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samedi 17 septembre 2011

La théologie de l'enfer (I)

Restitution d’un fragment important de dialogue sur le Forum Catholique


(Je précise que j’ai volontairement changé le titre de certains messages, voire en ai corrigé la formulation quand elle contrariait la syntaxe, pour donner plus de clarté aux arguments échangés)


Sommaire :

1. Trois raisonnements contre l’enfer.
2. Adhésion libre.
3. Adhésion libre n’implique pas châtiment
4. Jugés par amour
5. Il faut satisfaire à la notion de Justice
6. Nous savons que l’enfer existe.
7. En voici les références scripturaires.
8. Réponse du DTC à vos trois raisonnements
9. L’enfer, cause efficiente et cause finale.
10. Peine du dam et peine du sens
11. Réponse à vos réserves.
12. Dieu, premier Moteur, ne peut pas être mû…


1. Trois raisonnements contre l’enfer.
(par le torrentiel le 1er septembre 2011 à 8h28)



Je prends la précaution de dire que ce ne sont que des raisonnements et qu'il ne faut pas y soumettre la Foi, mais les soumettre à la Foi.


Les voici :


1. Le Père Xavier Léon-Dufour (SJ) :

-"Par la Foi, je dois croire qu'il y a un enfer ;

- par l'espérance, je dois souhaiter ne pas en être passible ;

- par la charité, je dois souhaiter que tous partagent le pardon que j'aurai reçu et connaissent comme moi le bonheur auprès de Dieu."

(un rendu en substance)


Variante :

"Il y a un enfer, mais il n'y a personne dedans" (Père Pierre Latour, SJ).


2. Mon propre père :


De deux choses l'une (« soleil ») (Pascal Payen-Appenzeller) :

- Ou bien Dieu est infiniment bon, et il ne peut envoyer personne en enfer ;

- ou bien Il ne l'est pas, et Il ne mérite pas qu'on croie en Lui.


Précision importante :

celui-là même qui a émis ce raisonnement, quand il fut confronté à la maladie qui l'emporta, fut indigné que je lui demande s'il lui arrivait de se révolter contre Dieu face à l'épreuve qu'il subissait.


Donc autres sont nos discours et autres nos réactions religieuses instinctives.


3. Moi:

- Dieu ne nous a pas créés par Amour si c'était afin de nous juger.


- Il y a incompatibilité entre l'amour et le jugement, entre le don gratuit de la vie et le fait de demander des comptes à qui l'on a donné, car "le don est innocent de la dette" (Jean-Marie de Lassus, maternologue, et Marie est précisément invoquée comme celle qui met en fuite les démons).


- Dieu ne peut pas Se satisfaire d'avoir perdu la moindre chose qu'Il aura crée.


-Le feu sans consomption que serait l'enfer selon Saint-Augustin ferait de Dieu l'auteur d'un génocide pour l'éternité, ce qui serait incompatible avec Sa Bonté, mais surtout serait sans précédent, pas même totalitaire.


J'ai bien conscience que cette dernière proposition est violente, mais elle est violente comme l'enfer.


2. MaisL’adhésion libre
3.
4.
5. Par Meneau le 1er septembre à 8h56


Dieu ne nous a pas créés par Amour si c'était afin de nous juger.

Dieu nous a créés afin que nous participions à son bonheur. Mais cette participation ne se conçoit que s'il y a adhésion libre. Pour qu'il y ait adhésion libre, il faut qu'il y ait libre arbitre. S'il y a libre arbitre, c'est qu'il y a aussi la possibilité de faire le mauvais choix, avec les conséquences qui s'ensuivent.

Il en va de même des anges. Ils ont eu aussi un choix à faire, et certains, malgré leur intelligence supérieure, ont fait le mauvais.

Cordialement

Meneau



3. Adhésion libre n’implique pas châtiment

Par le torrentiel le 1er septembre 2011 à 9h33


Car s'il en allait ainsi, qu'en serait-il de la liberté ? Elle serait plutôt assimilable à un chantage:

"Tu fais le bon choix ou tu vas voir ce que tu vas voir !"


D'autre part, notre "libre arbitre" est-il vraiment libre dans une vie soumise comme la nôtre à tant de tribulations, à une nature déchue, une psychologie malade ?


C'est à cette question que tente de répondre Arnaud Dumouche, maladroitement sans doute et de manière hectoplasmique, nous dit-on.


Il n’empêche : il met au jour un vrai vice de forme, si je puis dire….


13. Jugés par amour.

Par Lucas le 1er septembre 2011 à 9h33


Cher torrentiel,

Aucune des propositions de votre post, sauf les trois premières, ne me semble justes. Il me semble que l'on pose souvent mal le problème de l'enfer, comme si il y avait opposition entre l'amour de Dieu et la notion de jugement. N'est ce pas pile le contraire?Si L'enfer n'existait pas, serions-nous véritablement libres?Et l'amour véritable,n'implique t-il pas cette liberté de la créature?



