"Je me suis trompé sur Donald Trump parce que j'ai supposé que la confiance du peuple américain le conduirait sur des chemins à la fois personnels et politiques moins singuliers, plus heureusement traditionnels. Elle l'a fait dériver encore davantage", écrit Philippe Bilger dans son billet:
Justice au Singulier: Comment je me suis trompé sur Donald Trump....
En 2016, des experts comme au hasard Anne Sinclair, Christine Ockrent ou Gérard Araud, n'auraient pas misé un kopek sur la victoire de Donald Trump. Ils se sont moins avancés en 2024, mais sitôt l'élection constatée, ils ont fait une prédiction juste : dans la mesure où il n'a rien à perdre, le second mandat de Trump sera plus radical que le premier. Le premier mois de sa présidence le démontre.
Les présumés spécialistes de la mentalité américaine ont fait une autre anticipation qui, celle-là, me paraît de jour en jour plus hasardeuse: autant le premier mandat de Trump serait sans lendemain comme s'est avéré celui d'Obama à leur grande déception, qu'ils avaient pris pour le messie et la montagne de métissage qu'était censée être Obama a accouché de la souris néo-sécessionniste et néo-falknérienne du milliardaire Trump, négociateur sans autre morale que celle de la victoire, autant le second mandat de Trump marquerait les États-Unis d'une empreinte indélébile et il y aurait un héritage à capter, qui pourrait être assumé, soit par Elon Musk (ce qui est impossible: n'étant pas né aux États-Unis, il ne pourra pas devenir président des États-Unis non plus que ses homologues des GAFA qui ont trop putassièrement tourné casaque pour caresser dans le sens de son poil narcissique le puissant du moment pour conserver quelque crédibilité s'ils voulaient se faire élire à la tête de la fédération), soit par l'un de ses fils (Trump a ce point commun avec Le Pen et tous les vaniteux charismatiques d'avoir la fibre dynastique), soit par James David Vancequi pour l'heure se montre à la hauteur du job.
Et pourtant je crois que la pérennité du trumpisme est une erreur en raison précisément de la plus grande radicalité de ce second mandat. On ne peut pas gouverner cavalièrement et continuellement un des pays les plus puissants du monde. Poutine a fait la même erreur en ne mesurant pas combien, en agressant l'Ukraine, il se mettrait à dos, non pas certes la majorité de la population mondiale, mais les pays les plus puissants du monde et on ne gouverne pas impunément contre les puissances. Cela revient à avoir tout le monde contre soi. Trump s'asservit désormais au leadership poutinien en passe de remporter sa guerre en Ukraine et les États-Unis avec lesquels nous étions dans un rapport de "vassalité heureuse" (E. Macron) se vassalisent à Poutine, hier encore l'ennemi public mondial n° 1, mais Trump opère ce tournant de façon si vulgaire que cela rend sympathique la cause ukrainienne, même à ceux qui, comme moi, sont le moins convaincues par le bien-fondé du basculement de l'Ukraine de son aire naturelle russe dans le camp occidental temporairement dévitalisé de son hégémon.
Comme quoi on a beau savoir que la guerre et la paix nechoisissent pas leur camp pour les bonnes manières des soudards, la bienséance compte et la diplomatie a beau avoir terriblement changé à l'ère des contradictions permanentes de tous les dirigeants du monde qui ont perdu toute colonne vertébrale ("Zelensky est un dictateur mal attifé, mais je vais le recevoir à la fin de la semaine, m'emparer de ses terres rares et l'obliger à signer un cesser-le-feu avec Poutine. Et puis non. Il m'a manqué derespect, je renonce aux terres rares et je le vire de la Maison blanche". "Il ne faut pas humilier la Russie, mais Poutine m'a humilié en me recevant à l'autre bout d'une table de cinq mètres de large alors que je venais lui apporter la bonne parole et que moi, je l'avais reçu à Versailles. Je renonce à lui sauver la face et je vais devenir le plus solide des soutiens ukrainiens"), on ne se fait pas à ce changement ni au fait que, pour éviter un nouveau Wikyleaks, on ait remplacé de longs memorenda à la M. de Norpois par des simili-câbles en manières de communiqués rageurs sur X ou sur Social Truth de Potus en personne.
En parcourant les différentes dépêches qui relatent "l'échange tendu" entre Trump et Zelensky, j'en tire trois enseignements:
1. Trump n'a pas le minimum requis d'entregent pour assurer le "droit des gens", comme on appelait la diplomatie dans un langage un peu châtié, soutenu, traditionnel et désuet. Son côté primaire ressort et ilui importe plus de parler du « stupide président Biden » ou de ce qui se passait « au sortir de la salle de bain d’Hunter Biden » que de signer l’accord pour exploiter « les terres rares » tant convoitées de son hôte ukrainien qu’il traite comme le plus méprisable des manants. Dès lors, il est mal inspiré de reprocher à Zelensky de n’être pas « prêt pour la paix ». La paix est encore moins le sujet du Donald.
2. Jean-Luc Mélenchon peut plastronner : « En humiliant Zelensky, Trump prouve qu'il n'a rien à faire du soi-disant accord avec Macron », il a raison, Macron a fait du vent, comme d’habitude.
3. Et Georgia Meloni ne réagit pas, mais propose la seule chose intelligente que j’aie lue ce soir : après avoir elle aussi « demandé à Macron «à quel titre» il s’était rendu à Washington lundi pour discuter avec Trump », elle « plaide pour un sommet «sans délais» entre les États-Unis, l’Europe et leurs «alliés» » pour décider de l’avenir de l’Ukraine.
Car faut-il et peut-on compter sur l'Europe seule? Seule la détermination des dirigeants européens à s'emparer de l'abandon de l'Ukraine pour fonder une Europe de la défense et de la sécurité commune et à contrer les droits de douane des États-Unis et de la Chine pour mener une politique commerciale à la fois agressive et protectionniste, dira si le fédéralisme européen a de l'avenir. Cette crise pourrait être son momentum, mais outre qu'il paraît arriver bien tard, l'Europe se fonderait en s'engouffrant dans la brèche d'un antagonisme commePhilippe de Villiers prétend que c'était l'idée de Jean Monnet. Mais surtout elle renoncerait définitivement à être une Europe de Brest à Vladivostok comme le traité de Maastricht ne prétendait pas liquider d'un seul coup sa vassalité américaine, mais la réunion de l'Europe à la Russie était son horizon amoureux caché, comme il était celui, fasciné et redouté, de cet orthodoxe russe qu'était Dostoïevski, plus encore en délicatesse avec le camp jésuite et le catholicisme romain qu'avec le socialisme et le camp libéral européens.
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