Cardinal Hollerich : un homme clé dans la stratégie du pape François | René Poujol
Il pourrait sembler que je partage à contre-temps cet ancien
billet de René Poujol à propos du cal Holleriche que je connais peu et mal alors
que j'avais rencontré mgr Hypolite Simon, l’un de ses prédécesseurs à la tête
de la COMECE (conférence épiscopale des évêques européens), homme contrasté et
complexe, aux obsèques de notre ami commun M. Paul Petit, ancien bibliothécaire
du séminaire st-Sulpice où mgr Simon avait fait ses études et où je fus hébergé
pendant neuf mois après que ce séminaire se fut transformé en foyer d'étudiants
qui recevait en outre prêtres et évêques du monde entier. Hypolite Simon aété
entre temps lui aussi et prématurément rappelé à Dieu.
Ce partage à contre-temps du billet de René Poujol est dû au fait que je suis
engagé dans la lecture de son livre le
Synode, c'est maintenant qui vient de paraître aux éditions Salvator. Je
formaliserai mieux ce que j'en ai pensé dans des billets ultérieurs et quand j'en
aurai achevé l'étude autant qu'il est en mon pouvoir d'achever quelque chose, étant
poursuivi par le démon de l'inachèvement.
Mais je voudrais partager ici les quelques réflexions qui me sont venues sur la
personne et l'intention du calHollerich telles qu'elles me sont données à
appréhender par ce portrait de l'homme et cette recension de son livre
d'entretiens sur ce billet de blog déjà ancien de René Poujol à côté duquel j’étais
passé en son temps et dont il recopie l’introduction en annexe de son ouvrage.
Le cardinal Holleriche vient de plusieurs traditions à la fois. Missionnaire,
il s'est inculturé à la tradition shintoîste et ultrasécularisée du Japon.
Comme président de la COMECE issu d'un pays riche parfois accusé d'être un
paradis fiscal, il était prédisposé à user de la novlangue plus souvent qu'à
son tour. Mais il parle cette novlangue avec des fulgurances comme ce qu'il dit
sur les Égyptiens qui mettaient le passé devant eux et l'avenir derrière eux,
car on voit le passé que l'on connaît, mais on ne voit pas l'avenir que l'on ne
connaît pas et l’Église ne doit pas être l’Égypte ni faire comme les Égyptiens.
Dans son livre "Trouver Dieu en toute chose", le cal HOllerich
envisage un "synode sur l'Europe". Les deux continents de chrétienté
active, observée, donc mise malgré tout sur le boisseau, à ne pas avoir fait
l’objet (ni s’être fait les objets) d’un synode sont l’Europe et l’Afrique,
celle-ci parce qu’elle ne voit pas la nécessité de discuter de ce qui doit
avant tout se transmettre sacramentellement, animiquement ou shamaniquement si
ce terme est applicable à l’ancestralité du "continent" comme
s'appelle l'Afrique, consciente qu'elle contient tout ou partie de l'avenir du
monde comme elle serait le berceau de l’humanité, celle-là (le vieux continent ou
la vieille Europe) parce que, confortée par le centralisme romain, elle s’est
prise pour l’objectivité même, pour l’aboutissement de la civilisation
concentrant en elle-même tous les universaux, pour le centre du monde et le
parangon de la chrétienté, dont cette région occidentale s'est arrogée le
monopole normatif de cet orientalisme qu’est l’Évangile à l’origine, et qui a « des
origine » à l’Est d’Éden.
René Poujol nous dit que le cal HOlleriche fait preuve dans son livre d'une
"audace tempérée". « Audace lorsqu’il invite à « intégrer une
nouvelle façon de penser la foi au sein de la réalité vécue des hommes
d’aujourd’hui » ; audace lorsqu’il nous appelle à accompagner les hommes
et les femmes, nos contemporains, dans le quotidien de leur vie, sans les
juger, plutôt que de s’user à vouloir infléchir les lois de la cité ;.