Non seulement l'enfer satisfait la notion de justice, mais il sous-entend la notion d'amour, car il donne la possibilité à l'enfant de Dieu de vivre pleinement son rejet et d'assumer sa haine qu'il a librement choisie.



Le mal est un mystère et on a du mal à accepter qu’une personne puisse rejeter Dieu pour l'éternité...Pourtant,c'est la réalité, enseignée par le magistère et la tradition.


Essayer de faire l'économie de cette vérité (je ne parle pas de vous),c'est se condamner à ne rien comprendre à la rédemption,pierre d'angle du christiannisme.


Pour résumer, nous sommes tous prédestinés au bonheur éternel,mais nou tous n'iront pas au Paradis.



A méditer longuement....

Lucas.


5. Il faut satisfaire à la notion de Justice.

(par le torrentiel le 1er septembre 2011 à 8h45)


dont la pure négation (trop humaine) de l'enfer fait le parent pauvre de l'économie du salut.


C'est pourquoi il faut s'avancer avec prudence sur ces sentiers escarpés de la spéculation.


Et même si, secrètement, l'on espère en l'universalité du salut, si c'est le cadeau secret que Dieu veut nousoffrir, il ne faut pas Lui dérober Ses secrets.


6. Nous savons que l’enfer existe.

(par jejomau le 1er septembre 2011 à 10h2


puisqu'au moins une personne y est : Judas. En outre, c'est le Christ Lui-même qui, à chaque page des Evangiles, nous en parle ainsi que des démons...



Tiens il manque une icône avec un diablotin ... ou des flammes !


7. En voici les références scripturaires.

(par Meneau le 1er septembre 2011 à 11h3
Les Saintes Ecritures fourmillent de références à l'enfer, à la séparation qu'il y aura entre les justes et les méchants, et au châtiment qui attend ces derniers.
Marc., III, 29
Matth., XII
Joa., VIII, 20-24, 35
Matth., V, 22
Matth., V, 29, 30
Matth., VII, 21-23
Matth., VIII, 11, 12 (les pleurs et les grincements de dents)
Luc., XVI, 19-31 (Lazare et le mauvais riche)
Marc, IX, 42-48., Matth., XVIII, 8-9 (où le ver ne meurt pas et le feu ne s'éteint pas.)
Matth., XIII, 24-30 (encore les pleurs et grincements de dents)
Matth., XIII, 47-50
Matth., XXII, 1-14 (ténèbres extérieurs, pleurs et grincements de dents)
Matth., XXV, 33 (Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel préparé pour le diable et ses anges)

Cette liste est loin d'être exhaustive !
C'est une certitude "de foi définie". Il est également "de foi définie" qu'il est éternel.

Mais il est également écrit dans l'Evangile que beaucoup iront en enfer :

"Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus"
(Mt 22,14)

13 Entrez par la porte étroite; car large est la porte, et spacieuse la voie qui conduit à la perdition, et nombreux sont ceux qui y passent;
14 car étroite est la porte, et resserrée la voie qui conduit à la vie, et il en est peu qui la trouvent !

Mt 7,13

Incidemment, Judas n'est pas le seul à être en enfer. D'Antiochus Épiphane on trouve au livre des Machabées (2 M 7,14) :
"Heureux ceux qui meurent de la main des hommes, avec l'espérance qu'ils tiennent de Dieu d'être ressuscités par lui! Pour toi, ta résurrection ne sera point pour la vie."


Cordialement

Meneau



8. Réponse du DTC (dictionnaire de Théologie Catholique) à vos trois raisonnements

Par Meneau le 1er septembre 2011 à 11h10


Je pense que l'article du Dictionnaire de Théologie Catholique sur l'enfer répond assez bien à ces raisonnements erronés, lorsqu'il distingue cause efficiente et cause finale, plus particulièrement au sein de cette cause finale, lorsqu'il envisage la fin de l'enfer dans l'ordre de la justice, mais aussi dans l'ordre de l'amour.

« VIII. CAUSE EFFICIENTE DE L’ENFER.

La cause efficiente, au sens large, qui a produit l’état de choses qui exige l’enfer, c’est le pécheur par son péché et lui seul. Cf. S. Thomas,. Sum. theol, la lIae, q. LXXXVII, a. 1, ad 2um.

La vraie cause efficiente directe de la peine est diverse suivant les peines. De la peine concomitante, dépravation de la volonté, désordre des facultés, remords, etc., la cause efficiente est encore le pécheur lui-même par son péché et la conscience de son péché, Dieu n’en est que ha cause efficiente indirecte, comme auteur de la nature avec ses lois essentielles.

