Assisté hier soir à la deuxième séance du séminaire de dan
Jafé sur le Talmud. En gros, le thème en était : « La condamnation
des judéo-chrétiens a-t-elle vraiment eu lieu ? Etait-elle nécessaire ?»
Sans discuter la thèse défendue dans la séance d’hier soir,
qui sera prolongée par toute une journée en compagnie de l’historien professeur
à l’Université de Bar-Iland (Tel aviv), qui m’a cette fois-ci fait surtout l’effet
d’être quelqu’un qui se livre à des études littéraires, y compris en pratiquant
le comparatisme :
- Sur la forme, j’ai trouvé important, plus important
que d’habitude, d’identifier ma position dans l’étude. Il ne s’agit pas que je
dise si je suis pour ou contre le Talmud ni pour ou contre les conclusions de
Dan Jafé, je dois me couler dans la méthode. Il faut que je comprenne la
méthode qui est celle de Dan Jafé et que j’essaie de m’inscrire dans le point
que j’occupe, fût-il absolument mineur, dans la recherche en cours.
Arlette me dit que j’ai évolué. « Non. Ma seule
évolution est que j’essaie de comprendre la logique de l’autre, tu ne peux pas
savoir à quel point. »
Sur le fond :
- Dan Jafé dit que nous n’avons connaissance des
judéo-chrétiens que par les sages du Talmud, les pagano-chrétiens ne les
intéressant pas puisqu’ils ne faisaient pas partie de leurcommunauté. Ca me conforte dans l’idée que l’opposition
historique entre judéo-chrétiens et pagano-chrétiens a quelque chose d’exagéré,
surtout si l’on suppose que les judéo-chrétiens ont vécu presque tout un siècle
tout seuls, ou en étant beaucoup plus nombreux que les pagano-chrétiens.
- - Le Talmud considère les judéo-chrétiens comme
une menace et les traite avec une extrême agressivité. Ils ne citent pas le Nom
de Jésus, mais parlent d’ »un certain homme » ou de « Jeshua ben
Pantera », ce qui est une insulte chaque fois qu’on ajoute cet épithète.
- On dirait toujours que les judéo-chrétiens viennent
guérir les juifs en douce, ce qui contraste avec les Actes des apôtres, qui
nous présentent les disciplesparlant et agissant au grand jour, avec fierté.
- Du coup, les sages du talmud ont peur que les
guérisons opérées par les judéo-chrétiens ne marchent et ça les rend encore
plus furieux.
- Seulement si on se place de leur point de vue et qu’on
se mette dans la peau d’un sage du Talmud très dur comme je l’ai fait hier soir
en posant ma question, défendant rabby Ishmael contre lequel ses successeurs (surtout
Talmud de Babylone) émettaient des réserves feutrées, les judéo-chrétiens
étaient plus méprisables que les païens : ils appartenaient au peuple juif ;
ils se réclamaient d’un Jésus qui volait quelque chose de la divinité du Dieu unique
et qui reprenait à son compte la logique du Nom qui a cours dans le
tétragramme. Et leurs guérisons marchaient. Réponses de Dan Jafé : « Il
est certain que les judéo-chrétiens reconnaissaient Jésus comme Messie, pas sûr
qu’ils le reconnaissaient comme Dieu. Car il y avait différents niveaux de
messianité : messianité sacerdotale, messianité royale. Jésus présentait
une messianité de type sacerdotal (bien qu’il n’appartînt pas à la tribu de
Lévy comme le fait observer Michel Onfray), ce qui jetait un pont entre Dieu et
les hommes, mais le pont n’est pas nécessairement le pontife. Jésus était l’échelle
de Jacob. Etait-il Dieu pour ces premiers croyants ? »
- En comparaison de ces judéo-chrétiens qui venaient pour guérir en
douce, les sages du talmud paraissent infiniment violents : « Nous
avons délimité la haie où, si tu la passes, tu seras mordu par le serpent et tu
en mourras. » (Paraphrase d’un des textes d’hier soir.) « Nous sommes
maîtres de la vie et de la mort » alors que les judéo-chrétiens ne
venaient que pour donner la vie et rendre la santé aux sages du Talmud, qui les
traitaient éventuellement de « fils de pute » (Jeshua ben Pantera).
- Mais j’étais plus véhément encore que rabby Ishmael
qui, au siècle de compénétration des sages du Talmud et des judéo-chrétiens, ne
voyaient qu’un inconvénient social à ce qu’un sage du Talmud se fît guérir
publiquement par un judéo-chrétien. Ca pourrait se savoir et la notoriété des
judéo-chrétiens pourrait se répandre. Il n’y a presque pas de sacrilège
intrinsèque à se faire guérir par un judéo-chrétien. (Dans le premier cas qui
nous étaitprésenté, le sage n’avait eu que l’intention de se faire guérir par
un judéo-chrétien. Il voulait citer le verset qui le lui permettait, mais n’en
eut pas le temps et mourut. « Pour le Talmud, ce n’est pas l’intention qui
juge, c’est l’acte ».) À mesure que prend de l’ampleur ce texte en
expansion qu’est le Talmud, « on sent un regret des sages de n’avoir pas
composé davantage avec les judéo-chrétiens ». Après tout, le christianisme
est une histoire juive qui a réussi.
- Les judéo-chrétiens représentaient un danger pour des
sages du Talmud qui avaient décidé de régénérer la société juive après la
destruction du second Temple. Ce réarmement moral rejoue des mêmes ressources
que celles employées par esdras et Néhémi. Au fait, on tient pour acquis que le
judaïsme rabbinique l’a emporté sur le judaïsme sacerdotal, mais pourquoi ?
« Les prêtres étaient toujours là, mais ils étaient au chômage technique,
puisqu’il n’y avait plus de Temple ». Mais du temps de Moïse et d’Aaron,
il n’y avait pas non plus de temple. Et pourquoi n’envisagea-t-on pas d’en
construire un troisième ? Pourquoi est-ce que ça traîne ?
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