injonction à obéir au gouvernemen civil a la même valeur sacrée que celle d'où un père retire l'ascendant qu'il exerce sur ses enfants, de ce que Dieu est Père.

Dieu a de l'autorité, mais Il n'est pas autoritaire. Il a de l'autorité, mais il nous a créés libres. Il n'a jamais renoncé à sa paternité come il a partiellement renoncé à son autorité.

    2. Vous écrivez que, depuis des années que vous estimez postérieures aux années 90, la démocratie s'est mise au service des minorités. Je crois que cela s'inscrit dans un vaste mouvement de régression historique qui a pris naissance en 1995 et surtout après le 11 septembre 2001. Quelques exemples de cette régression historiques sont faciles à trouver :

-Il y a un petit parfum des années 30 dans la manière dont nos débats sont agités.

-Nous vivons un réveil des nationalités ou des identités comme à l'époque de la Grande Guerre.
-Dans le contexte français, la République a retrouvé ses constituants révolutionnaires en faisant appel à des valeurs minoritaires.

-Tout cela sur fond de guerre de religions, aggravée du fait que, depuis le 11 septembre, les Américains ne mettent plus de bornes à une hégémonie revendiquée, après avoir, avec la première guerre du golfe, attisé des dissentions à l'intérieur même des sociétés occidentales, entre les chrétiens majoritaires disposant de la force armée et une population allochtone minoritaire mais énergique, qui avait l'impression de ne plus être respectée, si le pays qui l'accueillait se battait contre leur pays d'origine ou la communauté des croyants de leur cœur.

 3. C'est une anecdote personnelle qui me fait dater de 1995 les prémices de ce changement de ton.

En 1995, je me fracturais la rotule, et on me ramène chez moi plâtré, alors que je représentais aux agents hospitaliers que je n'avais pas de téléphone et par conséquent ne pourrais pas me débrouiller tout seul. Les agents hospitaliers ne voulurent rien entendre et me ramenèrent chez moi. Les choses finissent par s'arranger quand même, et je profite de l'élection présidentielle pour écrire aux trois principaux candidats, Jospin, Chirac et Balladur.

-Jospin me répond par une lettre manuscrite disant qu'on a besoin de gens comme moi pour faire changer les choses.

-Chirac reste muet comme une carpe, il sera élu.

-Et Balladur me répond par une lettre type sur l'exclusion, dont le premier tiers explique que la république est engagée dans la lute contre l'exclusion depuis la Révolution, car la République est comptable des valeurs de la Révolution. Vous m'avez bien lu. Les équipes de Balladur me parlent de Révolution.

      4. Dès lors que la démocratie ne se pose pas en régime politique, mais en régime qui s'assigne un but, en l'occurrence l'égalité des conditions nous dit Tocqueville, même si, pour lui, l'égalité des conditions est au moins autant ce qui favorise les conditions d'émergence de la démocratie que le but qu'elle se fixe, la démocratie cesse du même coup d'être un régime politique pour devenir une idéologie de régime. Ce régime de la majorité des voix devient celui de la lutte pour les minorités. Cela s'aggrave lorsque le matérialisme domine et que le régime devient avare. La démocratie, sans être "populaire", abandonne la lutte des classes pour se consacrer exclusivement à la lutte des minorités.

     5. Mais ceci est un dévoiement par la démocratie-idéologie de la démocratie-régime. La démocratie-régime n'a pas d'autre but que de construire le peuple à partir d'une discussion franche de tous avec chacun, au contraire de la République, dont le mythe de l'indivisibilité oblige chacun à devenir ce que veut l'idéologie républicaine.

La démocratie-régime dispose de grands moyens pour réunir le peuple. Comme elle est une discussion de tous avec chacun, elle propose en particulier d'entrer dans la logique de l'autre.

Enfin, au plan moral ou philosophique, je n'ose dire théologique, elle mesure l'adhésion du corps politique à la Volonté de Dieu, ce qui est conforme à la liberté dont jouit le corps politique. Encore faut-il que le peuple dispose de sa volonté, ce qui implique, non seulement qu'il ne soit pas manipulé, mais, toujours au plan moral et théologique, que l'exercice de l'autorité ne soit pas théocratique (car Dieu est père, il n'est pas autoritaire), mais représente les dispositions du peuple à l'égard des "propositions" de Dieu.

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