Mais l’enfer consiste proprement dans les peines du dam et du sens. Dieu en est la cause efficiente en tant qu’il les inflige aux pêcheurs; il inflige la peine du dam par mode de privation et celles du sens par action positive, non toutefois immédiatement, mais médiatement par l’intermédiaire de créatures, ses instruments. Sur la nature et l’efficacité de cette action, voir FEU DE L’ENFER.

Les démons et les damnés sont encore entre eux des causes instrumentales au sens large pour le supplice que leur procure leur société. Les Pères ajoutaient, en outre, unanimement, que les démons exercent en enfer un véritable empire de bourreaux sur les damnés; et cette affirmation répondait à leur conception du péché esclavage du démon. Cf. J. Rivière, Le dogme de la rédemption, Paris, 1905, p. 375 sq. Après la critique et la destruction de la théorie des droits du démon sur les hommes par saint Anselme et par Abélard, on ne cessa pas pourtant d’admettre une véritable sujétion de l’homme damné au démon, sujétion existant par la permission de Dieu et pareille à celle qui met le criminel au pouvoir du bourreau. Gf. S. Anselme, Homil., v. in Matth., XVIII, P. L., t. CLVIII, col. 620; S. Thomas, Sum. theol., IIIa, q. XLVIII, a. 4, ad 2um. Cependant le Maître des Sentences, I. IV, dist. XLVII, n. 5, P. L., t. CXCII, col. 955, rapporte une opinion qui refusait au démon, non seulement tout droit, mais tout pouvoir sur l’homme, au moins après le jugement. Saint Thomas la rappelle aussi avec l’opinion contraire du pouvoir diabolique éternel sur les damnés, Sum. theol., IIIae Suppl., q. LXXXIX, a. 4; et il déclare qu’il est impossible de se prononcer avec certitude en faveur de l’une ou de l’autre. Verius tamen existimo quod sicut ordo servabitur in salvatis... eo quod omnes caelestis hierarchiae ordines perpetui erunt, ita servabitur ordo in poenis, ut homines per daemones puniantur, ne totaliter divinus ordo quo angelos medios inter naturam humanam et divinam constituit, annulletur; nec ob hoc minuitur aliquid de daemonum poena, qui in hoc etiam quod torquent ipsi torquebuntur; ibidem enim miserorum societas miseriam non minuet sed augebit.


IX. CAUSE FINALE DE L’ENFER.

Nous voici au coeur de la théologie de l’enfer, c’est-à-dire de la science de l’enfer au point de vue de Dieu. Si Dieu n’est pas mû par un bien quelconque à vouloir ce qu’il veut, il ordonne cependant toutes ses oeuvres à une fin dernière. A quelle fin, d’abord, a-t-il ordonné l’enfer? Et puis, dernier pourquoi des oeuvres divines, quelle a été la raison formelle pour laquelle il a voulu l’enfer?

1° La fin de l’enfer. — 1. Ordre de la justice ou de la nature essentielle des choses voulues par la bonté créatrice. Chaque chose, d’après sa nature, a une fin directe et immédiate répondant totalement à cette nature. L’enfer est un châtiment; sa fin immédiate est donc de réparer l’ordre moral détruit par le péché. La peine du dam répare le reatus aversionis du péché; les peines du sens, le reatus conversionis, et les diverses peines ou degrés de peines du sens, les diverses espèces des conversiones indebitae ad creaturam. Dieu est donc juste en créant l’enfer pour les pécheurs car, comme nous l’avons vu, le péché exige l’enfer par mérite de sanction, en droit, dès qu’il est commis, en fait, après la mort lorsque ce droit ne peut plus être périmé par la conversion.

La sainteté de Dieu resplendit non moins en enfer, car la sainteté, c’est l’ordre moral maintenu parfait, ou la nécessité pour tout être libre de ne glorifier que le Bien. Par l’enfer, Dieu ne permet pas que le pécheur se glorifie et jouisse de son désordre, du mal; ainsi est maintenu inviolable le principe que seul le Bien est béatifiant, est bon.

Cet ordre de la justice est un ordre absolument essentiel et c’est une exagération de dire que l’enfer est exclusivement une oeuvre d’amour, de l’amour qui voulait forcer les hommes au salut par la crainte. Si Dieu permettait le péché irréparable dans l’éternité, il devait vouloir l’enfer. Cela rentre dans la nature métaphysique des choses actuelles. Pourquoi Dieu a-t-il voulu l’ordre actuel avec le péché et l’enfer, c’est une question que nous résoudrons un peu plus loin. La justice de Dieu en enfer n’est pourtant pas une vengeance personnelle au sens strict, cette vengeance que défend l’Évangile. Dieu pardonne toujours de ce pardon qui continue à vouloir du bien, mais il ne donne que le bien possible; les damnés ne veulent plus à jamais et ne peuvent ainsi jamais plus recevoir la grâce; Dieu ne peut la leur donner et ainsi il ne peut leur pardonner de pardon justifiant. Cf. S. Grégoire, Dial., 1. IV,c. XLIV, P. L., t. LXXVII, col. 404.