"Enfin!",voudrais-je m’exclamer dans un « ouf ! « de
soulagement. Inflexion exempte de volonté d'infléchir tenant notamment à ce
changement de perspective par lequel l'Église a longtemps considéré le monde comme
une "structure de péché »,jusqu'à ce que la crise des abus sexuels la
mette devant l'évidence qu'elle était elle-même une structure de péché.
J'aurais tendance à souhaiter qu'on s'abstienne aussi de la
correction fraternelle par laquelle on s'autorise à vouloir changer et
convertirles autres. On ne doit pas leur faire la violence de vouloir les
convertir en réveillant l'amour avant qu'il ne le veuille, pour reprendre
l'expression qui m'est si chère de sainte Thérèse d'Avila. On ne doit pas pour
autant cesser de les appeler à la conversion ni de les assurer que la
conversion qui transforme la conversion de désir en conversion d'état et
d'action et de mode de vie est la plus belle aventure qu'il soit donné à un
être humain de vivre. Mais cela, on le prêche par l'exemple, quand on cesse de
se vautrer dans l'incohérence du "faites ce que je dis, pas ce que je
fais."
"audace, poursuit René dans sa recension, lorsqu’il [le cal Hollerich] conseille,
concernant la foi, de « réfléchir avec les jeunes et chercher avec eux des
réponses, plutôt que de leur rappeler sans cesse celles que donne le catéchisme
classique. »
Cela, j’ai compris que l’Église l’avait compris sans le dire ou en le disant,
le jour où le très conservateur cal Vingt-trois avait organisé la première
réunion des amoureux pour la saint-Valentin en y conviant tout le monde et
indistinctement les fiancés et les concubins, ceux-là mêmes que les familles
bien-pensantes n’invitaient pas à leur table ou à qui elles ne permettaient pas
de dormir ensemble de crainte qu’ils ne couchent ensemble, attitude condescendante,
discriminatoire et de rejet qui ne serait plus possible à notre époque,
impossibilité dont même le clergé conservateur, sans saveur, sans couleur et
sans odeur de l'archidiocèse de Paris a pris acte, ce qui en soi est plus
qu’une révolution de palais, mais constitue une vraie révolution pastorale qui
n’a pas dit son nom, bien loin des polémiques qui s’élèvent indéfiniment à
propos de la communion à donner ou non aux divorcés remariés ou de l’intégration
des homosexuels dans la communion ecclésiale.
"
Les réformes structurelles ne doivent pas être les seules au centre des
discussions", mais "nous avons une théologie que plus personne ne
comprendra dans vingt ou trente ans. Cette civilisation aura passé. C’est
pourquoi il nous faut un nouveau langage qui doit être fondé sur l’Évangile.
Or, toute l’Église doit participer à la mise au point de ce nouveau langage :
c’est le sens du synode. »
Autant le synode est légitime s’il s’emploie à inventer un nouveau langage qui
revient à penser la foi à frais nouveaux, urgence pour une Église qui ne veut
pas mourir et se laisser ensevelir sous les drapeaux et les fanions de son
folklore multiséculaire, autant le synode se plante s’il se conçoit comme une
réforme structurelle se perdant dans l’apocalypse structurelle qui pond des
normes plutôt que des rêves ou des utopies. Le communisme et bientôt non
seulement l'utopie européenne autrefois tournée vers "la paix
perpétuelle" et désormais à nouveau vers la guerre mondiale, mais aussi
l’Eglise qui n’a codifié sa législation dans un droit canon aux allures de code
pénal que depuis 1917, ai-je appris dans le livre de René, s’effondreront soue
le poids de leur bureaucratie, autant l’urgence est à inventer un langage
nouveau sans rapiécer nos vieux vêtements ni gâter le vin nouveau de l’Evangile
dans les vieilles outres du folklore ecclésiastique. Il ne faut pas être
formaliste, mais puisque « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface »,
la forme a son importance.
