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mercredi 16 avril 2025

La chaîne alimentaire, autour d'un poème de Nataneli


"Le loup mange la brebis, l’homme l’agneau,
La vie se nourrit de sang, de feu, de chaos. Le loup fut là bien avant la fragile brebis Et, qu’on le veuille ou non, il la mange, il l’avilit. C’est la loi de la nature, ainsi que la vie, Le loup tue pour vivre, ce n’est là qu’un imparti. La nature, cruelle, tout autant que l’homme, Est le miroir du monde et de nos propres normes. Dans ce grand équilibre où tout est en réseau, Chacun joue son rôle, dans l’ombre ou sous l’ego. Ce n’est pas parce qu’un acte semble cruel, Comme chasser pour manger, ou pour vivre à ciel, Qu’il est moralement condamnable, car c’est là La vie qui s’accomplit, dans un cercle sans émoi. La vraie question n’est pas de juger l’acte, Mais de comprendre notre place dans ce pacte Où la nature, dans sa rigueur, impose ses lois, Que l’homme doit accepter sans combattre sa foie. Ô chère humanité ! La nature est cruelle, c’est sa vérité. Chacun vit en tuant, c’est là la loi du bois, La nature, sans doute, en elle-même nous enseigne Que la mort est le prix pour qu’un autre règne. ©️ Nataneli
"La vraie question n’est pas de juger l’acte,
Mais de comprendre notre place dans ce pacte."
Ce dystique dément d'une heureuse manière l'idée selon laquelle nous pouvons être jugés sur nos actes puisque "nos actes nous suivent." Nos actes ne nous suivent que dans la mesure où nous n'avons pas analysé "notre place dans ce pacte". Si nous l'avons analysée, nos actes ne nous suivent pas, ils nous correspondent.
Mais encore?
Dieu serait amour, nous dit l'Église que je sers en organiste liturgique passionnné. Une des objections qui me viennent le plus souvent et qui fait de moi un chrétien feuerbachien ("ce n'est pas Dieu qui a créé l'homme, mais l'homme qui a créé Dieu à partir de tout ce qui lui manquait". Variante: si cela manquait à l'homme, c'est que Dieu l'avait mis en lui), est la suivante: comment Dieu pourrait-il à la fois créé par amour et vouloir juger à la fin ce qu'il a créé? Ou: comment Dieu pourrait-il avoir créé par amour et avoir créé la chaîne alimentaire? Teilhard de Chardin répond en partie à la question: Dieu alaissé à la nature la même liberté qu'il a laissée à l'homme. Donc la nature a créé ses lois, dites lois de la vie ou lois ontologiques que Dieu respecte, par respect de cette liberté, ce même Dieu qui quand Il sauve, affranchit de la loi.

"Le loup est venu avant la brebis", sans doute. Mais Dieu en Jésus cherche la brebis perdue. J'ai lu ce matin dans le "Porche de la deuxième vertu" de Péguy que je me suis décidé à lire grâce à un concert donné dans l'église qui est juste en face de chez moi: "Ainsi la brebis tient chaud à son propre pasteur." La brebis perdue s'est perdue parce qu'elle avait perdu l'espérance, mais comme elle est partie, "elle a fait naître la crainte et ainsi a fait jaillir l'espérance." La brebis perdue avait désespéré, mais avait fait naître l'espérance "au coeur de Dieu même" puisqu'"au coeur de Jésus". "Par cette brebis égarée, Jésus a connu la crainte dans l'amour. Jésus comme un homme a connu l'inquiétude humaine. Ainsi n'est pas la volonté devotre Père qui est aux cieux qu'un seul de ses petits périsse". Grâce à la brebis perdue et à "l'inquiétude mortelle" qu'il a conçue à son sujet, "le Sauveur lui-même est sauvé."

Et enfin, sans commune mesure avec votre poème, mais en contrepoint, ceci:

LE BRIN D'herbe


Ce petit brin d'herbe que je n'ai pas vu
S'est dissimulé dans mon souvenir
Et m'a demandé s'il avait vécu,
ô petit brin d'herbe que j'ai fait mourir !

Mon bondissement écrasant et sûr
A piétiné sec tout ton avenir.
Je compatis à ton égratignure,
Mais tu es brindille et moi, grand visyr :

Ce brandon qui est ta progéniture,
Je dois le fouler sans plus de plaisir,
En homme de bien qui met ses chaussures
Pour domestiquer l'arbustier délire,

Délire de choix qui veut se choisir
Une condition à la démesure...
Mais le ventre las du premier soupire
Accrocha le brin à la chaîne obscure,

Cette chaîne-là qui à nous fait dire
Au petit brin d'herbe : "tout n'est pas perdu,
Je t'ai piétiné, c'était pour t'offrir
De vivre abrité dans mon coeur si nu..."

Le petit brin d'herbe esquisse un sourire
Et, ironisant, me dit : "Le crois-tu,
Que plus que moi tu sois fils d'un désir,
Que tu sois sauvé si je suis perdu ?

Pour te racheter tu voudrais bâtir
A mon effigie un buste-statue :
En mémoire un brin que j'ai fait souffrir,
Que j'ai piétiné, que je n'ai pas vu,

Et je devrais là, dans ton coeur très pur,
Trouver asile à mes déconvenues,,
Dans ton palpitant qui ferait sa sciure
En déforestant les rameaux menus."

Ma vocation s'ombre de blessure :
Je ne l'ai pas vu et je crois saisir
Que je n'ai pas fait, moi, la forfaiture
D'être fatal à ce brin de désir...

Moi que l'on convainc de péché, bien sûr,
Je ne pouvais choir avant d'être aimé
Et je ne peux ramasser les pelures
Du premier "amen" qu'on a refusé.

De moi qu'aujourd'hui, la mystique pure
Semble avoir cessé de vouloir gracier,
Qu'un grain de faiblesse abatte le mur
Et me refonde en sol de grand'pitié.

 

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