Il est encore de l’ordre essentiel des choses que toute créature soit une manifestation de Dieu, une participation ad extra de quelque perfection divine qu’elle manifeste ainsi ou fait connaître et aimer par les intelligences créées, procurant de la sorte la gloire de Dieu. L’enfer procure, lui aussi, cette gloire de Dieu, car il manifeste d’une manière spéciale tous les attributs divins : justice, sainteté, bonté, sagesse, libre indépendance, etc.

2. Ordre de l’amour ou de la surabondance de la bonté créatrice. Dieu aurait pu ne vouloir l’enfer que comme châtiment et le vouloir pour tout péché mortel, commis par les hommes, sans s’y opposer par aucun moyen extraordinaire. En fait, Dieu a voulu déverser sur l’humanité une surabondance d’amour, tellement incompréhensible qu’il a fallu parler des folies de l’amour divin. Dans notre création, Dieu est amour; le crucifix, l’eucharistie, le Sacré-Coeur: voilà ce qu’il faut considérer pour comprendre l’enfer, car, malgré cet amour, Dieu a voulu l’enfer. Par suite, il est souverainement probable, comme le pensent plusieurs théologiens, que Dieu ne précipite pas le pécheur en enfer pour un péché mortel isolé, surtout pour un péché de fragilité, mais qu’il n’y envoie que des pécheurs invétérés. En outre, on peut assurer qu’il distribue à tous les hommes des secours extraordinaires pour les aider à éviter le péché mortel sans que nous puissions expliquer quels sont ces secours. Il est donc vrai de dire que l’enfer n’est que la punition d’un mépris obstiné de l’amour divin. Cf. Lacordaire, Conférences de Notre-Dame, 1851, LXXIIe conf., De la sanction du gouvernement divin. Par amour, Dieu patiente avec le pécheur et lui pardonne sans cesse ses crimes; par amour, il cherche à le sauver et à s’en faire aimer, et si enfin il damne ce pécheur obstiné, c‘est encore par amour. Lorsque Dieu, un effet, a choisi, parmi les mondes possibles, le nôtre, il a voulu, en lui, le bien, et il en a permis le mal, les péchés et l’enfer; mais il n’a permis le mal que parce qu’il était utile au bien, au salut des élus. Cette utilité est double: l’enfer devait être un puissant stimulant, le seul efficace pour beaucoup, de salut et de sainteté et finalement pour les élus une raison plus grande de joie reconnaissante et d’amour. S. Thomas, Sum./ theol, IIIae Suppl., q. XCIX, a. 1, ad3am, 4am. Iniqui omnes aeterna supplicio deputati sua quidem iniquitate paniuntur et tamen ad aliquid ardebunt, scilicet ut justi omnes et in Deo videant gaudia quae perceperunt et in illis perspeciant supplicia quae evaserunt; quaternus tanto magis in aeternum divinae gratiae de debitores se esse cognoscant quanto in aeternum mala puniri conspiciunt, quae ejus adjutorio vicerunt. S. Grégoire le Grand, Dial., I. IV, c. XLIV, P. L., t LXXVII, col. 404.

Nous avons ainsi, par offensive, résolu la grande objection faite à l’éternité de l’enfer : un enfer éternel ne peut s’accorder avec la bonté et la miséricorde de Dieu. Comme réponse directe il faut ajouter ceci: la bonté de Dieu, c’est son amour faisant du bien gratuitement : cette bonté est miséricorde à l’égard d’êtres misérables. Aux damnés Dieu a-t-il voulu le bien, la perfection, le bonheur et rien que cela? Oui, de volonté antécédente, c’est-à-dire de volonté réelle, sincère, efficace. Dieu crée tous les hommes pour le ciel et personne pour l’enfer; il bien qu’il donne à tous les moyens nécessaires, et même, de fait, surabondants, pour arriver au ciel : voilà l’amour et la bonté de Dieu universels. Mais les hommes sont libres; s’ils refusent d’aller au ciel et s’ils se plongent dans le mal, qu’y peut la bonté de Dieu? Par miséricorde les sauver malgré tout? Mais la miséricorde est un attribut tout transitoire: le mal disparaît ou devient irrémédiable. Alors Dieu ne devait pas créer ces maux irrémédiables? Il aurait pu ne pas les créer; mais il n’y était pas tenu, n’étant pas tenu de fermer son coeur sur tous, parce que quelques misérables devaient abuser de ses bienfaits. Bien plus, nous allons le dire, c’est par amour plus grand que Dieu a sans doute conservé le mal dans notre ordre, alors qu’il aurait pu le supprimer.

