Je réclame le droit de lire en même temps Charles Maurras
et le Talmud, et cela non par simple papillonage intellectuel ou pour faire des
rapprochements, ce qui est le but et l'art de la culture, mais par une espèce
de discipline du dilettantisme, qui fait moins de tout son miel, qu'il ne s'en
remet aux gastronomes de l'apiculture pour le goûter et l'étoiler.
Alors que Charles Maurras ne croyait pas que "la libre
pensée [ne voulût] affranchir la pensée d'elle-même », dans l’ordre
intellectuel, ni de « l'ordre moral", ClaudeAskolovitch écrivait il y
a 20 ans que le plus grand danger d'une gauche sans illusion et gestionnaire
d'une société matérialiste et avare comme la nôtre, serait de n’avoir à lui
opposer que "l'individualisme et la morale".
À l’origine, étymologiquement, un dogme est un
enseignement. La catéchèse précède donc la doctrine, et la fascination pour l’autorité
de l’enseignant l’emporte sur la vérité de l’enseignement. L’école est une
contre-Eglise, qui a ses évêques, étymologiquement ses inspecteurs. L’enseignement
comme doctrine, par exemple, fait de l’éducation jugée à l’aulne de la
Déclaration universelle des droits de l’homme, cette charte de devoirs et non
de droits comme était le décalogue, la voie obligatoire et royale de l’émancipation.
On ne saurait échapper ni à l’émancipation ni à l’éducation. Qui tient l’école
tient les consciences. La Déclaration universelle des droits de l’homme permet
qu’on enseigne tout, qu’on satisfasse à toutes les curiosités, pourvu que l’on
distingue savoir et croyance, comme si un savoir n’était pas toujours une
croyance, et pourvu qu’il soit interdit de rien enseigner qui soit contraire
aux droits de l’homme.
Les droits de l’homme sont un totalitarisme libertaire et fraternel. « On
les forcera d’être libres, on les forcera d’être frères.
Selon moi, une doctrine est toujours supérieure à une
idéologie, car c’est un capital de civilisation, amassé par du mythe et non
produit par de la pensée. Les monuments de la pensée sont toujours un peu
ridicules, mais le mythe produit la culture. Il la produit en faisant oublier
son origine mythique, mémorielle, anhistorique. La doctrine, c’est de la poésie
sédimentée en pensée, qui flèche et préside à l’érection des cathédrales. Le
mythe est le sens giratoire de la culture. La culture vient du mythe.
L’idéologie, c’estun stalacmite, c’est de la pensée qui
monte de la caverne. La doctrine, c’est un stalactite, c’est de la poésie sédimentaire
qui descend du ciel sous les espèces de la pensée. (L’idéologie est donc
trompeuse jusque dans la phonétique. Elle fait croire qu’elle vient du mythe
alors qu’elle est fille de la préhistoire qui n’existe pas. Les âges d’or
préhistoriques ne sont rien auprès des cosmogonies et des récits de la
Création, ces tuteurs des relations humaines.)
Je préfère les doctrines aux idéologies, car elles mêlent
deux choses que j’aime : la poésie et la pensée. La doctrine sait qu’elle
est mal-pensante. L’idéologie a la croyance farouche et pharaisienne qu’elle
pense comme il faut. C’est pourquoi les idéologies, qui sont des cercles
vicieux promus par des ligues de vertu épuratrices, procèdent au bouclage du monde dans le cercle
de leurs croyances qu’elles prennent pour du savoir.
Les idéologies ont la vue si courte et si basse qu’elles la
cantonnent au visible. Les doctrines vont à la recherche de l’Invisible en
présentant l’inconnu comme le vrai et en transformant le vrai en beau. Les
doctrines ont donné au monde son genre de beauté. Elles sont le mémorial de la beauté
qui doute (toute vérité est relative puisqu’elle est qualitative), avant de se
présenter sous les apparences de la vérité. Les doctrines
sont les épopées mal pensées de la vérité inspirée.
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