Le synode court le risque d’être une inflation langagière
masturbatoire s’il fait comme la littérature qui, à force de s’étudier
elle-même en faisant de la critique littéraire un genre littéraire où l’art
littéraire est bien plus malaisé, s’est gonflée en nous gonflant au risque de
crever de sa mise en abyme palempséstique hypertextuelle. Le synode est menacé
par cette autoréférentialité onaniste au moment même où il demande à l’Église
de cesser d’être autoréférentielle. Mais il peut aussi se saisir du langage
pour inventer un langage nouveau qui ne soit pas de la novlangue. Et en tant
que »conversation dans l’Esprit », c’est-à-dire en tant que parole partagée qui
s’empare du langage comme d’une base de travail, le synode est une bonne
méthode pour inventer un langage nouveau.
Je me suis longtemps méfié de ce mot de « conversation » qui ne me paraissait
pas à la hauteur du dialogue philosophique ou talmudique dont provient notre
civilisation judéo-chrétienne et helléno-chrétienne, quand »l’esprit de la
conversation » a trop fait le bonheur et le lustre des salons à la française,
comme l’a illustré La Rochefoucauld en sublimant cet "esprit de la
conversation". J’ai révisé ma position en me rappelant que le dialogue
philosophique, bien qu’il s’oppose théoriquement à la rhétorique comme art de
persuasion, s’est souvent assigné pour mission de convaincre, si on observe la
pratique de Socrate. La conversation a peut-être fait les beaux jours de
l’esprit salonard, mais le contrepoint de la musique baroque est une
conversation de la même époque classique du Grand siècle français entre des
voix qui se confondent ou se superposent de façon plus subtile que la mélodie
accompagnée, or le synode voudrait trouver un consensus entre des voix (et des
voies) multiples. Là où le synode peut réussir dans l’invention d’un langage
nouveau, il risque d’échouer, aussi bien s’il vise une révolution structurelle
que s’il borne sa réflexion à s’interroger sur les voies délibératives comme
notre « Grand débat » national qui a noyé la crise des Gilets jaunes ou, plus
loin de nous, comme le référendum sur le référendum, par lequel le Florentin Mitterrand
a mis fin à la guerre scolaire en faisant diversion par cette proposition
improbable et qui n'a jamais vu le jour.
Le synode échouera s’il ne fait que réfléchir aux méthodes de la décision dans
l’Eglise. Peut-être dis-je cela parce que je ne sais pas décider et que la
décision reste mon point faible. Mais nous ne passons pas notre vie à prendre
des décisions et la décision est nécessairement tendue entre le discernement de
saint Ignaceet l'"aussitot"de l’Évangile. Fondé dans le langage pour
trouver un langage nouveau, le synode doit ne s’assigner rien de moins que de
rendre le peuple de Dieu responsable du « développement interne » de la
doctrine qui ne doit plus être énoncée au terme de négociations machiavéliques
entre le pape et l’empereur comme s’est formé le credo au concile de Nicée que
nous fêtons en cette année jubilaire après le premier concile césaro-papiste de
l’ère chrétienne. À rien de moins qu’à la formulation de la doctrine dans un
savant mélange d’intuitions et de révélation doit aboutir le transfert de
l’infaillibilité pontificale à l’infaillibilité supposée in tempore du peuple
de Dieu annoncée par le pape François comme l’ambition de son pontificat dans
son premier entretien à la Civilita catholica. La doctrine est ce
discernement dans l’Esprit, bien plus que les décisions à prendre. Elle est le
terme et la fin du langage qui n’est une structure qu’à cette fin. Le langage a
faim de la doctrine beaucoup plus que l’ »inconscient [n’]est structuré
comme un langage ». Le langage est « une
structure en équilibre » précaire qu’en vue de trouver cette colonne vertébrale
que forme une doctrine qui doit être sans cesse consolidée et mise à jour comme
elle doit être remise au goût du jour dans les mots du moment.
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