2° La raison formelle et dernière de l’enfer. — La raison formelle, objective et dernière des volitions divines, c’est l’amour de son bien infini, en tant que manifesté librement dans la participation finie du bleu infini aux créatures. Voir t. II col. 838-840. Du degré dont Dieu veut par son amour subsistant aimer les biens limités il n’y a d’autre raison que le libre amour de Dieu. Il y a, en effet, un ordre essentiel que Dieu se doit de mettre partout. Mais au-dessus de cet ordre essentiel, il y a le surabondant que Dieu ne doit plus et qui ne dépend que de sa liberté, c’est-à-dire de la part d’amour infini qu’il veut bien accorder aux créatures. Dire que Dieu doit le salut final à tous, c’est mettre en lui une nécessité dans le domaine même du surabondant et c'est faire imposer des limites à son amour créateur par la créature même et par le péché de la créature. Avec plus d’amour pour telles créatures, Dieu n’aurait pas fait l’enfer; mais c’était un degré d’amour libre et indépendant et il ne l’a pas voulu. Cf. S. Thomas, Sum. theol., Ia IIae, q. LXXXVII, a. 3; q CLVII, a. 2, ad 1um. Telle est la dernière raison formelle de l’enfer, comme de toutes choses.

Connaissant l’immense amour de Dieu, on peut cependant se demander encore pour quelle perfection spéciale supérieure ce Dieu si aimant a voulu l’enfer, ou cet ordre de choses, comprenant le pêché et l’enfer? Est-ce parce que c’est un ordre d’amour excellent, plus excellent que les autres ordres où n’entrerait pas le péché, sinon tous absolument, ceux du moins qui sont de potentia ordinata? Et cette excellence provient-elle de ce que l’ordre de choses actuel est un ordre d’amour blessé par le péché, mais réparé par le Verbe incarné et rédempteur et puis par notre amour pénitent? C’est là une réponse traditionnelle : o felix culpa. Mais, définitivement, la question est insoluble. Dieu a choisi cet ordre où il y a le péché et l’enfer pour manifester librement son amour infini dans le degré que réalise le monde créé. » ("Dictionnaire de théologie catholique contenant l'exposé des doctrines de la théologie catholique, leurs preuves et leur histoire", Letouzey et Ané, Paris, 1902-1950)


9. L’enfer, cause efficiente et cause finale

(par le torrentiel le 2 septembre à 6h4


Cher Meneau,

Tout d'abord, je tiens à vous remercier de l'envoi de cet article dont la formulation est un peu datée, mais qui fait réfléchir.


On y sent fortement l'empreinte de la scholastique, qui plaque sur nos questionnements de nature parfois trop émotive et existentielle des réponses qui peuvent, elles, être de nature trop abstraite et philosophique, mais qui ont le mérite d'être argumentées. De plus, toute expression humaine a ses limites.


Comme le dit bien ce dictionnaire, il ne s'agit pas que la créature et plus encore la créature pécheresse mette des limites ou de la nécessité dans la Souveraineté de Dieu et de Son Amour.


Je voudrais construire ma réponse en questions, réserves et propositions que je reçois sans restriction, tout en insistant au préalable (on ne le fait jamais assez) sur le peu d'importance que peut avoir ma résistance subjective à recevoir tel ou tel argument de la doctrine de Foi (il faut être fidéiste de toute son âme et, si nécessaire, lutter avec l’ange de toute son intelligence).


La lutte avec l’ange est une question de tempérament. Y sont particulièrement portés les tempéraments rebelles (tempérament dont je ne me fais pas gloire. Il est important de soumettre les restrictions internes qu'on met à recevoir le Plan de Dieu à l'infinie supériorité de la Sagesse de de celui-ci.


Je commencerai d'abord par une question.


Qu'appelle-t-on "peine de dam" et "peine de sens" ?


Voici maintenant mes réserves.


A. Réserves de formulation.


« « Si Dieu n’est pas mû par un bien quelconque à vouloir ce qu’il veut, il ordonne cependant toutes ses oeuvres à une fin dernière. » La proposition qui ouvre cette phrase a l’air d’employer « si » comme synonyme de « bien que », en conjonction subordination de concession, l’opposition étant rappelée par « cependant » dans la principale. On en déduit l’affirmation suivante, exprimé sur le mode négatif :

« Dieu(n’est pas tenu d’être Mû) par un bien quelconque à vouloir ce qu’Il Veut ». » Et cette interprétation est confirmée par la fin de l’article :


« Alors Dieu ne devait pas créer ces maux irrémédiables? Il aurait pu ne pas les créer; mais il n’y était pas tenu ».


- « La bonté (de Dieu) est Miséricorde à l’égard d’êtres misérables ; (…) mais la Miséricorde est un attribut tout transitoire ».


B. Réserves de causalité.

« La cause efficiente, au sens large, qui a produit l’état de choses qui exige l’enfer, c’est le pécheur par son péché et lui seul. »

-« le péché exige l’enfer par mérite de sanction, en droit, dès qu’il est commis, en fait, après la mort lorsque ce droit ne peut plus être périmé par la conversion. »

- « Si Dieu permettait le péché irréparable dans l’éternité, il devait vouloir l’enfer. Cela rentre dans la nature métaphysique des choses actuelles. »

Ce n’est donc pas le pécheur et lui seul qui a produit l’état de choses qui exige l’enfer, c’est une certaine hiérarchisation instituée par Dieu et Dieu Seul entre le péché et l’enfer, celui-ci réparant un mal moral auquel la Rédemption n’a pas mis fin.

Cette hiérarchisation est d’autant plus contestable que Dieu n’a pas premièrement promis l’enfer à l’homme, mais la mort (avec la connaissance).

A moins de faire de la mort un synonyme de l’enfer, il y a exacerbation de la peine entre le moment où le délit qui vaut peine est commis, avec l’indication de la peine proportionnée, et le moment où est fixé ce qui doit être entendu par l'application de cette peine : l’enfer au lieu de la mort, peine dont je vous accorde qu’elle a commencé à s’exercer dès que des anges, gardiens de l’immortalité par l’épée et par la flamme, ont été dépéchés pour interdire à l’homme l’accès du merveilleux Jardin ou paradis terrestre.


- « Dieu pardonne toujours de ce pardon qui continue à vouloir du bien, mais il ne donne que le bien possible; » or qui a fixé les limites du possible ? Dieu n’est-Il pas le Dieu de l’impossible ? Qui a fixé que « les damnés ne (veuillent) plus à jamais », ce qui rend impossible qu'ils reçoivent la Grâce ?


-"Dieu... est la cause efficiente indirecte" de l'enfer.


C. Mes réserves de conséquence.


-La sujétion post mortem des damnés aux démons serait une relativisation de l’Incarnation ;

Même si, après « la destruction des droits des démons sur les hommes par Saint-Anselme et par Abélard », cette sujétion se réduit, de permission divine, à « à mettre le criminel au pouvoir du bourreau » démoniaque, ce serait une belle revanche pour les démons que celle qui satisferait pleinement à leur jalousie, faute d’avoir pu infléchir le Dessein divin de l’Incarnation, de pouvoir se venger durant l'éternité des hommes qui ne s’en seraient montrés, ni dignes, ni reconnaissants : la vengeance serait ainsi placée au centre de l’économie du salut.

Heureusement, « Saint-Thomas, rapporte l’opinion d’un théologien qui refusait aux démons, non seulement tout droit, mais tout pouvoir sur l’homme, au moins après le Jugement. Saint Thomas la rappelle aussi avec l’opinion contraire du pouvoir diabolique éternel sur les damnés, (…)et il déclare qu’il est impossible de se prononcer avec certitude en faveur de l’une ou de l’autre.


Propositions qui épaississent le Mystère

Voici des formules que je trouve heureuses, parce qu'elles épaississent le Mystère :


"… »et c’est une exagération de dire que l’enfer est exclusivement une œuvre d’amour, de l’amour qui voulait forcer les hommes au salut par la crainte ». " (En contrepoint, je citerai Isaïe, 29-13 : « ce peuple s’approche de moi de sa bouche, et qu’ils m’honorent de leurs lèvres, et que leur cœur est éloigné de moi, et que leur crainte de moi est un commandement d’hommes enseigné… »)


Car, malgré cet amour, Dieu a voulu l’enfer.


- "Bien plus, nous allons le dire, c’est par amour plus grand que Dieu a sans doute conservé le mal dans notre ordre, alors qu’il aurait pu le supprimer. ".


Propositions que je reçois sans restriction

Voici enfin les propositions que je reçois sans restriction, dans un ordonnancement que je rends volontairement progressif, pour faciliter la Contemplation de ceux qui les aimeront comme moi :


- « Seul le bien est béatifiant », et il ne faudrait pas que « le pécheur » « jouisse de son désordre », par où ne « (resplendirait) plus la Sainteté de dieu ».

- - « Dieu crée tous les hommes pour le ciel et personne pour l’enfer;

- « Le crucifix, l’eucharistie, le Sacré-cœur, voilà ce qu’il faut considérer pour comprendre l’enfer ».

- « Cet ordre de la justice est un ordre absolument essentiel ».

- - « La Justice de Dieu en enfer n’est pourtant pas une vengeance personnelle au sens strict, cette vengeance que défend l’Évangile. Dieu pardonne toujours de ce pardon qui continue à vouloir du bien,, mais Il ne donne que le bien possible. », mais les damnés ne voulant plus ne peuvent plus recevoir la Grâce, « dieu ne peut la leur donner et ainsi, Il ne peut leur pardonner de pardon justifiant».

- « il est souverainement probable, comme le pensent plusieurs théologiens, que Dieu ne précipite pas le pécheur en enfer pour un péché mortel isolé, surtout pour un péché de fragilité, mais qu’il n’y envoie que des pécheurs invétérés. (…)Il est donc vrai de dire que l’enfer n’est que la punition d’un mépris obstiné de l’amour divin. »


Je remercie encore Meneau pour cet article, et j'espère que nous aurons ensemble contribué à spéculer, à méditer et à prier au sein des Mystères du trois fois Saint


10. peine du dam et peine du sens

Par Meneau le 2 septembre 2011 à 9h


En résumé, la peine du dam, c'est l'exclusion définitive de la vie éternelle, la perte irrémédiable de la béatitude suprême, la privation de la vision béatifique et de la possession de Dieu.
La peine du sens, est la souffrance ressentie dans les sens, entre autres le feu, la géhenne dont parlent les Evangiles.

Cordialement

Meneau


10. Réponse à vos réserves.

(par Meneau le 2 septembre 2011 à midi)


A / Réserve de formulation:

Dieu n'est pas mû par un bien quelconque à vouloir ce qu'il veut parce qu'il est acte pur et premier moteur. Mais il ordonne ses oeuvres à une fin dernière. La façon dont Il a "pensé" cet ordre ne nous apparaît pas toujours clairement. Il aurait donc pu ne pas créer l'enfer, certes. Mais il a vu, dans Son plan divin, qu'il était mieux de le faire. Et ceci ne peut être opposable à l'Amour divin, car en définitive ce n'est pas Dieu, mais bien l'homme qui fait le choix de se détourner du bien. Dieu pourrait sauver les hommes malgré eux, mais quid dans ce cas de leur libre arbitre ? Non, dans son plan d'Amour infini, il a jugé meilleur de les doter de libre arbitre, et il a voulu l'enfer pour quelque "perfection spéciale supérieure" qui nous échappe.

Cependant, l'argument de Justice et d'Amour à l'égard des justes me paraît déjà une voie de réflexion : quelle justice y aurait il, quel amour particulier y aurait-il à l'égard des justes, si le juste et le non-juste (du coup je peux pas dire "damné") avaient droit l'un comme l'autre à la même récompense éternelle ?

B / Réserves de causalité

B.1 : hiérarchisation péché / enfer.

Premièrement, l'enfer, en tant que peine du dam, existait avant Adam et Eve, puisque le péché des anges était déjà commis.

Deuxièmement, la génèse ne nous parle explicitement que des peines temporelles liées au péché originel, mais le péché originel lui-même est un rejet volontaire de la grâce, et donc de la vision divine à laquelle l'homme est ordonné par la grâce, en sorte qu'il n'y a pas exacerbation de la peine dans le fait qu'en plus de la mort il y a le dam, mais en quelque sorte adhésion volontaire de l'âme à ce dam par le fait même du péché.

Quant à la peine du sens, l'opinion commune selon saint Thomas est qu'elle n'est pas dûe au péché originel (De malo, q5, a2)

B.2 : Le "Dieu de l'impossible" a fixé les règles.

La mort d'un homme fixe son âme dans un état de connaissance et de volonté qui fait qu'il "veut" ou "ne veut plus" à jamais. La cause efficiente est donc bien l'homme, qui au départ a voulu ou n'a pas voulu. Dieu n'a fait que fixer les règles qui régissent la nature humaine, qui fait que cet état demeure ensuite figé. Mais au départ c'est bien le pécheur qui se détourne de Dieu et se fixe sur la créature de façon désordonnée. Et là encore on ne peut opposer à cela l'Amour divin, car Dieu l'a dit lui-même : il donne en ce monde toutes les grâces nécessaires, pendant que l'homme, selon les lois de la nature qu'Il a fixées, peut encore "vouloir" ou "ne pas vouloir".


C / Réserves de conséquence

C.1 : la vengeance au centre le l'économie du salut

La persécution démoniaque n'est qu'une peine supplémentaire aux autre peines selon le DTC. L'exercice de cette vengeance des démons n'est donc pas "au centre de l'économie du salut".

D'autre part, le péché des anges ayant été au départ une révolte contre le plan de Dieu concernant la Rédemption du genre humain, il serait logique, du point de vue des anges déchus, que l'état dans lequel ils se trouvent fixés pour l'éternité soit justement l'état où ils font obstacle au bonheur éternel de l'homme voulu par Dieu, et donc participent au tourment des damnés.

Ce n'est pas une vengeance, c'est la conséquence logique, la mise en acte, de leur péché.


C.2 : les propositions que vous recevez

En fait, elles se rapportent essentiellement au point B ci-dessus. Dieu ne donne que le bien possible selon les règles de la nature humaine qu'Il a fixées, en sorte que s'Il est cause efficiente, cela ne peut être que de façon indirecte au sens où il a fixé les règles de notre nature.

Cordialement

Meneau


3
12. Dieu, premier Moteur, ne peut pas être mû…

(par le torrentiel, le 2 septembre 2011 à 16h55


Cher Meneau,

1. En prenant les mots du strict point de vue verbal, vous avez raison, et nous sommes là dans un pléonasme en bonne et due forme.

J'ai bien reconnu la définition d'Aristote, « DIEU EST LE PREMIER MOTEUR DU PREMIER MOUVEMENT », que Saint-Thomas a érigée en première preuve de l'existence de Dieu.


Toutefois, même si l'on ne peut guère remonter davantage aux origines de la vie qu'au travers de cette preuve ou définition, vous m'accorderez, je l'espère, que cette preuve par le mouvement est un peu mécaniste, ce qui n'a rien d'étonnant, quand on considère qu'elle fut trouvée par un physicien, un naturaliste, un précurseur de nos biologistes.

Dieu nous y est montré donnant la première impulsion au mouvement, mais par souci de ne pas s'écarter de ce qu'il observe, Aristote ne se met pas en peine de déterminer la finalité qui a donné lieu à ce premier mouvement, autrement dit la Volonté Qui a fait se mouvoir ce premier Moteur et dont notre Foi affirme que c'était l'Amour de Dieu.


2. Vous réfutez très intelligemment ma réserve sur la "peine de dam et de sens" exacerbant ce dont l'homme était menacé s'il désobéissait.

Cela suppose que l'on puisse avoir une certitude antébiblique et antégénétique sur le péché des anges qui, connu de l'homme, lui eût fait mesurer l'étendue métaphysique de sa transgression.

Je ne nie pas l'autorité de cette croyance, je m'enquiers simplement de ce qui la fonde ; je me demande si on en a quelqu'attestation biblique ; et, si c'est seulement la Tradition qui l'a construite, bien que je fasse crédit à la Tradition, je reste perplexe à l'idée que la Tradition puisse précéder l'Ecriture.


3. J’ai certainement forcé le trait en mettant la persécution démoniaque au centre de l’économie du salut.


Mais, pour n'être, pour ainsi dire, qu'à la périphérie de la damnation et qu’une peine supplémentaire, cette persécution démoniaque, mise en acte du péché des anges, pousse leur déchéance dans une logique littéralement inhumaine, puisqu'elle vise à les faire bourreaux des hommes pour l'éternité, ce qui peut tout aussi bien s'interpréter comme une victoire de leur révolte sur la Rédemption, puisqu'ils n'ont jamais rien tant désiré que s'opposer à l'Incarnation, que nuire au genre humain et qu'être "hommicides depuis le commencement" et pour toujours.

si Dieu avait permis ou permettait que les démons poussent leur haine jusque dans ses retranchements éternels , ce ne serait certes qu'une "mise en acte" du péché des anges, mais qui ferait prévaloir la pure logique de la conséquence du péché sur l’Amour privilégié dont Dieu Aurait élu les hommes au point de les faire supplanter les anges.

Rappelons que le DTC et Saint-Thomas eux-mêmes ne présentent cette commission éternelle de l'homme à ses bourreaux démoniaques que comme une hypothèse du "pouvoir des démons" sur les hommes, difficilement compatible avec la reconnaissance par l'Eglise que les démons ne sauraient par ailleurs avoir aucun "droit sur les hommes.

Avec toute ma reconnaissance pour le temps que vous avez déjà consacré à cet échange


le torrentiel


Nota :

Il manque à cet article, pour être plus complet, c’est-à-dire pour mieux cerner cette question de nos fins dernières :

- l’ensemble des références du CEC (Catéchisme de l’Eglise Catholique) où il est question de l’enfer : Meneau m’en a fourni un lien, mais il n’est pas facile d’utilisation. Le voici tout de même :
là.


- la recension (ou la retranscription) de ce que dit le dictionnaire « théo » à l’article « enfer » ;

- la recension d’un ouvrage d’un ancien professeur à l’école cathédrale (dont j’ai oublié le nom, son prénom est Marcel) du livre qu’il a écrit sur l’existence ou non du diable, en accompagnement de son cours.

Je remercie comme il se doit tous ceux qui ont bien voulu participer à cette discussion

Julien weinzaepflen (alias le torrentiel)

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